Icônes 51

Florence Lazar

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Extrait

Florence Lazar. Illuminations

De son côté, Florence Lazar nous invite à un autre voyage dans le temps, où le sauvetage d’une bibliothèque et de son propriétaire se joue en deux dimensions avec une vidéo et une série photographique autour du thème « du jeune militant ». Impossible de ne pas faire le lien avec le Je déballe ma bibliothèque de Walter Benjamin. Il y a d’abord le film, Confession d’un jeune militant, où un homme de profil et de biais, devant un fond blanc, parle des livres de sa jeunesse militante, et un jeune garçon les lui passe tour à tour comme pour l’encourager à parler. Ce passage de main en main d’un jeune éphèbe à la beauté surannée à un homme d’âge noble et au profil de médaille, ce passage de petits carrés, des livres qui remuent le temps, qui évoquent le passé, une autre jeunesse, un autre présent – celui d’une illusion ? La délicatesse des gestes, la lenteur des paroles, parfois la difficulté à nommer, tout cela concourt à créer un espace où affleure à l’image un passé mythique, celui de cet être-là de la pensée révolutionnaire, des rêves et des espérances auxquels on se donne à corps perdus. Florence Lazar réalise avec ces travaux quelque chose de rare en déplaçant l’espace littéraire de « deuxième zone » dans celui du visuel. De deuxième zone, car il s’agit bien plus de fascicules, d’opuscules, d’une littérature oubliée, et re-convoquée ici, que de noms qui se sont installés dans la mémoire de tous. Pas de trio Lénine, Marx ou Bakounine ici, mais des séries de journaux, de manifestes, et d’auteurs plus ou moins connus, mais qui ont habité et animé la jeunesse de ce militant qui ranime sous nos yeux son passé par le commentaire des ouvrages lus. Ce mode d’exposition si singulier se noue si aisément à cet autre livre, celui écrit, par un homme acculé, persécuté et qui, bibliophile et collectionneur de livres acharné, perdait ce morceau de lui-même au moment même où par la plume, il faisait resurgir devant les yeux du lecteur sa bibliothèque. Walter Benjamin convoque à la mémoire ses livres et nous les transmet peu de temps avant sa disparition ; ici, il est difficile de ne pas ressentir ce même désir de transmission à l’œuvre. Cette même envie de ne pas voir les choses disparaître, et surtout les livres et ce qu’ils portent en eux : une utopie. Ces livres pourraient bien plus participer à témoigner de cette histoire des vaincus dont parlait Benjamin, de ceux qui n’ont pas réussi à renverser l’ordre des choses, bien qu’ils s’y soient acharnés. Le tournant obscur, peut-on lire, passe de main en main, dans un rapport de filiation inversé, c’est le jeune garçon qui les tend à celui qui pourrait être son grand-père, de part son âge, et c’est ce geste du présent, de la jeunesse, qui en active une autre, plus éloignée, qui vient percer et poindre. Réanimée et ensuite repassée dans l’autre sens, expliquée ou accompagnée par la parole du « vieux ». Ensuite, la série de photographies de livres où dans la plupart on peut reconnaître le même jeune garçon, bien que jamais son visage n’apparaisse clairement, mais c’est lui qui souvent porte ces livres dans ses bras, comme un cadeau, comme un héritage, comme quelque chose qu’il vient de recevoir. Le triangle des temps se boucle alors dans une vision du futur qui s’installe dans l’image – de ce qui va venir. Ou advenir.

Les images photographiques – Socialisme ou barbarie, Jeune militant, et Faire – poursuivent le travail entrepris dans le film Confession d’un jeune militant : l’appareil

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