Loi DADVSI

Droit d’auteur : un folle journée à l’assemblée

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Les députés comme le personnel de l’Assemblée semblaient d’accord pour
dire qu’ils n’avaient jamais vu un débat se dérouler dans de telles
conditions : autant de monde dans le public (4 ou 5 fois le nombre de
députés dans les tribunes pleines au dessus) pour un sujet aussi
crucial, débattu dans des conditions aussi extrêmes de procédure
d’urgence, juste avant les fêtes de noel, et avec des amendements de 7
pages déposés le matin-même de leur examen…

Les débats de l’après-midi se sont ouvert en présence de 6 députés + le
rapporteur Vanneste, R.Donnedieu DeVabres et les nombreux membres de son
aréopage ministériel.

C.Paul (PS) a commencé par citer le député UMP B.Carayon, et sa tribune
publiée dans Libération du jour :
http://www.liberation.fr/page.php?Article=346429#

Cette tribune a été le véritable fil conducteur des débats de la matinée.

Après quelques échanges entre le PS et RDDV qui nous assure que son
projet est le contraire d’une “croisade répressive” comme l’auraient
carricaturés ses adversaires, qu’il est “équilibré”, qu'”il faut
rémunérer la création” entre autres diatribes sur le “tout gratuit”,
nous avons eu droit à une intervention de J.DionisDuSejour, rapporteur
UDF du dossier, qui s’était fait engueuler par Bayrou pendant toutes la
session de 15 à 16h de questions au gouvernement. (lecture, relecture de
documents, chipotage sur des bouts de texte, le sourire impeccable de
Dionis qui s’est rétréci de minute en minute pour finir en une moue
pincée, sérieuse…)

Il nous assure que l’UDF soutiendra des exceptions au projet de loi du
“ministre des professions culturelles”. L’UDF s’associera au PS dans sa
demande d’un passage en commission des loi des amendements 225 et 228.
(les usines à gaz de la “riposte/réponse graduée”)

10 députés sont présents dans l’hémicycle.

Dionis a exprimé le souhait que les MTP ne soient “en rien une _machine
de guerre contre les Logiciels Libres” (ce qui semble faire référence à
un entretien avec des membres d’eucd.info 😉 Il suggère un amendement
qui instaurerait le contrôle des sociétés de gestion collectives.

Dutoit est ensuite intervenu pour lui aussi citer des extraits de la
tribune de B.Carayon (ce qui est étonnant de la part d’un député PCF,
mais ça n’est pas là la dernière des surprises de la journée!)

Le chef du groupe UMP, A(?).Richard, est ensuite intervenu pour nous
dérouler une brillante argumentaire de type IFPI/RIAA/SNEP/SACEM, qui
était cependant rassurante sur le fait “qu’un fabricant ne doit pouvoir
confisquer une oeuvre” et qu’il n’y aurait pas de broadcast flag, et que
le projet de loi remportait une “adhésion très majoritaire de la
profession”. (…)

* Le député PS Mathus a ensuite fait une brillante intervention (17h04,
si quelqu’un pouvait nous l’isoler ainsi que les quelques autres que je
citerais par la suite?), dans lequel il revient sur la répression des
internautes téléchargeurs pour la comparer aux décimations des légions
romaines, pour ensuite nous rappeler que le terme de “Riposte graduée”
avait été inventé par l’américain McNamara dans le cadre de l’éventuelle
guerre nucléaire qui aurait pu exister avec la Russie. Il cite
“l’arsenal techno-totalitaire”, Barella, et Carayon. le P2P permettrait
“d’échaper à la staracadémisation et au marketing” … “la bataille du
contrôle des contenus” est clairement cernée.

Le député UDF Baguet revient ensuite sur les conditions peu
démocratiques d’examen de ce projet de loi. Il évoque “3 soirs” ce qui
finit de nous faire comprendre que ça n’est évidemment pas aujourd’hui
que les débats seront clos.

* Après une brève intervention de P.Terrasse, Le député UMP B.Carayon
est intervenu à 17h41. (là encore j’aimerais bien disposer d’un
enregistrement de son intervention!) Son discours reprend les
problématiques qu’impliquent l’adoption et la sanctuarisation juridique
des DRM en matière de libre concurrence sur les marchés innovants, de
sécurité juridique pour les développeurs de logiciels libres, de
sécurité informatique et informationnelle et de leurs implications sur
la défense nationale, l’intelligence économique et la vie privée . Il
semble qu’il aient d’excellentes sources d’informations. Il cite
d’ailleurs un magazine GNULinuxien qu’il avait sur son pupitre depuis le
début des débats 🙂

* L’intervention de C.Bliard (Les Verts) qui a suivi était également
fameuse (là encore un enregistrement séparé serait chouette) dans lequel
elle évoque la “course au lobbies” qu’a représenté l’élaboration de ce
projet de loi. (18 députés sont dans le parlement à ce moment)

T.Mariani nous a ensuite expliqué les motivations de l’amendement
Vivendi Universal qu’il défendra (forcément) avec conviction.

* C.Boutin a ensuite fait une remarquable intervention (vers 18h00) sur
l’opposition entre la culture du monopole et de l’uniformité en
opposition à celle du partage de la diversité.

Les gens de VU qui étaient dans le public (Sylvie F. une collègue et une
potiche) enrageaient à chaque phrase prononcée au sujet des nouveaux
usages culturels incarnés par le p2p.

Ensuite Militello a expliqué comment sont arrivés petit à petit ses
doutes sur le bien fondé de la protection totale des MTP.

RDDV a ensuite fait un de ces brillants exposés
Vivendiesques-Universaliens dont lui seul a le secret. Il cite le
rapport Chantepie-Berbineau de la DDM dont une bonne partie a été tue à
l’époque de sa diffusion, puis tente de nous faire pleurer sur les
emplois de la (pauvre!) filière musicale.

* Le discours de P.Bloche (PS) commencé à 18h39 nous tiendra quasiment
jusqu’à 20h. Il avait pour but d’appeler à voter le passage devant la
Commission des Lois des amendements “riposte/réponse graduée” (RDDV lui
criait “réponse!” à chaque fois qu’il évoquait “riposte”…) Ce discours
a passé en détail tous les aspects qui posent problème autour de la
problématique des DRM. rétablir par la technique les contraintes de la
rareté des oeuvres… la copie privée comme point d’équilibre entre les
créateurs et le public… la nécessité de protéger le droit d’auteur
pour qu’il ne se transforme pas en Copyright… tout y est.

* 20h06, après quelques banalités convenues de RDDV et du chef du groupe
UMP (sorte de RDDV2), Bayrou a sorti un discours étonnament brillant,
dans lequel il évoqua ses inquiétudes quant à l’avènement d’une “police
de l’internet” contenue dans les amendements “réponse graduée”…
comment un “agent” constaterait-t-il les nouvelles infractions du texte
de loi? il évoque très largement la nécessité de préserver le logiciel
libre.

La demande du groupe PS est rejetée, le président de la Comission des
Lois nous dit qu’il réunira cette dernière à 21h pour étudier les
nombreuses pages contenues dans les amendements 225 et 228.

La reprise des travaux à 21h30 a donc commencé par une suspension de
séance… les travaux ont en pratique repris vers 22h et l’examen des
amendements a commencé.

Ls amendements 86 et 120 ont été refusés, puis les amendements 153 et
154 issus de la “loi Suguenot”, portant sur la “Licence globale
optionnelle” (redevance sur copie privée optionnelle payée sur les
abonnements à internet en échange d’une reconnaissance des échanges sur
peer-to-peer comme relevant de l’exception de copie privée.) ont été
portés au vote. Pendant les interventions de membres de tous les partis,
Suguenot et Boutin ont été très actifs dans les allées (clairsemées)
pour aller discuter, convaincre, etc… au sein de leur rang. Les
boîtiers électroniques sont utilisés plutôt que la main levée
pifométrique, sur demande du PS.

Les députés regagnent leur place, la présidente énonce “le vote est
ouvert, le vote est fermé.” en une seconde tout le monde a appuyé sur
les boutons de sa console (peut-être pour ne pas permettre de voter pour
plusieurs personnes?), puis les résultats sont annoncés : 59 votants
(cela ne correspond pas au nombre de députés présents, mais ça ressemble
au double? quelqu’un peut m’expliquer?) 58 votes exprimés…. 30 pour et
28 contre!

Une bonne partie de l’UMP a du s’allier à Suguenot et Boutin, sachant
que l’UDF représenté uniquement par Dionis était contre et que le
rapporteur UMP et le ministre s’étaient prononcés contre! c’est vraiment
très rare! Le ministre est désavoué par une partie de son camp, les
amendements sont votés par C.Boutin, des députés PC, les socialistes,
les verts… un bien étrange consensus!

L’annonce fait l’effet d’une bombe! Les mines déconfites de RDDV et
Vanneste (et dans le public Sylvie.F/VU, Hervé.R/SNEP,etc.) resteront
dans les annales! Il parait que les caméras étaient braquées sur RDDV à
ce moment (+1 au 1er qui m’envoie le screenshot! 😉 La séance est
levée… (Engueulades au sein du groupe UMP, on imagine l’ampleur des
coups de gueule!)

Parmi le public, réuni devant le vestiaire, on n’en revient pas! Cet
évènement est d’une portée politique considérable… Les représentants
de l’ADAMi, la Spedidam, l’UFC, C.Paul (les membres de l’Alliance Public
Artiste quoi 😉 exultent. Les représentants de l’industrie du disque
évitent de croiser les regards pour tenter de contenir leur rage. La
majorité du parlement Français vient de dire :

« De même, l’auteur ne peut interdire les reproductions effectuées sur
tout support à partir d’un service de communication en ligne par une
personne physique pour son usage privé et à des fins non directement ou
indirectement commerciales, à l’exception des copies d’un logiciel
autres que la copie de sauvegarde, à condition que ces reproductions
fassent l’objet d’une rémunération telle que prévue à l’article L. 311-4
; ».

Certes il s’agit que d’un amendement sur un texte de loi qui comporte
une 30aine d’articles et près de 250 amendements… Il ne s’agit “que”
de la lecture à l’Assemblée. Il reste le Sénat, la CMP, et beaucoup de
choses peuvent encore se passer lors du 3ème jour d’examen. Mais il
semble que ce “pile ou face” que représente l’examen par peu de députés
et en urgence d’un texte aussi important ait joué en la défaveur du
gouvernement… On imaginait à ce moment que le gouvernement puisse
aller jusqu’à faire passer le texte en bloc, c’est à dire en une seule
fois et sans ses amendements, pour contrer (?) ou simplement réagir à ce
camouflet.

La séance a repris et les amendements 128, 111, 158, 121, 160 (des
exceptions sur des points précis comme la reproduction d’oeuvres
exposées de façon permanente dans les lieux publics…) ont été rejetés.
Une exception pour les bibliothèques présentée par un UMP, identique à
un mot près de celle, rejetée juste avant et présentée par un député
PCF, a été votée. Tout le monde aura remarqué que lorsque le rapporteur
Vanneste était interrogé pour avis sur ces amendements, il avait la voix
éraillée comme s’il venait de passer deux jours dans un bain d’eau à
05°c! Il a dû se casser la voix en hurlant sur ses troupes UMP, ou en
vociférant de rage contre ce qui venait de lui avoir été mis en travers
de la figure! Cela rend cet épisode d’autant plus croquignolet, et, ne
le cachons pas, réjouissant… =)

( La présidente : “Votre avis, monsieur le rapporteur?”
Vanneste : “défhhâvorhhââaâÂaaAÂble….. ” )
((+1 à qui me fournir des samples de Vanneste en train de dire
“défavorable” avec sa voix de canard aphone =))

Bref, tout ceci était très amusant mais ne concerne que peu les auteurs,
éditeurs, utilisateurs, de logiciels libres.

Ce qui nous concerne dans tout ceci est que les LL ont été évoqués par
quasiment tous les députés qui ont pris la parole sur le sujet. Il
parait qu’un nouvel article 7 a été déposé sous forme d’un amendement,
et qu’il représente un net recul du gouvernement sur les exceptions de
contournement de MTP à des fins d’interopérabilité. C’est exactement ce
que l’on souhaitait, qui avait pris forme dans les amendements de
B.Carayon, Cazenave, Martin-Lalande et plusieurs autres UMP, et qui
avait de bonnes chances de passer. Le gouvernement aura préféré sauver
la face en les intégrant de lui-même, grâce aux gnons envoyés dans la
figure par ces députés, notamment par l’intermédiaire de la tribune de
Libé. 🙂

Quelque part c’est la meilleure chose qui puisse nous arriver pour finir
de rendre ce texte inoffensif. Nous verrons demain la tournure que
prendront les débats. Mais il semble très clairement que le peu de
députés qui se donnent la peine de travailler sur ce texte, dans ces
conditions extrêmes choisies par le gouvernement, l’ont fait à partir de
bonnes sources d’information. Peut-être que leur apparente quête de
l’interêt général se poursuivra demain, face à la bouillie préformatée
(“l’internet c’est le mal mal!” “internet tue les auteurs!” “il faut des
DRM partout!” etc…) que ceux-ci ont tenté de leur injecter dans le
crane depuis tant d’années.