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L Europe, quatre leçons en forme de lièvres (in Libération du décembre )

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Libé des philosophes – Crise . L’urgence irlandaise pourrait être l’occasion de relancer l’ambition d’une vraie union politique.Les corbeaux – agences de notation et journaux anglo-saxons – qui font l’opinion des investisseurs s’interrogent. Quel sera le prochain maillon faible ? Y aurait-il un gibet ou un cadavre dans le placard ? Ces marchés sont-ils si irrationnels ? Pas sûr.

La crise est loin d’être terminée, les fermiers généraux sont de retour. Acte I, la crise des subprimes. A l’acte II, on a vu les régulateurs et les moralisateurs confiants dans les Etats. L’ennui : sérieusement endettés avant la crise, ils ont garanti les banques et l’épargne. Leur dette a doublé. Ils ont dû revenir manger dans la main d’une finance de marché ragaillardie. A l’acte III, le vieux couple infernal des Etats avec les marchés est de retour. Les nouveaux fermiers généraux qui détiennent le sésame des souscriptions aux emprunts publics sont toujours là.

L’enjeu réel n’est pas l’endettement, mais la confiance dans le futur. La droite a beau crier que l’endettement est intolérable, elle sait que la purge peut être la saignée fatale de la croissance. Le niveau de la dette globale (ménages, banques, déficit budgétaire, comptes sociaux) n’est pas une question de niveau. Mais de structure : qui la détient, des résidents européens ou pas ? La gauche a beau jurer pendre la finance à la lanterne, elle sait qu’elle en a besoin pour trouver des liquidités et mener une triple nouvelle donne. Des salaires plus haut pour relancer la machine. Un Grenelle au carré pour un emploi et une industrie soutenables. Des investissements dans l’économie de la connaissance sans lesquels le développement durable est un cosmétique publicitaire.

L’inexorable clash avec la rente. Les Etats européens sont dans la nasse de la stagnation durable car ils ont refusé les diverses thérapies qui existent. La restructuration de la dette par une dévalorisation des actifs détenus par les créanciers. Une dose d’inflation à 4% par an pour diminuer la charge des remboursements. La création de monnaie, comme les Etats-Unis viennent de le faire. Mais la finance n’a pas voulu d’un impôt sur les sociétés plus élevé en Irlande, comme elle n’a pas davantage voulu de la restructuration de la dette. Car cela reviendrait à réduire le poids de la rente (le revenu généré pour ceux qui ont des placements). Derrière les jérémiades sur les dettes des autres Etats, sur l’euro, il y a le bloc de l’Europe du Nord, qui, comme Angela Merkel, veut le beurre des exportations dans la zone euro, l’argent des placements financiers et la fille de la crémière (l’équilibre budgétaire). En vain : l’Allemagne doit se résoudre à payer, et suivre la France.

Le marché européen vaut bien une messe fédérale. Soyons équitables envers les corbeaux de la défiance. Ils ne sont pas si irrationnels, ces marchés européens. Ils votent pour l’Europe fédérale contre une gestion séparée des Etats : unité de façade, chacun pour soi, oral de rattrapage et… retour à la case départ. Si l’euro est un rempart contre l’éclatement, n’est-il pas temps de passer à un véritable budget fédéral pas de 1% mais de 5%, alimenté par un impôt européen, avec la possibilité de faire du déficit pour la croissance soutenable ? Si la Banque centrale européenne est sortie de son rôle de garante de la seule stabilité des prix, n’est-il pas temps de passer à une Europe politique sans laquelle on truste les inconvénients de l’euro – contrainte budgétaire – sans avoir les avantages d’une monnaie de réserve internationale ? Il faut pouvoir emprunter en euros, affaiblir son taux et la répartir selon les besoins des différentes provinces de l’Union que sont devenus, dans la réalité, ces Etats qui s’imaginent encore souverains. Voilà la révision à laquelle nous n’échapperons pas. Sauf à dire adieu à l’Union européenne.