Majeure 27. Bioeconomie, biopolitique et biorevenu: questions ouvertes sur le revenu garanti

Revenu garanti, coopératives municipales et monnaies locales

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Le revenu garanti s’impose à l’ère de l’information, du travail autonome et du développement humain mais aussi pour des raisons écologistes de sortie du salariat productiviste. Cependant, pour assurer effectivement une production alternative, il ne faut pas seulement s’occuper des revenus mais aussi de la production elle-même, des moyens de production comme des moyens monétaires et des circuits marchands. Dans une perspective écologiste de relocalisation de l’économie, revenu garanti, coopératives municipales et monnaies locales se révèlent ainsi indissociables pour construire un nouveau système de production, sur d’autres rapports sociaux que le salariat, à l’ère du travail immatériel et de la globalisation marchande.

Depuis la chute du communisme, le manque d’alternative paralyse tout mouvement social de quelque ampleur, comme la lutte contre le CPE ne trouvant aucun débouché politique autre qu’une défense illusoire du CDI, sans aucun effet sur le développement de la précarité. Les causes de notre échec ne sont pas dans la force supposée de nos adversaires, mais bien dans la faiblesse de nos propositions et dans nos archaïsmes face aux enjeux écologiques et face aux bouleversements considérables que nous vivons depuis notre entrée dans l’ère de l’information.
Il ne suffit pas de critiquer le capitalisme et son productivisme insoutenable, il faudrait avoir autre chose à proposer. Au-delà de mesures partielles ou défensives, il y a une nécessité vitale à construire une alternative écologiste à la globalisation marchande, alternative qui soit à la fois réaliste et tournée vers l’avenir, c’est-à-dire en tenant le plus grand compte des contraintes matérielles aussi bien que des nouvelles technologies de l’information, plutôt que de s’accrocher vainement à un passé industriel révolu, et pas aussi glorieux qu’on le dit !
Dans cette perspective d’avenir, la revendication d’un revenu garanti ne peut se réduire à une simple adaptation au système actuel, comme la « sécurité sociale professionnelle » défendue par les syndicats. Il faut souligner au contraire son caractère potentiellement révolutionnaire comme élément d’un nouveau système de production basé sur le travail autonome et la coopération des savoirs (et non plus sur le salariat et la concurrence). La portée d’un « revenu garanti suffisant » est double : c’est bien l’adaptation des rapports sociaux aux nouvelles forces productives à l’ère de l’information, mais c’est aussi la condition sine qua non d’une alternative au productivisme salarial ainsi que d’une nécessaire relocalisation de l’économie face à une globalisation débridée.
Le revenu garanti est donc absolument essentiel, mais il faut l’appréhender dans ses deux faces d’adaptation et de transformation, pivot de ce qu’on doit considérer comme une véritable révolution, une « libération du travail » comparable à l’abolition de l’esclavage, et qui suscite d’ailleurs les mêmes craintes. Cependant, pour assurer effectivement une production alternative à partir de ce travail libéré, il ne faut pas seulement s’occuper des revenus mais de la production elle-même, ainsi que des moyens monétaires et des circuits marchands. Au-delà de la question du revenu, il faut passer à une vision plus globale d’organisation de la production, intégrant la dimension écologique qui se fera de plus en plus pressante. Ce nouveau système de production à l’ère de l’information, de l’écologie et du développement humain pourrait se construire sur l’articulation d’un revenu garanti (reproduction), de coopératives municipales (production) et de monnaies locales (échanges).
Tout ceci paraîtra fort éloigné de notre réalité actuelle et des revendications syndicales mais on sait bien qu’il est complètement utopique de continuer encore longtemps ainsi, et que la voie d’une alternative est étroite entre utopie et laisser-faire, comme entre totalitarisme et libéralisme. Il est d’autant plus urgent d’essayer de donner une forme concrète à cette alternative afin de pouvoir à nouveau se projeter dans l’avenir et organiser l’action.
Cela devrait avoir au moins l’avantage de rendre plus sensible la reformulation des problèmes qui s’opère, la conversion du regard nécessaire (de la sécurité sociale au développement humain), et finalement à quel point ces nouvelles problématiques, qui rejoignent les expérimentations actuelles en Amérique du sud, sont très éloignées des anciennes visions du monde (socialistes aussi bien que libérales) qui règnent encore sans partage. C’est d’ailleurs ce qui en fait l’étrangeté et nourrit l’incrédulité générale. Il faudrait vraiment « changer d’ère » pourtant car les questions ne se posent plus du tout dans les mêmes termes désormais, à la fois plus globales et plus locales, sans disparaître non plus par magie dans les fantasmes de l’auto-organisation ou d’une société idéale, toujours trop parfaite et logique !
Pas de fin de l’histoire, non, encore moins de toutes nos aliénations dans une réconciliation finale et définitive ! Il faudra toujours se corriger, redresser la barre, surmonter le désastre, s’en tirer comme on peut, affronter les contradictions, réduire les inégalités. La fin de l’esclavage n’a pas été pour autant la promesse d’un bonheur sans fin et l’on ne peut même pas dire cette fois que ce serait la fin du salariat, plutôt sa marginalisation progressive au profit des activités autonomes.

L’ère de l’information, de l’écologie et du développement humain
S’il y a bien une illusion répandue, c’est de croire que tout pourrait revenir comme avant car, c’est un fait massif, le devenir immatériel de l’économie bouleverse toutes les données et les bases de la valeur (gratuité de la reproduction numérique, logiciels libres, etc.) tout comme celles d’un revenu, de plus en plus irrégulier et discontinu, pour un travail de plus en plus précaire et intermittent. Il faut y voir la conséquence du passage de la « force de travail » à la « résolution de problèmes », qui ne se mesure plus au temps passé mais au résultat (direction par objectif). C’est aussi le passage d’une « économie de la production » de masse à une « économie de la demande » (just-in-time), tournée vers les services et guidée par l’information, ce qui se traduit par une bien plus grande flexibilité de l’emploi.
Du coup, même si personne ne semble en vouloir, la question de la garantie du revenu revient sans cesse et avec insistance dans le débat public (RMI, chômeurs, travailleurs pauvres, précaires, étudiants, intermittents, créatifs, chercheurs, formation, jeunes, agriculteurs, retraites, etc.). Elle a beau paraître impensable à la plupart, la garantie du revenu devrait s’imposer finalement dans les faits, à mesure des transformations du travail à l’ère de l’information.
Bien sûr, il n’y a aucune chance qu’on obtienne un véritable revenu garanti à court terme, cela ne retire rien à sa nécessité. Il finira par s’imposer devant les souffrances sociales et le gâchis humain que provoque la volonté de maintenir les principes dépassés d’un salariat fordiste et d’un « plein-emploi » purement verbal qui laisse de plus de plus de monde sur le bord de la route. De même, la sortie du productivisme n’est pas pour demain, c’est une évidence, mais là encore on n’a guère le choix et il faudra bien y venir. Ce sont donc les principes de l’avenir qu’il faut examiner, aussi étrangers paraissent-ils à notre présent, aussi opposés soient-ils au triomphe du néolibéralisme et de la globalisation marchande. On ne pourra se contenter longtemps d’un revenu garanti comme régulation du capitalisme cognitif alors que la température n’arrête pas de monter (le devenir immatériel de l’économie ne suffisant pas à réduire le productivisme du capitalisme et sa dépendance d’une société de consommation suicidaire).
Si nous devons construire un nouveau système de production sur d’autres rapports de production et sur une autre distribution des revenus, ce n’est pas seulement pour s’adapter aux nouvelles forces productives immatérielles, c’est aussi pour répondre aux contraintes matérielles écologiques nous obligeant à sortir du productivisme et à relocaliser l’économie. Il ne suffira pas d’une « décroissance » ni d’une « réduction du temps de travail » qui a perdu tout sens alors qu’il n’y a plus de séparation entre le travail et la vie. On réalise bien difficilement encore l’ampleur de la tâche, à quel point nous entrons dans une ère totalement nouvelle, l’ère de l’information, de l’écologie et du développement humain, qui s’oppose point par point à l’ère de l’énergie, de l’économie et du marché, comme la qualité s’oppose à la quantité. Tout est à reprendre, ce n’est pas aux marges qu’il faut s’ajuster, mais c’est le cœur de la production qui doit changer.

Au-delà du revenu
Les débats sur le droit au revenu s’égarent le plus souvent dans la morale et la métaphysique, ou la religion même, alors qu’il s’agit fondamentalement d’évolutions économiques et techniques ! La reconnaissance du fait qu’on ne peut plus se passer d’un droit au revenu ne suffit pas pour autant à définir un projet politique. Vouloir réunir ensemble tous ceux qui défendent un quelconque droit au revenu, qu’ils soient écologistes ou libéraux, n’aurait absolument aucun sens. Il ne s’agit même pas tant de définir les mots, d’opposer par exemple revenu garanti et revenu d’existence (ou revenu citoyen, etc.), mais de savoir dans quel projet de société il s’inscrit ! On verra dès lors qu’il n’y a rien de commun entre, d’un côté, un revenu d’existence universel mais dérisoire (ou impôt négatif), tel que défendu par certains libéraux, mince filet de protection dans une société de marché, permettant à peine de survivre, ce qui favorise les petits boulots sous-payés ainsi que la baisse des salaires, et puis, de l’autre côté, un « revenu garanti suffisant » permettant, comme l’a montré André Gorz, d’échapper au salariat, tout en poussant les salaires à la hausse, de passer du travail subi au travail choisi en subventionnant des activités autonomes qui ne sont pas immédiatement rentables (artisanat, services de proximité, agriculture bio, activités artistiques et créatives, logiciels libres, associations, politique, formation, etc.).
La déconnexion du revenu et du travail est sans doute ce qui apparaît le plus révolutionnaire, mais plutôt que de se focaliser sur la question du revenu il faut la replacer dans le système dont elle fait partie car, même s’il reste central, le revenu garanti n’est que l’un des aspects du basculement du monde que nous avons tant de difficultés à vivre. Si une alternative sans revenu garanti n’est pas viable, une alternative qui se réduirait à cette revendication serait une escroquerie, car l’essentiel est bien d’assurer une production alternative, non pas de vivre aux frais du capitalisme ni d’alléger seulement la misère. Loin d’être opposé au travail et voué à une société de loisirs, ce qui caractérise le revenu garanti, c’est au contraire d’être cumulable (dégressivement) avec un revenu d’activité servant d’incitation au travail autonome. Il faut insister sur ce point : c’est pour assurer la production, et une production que nous voulons plus écologique, qu’il y a besoin d’un revenu garanti. Ce pourquoi il faut élargir la question à l’organisation de la production et à sa relocalisation active.
Si le revenu garanti n’est qu’un élément d’une production alternative, il constitue malgré tout le nœud du problème. En effet, toutes les tentatives pour s’en passer, au nom du plein-emploi salarial, de la « valeur-travail », voire de l’autonomie ou même de la dignité de l’homme, ne font qu’aggraver dramatiquement le sort des plus précaires et mènent soit à la barbarie du travail forcé, soit à la barbarie de la misère. Il est vrai aussi que c’est le point où il rencontre la plus grande résistance idéologique, le plus grand obstacle à sa mise en place, car le revenu garanti oblige à changer toutes nos façons de penser : passage du travail contraint au travail autonome, d’un travail subordonné à un travail valorisant mais aussi de la sécurité sociale au développement humain, de l’économie à l’écologie ! On doit bien admettre que c’est une idée qui paraît folle, il n’y a pas de doute là-dessus, et qui ne serait pas concevable si le travail n’avait pas déjà changé du tout au tout. Elle ne s’imposerait pas de plus en plus, et sur tous les continents (en particulier à ceux qui ont étudié la question !) si ce n’était l’évolution de la production et l’extension de la précarité qui l’imposaient dans les faits de mille façons !
Il ne suffit pas de s’adapter aux transformations du travail, pourtant, il y a aussi la nécessite impérative de sortir d’un productivisme insoutenable, ce qui veut dire sortir du capitalisme salarial. Contrairement à ce qu’on s’imagine, ce n’est pas par la consommation (sa retenue, son discernement, son éthique équitable) qu’on pourra réduire en quoi que ce soit une croissance et un productivisme qui sont inséparables du système de production capitaliste. En effet, le capitalisme, c’est l’investissement technique pour augmenter la productivité, réduire le temps de travail, afin de dégager une plus-value sur le temps payé, et produire de l’argent avec de l’argent par l’intermédiaire du travail salarié. Le salariat, le capitalisme et le productivisme, c’est la même chose (ce que Marx disait déjà dès 1848 dans Travail salarié et Capital). Si le travailleur est obligé de louer sa force de travail au capitaliste, c’est à l’origine parce qu’il est dépourvu de toute ressource et de moyens de production. Ce n’est plus tout à fait vrai depuis « l’ordinateur personnel » qui est un outil universel. Il ne manque que la garantie du revenu pour échapper à la dépendance salariale.
D’un point de vue écologiste, la question n’est donc pas seulement de savoir si un revenu garanti serait viable et souhaitable dans le cadre actuel, mais bien d’insister sur son caractère révolutionnaire dès lors qu’il permet de sortir du salariat productiviste et de l’absurde dépendance entre travail et consommation. Il s’agit effectivement de sortir d’une véritable toxicomanie de la société de consommation dopée à la croissance et qui ne peut s’en passer sans sombrer dans une surproduction dépressive ! Tout cela, en assurant une production alternative, c’est-à-dire la réorientation de l’économie vers l’immatériel, le développement humain et les échanges locaux.
Cela ne se fera pas tout seul. Il faut disposer pour cela d’un système complet basé sur une toute autre logique productive, d’autres moyens de production, d’autres circuits, et donc compléter le revenu garanti par des coopératives municipales et des monnaies locales, constituant les trois piliers d’une alternative écologiste à l’ère du numérique et des réseaux mondialisés.

Produire autrement

Pour consommer autrement, il faut produire autrement et d’abord localement ! Pour favoriser la production locale et les échanges locaux, on ne peut se passer de moyens de production locaux (l’équivalent des « communs » d’antan), et donc de structures locales, si possible autogérées. La relocalisation ne peut pas s’imposer d’en haut ! Bien sûr, le niveau adopté peut se discuter, le niveau municipal étant le plus pertinent dans les villes moyennes, avec l’avantage de correspondre à des structures démocratiques ; ailleurs on peut préférer des « régies de quartier » ou l’étendre au « bassin d’emploi ». En tout cas, la fonction de ces « coopératives municipales » (ou autres) serait de constituer des centres de ressources et des lieux d’échange, destinés au soutien de la production locale et des activités autonomes, au développement de la coopération entre les participants tout comme à la valorisation des compétences disponibles. Il s’agit non seulement d’organiser les échanges locaux mais aussi de fournir tous les moyens du développement humain (assistance et formation).
Certains contestent la nécessité d’une telle organisation politique, qu’ils perçoivent comme une menace, ce qui certes n’a rien d’impossible. Il faut rester vigilant, mais si l’on veut assurer une production effective, il ne suffit pas de « laisser-faire » il faut bien s’organiser comme dans toute entreprise ! On ne peut se fier religieusement à l’auto-organisation des producteurs mais, en fait, c’est surtout une question de moyens. Le caractère municipal de ces coopératives permet à la fois de garantir leur pérennité, de sortir de la pression du marché concurrentiel auquel les coopératives ordinaires ne peuvent échapper, et d’avoir une gestion politique, dans une démocratie de face à face chère à Murray Bookchin (mort le 30 juillet 2006 et qui est à l’origine de ce concept de « coopératives municipales » et du « municipalisme libertaire »).
Rien à voir, bien sûr, avec les « ateliers nationaux » de triste mémoire, ni avec un contrôle des populations, encore moins avec le travail forcé alors que ce devrait être au contraire l’instrument du développement humain et du travail autonome, offrant une alternative à la dépendance salariale. C’est la garantie du revenu qui fait ici toute la différence, conformément aux exigences de l’ère de l’information, mais cela n’empêche pas que l’objectif n’est pas seulement le développement humain, c’est aussi d’assurer une production locale effective, y compris immatérielle, basée sur la coopération et réduisant d’autant la part des consommations matérielles, du marché concurrentiel et du productivisme.
L’important, c’est de ne pas laisser les individus seuls face au marché, sous prétexte qu’ils auraient un revenu garanti comme solde de tout compte, mais d’offrir un soutien individuel (par d’autres coopérateurs), faciliter les collaborations et les échanges, faire jouer des synergies et fournir enfin les moyens de l’autonomie : pas seulement un revenu minimum mais tous les supports sociaux de l’individu ! L’important, c’est la construction collective de l’autonomie individuelle et l’organisation de la solidarité sociale, c’est de « faire » société. Il y a de bonnes raisons d’adopter pour cela une structure municipale « politisée » mais l’essentiel c’est de fournir un cadre pour les échanges locaux, pour la valorisation des compétences disponibles et le soutien des activités autonomes.
Les coopératives municipales, comme moyens de production et réseau de compétences se positionnant en alternative aux entreprises capitalistes et au salariat, ont besoin d’un revenu garanti pour passer du travail subi au travail choisi mais elles sont reliées tout autant aux monnaies locales favorisant l’économie de proximité, sur le modèle des SEL, « Systèmes d’échanges locaux » qui ont constitué, à leur petite échelle, les premières expérimentations de ce mouvement de relocalisation de l’économie en réponse à la globalisation marchande.

La relocalisation de l’économie
La relocalisation peut se faire par des contrats entre consommateurs et producteurs locaux (comme les AMAP) ou par des associations, mais c’est tout de même assez limité et des monnaies locales seraient bien plus utiles pour dynamiser les échanges locaux et privilégier les circuits courts. Il y en a plusieurs types : le plus simple à mettre en place, c’est le « Time Dollar », ou échange de temps, qui a un intérêt certain, entre autres dans la sphère domestique, ainsi qu’une valeur militante de contestation pour certaines hiérarchies de salaire illégitimes, mais ce n’est pas généralisable (car ne tenant pas compte des différences de qualification ni surtout du fait que le travail immatériel ou le « travail virtuose » ne se mesurent plus par le temps passé). Une monnaie locale peut être considérée comme une monnaie « interne », créée par une association ou une municipalité pour servir dans les échanges locaux de biens et services (sur le modèle des SEL). Ce sont en général des monnaies théoriquement « non convertibles » et « fondantes », c’est-à-dire qu’elles perdent leur valeur avec le temps (tout comme les tickets restaurant ou les bons de réduction des grandes surfaces, qui sont des monnaies à validité limitée) et ne peuvent donc se thésauriser.
Il y a bien d’autres monnaies alternatives qui peuvent cohabiter, comme les « monnaies virtuelles » qui se multiplient au-delà des jeux de masse multijoueurs (MMG : Massively Multiplayer Games) et sont par contre complètement délocalisées. Des « monnaies solidaires » (comme le SOL) pourraient tirer utilement parti de ces monnaies numériques, y compris dans les échanges internationaux, entre altermondialistes par exemple, ou pour un véritable « commerce équitable », reliant ainsi le local avec le global. On est loin, en tout cas, d’une « monnaie unique » comme on pourrait le croire ! Il faut dire que pour l’instant ces différentes monnaies s’ignorent et interagissent peu mais avec la généralisation de monnaies plurielles (Jacques Robin), des bourses de conversion seront sûrement nécessaires, la conversion d’une monnaie dans une autre devant rester coûteuse : ni trop facile, sous peine de perdre sa spécificité, ni trop rigide, sous peine de n’être plus acceptée en paiement.
Certains voudraient supprimer l’argent. Ce n’est pas du tout le chemin emprunté ici car, s’il faut étendre le domaine de la gratuité, notamment pour tout le numérique et l’immatériel, fondamentalement, l’argent, c’est ce qui remplace l’énergie à l’ère de l’information comme équivalent général. En effet, l’énergie, c’est ce qui se transforme en autre chose, en travail en particulier. Et l’argent est ce qui fournit les ressources, manifeste leur caractère social, élevant le singulier à l’universel. Sa prétention à tout quantifier est certes toujours contestable, bien qu’indispensable à la circulation, mais l’argent est avant tout un signe (monétaire), signe de reconnaissance sociale et système d’information dont on ne peut se passer
C’est d’ailleurs ce qui fait – propriété remarquable et pas assez soulignée du monde de l’information – que sa croissance est strictement limitée. Il n’y a pas de véritable croissance de la valeur monétaire car toute inflation monétaire diminue sa valeur effective, son pouvoir d’achat. L’inflation constitue donc une sorte de taxe sur les dettes, le passé et l’argent qui dort – ce qui est d’ailleurs très utile car une inflation raisonnable encourage l’activité, contrairement au dogme central de l’euro ! A contrario, une grande partie du chômage est dit « keynésien », c’est-à-dire conséquence d’un manque de liquidités pour financer des emplois, en général à cause de la lutte contre l’inflation (et d’un manque de politique keynésienne justement !). C’est notamment le cas dans la zone euro, mais on a pu voir aussi que la crise monétaire en Argentine avait pu bloquer l’activité économique et provoquer immédiatement un chômage de masse. Tout cela pour dire que les monnaies locales peuvent effectivement réduire le chômage dans ces périodes dépressives mais qu’elles peuvent aussi créer de l’inflation, exigeant une gestion politique fine, comme toute monnaie, car les marges sont relativement faibles, même si elles sont loin d’être négligeables.
Malgré tout, le rôle premier des monnaies locales, c’est avant tout de permettre une relocalisation de l’économie en favorisant les échanges locaux sans devoir ériger pour cela de nouvelles frontières ni se fermer au marché concurrentiel, ni arrêter la construction européenne. Il ne faut pas se cacher pourtant qu’un des avantages décisifs des monnaies locales, en plus de fournir des ressources nouvelles pour valoriser la production locale, c’est de permettre aussi d’échapper à certaines taxes comme la TVA, ce qui fausse effectivement la concurrence au profit des prestations locales (la TVA devenant une sorte de droit de douane local).
Il faudra bien des expérimentations et des ajustements, sans doute, pour que ce système soit viable et se généralise. En tout cas, malgré le caractère exotique de ce genre de propositions, surtout après l’unification monétaire européenne et la tentative de constitutionnalisation d’une « concurrence libre et non faussée », il semble bien qu’à l’avenir on pourra difficilement se passer de monnaies locales, étant donné l’intérêt écologique de favoriser les circuits courts et de préserver le tissu social.
Certes, le développement du travail autonome ne concerne pas tous les secteurs de l’économie, comme l’industrie qui reste importante (et qui ne disparaîtra pas plus que l’agriculture n’a disparu), mais c’est très certainement notre avenir (si ce n’est déjà notre présent, pour beaucoup). Dans ce contexte, revenu garanti, coopératives municipales et monnaies locales dessinent une alternative possible, très éloignée des modèles antérieurs mais tournée vers le futur et que nous pourrions commencer à construire localement dès à présent, chacun à sa manière et sans attendre un hypothétique grand soir. Certes, l’absence de revenu garanti risque de se faire cruellement sentir et sera bien difficile à compenser localement. C’est pour cela qu’il devrait constituer notre revendication prioritaire au niveau national, voire européen.