Parler de guichets des marchandises morales suppose de justifier que les actes attendus et proposés – dons ou investissements – s’inscrivent dans un marché d’offres et de demandes portant sur des biens chargés de Bien moral. Car ce qui semble bon pour la société paraît moral, qu’on le nomme bien commun ou même intérêt général. Ces deux notions sont de plus en plus fréquemment évoquées depuis que le développement des inégalités sociales et économiques est devenu global et répété dans les médias. Le risque explosif que constituent ces inégalités est tellement bien identifié qu’il s’inscrit avec les risques environnementaux comme le principal enjeu de gouvernance de la planète désormais.

Ce dossier tente de baliser ce champ en présentant les différentes étapes observables et les diverses initiatives en la matière. Il s’interroge aussi sur les mutations idéologiques, politiques et symboliques introduites dans cette longue histoire des bonnes actions portées par des acteurs anciens et nouveaux.

Plusieurs questions actuelles méritent l’attention. Assistons-nous à un virage éthique du capitalisme ? Le Bien est-il devenu un bien ? Jusqu’à quel point l’État a-t-il perdu le contrôle et la formulation du bien commun et de l’intérêt général ? Où ces derniers se produisent-ils et à qui appartiennent-ils ?

La financiarisation du champ philanthropique et social efface en partie l’engagement personnel ou l’acte individuel, choisi, assumé, responsable. Quand l’engagement est d’abord financier, que reste-t-il pour le sujet démocratique ? Quand la médiation financière se conjugue avec la médiation numérique, les actes bénévoles tendent à devenir des taxes de normalité morale et de self estime qui ne supposent qu’une carte de crédit et un clic instantané. La main qui donne, qui assiste ou soulage est devenue une organisation à distance, un pouvoir délégué d’aider. Cette configuration ampute singulièrement la capacité existentielle et transforme l’empathie en marchandise émotionnelle, fugace, liquide. Est laissé de moins en moins de place à des pratiques concrètes de solidarité qui pourtant demeurent mais sont conduites à une relative discrétion, dès lors que l’aide aux migrants peut mener devant les tribunaux. En se financiarisant, les gestes altruistes se sont dépolitisés. En route vers les minima moraux ?