La licence globale

Droit d’auteur, l’autre solution

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Libération mercredi 22 février 2006La réforme du droit d’auteur, en discussion devant le Parlement, a pour principal objet la reconnaissance des mesures techniques de protection (MTP, ou en anglais digital right management, DRM) des oeuvres de l’esprit bénéficiant d’un droit d’auteur, ou d’un droit voisin. Cela doit être fait en application d’une directive européenne de 2001 sur le droit d’auteur dans la société de l’information et d’un traité de l’Organisation mondiale de la propriété intellectuelle (Ompi) de 1996 dont cette directive reprend le principe.
L’idée centrale est que les législateurs nationaux liés par ces textes doivent déclarer illicite, et passible de sanctions juridiques, le fait de neutraliser un dispositif technique assurant la protection d’une oeuvre de l’esprit sous forme numérique.
Toutefois, le traité de l’Ompi, tout comme la directive européenne, laissent une assez large marge de manoeuvre pour assurer l’efficacité des MTP et concilier les intérêts en présence en matière de propriété intellectuelle : ceux des artistes et ceux du public. Il est clair, d’ailleurs, qu’une application sans nuances des MTP présenterait des risques importants au regard de l’accès aux oeuvres de l’esprit, du respect de la vie privée et, plus généralement, de l’utilisation des réseaux numériques sur lesquels les oeuvres ont vocation à circuler. D’où les difficultés rencontrées pour la transposition de la directive européenne.
Le projet de loi, débattu en décembre, donne la primauté au droit, pour les auteurs, de contrôler l’accès aux oeuvres ainsi que leur usage au moyen des MTP et d’interdire, par là même, l’échange des oeuvres sur les réseaux numériques, solution impliquant de frapper de sanctions pénales tout internaute procédant à l’échange d’oeuvres sur les réseaux ; à l’inverse, un amendement voté par l’Assemblée nationale reprend l’idée de «licence globale», prônée par une alliance entre artistes et public, et prévoit que «l’auteur ne peut interdire les reproductions effectuées sur tout support à partir d’un service de communication en ligne par une personne physique pour son usage privé… à condition que ces reproductions fassent l’objet d’une rémunération» du type de celle déjà prévue par la loi pour la copie privée (amendement n° 153). Ces deux positions sont inconciliables et leur caractère contraignant plaide d’ailleurs en leur défaveur.
Or, le fait que le débat se soit cristallisé autour de ces deux positions ne doit pas cacher qu’il existe des solutions alternatives, qui ne présentent pas ces inconvénients.
L’une d’entre elles consisterait à mettre en place un dispositif auquel chacune des deux parties aurait la liberté d’adhérer ou non : les auteurs auraient la liberté de recourir, ou non, à des MTP pour contrôler la circulation de leurs oeuvres et interdire ainsi leur téléchargement ; les internautes auraient la faculté de payer, ou non, une redevance pour pouvoir échanger des oeuvres non munies de MTP. Ainsi serait assurée sur les réseaux une «liberté numérique» réelle et équitable.
Dans cette solution, une contribution financière serait versée par les internautes pour jouir de la liberté d’échanger des oeuvres, en même temps que le paiement de l’abonnement pour l’accès aux réseaux ; perçue par les fournisseurs d’accès, elle permettrait de constituer un fonds qui serait réparti ensuite entre les auteurs afin de compenser le préjudice que peut leur causer l’échange des oeuvres sur les réseaux, échange dont le législateur reconnaîtrait clairement la licéité. Le produit serait donc destiné à compenser le manque à gagner ressenti par les auteurs.
Mais la contribution financière à ce fonds et la possibilité d’en recevoir une part seraient laissées au libre choix des intéressés, seuls ceux qui auraient retenu la solution pouvant en bénéficier : les internautes, en choisissant un abonnement intégrant cette contribution prix de la liberté de téléchargement , et les auteurs, en choisissant de laisser leurs oeuvres circuler sans entrave cause de la compensation financière perçue.
Du côté des internautes, la contribution financière intégrée dans l’abonnement présenterait deux caractéristiques principales : d’une part, afin d’assurer le caractère consensuel de la solution, elle aurait un caractère optionnel : elle serait incluse de plein droit dans le prix de l’abonnement, mais l’abonné pourrait s’y soustraire, et ne pas la payer, au motif qu’il ne procède pas, ou n’envisage pas de procéder, à des téléchargements d’oeuvres couvertes par un droit d’auteur ; pour en être déchargé, il souscrirait une déclaration en ce sens .
D’autre part, cette contribution serait adaptée aux différents types d’abonnement : elle varierait selon le débit de l’accès au réseau, et donc serait modeste pour les abonnements à faible débit, plus importante pour les abonnements à haut débit.
Du côté des auteurs et de leurs ayants droit, le libre exercice du droit exclusif serait préservé puisqu’ils auraient la liberté d’utiliser des MTP pour interdire la copie privée de leurs oeuvres ; deux situations pourraient donc se présenter :
­ les auteurs qui ne recourraient pas à des MTP pour protéger leurs oeuvres accepteraient que celles-ci circulent librement sur les réseaux numériques et puissent être échangées, et partant copiées ; ces auteurs et leurs ayants droit bénéficieraient, en compensation du préjudice subi par ces copies, du versement d’une part de la contribution perçue sur les internautes ;
­ d’autres auteurs choisiraient d’interdire la copie privée de leurs oeuvres sur les réseaux numériques, et donc de les voir circuler par voie d’échanges ; ils recourraient alors à des MTP pour empêcher les téléchargements, et donc les copies ; par voie de conséquence, ils n’auraient pas vocation à recevoir une partie de la contribution financière perçue dans l’abonnement payé par les internautes.
Quant à la répartition, entre les auteurs, du fonds constitué par la contribution financière ainsi versée par les internautes, elle pourrait être faite en fonction du succès rencontré par les oeuvres échangées sur les réseaux, succès évalué par des techniques de sondage ou d’Audimat adapté aux réseaux numériques. Les modalités à mettre en place devraient, dans tous les cas, assurer le respect de la vie privée.
Un des intérêts de cette solution serait de limiter considérablement la répression des agissements jugés illicites. Les seuls comportements critiquables seraient, d’une part, de procéder à des téléchargements d’oeuvres alors qu’on a souscrit un abonnement ne prévoyant pas cette faculté, et, d’autre part, de neutraliser une mesure de protection protégeant une oeuvre, notamment afin de la faire circuler sur les réseaux.
Il en résulterait pour la société une économie significative par rapport aux solutions reposant massivement sur la répression pénale. Un autre intérêt est que cette solution laisserait les parties prenantes décider des modes de distributions des oeuvres : en fin de compte, c’est la collectivité des auteurs (laissant ou non des oeuvres circuler librement sur les réseaux) et la collectivité des internautes (désireux, ou non, de payer pour échanger librement des oeuvres) qui orienteraient le marché vers tel ou tel modèle économique.
Enfin, dans l’ordre international, la solution préconisée ne devrait pas rencontrer d’obstacle juridique ou pratique. Elle est respectueuse aussi bien du traité de l’Ompi que de la directive européenne de 2001, puisqu’elle assure la protection des MTP à ceux qui souhaitent s’en prémunir. Elle est conforme au test dit «des trois étapes» prévu par ces deux instruments et par la convention de Berne, en raison de son caractère consensuel et parce qu’elle assurerait une rémunération équitable des auteurs ayant accepté la libre circulation de leurs oeuvres.
Elle est également respectueuse de la convention de Berne sur le droit d’auteur puisqu’elle ne porte pas atteinte au «droit exclusif» de l’auteu