Crise de la représentation

L’entrisme conjoncturel

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C’est sans doute la première fois qu’un parti a lui-même organisé un entrisme
dont les effets structurels risquent de perdurer par delà les effets
conjoncturels de l’élection de 2007.
Ainsi les 2/5ème des effectifs du parti socialiste (80.000 primo-adhérents sur
200.000) sont constitués d’entristes conjoncturels souhaitant peser sur la
désignation interne du candidat PS .
Difficile de savoir s’ils resteront l’échéance présidentielle passée. Ceci
dépendra sans doute du résultat de leur entrisme sur le choix du candidat PS
, sur l’élection présidentielle et sur les changements internes qu’il aura
provoqués dans le fonctionnent du parti . Car il est évident que ces
sympathisants n’ont adhéré que conjoncturellement et qu’ils ne renouvelleront
pas leur adhésion si le fonctionnement et les structures du parti ne changent
pas . Donc future bataille entre les anciens et les modernes à prévoir ou à
poursuivre puisqu’elle semble déjà entamée dans les préliminaires que constitue
le choix interne par rapport à la pression externe .
C’est en effet aussi, la première fois qu’un parti est soumis à une telle
pression médiatique externe quant au choix interne de son candidat.
Enfin, c’est la première fois que le candidat « naturel » de ce parti, son
premier secrétaire, se trouve dans une configuration personnelle qui semble le
mettre quasiment hors-jeu, y compris comme arbitre.

PEOPOLISATION ET POPULISME

Si ces deux termes péjoratifs sont souvent associés ou indifféremment employés,
il convient sans doute, de les distinguer pour voir ensuite les effets de leurs
rapports La peopolisation vise d’abord la médiatisation, le populisme surtout
les thèmes utilisés.
On est « people » si on s’exhibe ou si l’on est exhibé dans la presse du même
nom, par opposition à la presse sérieuse destinée aux initiés. On est également
people si on participe à des émissions audio-visuelles -chats et autres
divertissements- du prime time grand public . En revanche on échappe à
l’infamie de la peopolisation si on se contente des émissions politiques
spécialisées ou de l’expertise confidentielle de France-culture.
On est « populiste » si on transforme les faits divers, servant d’accroche aux
chaînes grand public, en enjeux politiques intégrés dans une idéologie globale
militante.
Néanmoins il est évident que le populisme- comme fond de commerce- se sert
toujours de la peopolisation et que la peopolisation- dans sa forme- a souvent
des connotations populistes quant au fond. Débat éternel entre la fin et les
moyens …

DU VERTICAL A L’HORIZONTAL

Les enseignements du référendum sur le TCE nous obligent à dépasser les dualismes
fond/forme et moyens/fins . Le « OUI » prôné par tous les partis de droite ou
de gauche, à structure verticale et relayé par les media grand public, a été
battu par le « NON » des réseaux horizontaux alter-éco-nationalistes de tous
bords .
Ce qui signifie que l’aller-retour de la base au sommet des structures
représentatives pyramidales a été battu en brèche par un nouveau mode de
circulation de l’information qui élimine au maximum ce que les spécialistes
appellent le « bruit » (relais, intermédiaires , parasites etc.) . Ainsi
l’idéologie à connotation populiste , anti-élitiste, anti-libérale et
nationaliste a pu passer « 5 sur 5 », comme on dit, par la multitude des
réseaux horizontaux d’internet . La dispersion des messages quand elle se
focalise sur un enjeu, se révèle être beaucoup plus puissante que la diffusion
des traditionnels centralismes « démocratiques » même relayés par les
mass-media. Par contre-coup (feedback), ces appareils se trouvent depuis
accusés de manipulation ou de « bourrage de crâne », à la mesure de leur propre
résistance à ce qui les remet en cause (base contre sommet, peuple contre
élite).
Il en est de même plus généralement pour toutes les désolations
pseudo-savantes et moralisantes sur « l’individualisme » et la perte du « lien
social » qui, à leur corps défendant, participent à de nouveaux modes de
relations et de sociabilité. L’instantanéité temporelle et l’ubiquité spatiale
que permettent les nouvelles technologies de l’information (NTIC) créent en
effet plus de communications inter-individuelles et de lien social qu’elles
n’en défont. Ce qui explique leur succès. Ainsi la possibilité d’envoyer
instantanément et partout des dizaines de messages est sans doute plus efficace
(et écologique) que la traditionnelle distribution de tracts dans des boites
aux lettres que les digicodes rendent de moins en moins accessibles. De même
les réunions de sections ou de cellules où les « apparatchiks » monopolisent la
parole d’un ton doctoral, sont de plus en plus désertées (1) au profit des
chats et forums sur internet . A tort ou à raison la quantité d’informations
disponibles en temps réel, semble rendre inutiles voire nuisibles les
intermédiaires et les filtres « militants » qui n’ apparaissent au plus grand
nombre, que comme des jeux d’appareils et/ou comme des carriérismes
individuels.
C’est ainsi que « l’expertise » de plus en plus nécessaire en raison de la
complexité croissante des problèmes tend à se déplacer de l’individuel vers le
collectif. Non pas comme simple « somme d’opinions » dont les sondages
rendent compte, mais comme le résultat d’un « brain-storming » où les media et
le net jouent alternativement le rôle de lentilles convergentes et divergentes
(2). Les institutionnels opposent donc cette nouvelle « démocratie d’opinion
» à la « démocratie représentative » usée sans doute d’avoir été trop (mal)
utilisée. En ignorant les phénomènes de « feedback », ils renforcent ce (et
ceux) qu’ils croient combattre . Plus je mets en garde contre les dérives
populistes, plus je les alimente ; car toute personne prétendant échapper au «
vulgus » en est d’emblée suspecte !
La collectivisation de l’expertise est à l’œuvre depuis longtemps dans la
recherche fondamentale ou dans le management et l’on ne voit guère pourquoi le
politique qui par essence concerne le collectif, y échapperait – sauf si son
personnel désire conserver un régime spécial de fonctionnement , ce qui est
voué à l’échec de l’inefficacité.
Néanmoins, il serait dommage que les difficultés d’adaptation d’un militantisme
aristocratique (3) -qui correspond à une époque révolue quant aux nouvelles
exigences démocratiques- nous conduise après 2002 et le TCE, vers un nouvel
échec en 2007 . Avec en prime, un surcroît de désintérêt pour un monde
politique clos, coupé des réalités sociétales qu’il est censé à la fois
représenter et dynamiser.

Jean-Loup Azéma (entriste conjoncturel 2006)

(1) Souvent dans les réunions, la hiérarchie (sympathisants < adhérents < militants < responsables) est encore renforcée par un dispositif spatial de type salle d'école primaire : le(s) maître(s) face aux élèves écoutant la bonne parole. La structure circulaire qui permet à chacun de voir tout le monde et d'avoir un égal accès à la parole, a pourtant été adoptée, depuis longtemps, par les universitaires et les « managers » de tous poils. (2) C'est ainsi que le blog d'un professeur de lycée professionnel a été relayé par les média pendant la campagne du TCE et que plus ce blog a été critiqué, plus il a été diffusé sur le net. (3) Dans le sens où l'on a pu parler d'aristocratie ouvrière. Mais il est aujourd'hui difficile de trouver dans nos réunions intra-classes moyennes, le «prolo » de service que l'on croyait défendre et au nom duquel on continue de parler. Les deux dernières générations ont heureusement pris la parole sans notre permission , avec les moyens dont ils disposent et qu'ils maîtrisent . Effet éminemment démocratique, sur les générations suivant celle de Mai 68 qui serait, de ce fait, devenu l'origine de tous nos maux actuels !