Majeure 52. Territoires et communautés apprenantes

Démocratiser 
les tiers-lieux


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La démocratisation des nouvelles technologies entamée au début des années 2000 a contribué à l’apparition de nouvelles formes d’espaces publics regroupés sous le vocable de « tiers-lieux ». La notion de tiers-lieux regroupe une multitude d’initiatives. Elle englobe des espaces aussi divers que des coworking spaces (espaces de travail collaboratifs), des fablabs (laboratoires de fabrication), des techshops (espaces rendant accessible tout un ensemble d’outils) ou encore des hakerspaces (espaces permettant le partage de ressources et de savoirs souvent du domaine de l’informatique). Certains tiers-lieux regroupent parfois plusieurs de ces fonctions en un seul espace, engendrant un nombre considérable de combinaisons possibles. Dans ce contexte, le processus de création du Comptoir Numérique à Saint-Étienne s’avère intéressant. Issu de l’initiative d’un collectif d’amateurs, cet espace est à l’origine du développement de nombreux tiers-lieux en France. Fondé par touches successives depuis 2004, le Comptoir Numérique est un espace hybride, à la fois Espace Public Numérique (EPN), pôle de ressources numériques et espace de coworking.

Créer des ateliers collaboratifs

Au début des années 2000, une politique de développement de la fibre optique s’est déployée au niveau national, l’enjeu étant de mettre à disposition des particuliers ces nouvelles technologies. Face au constat du rôle essentiel que joue Internet dans la croissance économique, les collectivités publiques disposent de crédits sur plusieurs années en vue de créer les infrastructures nécessaires à son déploiement sur le territoire. En même temps que la prolifération du numérique s’intensifie apparaît une nouvelle forme d’exclusion appelée fracture digitale. Faute d’un manque d’équipement, d’usage ou de connaissances, toute une partie de la population se retrouve exclue de l’information numérique. Afin de lutter contre cette e-exclusion, des EPN (Espaces Publics Numériques), dispositifs conduits par les collectivités territoriales, émergent dans toute la France sous forme de salles informatiques accessibles à tout public où des animateurs multimédia forment à l’utilisation de l’informatique et d’Internet. Le réseau des EPN constitue le principal outil pour combattre l’inégalité d’accès aux technologies numériques.
Sous l’impulsion de Yoann Duriaux, cadre bancaire passionné d’informatique, un collectif d’individus amateurs se saisit de cette problématique à Saint-Étienne dans le département de la Loire, afin d’entamer un dialogue avec les institutions publiques. L’enjeu est d’interpeller ces dernières par la mise en avant des nouvelles méthodologies de médiation numérique. Dans un premier temps, le collectif participe à des événements ponctuels tels que des salons ou des foires économiques. Les membres du collectif y organisent des ateliers « Internet » pour accompagner une population non-initiée dans l’expérimentation d’outils informatiques.

En créant des ateliers interactifs à l’intérieur même des institutions, le collectif inaugure des espaces de travail différents et inédits. Il s’agit de lieux d’expérimentation, de production de connaissances, où des individus sans compétences précises ni diplômes, des amateurs, ont développé une « expertise quotidienne » (Sennett, 2010) à même de remplacer celle des experts « formés ». La notion d’amateur repose ici sur la volonté d’individus de se construire une identité par des activités qui leur sont propres, des individus qui veulent faire apparaître de nouveaux points de références (White, 2008). La montée en puissance de cette typologie d’acteurs représente selon Flichy (2010) une des caractéristiques principales de la démocratisation d’Internet.

Devant le succès rencontré par ces méthodes d’apprentissage du numérique, le collectif multiplie ses interventions et les membres parviennent à attirer l’attention sur les potentialités de la technologie Internet. Des structures publiques et privées sollicitent le collectif afin d’organiser des formations aux usages du numérique. Regroupés sous la forme d’une association (Zoomacom), les membres du collectif se déplacent avec le matériel informatique et accompagnent les acteurs dans leur démarche d’appropriation des nouvelles technologies. Les ateliers visent à sensibiliser un public hétérogène aux connaissances informatiques. Grâce au soutien d’un élu préposé aux usages du numérique, l’association parvient à obtenir une subvention symbolique du Conseil Général de la Loire sur trois ans dans le but d’accompagner le développement de la fibre optique sur le département.
En se voulant mobile, la démarche de l’association permet également d’atteindre des personnes qui, pour des raisons économiques, sociales ou culturelles ne peuvent se rendre dans les Espaces Publics Numériques traditionnels. Les membres de l’association se déplacent sur le territoire et vont à la rencontre des usagers. Cette mobilité est accompagnée d’un souci permanent de partager ses expériences sur les réseaux sociaux. En partageant via les réseaux sociaux le récit de leurs expériences, les membres de l’association offrent aux acteurs du numérique des outils permettant d’en apprendre davantage dans leur domaine d’intérêt et invitent au développement de nouveaux usages, à l’innovation, à l’élaboration de nouvelles théories et à de nouvelles découvertes (Tebbens, Berge, Jacovkis, 2010).

Créer une dynamique virale

L’association se développe dans un mouvement à double vitesse. D’un côté, leur présence permanente sur le terrain suppose un impact localisé : les acteurs se déplacent sur l’intégralité du département pour organiser les ateliers. D’un autre côté, la diffusion de leurs actions sur les réseaux sociaux leur permet d’accéder à une plus large notoriété. Les actions sur le terrain sont décrites sur Internet aux moyens de récits, de vidéos ou de photographies. La mise en ligne de ces expériences implique une démarche de mise en commun. Les acteurs s’informent entre eux des actions qui ont été menées. Ils peuvent ainsi suivre les avancées du projet, mais aussi proposer à chaque instant des améliorations.

La mise en réseau est cependant ouverte. Il ne s’agit pas d’un système fermé favorisant la communication du collectif mais bien d’une plateforme de diffusion des connaissances. Les bénéficiaires des ateliers se sentent investis par le projet et alimentent les discussions de leurs propres expériences. De la même manière, les membres de l’association participent par des entretiens ou par la rédaction d’articles aux démarches de médiation proposées par de nombreux acteurs du numérique dans le département et à travers la France. Cette dynamique va démultiplier le périmètre d’influence du collectif. La prise de conscience de l’impact des Technologies de l’Information et de la Communication sur les manières de travailler, de communiquer, d’apprendre, etc., va inciter l’association à accompagner le Conseil Général de la Loire dans la création d’un réseau départemental des acteurs de la Cyberloire.

La plateforme départementale d’acteurs du numérique va favoriser l’apparition d’un réseau distribué d’acteurs. Cette forme de réseau théorisée par Paul Baran vise à multiplier les centres de décision pour assurer la pérennité du système de communication. Le réseau s’étale horizontalement, avec un très grand nombre de « nœuds » interconnectés. Chaque « nœud » est décisionnaire et le contrôle du réseau est réparti sur l’intégralité du maillage (Galloway, 2012). En d’autres termes, chaque acteur est responsable du contenu de la plateforme et de ses fonctionnalités. L’objet technique (la plateforme) se développe organiquement en fonction des usages qui en sont faits. Cette forme d’organisation où les actions entreprises et les informations recueillies « sur le terrain » sont relayées dans une communauté d’acteurs via une infrastructure « en ligne » fait écho au concept d’« intelligence collective » formulé par Pierre Lévy (1994) et largement promu dans le monde du logiciel libre (Himanen, 2001).

Aujourd’hui, de nombreux acteurs du numérique ont fait leur apparition sur le territoire dans des domaines variés tels que les outillages, les services, les infrastructures ou les usages. La compréhension du rôle que chacun joue demeure cependant un exercice complexe. La création du réseau départemental d’acteurs du numérique doit pouvoir apporter de la visibilité et de la cohérence entre chaque initiative. Plusieurs centaines d’espaces sont dispersées sur le département. L’enjeu est de multiplier la possibilité de connexions en créant une cartographie des acteurs du numérique. La mise en lien de ces acteurs nécessite un travail de repérage conséquent. L’association identifie chaque acteur et l’intègre sur une plateforme en ligne dédiée. Les premières communautés d’acteurs se forment et commencent à collaborer. On voit apparaître une architecture de communication entre les acteurs du numérique. La plateforme agit ici à la fois comme infrastructure et comme process (Gentès, Huguet, 2012). Elle offre un cadre unifiant permettant l’interconnexion entre les différents acteurs, qui échangent sur leur pratique, recherchent des partenaires, communiquent sur leurs actions, contribuent au recensement d’acteurs et à la mise à jour de la cartographie.

Le réseau s’inscrit ainsi dans un mouvement de création et de diffusion des connaissances sur les territoires porté par de nombreux protagonistes de la société civile en France. Parmi eux, l’ONG internationale WWF et l’association Angenius qui développe le concept de TICA (Territoires Intelligents et Communautés Apprenantes).

Si à l’origine l’action initiale du collectif visait uniquement la lutte contre la fracture numérique, elle a permis de créer un véritable dialogue avec les collectivités publiques. L’utilisation de méthodes de travail collaboratif et le développement de réseaux d’acteurs ont ouvert la voie vers de nouveaux enjeux.

Créer des espaces d’interaction
L’organisation du réseau des acteurs du numérique montre que les savoir-faire issus des nouvelles technologies ont un impact sur les territoires. Les pratiques collaboratives ont permis à de nombreuses personnes de s’approprier des outils, échanger du savoir, etc. Cette dynamique observée localement par le tissage d’un réseau est également à la source de l’apparition d’un nouveau modèle de structure regroupé sous le nom de « tiers-lieux ». Lorsque l’association s’affranchit de la notion d’EPN pour intégrer celle de tiers-lieu, de nombreuses initiatives similaires émergent à travers le monde. En se reposant sur leur expérience réussie dans la médiation numérique, l’association souhaite mettre à la disposition des quartiers populaires de nouvelles ressources afin de répondre aux problématiques de chômage et de précarité. Elle développe ainsi un prototype d’espace réunissant trois axes : un espace de coworking, un Espace Public Numérique et un pôle de ressources numériques.

L’espace de coworking est un espace de travail ouvert permettant l’apparition de dynamiques sociales. Tout comme un incubateur d’entreprise ou une pépinière, l’espace de coworking met à disposition des locaux équipés et meublés : mobilier (bureau, chaise, table, rangement), connexion Internet, salles de réunion, lieux de détente et de socialisation, etc. Le tout est proposé à des prix très attractifs, comparé au marché de l’immobilier local. L’organisation architecturale se compose d’espaces décloisonnés encourageant les échanges entre les utilisateurs, ainsi que d’espaces favorisant leur concentration intellectuelle. Les utilisateurs sont des porteurs de projets à différents niveaux de maturité et des télétravailleurs. Tandis que certains ont déjà créé leur entreprise, d’autres en revanche sont encore au stade de l’intention. La diversité des profils et des projets contribue à la richesse des échanges et à la constitution de mécanismes d’entraide entre les acteurs. La concentration de porteurs de projets dans l’espace de travail induit l’apparition d’une dynamique de réseau. Le fait de réunir des personnes ayant en commun l’envie de monter un projet équilibre les relations. Le réseau agit comme un accompagnant, selon les termes de Sammut (2003), c’est-à-dire que la communauté permet de développer les compétences, les expertises et les connaissances des porteurs de projets. Fabbri et Charue Duboc (2012) observent que les espaces de coworking favorisent l’apparition du phénomène de « communauté accompagnante ».

Outre la présence d’un EPN, l’espace constitue également un pôle de ressources numériques. Ce dernier offre les ressources techniques et humaines permettant l’appropriation des usages du numérique. Il met à disposition des outils méthodologiques et des équipements techniques. Le pôle propose des animations, des formations, des ateliers autour des problématiques du numérique et des méthodes de travail collaboratif. Il effectue également un travail de veille sur les nouveaux usages.

Cette combinaison de plusieurs fonctions dans un seul espace permet de diversifier les profils des bénéficiaires et de multiplier les formats d’animation par la mise en place d’ateliers spécifiques autour d’un outil technique ou d’un projet, de réunions dédiées aux outils numériques pour les demandeurs d’emplois ou d’ateliers participatifs réservés aux personnes de plus de 55 ans. Ainsi, par les technologies du numérique, l’espace favorise les liens et les échanges créatifs en initiant de nouvelles formes d’interactions sociales informelles (Genoud, 2009). L’accessibilité, l’ouverture et la flexibilité de l’espace permettent à des amis, des habitants du quartier ou des professionnels d’un secteur donné de se retrouver (Balaï, 2011) et de se mélanger. Le tiers-lieu devient un lieu de passage où se forment des communautés, où des réseaux se tissent. Il est ainsi comparable dans sa fonction sociale au café du coin, à la bibliothèque, à la maison de quartier ou encore au club associatif de football. Ce sont tous des espaces « entre-deux » où se construit un sens collectif.

Afin de réaliser le projet, l’association bénéficie du soutien de la Ville de Saint-Étienne, du Conseil Général de la Loire et d’un financement européen. Ce financement public s’accompagne d’autres sources de revenus telles que la location des espaces de travail ou des prestations de service et de formation aux usages du numérique. Le tiers-lieu est inauguré à l’occasion de la Biennale Internationale du Design de Saint-Étienne en 2010, dans le cadre d’une conférence intitulée « Territoires en transition à l’ère du numérique ». À l’occasion de cet événement, l’enjeu est d’évoquer la manière dont Internet et les nouveaux modèles d’échanges réinventent les territoires. La salle est pleine. Des acteurs venant de toute la région et de tous les secteurs se déplacent, attirant l’attention des entreprises et des acteurs de l’innovation. En parallèle, les photographies et les vidéos de la conférence sont publiées sur Internet et sont vues par des milliers d’utilisateurs.

Cette démarche d’ouverture est au centre du processus de création de l’espace. L’objectif est de documenter et de publier chaque étape du projet afin de faciliter la mise en place et l’adaptation de projets similaires sur des territoires locaux ou éloignés. En continuant la démarche de partage de l’ensemble des méthodes, outils et interaction, utilisée pour la création du tiers-lieu, le modèle se veut reproductible. Dans cette logique, le tiers-lieu devient Open Source.

Créer de nouvelles formules d’action

Le parcours de création du Comptoir Numérique retrace en filigrane les différentes étapes de la construction d’un système sociotechnique. L’expérience stéphanoise reflète un long processus où une innovation technique (Internet) permet l’émergence d’une innovation sociale (un tiers-lieu). Cependant, il ne s’agit pas d’opter pour une attitude déterministe qui verrait en Internet la cause d’une transformation sociale. Selon Simondon (1958), tout objet technique est le résultat d’une démarche qui vise à trouver des solutions à un obstacle. Les idées s’interconnectent dans l’univers mental de(s) l’inventeur(s) et produisent des schémas techniques permettant de concrétiser une intention, tout comme le stylo qui transcrit des idées, ou l’imprimerie qui conserve les textes. Les objets techniques prolongent et transforment des gestes de l’organisme humain. Les technologies numériques sont une nouvelle concrétisation des mécanismes visant à réaliser les désirs humains.

Le collectif stéphanois a développé des mécanismes d’organisation et de travail collectif basés sur le partage et la diffusion de connaissances propre à Internet. Le Comptoir Numérique ancre ces mécanismes dans le monde physique. L’espace est ouvert sur un public hétérogène : porteurs de projets, étudiants, chômeurs, fonctionnaires ou citoyens lambda. Les formats d’animation proposés génèrent échanges et entraide entre les individus. Lorsqu’un porteur de projet exprime un besoin particulier, les individus autour proposent des solutions. Lorsqu’une grand-mère s’inquiète des dérives des réseaux sociaux, des professionnels du domaine expliquent leur fonctionnement. L’espace permet ainsi l’apparition de nouvelles associations (Latour, 2007), des connexions inédites entre personnes d’un même territoire. Le Comptoir Numérique met à disposition de la communauté des ressources sociales, mais aussi techniques. L’infrastructure est organisée autour d’espaces de travail et d’ordinateurs. Lorsqu’un porteur de projet rencontre un problème technique, de multiples explorations sont entreprises par la communauté pour résoudre le problème. Les individus collaborent, évaluent et diffusent leurs résultats dans une logique de mise en commun. Ils bricolent (de Certeau, 1980) ensemble une solution potentiellement innovante. Von Hippel (2005) voit dans ce type d’intervention collective une caractéristique essentielle du développement des usages du numérique. Les usagers interviennent sur l’objet technique en l’adaptant à leurs besoins. Ils le modifient, l’améliorent, explorent de nombreuses pistes et découvrent des opportunités inédites et inattendues (Binks, Starkey, Mahon, 2006). La diffusion de pair à pair de ces expérimentations complète et concurrence les canaux de diffusion professionnels.

D’un point de vue économique, le Comptoir Numérique laisse entrevoir l’apparition d’un nouvel environnement pour la création d’entreprises. Le monde des start-up s’est constitué autour de brevets, de parcs technologiques et de la notion de capital-risque. Certains entrepreneurs utilisent actuellement d’autres outils. Les copyleft et les creative commons, les réseaux sociaux et les tiers-lieux forment un paysage entrepreneurial inédit qui influe directement sur la modélisation des entreprises. De nombreuses recherches postulent l’émergence de nouveaux modèles d’entreprises (Comtesse, Pauletto, 2010). Parmi ceux-ci nous notons le cas d’entreprises directement issues d’un tiers-lieu. Elles se structurent autour d’une communauté aussi bien au niveau organisationnel qu’au niveau de l’acquisition des compétences ou de la relation avec les clients. L’hypothèse avancée est que si un entrepreneur crée un produit ou un service et que celui-ci peut être construit en temps réel avec des usagers, des clients ou des partenaires, alors l’entreprise peut a priori se passer de financement externe. Ce modèle visiblement éloigné de celui des start-up pourrait permettre aux entreprises avec un fort potentiel de croissance de s’abstenir d’avoir recours à des investisseurs externes et au capital-risque. Cette affirmation est toutefois à nuancer avec l’apparition récente de nouvelles formes de financement participatif dont la plus connue est le crowdfounding. Ce modèle pose également la question de la propriété collaborative et de la mutualisation du patrimoine.

Créer une culture des tiers-lieux
Les tiers-lieux se développent très rapidement et sont en constante augmentation dans le monde. Pour le seul cas des espaces de coworking, leur recensement en dénombrait en 2011 plus de 1 100 dans le monde, dont environ 530 en Amérique du nord (+76 % d’augmentation depuis 2010) et 460 en Europe (+98 %). Cette croissance rapide justifie de s’intéresser à la pérennité financière de tels espaces.

Le financement du Comptoir Numérique est assuré en grande partie par des subventions publiques, et également par la location des espaces de travail. Les utilisateurs payent une cotisation pour devenir membres. Plusieurs formules sont proposées en fonction de la manière dont ces derniers souhaitent utiliser le lieu (de passage, nomades, résidents). Les tarifs restent cependant très attractifs. D’autres prestations de services en rapport avec le numérique complètent le budget. Cet exemple est représentatif des modèles de financement des tiers-lieux. Bien que certains parviennent à l’autonomie financière par le paiement régulier des cotisations des membres et la location de l’espace pour des événements, une majorité d’entre eux survivent grâce à des financements publics. Dans le contexte économique actuel, cette dépendance incite à réfléchir aux possibilités d’innovation du modèle d’affaire des tiers-lieux. Les travaux d’Osterwalder et Pigneur (2010) vont dans ce sens en offrant des outils ludiques et pédagogiques pour repenser les modèles économiques et construire des modes d’actions différents.

Aussi, le succès de ces espaces attire l’attention de sociétés de location, de centres d’affaires, ou de télécentres, qui emploient les termes « tiers-lieux » ou « espaces de coworking » à des fins marketing pour caractériser le seul aspect de bureau partagé. La dynamique communautaire au cœur des tiers-lieux est délaissée au profit d’une approche uniquement commerciale. Cette forme d’appropriation capitaliste de la transformation des pratiques peut conduire à l’étouffement des capacités créatives des tiers-lieux. Dans le cas du Comptoir Numérique, de tels risques ont été identifiés par les fondateurs. En multipliant les supports et les canaux de diffusion de leurs actions et en recensant les méthodes de travail, ces derniers assurent la reproductibilité des tiers-lieux. Une somme considérable de ressources est disponible sur Internet pour comprendre et appréhender ce mouvement émergent. Cependant, à l’instar de la culture du logiciel libre, les termes employés par les acteurs demeurent très techniques. L’utilisation d’un tel langage de spécialité entrave la connaissance des tiers-lieux par un public néophyte. La démocratisation des tiers-lieux devrait donc aussi s’accompagner d’une simplification de vocabulaire afin de favoriser la compréhension de ce concept émergent.