Investir le devenir métropole privilégie ici le point de vue des pratiques et subjectivités qui affirment aujourd’hui leurs potentialités créatives dans les villes, par rapport à l’urbanisme des grands projets qui les ignore généralement. L’objectif ici est de dépasser les approches purement institutées d’échelles où la démocratie n’est qu’affaire de gouvernants.

Au-delà de l’évidence d’une métropolisation généralisée du capitalisme global, avec élargissement et « favelisation » continus d’agglomérations disloquées par la rente foncière, au-delà de la gesticulation spectaculaire des villes, le devenir métropole se fonde sur la nouvelle puissance des citoyens citadins des sociétés métropolitaines. Parce que la puissance productive est désormais biopolitique, inscrite dans l’ensemble de la société, ce sont dans les métropoles rendant possible un maximum de coopérations entre leurs résidants que surgissent aussi le plus d’innovations démocratiques. De nature économique et libérale comme l’externalisation ou la précarité généralisée, les innovations dans les villes relèvent tout autant de pratiques démocratiques. L’exclusion des salariés de l’entreprise a ainsi suscité par exemple des pratiques combinées de blocages de la circulation des marchandises précisément territorialisées lors des derniers mouvements dans chaque ville française. Directement productives, les coopérations sont constituantes d’un renouvellement de nos vivre ensemble propre à chaque métropole : même qualifiés « d’émeutes », les mouvements de Londres, Athènes ou Copenhague révèlent surtout l’affirmation de nouveaux désirs de vivre ensemble au sein d’un territoire.

La notion même de métropole n’est pas nouvelle − Simmel ou Benjamin pointaient déjà de nouvelles pratiques prolétaires nées des énormes agglomérations de l’ère industrielle –, mais il faut considérer aujourd’hui leur nouveau rôle dans la mondialisation. Il ne s’agit plus du tout d’assurer la reproduction ordonnée et hygiéniste d’une force de travail nécessaire aux usines, mais de favoriser les coopérations des multiples compétences rassemblées au sein de chaque métropole. Même gigantesques, les métropoles se caractérisent moins aujourd’hui par leur agglomération quantitative qu’en tant que territoires productifs tout au contraire spécifiques, précisément contextualités dans la circulation globale. Cette nouvelle relation du global au local implique que dans chacune se mobilisent des connaissances, mais aussi des affects, réseaux, cultures qui génèrent par ailleurs d’autres communs. Chaque – et non plus la − métropole hybride ainsi des alternatives à venir de sa mondialisation.

Les villes sont ainsi appréhendées ici comme des territoires appropriés par leurs citadins pour innover des opportunités d’agir. Le capitalisme global déborde déjà la plupart des dichotomies fonctionnelles et géographiques imposées depuis des siècles par la forme État sur nos existences. Il en est ainsi d’abord des divisions Nord-Sud et ce dossier présente plusieurs inventions nées dans des métropoles émergentes, notamment quant au rôle qu’y jouent les pauvres. Les précaires de Séoul et Osaka (Arnaud Le Marchand) ou les habitants des favelas (Giuseppe Cocco, Barbara Szaniecki, Gerardo Silva) affirment et organisent d’autres modes d’action et de vie, considérés traditionnellement comme non ordinaires, marginaux, alors qu’ils ouvrent des innovations porteuses d’avenir pour l’ensemble même de leur métropole. Transverses également aux frontières étatiques (Alexander Neumann), de nouveaux modes de mobilités et de clôtures impliquent aussi de penser des villes ouvertes (Saskia Sassen). D’ores et déjà, les métropoles sont en tout cas les territoires privilégiés de l’affirmation des anciens exclus ruraux, en Chine (Laurence Rouleau Berger) comme partout. S’impose alors la nécessité d’investir tout le territoire métropolitain comme un commun politique et écologique, de ses plus petits interstices à ses centres et ses quartiers, pour permettre à l’ensemble des créativités biopolitiques de s’exprimer et débattre. La question du droit à la ville se repose ainsi impérativement (Andrej Holm) en exigeant notamment de casser les découpages en zones issues de l’époque industrielle qui perdurent et se renouvellent dans la gouvernance prescriptive des grands projets urbains (Anne Querrien).

Toute la question est d’appréhender comment ces villes innovent dans les domaines des relations non seulement de production mais aussi, en même temps, de vivre ensemble. Elles inventent déjà des gouvernances impliquant les citadins bien au-delà de l’ancien principe institué de délégation des gouvernements régaliens. Or ces nouveaux communs de nature professionnelle, culturelle, territoriale en génèrent aussi d’autres, sociaux et politiques (Thierry Baudouin). De la même façon sur le plan conflictuel, l’opposition antagonique d’une force de travail aux patrons s’hybride de coopérations des compétences de citadins sur leur territoire pour l’élaboration d’alternatives (Michèle Collin).

Les métropoles de la globalisation sont ainsi les principaux territoires ouverts aux alternatives pour une autre mondialisation. De la même façon que l’ouvrier investissait l’usine il y a un siècle, les citoyens s’approprient aujourd’hui leur ville comme outil principal de leurs projets de vie pour l’invention de formes de vivre ensemble et de commun. D’une façon caractéristique, les initiatives analysées ici dans plusieurs métropoles sont diverses et parfois aussi contradictoires, tant les champs ouverts à la démocratie par cette reterritorialisation dans les métropoles sont encore largement à explorer.