Le tout premier projet de loi « pour une République numérique », plus d’un an avant que celle-ci soit promulguée le 7 octobre 2016, proposait l’inscription dans notre arsenal juridique de la notion de communs, plus précisément des « biens communs informationnels ». Las ! Suite au lobbying de nombreux agents de l’économisme dominant, mais aussi des industries culturelles et de la SACEM, la mesure a vite été éradiquée.

Accorder un statut juridique aux communs, matériels et immatériels, aurait pourtant été une innovation juridique absolument cruciale, et le signe politique d’un vrai désir d’invention sociale. Un « commun » – qu’il s’applique à une forêt en affouage, à l’océan pour les pêcheurs, aux sources d’eau ou d’énergie d’une cité, au trésor encore moins palpable de l’encyclopédie en ligne Wikipédia ou du système cartographique OpenStreetMap – se résume à trois clés : une ressource en partage ; une communauté qui gère cette ressource ; et une gouvernance de ce dispositif. Volontiers associée dans notre esprit au logiciel libre, la notion de « communs » incarne la possibilité d’une alternative à l’ineptie intellectuelle du tout-marché et au cachot administratif du tout-État. L’inscription de ce statut dans nos tables de lois nous donnerait de vrais moyens pour nous extirper d’un régime intégralement public ou purement privé. Ainsi serait ouvert un troisième espace, reposant sur la responsabilité et la prise en main d’une part de leur destin par les citoyens. Les communs ne se construisent pas au défi du marché, mais contre ses dérives et sa tendance à « avaler le monde » pour mieux le détruire. Ils ne se construisent pas davantage contre l’État, mais contre son incapacité à prendre en charge une série d’enjeux contemporains majeurs.

Il n’est pas inutile, pour comprendre les enjeux de l’inscription des communs dans notre arsenal législatif, de revenir au texte d’origine de la Loi pour une République numérique, qui datait de juillet 2015. Sa première partie consacrait en droit positif la protection des œuvres, des créations, des inventions dont les droits de propriété intellectuelle sont arrivés à échéance et qui entrent dans le domaine public.Ce domaine publicexiste aujourd’hui en creux du droit, grâce à la jurisprudence, mais jamais énoncé en tant que tel dans le code de la propriété intellectuelle, le Code civil ou ailleurs. Quand des individus, des entreprises ou d’autres collectifs s’emparent d’innovations, de créations dans le domaine public, et les « enclosent », c’est-à-dire les privatisent à nouveau selon ce qu’on appelle le copyfraud, il n’y a pas de recours juridique solide. Dès lors, l’objectif est de corriger une insécurité juridique, en permettant au public, aux acteurs engagés dans tel ou tel commun de se présenter devant le juge en se prévalant d’un article de loi assurant que ce qui appartient au domaine public doit absolument rester dans le domaine public.

Une autre partie du projet de loi pour une République numérique consacrait un « droit ascendant » – soit un type de droit qui n’a été créé ni par le juge, ni par la loi, mais par des communautés citoyennes s’appuyant sur des usages sociaux. Il permet à un créateur de s’écarter du droit de propriété intellectuelle pour faire circuler ses œuvres plus vite ou plus largement que ce que le droit prévoit par défaut. Ce droit ascendant se concrétise en particulier au travers des licences ou contrats. Parmi les plus connues, on peut citer les licences Creative Commons pour les œuvres de l’esprit, les licences ODBL (Open Data Base Licence) pour les données, ou d’autres comme la licence art libre. Cette avancée permettait donc au créateur d’arbitrer entre différents régimes de droits et de circulation de ses productions. Il s’agit de protéger son choix, et de lui permettre, si quelqu’un (son éditeur par exemple) abusait de son copyright contre son avis, de se tourner vers le juge. Mais il s’agit aussi, à l’inverse, de protéger les utilisateurs ayant utilisé l’œuvre si jamais l’auteur revenait a posteriori au droit de propriété classique.

La consolidation du statut de SCIC (Société coopérative d’intérêt collectif) par la loi sur l’économie sociale et solidaire en juillet 2014 était un premier pas. Celle, plus puissante d’un point de vue symbolique, consistant à faire de même pour tous les communs, permettrait d’avancer vers une « société du pair à pair ». Soit selon la P2P Foundation une logique « pluraliste qui transformerait le triptyque “Capital / État / Nation”, par celui de “Communs / Marché éthique / État partenaire”. » L’enjeu est bel et bien de chambouler une société capitaliste qui ne reconnaît de valeur que marchande et économiquement rentable, au mépris du bien-être des populations et de la préservation des ressources naturelles. Il s’agit de renverser un système humainement inepte, qui décide par exemple que des citoyens qui s’organisent pour nettoyer une plage suite à une marée noire font baisser le PIB, alors que le bateau qui l’a provoquée crée de la valeur, puisqu’il engendre une activité économique liée à la réparation de ses propres dommages. Bref, il s’agit de valoriser la préservation, la production et le développement de biens communs dans le cadre d’une économie générative, en opposition à l’économie extractiviste qu’incarne notre société de consommation.

Le fanatisme du pouvoir d’achat

L’obsession du pouvoir d’achat nous fait gagner d’une main (de consommateur) ce qu’il nous arrache de l’autre main (de producteur). Arrêtons de brandir le couteau qui promet de couper les prix : il en arrive vite, par effet boomerang, à couper nos revenus. La misère est le prix du (trop) bon marché.