Propos recueillis par Violaine Delteil et Frédérique PasquierALICE – Autour de quelles urgences, de quels désirs, s’est constituée l’APGL ? Comment a-t-elle évolué depuis sa création ?

ÉRIC DUBREUIL – L’APGL a été créée en 1986 par Philippe Frette. À l’origine, c’était une association composée majoritairement de garçons même si le projet était de rassembler garçons et filles autour de l’intersection « homosexualité et parentalité ». C’était dès le début une association pour les parents (initialement majoritaires) et les futurs parents gays, dont ceux en procédure d’adoption. Le but initial était d’échanger et de transmettre les expériences cumulées entre les membres, pour répondre avant tout à des questions pratiques qui se posaient pour les parents et futurs parents mais aussi pour les enfants. Pour ces derniers, il y avait l’idée qu’ils puissent se rencontrer, savoir qu’ils n’étaient pas seuls dans ce cas, ce qui pouvait les aider à vivre une situation hors normes. L’année 1995 a été une année tournant pour l’association. L’APGL a cherché à communiquer davantage avec l’extérieur, multipliant notamment les contacts avec les autres associations gays et lesbiennes. À ce moment-là, le nombre d’adhérents est passé de 70 (en 1995) à 200, 300, 400 jusqu’à 900 aujourd’hui – au-delà de ce qu’on pouvait imaginer. Aussi, à la dimension de « convivialité » de l’APGL s’est ajoutée une dimension politique qui a pris toute sa force à partir de 1995, bien qu’elle existât dès le départ. L’association s’est engagée davantage sur le terrain de la revendication politique pour réclamer l’égalité des droits entre hétéros et homos : l’égalité d’accès au mariage, à la filiation et donc à la protection identique des enfants. La revendication incluait la reconnaissance du co-parent, point qui concerne en fait toutes les familles recomposées. Cette revendication d’égal accès au mariage date en fait du 20 juin 1996, elle est donc très récente. Notez que l’APGL a été pionnière devant Act-up, le CGL, etc. qui nous ont rejoints début 1997.

ALICE – L’explosion du nombre d’adhérents serait-elle liée à cette nouvelle ligne plus militante, à ce projet de peser sur le politique ?

ÉRIC DUBREUIL – Je crois plutôt que les nouveaux adhérents sont venus par un effet boule de neige après la médiatisation de l’association et qu’ils ont surtout été attirés par la convivialité et les aspects pratiques. Je ne pense pas que les membres se sont dit « l’APGL est en avance sur son temps » ou « l’APGL est révolutionnaire ».

ALICE – À ce propos, diriez-vous que le mariage ou encore la filiation homosexuelle est un projet révolutionnaire comme le soutient maintenant Philippe Mangeot alors que l’ancienne ligne d’Act-up était plutôt de dire que les homosexuels n’avaient rien à voir avec le mariage, et ne devaient pas chercher à reproduire un cadre conjugal ou familial hétéro avec tout ce que cela avait de conventionnel ?

ÉRIC DUBREUIL – Act-up et nous avons une démarche différente. Act-up emploiera des termes comme « révolutionnaire » alors que ce n’est pas notre objet premier. Nous partions d’une nécessité très précise : que nos enfants cessent de « morfler ». Pour ça il faut l’égalité des droits (en tant que président je ne me sentirais pas capable de défendre uniquement des petits bouts de dignité humaine). Cette question touchait des choses vraiment intimes et tellement grippées. Ça me permet de continuer l’historique de l’APGL, en évoquant le second tournant qui a eu lieu en 1997. À cette date, on s’est en effet rendu compte, et Martine Gross a été très active en ce sens, que si la convivialité était essentielle, la revendication politique pour l’égalité des droits était cruciale. Mais on ne pouvait pas imaginer que la société allait considérablement changer si on ne mettait pas en place des éléments de réflexion pour cette société. On a donc mis en place des débats entre les adhérents et des chercheurs en sciences sociales. Il s’agissait en même temps d’apporter des réflexions pour l’extérieur et de susciter d’autres réflexions de cet extérieur (des sociologues, des juristes, des psys, des anthropologues etc.). Pour mener à bien ces réflexions, on s’est constitué une sorte de bibliothèque composée d’études ramenées des États-Unis et on a organisé en 1997 un premier colloque où a commencé ce travail d’échanges. Dans nos rapports avec l’extérieur, l’optique de l’APGL était de dire, vous qui n’êtes pas directement dans notre combat, vous avez sûrement des idées, vous n’êtes peut-être pas d’accord avec nous, on essaie quand même de dialoguer. On était dans une position intermédiaire, encore les associations qui prônaient un réformisme mou disant « on discute avec tout le monde mais on n’en demande pas beaucoup » et les plus radicales qui disaient que le principe d’égalité n’était pas négociable et que l’on ne pouvait discuter avec ceux qui n’étaient pas d’accord: ce que l’on a ressenti dans le dernier colloque d’octobre 1999, où certains participants radicaux (qui ont en fait été radicaux après nous) ont brisé toute possibilité de débat, attaquant les adversaires en reprenant l’argument de l’homophobie. Dans le cadre des réflexions que nous avons menées, on s’est posé un certain nombre de questions qui concernaient directement les enfants de famille homosexuelle. À titre d’exemple, il nous paraissait important que ces enfants puissent vivre dans la transparence, la visibilité, et n’aient pas à assumer l’homosexualité de leurs parents. Ou encore, et cela rejoint le terrain des revendications politiques, il nous a semblé important que les enfants nés par insémination artificielle ou par mère porteuse puissent avoir accès à leurs origines, ce qui n’est aujourd’hui pas le cas pour l’insémination ou pour l’adoption (la loi française barrant dans ce dernier cas la filiation d’origine). Ces réflexions sont donc devenues inséparables d’une approche plus politique puisqu’elles nous ont aidés et nous aident encore à mieux formuler les nouveaux droits de l’enfant que nous revendiquons.

ALICE – Dans ce que vous venez de dire, on pourrait avoir le sentiment (peut-être nous trompons-nous) que vous auriez des exigences particulières à l’égard des familles homosexuelles, alors qu’on ne demande pas aux couples hétéros d’avoir résolu tous leurs divers complexes avant d’être parents. Est-ce dans ce sens que vous avez créé un « comité d’éthique » au sein de l’APGL ? Pouvez-vous nous en expliquer le but et sa composition ?

MARTINE GROSS – Nous n’avons pas d’exigences particulières vis-à-vis des familles homoparentales. Nous en avons par rapport à tous les parents, qu’ils soient homos ou hétéros. Le fait d’être capable de procréer biologiquement n’offre aucune garantie spéciale en matière de compétence parentale. Nous pensons que la parentalité doit résulter d’un engagement qui mérite un acte au moins aussi solennel que le mariage. À ce titre, les parents hétérosexuels sont tout autant concernés que nous. Il n’y a pas de comité d’éthique à l’APGL. Il y a actuellement un groupe non institué de réflexion sur l’éthique, dont la composition est informelle. Avec l’expansion du nombre d’adhérents, nous nous sommes trouvés devant une demande croissante de gens qui adhéraient pour avoir des adresses en Belgique ou qui pensaient trouver en deux temps trois mouvements le futur père ou la future mère de leur enfant. Or, l’APGL n’a jamais voulu être une banque de renseignements pour procréer, mais plutôt pour faire en sorte que les enfants aillent aussi bien que possible, pour faire évoluer la société et la loi du côté de l’égalité de tous les citoyens et du côté d’une égale protection de tous les enfants. Le groupe « éthique » a autant pour mission de travailler sur certaines lignes telles que « favoriser l’accès à la connaissance de ses origines » ou rouvrir le débat sur les mères porteuses que d’élaborer et de proposer des solutions à des problèmes concrets: guide de coparentalité, recueil d’expériences vécues, transmissions de témoignages des anciens, préparation à L’IAD (insémination artificielle avec donneur) etc. Pour vous donner un exemple, nous nous sommes rendus compte que sans un minimum de préparation au projet parental, les demandeuses d’IAD en Belgique se faisaient rejeter lors de leurs entretiens avec les psychologues, que sans un gros effort d’élaboration du projet, les coparents se déchiraient devant un magistrat au mieux décontenancé au pire homophobe, pour se partager la garde de l’enfant. Nous sommes régulièrement questionné sur nos positions. Les groupes de réflexion nous ‘permettent de « faire bouillir la soupe ». Les grandes lignes des évolutions que nous souhaitons sont discutées dans ce type de groupes informels ou dans des groupes de paroles à thème bien précis. Par exemple, l’an dernier, des notaires nous ont questionné sur les évolutions du droit de la famille que nous souhaitions et en particulier sur ce qui concernait les responsabilités parentales des coparents. Cela a donné lieu à une année de travail d’un groupe de parole sur la coparentalité qui a finalement élaboré un guide de la coparentalité, une suggestion de charte, les questions à se poser avant la naissance d’un enfant.

ALICE – Dans le cadre de ces réflexions, notamment de celles qui se sont exprimées lors du dernier colloque, on a ressenti (et on doit dire que l’on a été un peu choqué) que certains experts en sciences sociales participaient implicitement à poser des conditions à l’homoparentalité, du type, les homos aussi peuvent constituer une cellule familiale « normale », avec deux parents, avec donc ce fameux « père symbolique » (ici homme ou femme) qui serait reconnu comme nécessaire à l’épanouissement de l’enfant. Dans une certaine mesure, et certaines voix se sont exprimées dans ce sens pour critiquer cette position dominante, vous semblez légitimer le discours psychanalytique qui ressemble trop souvent à une orthopédie psychique. En bref, on a eu le sentiment qu’au-delà du débat sur la différence des sexes, vous ne poussiez pas la réflexion assez loin sur le terrain du questionnement des normes – alors même que les études sociologiques réalisées dans des familles homoparentales semblent par exemple mettre à mal la théorie de l’Oedipe, selon laquelle l’orientation sexuelle et l’objet du désir de l’enfant sont directement liés à la nature de la cellule familiale. Acceptez-vous cette critique ? Une telle position a-t-elle à voir avec un certain pragmatisme politique que vous semblez privilégier ?

MARTINE GROSS – Actuellement, le discours psychanalytique donne des armes à tous ceux qui veulent éviter de considérer la famille homoparentale comme une famille. En rejetant en bloc la psychanalyse parce qu’elle représente la position dominante, on ne se donne aucun moyen de convaincre et d’infléchir ceux qui adhèrent à cette position dominante. Nous acceptons de discuter avec tous ceux qui ont quelque chose à dire sur la famille et qui de surcroît sont écoutés et ne disent pas que des bêtises. Discuter des arguments psychanalytiques fait partie de notre stratégie de dialogue. Lorsqu’on nous oppose la fonction paternelle comme nécessaire à la construction de l’enfant, nous discutons de cette fonction paternelle : est-elle celle de l’autorité, celle du tiers séparateur de la mère et de l’enfant, est-elle celle qui permet à l’enfant un modèle d’identification ? Nous renvoyons les psychanalystes à leurs propres textes. En faisant cela nous ne cautionnons pas leur propension à ériger des normes, nous déstabilisons ces normes. Il en est de même avec les multiples études menées sur les enfants élevés par des parents de même sexe. Ces études se sont en fait penchées sur les craintes et les inquiétudes exprimées par les magistrats et les travailleurs sociaux et ont démontré qu’elles n’étaient pas fondées. Elles ont démontré que l’orientation sexuelle des enfants n’était pas liée à celle des parents. Or, de faire une telle étude sous-tend qu’on prend au sérieux d’une part l’hypothèse que l’on veut combattre et d’autre part que l’orientation homosexuelle des enfants serait la reproduction d’un mal (les parents maltraitant ont été maltraités, etc.). On peut toujours critiquer le fait même de faire ce type d’étude comme une sorte de légitimation a contrario de la position dominante, il n’empêche que ces études sont nécessaires pour faire évoluer les mentalités. Nous nous situons dans cette ligne. Nous prenons au sérieux les positions de nos adversaires, nous essayons de démontrer qu’elles ne sont que convictions personnelles et préjugés, qu’elles ne sont pas cohérentes avec leurs propres prémisses, etc. Rejeter sans dialogue les arguments sur lesquels il semble y avoir un consensus majoritaire dans la société ne fera pas avancer cette dernière d’un iota mais nous enfermera entre militants.

ALICE – Pour ne reprendre ici qu’une critique qui vous a été adressée dans le cadre du colloque, vous semblez un peu écraser la monoparentalité ou la multiparentalité (homosexuelle ou non) derrière la référence au couple, comme si vous repreniez cette idée que le couple est le pilier de la société, le dernier rempart contre l’effritement du lien social et que vous sous-estimiez le fait que puissent se dégager de toutes ces expériences des formes de parenté nouvelles, originales, plurielles (révolutionnaires !).

ÉRIC DUBREUIL – Dans le cadre de l’association, on aide les adhérents s’ils le souhaitent à formuler leur projet mais on n’ira pas dire qu’il y a une formule a priori meilleure qu’une autre. L’un de nos objectifs prioritaires est que la réalité juridique de l’enfant soit conforme à sa réalité. On essaiera de pousser pour que la loi soit modifiée, assouplie, afin d’encadrer des cas de figures originaux, et notamment pour que toutes les inscriptions (affectives, biologiques) de l’enfant soient reconnues.

MARTINE GROSS – Comme disait Éric Dubreuil plus haut, nous cherchons à faire en sorte que nos enfants ne « morflent » plus. Qu’ils ne soient pas stigmatisés. À la première anicroche, qu’on cesse de leur renvoyer : « ah, pas étonnant, vu la famille dans laquelle il est élevé… ». Bref, nous cherchons à faire en sorte que les familles homoparentales, si peu conformes soient-elles, fassent partie du paysage contemporain. Les familles monoparentales, elles, font déjà parties des catégories de L’INSEE. Elles ont une existence politique et on ne peut plus les ignorer. Les enfants élevés par un parent seul ne subissent plus de remarques désobligeantes. Un ou une célibataire peut adopter des enfants. Il faut certes encore obtenir qu’ils ou elles puissent utiliser les techniques de procréation médicalement assistée. Mais, il n’est plus besoin de plaider pour l’existence de cette catégorie de famille. Ce n’est pas le cas des familles homoparentales. Cependant, les familles homo-mono-parentales font tout à fait partie des familles homoparentales. Simplement, les couples de même sexe subissent davantage de discriminations lorsqu’ils veulent être parents du fait de l’inégal accès au mariage, à l’adoption et aux techniques de PMA. Quand à la multiparentalité, la critique que vous nous adressez est infondée. La multiparentalité est au coeur de notre réflexion. Il faut concevoir qu’il y a désormais plusieurs modèles de famille. L’expérience même de la coparentalité n’est pas unique: certains privilégieront les parents biologiques, d’autres tenteront de mettre parents sociaux et parents biologiques au même niveau. Dans ce dernier cas, tout fonctionnera tant qu’il n’y a pas de conflit. En cas de conflit, la loi privilégiera les parents biologiques. Lorsque la filiation cessera de mimer le biologique et sera fondée sur la volonté d’être parent sans nécessairement organiser une fiction, alors il y aura un réel changement. Cela signifiera que la filiation élective ne viendra pas effacer les origines de l’enfant. Prenons le cas de L’IAD, les donneurs de gamètes ne sont anonymes que pour permettre au père social de mieux passer pour un géniteur. Si la filiation sociale était plus valorisée, ce serait peut-être un peu moins douloureux de ne pouvoir procréer. L’adoption plénière a ceci de bon qu’elle donne à l’enfant une garantie d’avoir des parents. Elle n’est critiquable que dans la formulation du livret de famille où l’enfant adopté est réputé être né de ses parents adoptifs. La pluriparentalité serait de faire place à l’histoire, reconnaître les origines sans pour autant donner des droits particuliers aux géniteurs quand ils ne s’engagent pas, et instituer la filiation de ceux qui le font. Pour nous, être parent biologique n’offre aucune garantie particulière d’être un « bon » parent. C’est pourquoi nous prônons la solennellisation de l’acte de devenir parent. À ce sujet et pour favoriser une filiation cohérente avec l’environnement de l’enfant, nous proposons qu’en lieu et place du livret de famille, soit délivré pour chaque enfant, un « livret de l’enfant » mentionnant tous les adultes engagés auprès de l’enfant: qu’il s’agisse de beaux-parents dans une famille recomposée, de parents de naissance, de parents sociaux… Un enfant serait né de un tel et une telle (une telle mention ne donnerait d’ailleurs pas spécialement de droits juridiques aux auteurs de l’enfant) et serait fils de… et de…, cette dernière mention pouvant instituer deux personnes du même sexe comme parents. Le livret de l’enfant indiquerait également toutes les autres personnes engagées dans la coparentalité. Un tel engagement devrait être irréversible.

ALICE – Mais dans l’optique de dialoguer avec l’extérieur, n’aviez-vous pas recours à des arguments rassurants ?

MARTINE GROSS – Si notre image est rassurante, c’est probablement d’une part parce que nous sommes parents et que nous voulons le mieux pour nos enfants, ce en quoi nous rejoignons le plus grand nombre, et parce que d’autre part nous avons confiance dans la possibilité d’évoluer des personnes auxquelles nous sommes confrontés, qui ne nous connaissent pas et qui ont des représentations effrayantes de l’homoparentalité. Nous allons à leur rencontre pour modifier leurs perceptions. Je n’ai cependant pas le sentiment que nous ayons fait des concessions et que nous ayons omis des points de revendications qui sont les nôtres afin d’éviter de faire peur. Nous revendiquons depuis la naissance de l’association l’égal accès aux techniques de procréation assistée, la réouverture du débat sur les mères porteuses et l’adoption par des couples de même sexe. Nos arguments ne sont pas spécialement rassurants. Cette année nous avons accentué notre réflexion sur la famille puisqu’il était question de réformer le droit de la famille. Maintenant nous allons nous atteler à la loi sur la bioéthique qui doit être révisée très prochainement.

ALICE – Il y a un autre point que nous souhaitons aborder, c’est l’arrivée dans l’APGL d’hétéros ayant un projet d’enfant. Pouvez-vous nous préciser ce que ces hétéros viennent chercher à l’APGL, quels sont en fait leurs projets s’ils en ont dès le départ ? Comment interprétez-vous personnellement cette tendance, dans une perspective globale ?

ÉRIC DUBREUIL – Je citerai l’exemple d’une femme hétéro qui est venue à l’association, et qui avait eu un enfant dans un cadre hétéro (une histoire qui s’était mal terminée) et qui disait : je sais que la sexualité est une chose, la parentalité une autre, et je pense que je pourrais trouver un meilleur père chez un homo (c’est évidemment son point de vue personnel). Elle avait le projet de l’élever en coparentalité avec un homo tout en gardant des relations hétéro par ailleurs.

ALICE – C’est un exemple intéressant parce qu’il reflète pleinement l’évolution de la conception même de la filiation : celle-ci pouvant désormais être pensée comme séparée du lien conjugal ou sentimental, et, par exemple, comme construite sur des relations d’amitié bien distinctes des relations amoureuses qui sont à la base de la conjugalité. Plus généralement c’est une tendance qui nous semble refléter de manière particulièrement aiguë le fait qu’il y aurait aujourd’hui dans la société une certaine remise en cause de la famille, une volonté peut-être ,d’en faire autre chose que cette « petite cellule incestueuse » dont parlait Foucault. Vous imaginez un changement important dans ce sens ?

ÉRIC DUBREUIL – En tout cas une certaine remise en cause de l’amour conjugal tel qu’il a été construit depuis le XIXème siècle à des fins en partie productivistes, à des fins de fonctionnement de la société, la famille étant dans une certaine mesure conçue comme un relais de contrôle de la société.

ALICE – Comment, au sein de l’APGL, envisagez-vous l’après-PACS, notamment sur le terrain politique ?

MARTINE GROSS – Le PACS est une première étape. Certes il donne une reconnaissance légale au couple de même sexe. Mais il ne répond à aucune de nos revendications. Nous allons continuer à nous battre pour obtenir l’adoption par un couple de même sexe, un statut pour le parent social, l’égal accès au mariage, l’égal accès aux techniques de procréation médicalement assistée. La loi de bioéthique doit être révisée cette année, nous allons profiter de cette occasion pour rouvrir le débat. Nous allons également continuer à nous battre pour que les familles homoparentales soient considérées comme une forme de famille comme une autre. Pour cela nous voulons intégrer les associations familiales, y compris les plus résistantes. Nous souhaitons également initier un mouvement pour lutter contre l’homophobie à l’école.

ALICE – Dans nos interrogations sur le tiers-secteur, sur le milieu associatif, émerge le fait que les associations deviennent de plus en plus des producteurs de sens. Ici aussi apparaît un nouvel espace qui réinterroge le « comment on fait des enfants ? », « qu’est-ce qu’une famille ? », « qu’est ce qu’un parent ? ».

MARTINE GROSS – Les citoyens qui se regroupent au sein des associations le font pour agir et transformer le « sens commun » dans lequel ils ne se retrouvent pas. Ils obligent à un nouveau point de vue. Celui que produit L’APGL conduit à de nouvelles conceptions des formes familiales contemporaines.

ÉRIC DUBREUIL – Pour résumer en deux mots l’action de l’APGL, je dirais qu’elle est moins subversive (ce qui étymologiquement signifierait qu’elle est « en dessous ») que « surversive ».