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66. Mettre fin aux régressions identitaires ordonnées au nom des femmes
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Mettre fin aux régressions identitaires ordonnées au nom des femmes

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Depuis janvier 2015, les attentats se succèdent : sans quitter leurs anciennes terres de prédilection au Pakistan, en Afghanistan, en Syrie, les djihadistes ont essaimé et frappé plus particulièrement la Turquie, l’Afrique, l’Europe. Les messages menaçants se sont multipliés et les attaques touchent régulièrement des cibles symboliques d’un mode de vie consumériste et ostentatoire. Ainsi se sont renforcées les barrières imaginaires d’un entre-soi mythique. Les femmes ont une place centrale dans cette configuration exaltée : enjeux de divisions binaires, otages d’affrontements discursifs violents, elles paraissent les pions plus ou moins actifs de la nouvelle cartographie guerrière. Face à cette situation, trois gestes politiques s’imposent.

Ne plus assigner les femmes à des positions de victimes. La médiatisation des évènements qui, à l’aube de la nouvelle année 2017, a vu dans plusieurs villes d’Allemagne des foules dites « barbares » s’en prendre à des femmes appréhendées comme autochtones, a placé ces dernières en victimes : dans notre imaginaire, elles ont été réduites à l’état de proies des pulsions sexuelles irrépressibles d’étrangers avides de jouissance, ne comprenant pas les façons d’être, de se mouvoir, de s’habiller de femmes libres. Les féminismes du début du XXe siècle jusqu’aux années 1970 – ici et ailleurs – visaient de façon centrale à détacher les femmes de leurs rôles de procréatrices et d’épouses, et plus amplement de leur dépendance dans les systèmes de parenté et d’alliance ; ils tentaient de mettre en place les conditions d’une égalité des femmes en tant qu’individues. Institutionnalisés dans et par les études de genre, les féminismes du XXIe siècle ont fait muter ces schèmes d’interprétation de l’affranchissement des femmes, en particulier via la nouvelle prépondérance du concept de discrimination sur celui de domination.

Hier actrices rebelles et héroïques à la conquête de leur autonomie, les femmes ont été enjointes à scruter les innombrables lieux et situations où leur être-femme les pénalisait en tant que tel. De sujets génériques potentiellement libres, les femmes sont devenues des objets d’éventuelles agressions multiples – harcèlements, violences sexuelles, viols, traite, etc. – sans oublier la comptabilisation du travail reproductif qui, de la contraception aux visites aux gynécologues et au suivi médical de la grossesse, regroupe des tâches toutes vues comme pénibles. N’en prenons qu’un exemple, celui de la ville et de l’espace public, considérés maintenant comme moins ouverts aux femmes que par le passé, et devant donc être aménagés, en particulier la nuit, avec des transports ad hoc qui réduisent les marches solitaires à pied. En phase avec une époque convoquant chacun à se penser comme victime, les plateformes féministes et « de genre » se sont métamorphosées : elles ont fait passer les femmes d’une mobilisation pour la libération, l’égalité et la jouissance à une multitude de revendications victimaires et essentialistes.

Ne plus enfermer les femmes dans leur rôle de mère. Une très large partie des revendications concernant les femmes touchent aujourd’hui au handicap que constituerait dans le champ du travail la maternité. Plafond de verre, salaires inférieurs, promotions limitées, ascension hiérarchique bloquée, sont attribués, non sans raison, au fait que les femmes sont parfois enceintes et ont souvent la charge principale de leurs enfants. On déplore que la part masculine dans le travail domestique n’augmente que par paliers infinitésimaux. On constate que ni l’État ni les entreprises ne sont prêts à diminuer cette charge personnelle de care par davantage de dispositifs collectifs (crèche, gardes payées, etc.). Pleine de bons sentiments, destinée aux seules femmes, la réconciliation travail/famille ne coûte guère à l’État, qui, corollairement, en France, lui a donné une ultime légitimation en février 2016 par la nomination d’une ministre « des familles, de l’enfance et des droits des femmes ».

Cesser d’invoquer la civilisation et ses incarnations féminines. En se pluralisant et en s’ethnicisant, les mouvances féministes et de genre se sont fragmentées. Le vieux slogan colonial de la « civilisation » supérieure aux primitivismes a fourni leur matière à de nouvelles définitions des féminismes, relativisés par les cultures d’appartenance, alors même que le monde global semble plus que jamais travaillé par des clivages binaires. Terrorisme et lutte antiterroriste ont favorisé la mise en avant des femmes et leur mise en otages dans des antagonismes dits « de civilisations ». La prise en considération de ces chocs culturels a favorisé l’affirmation de féminismes ethnicisés, en lutte contre une conception déclarée occidentale de l’émancipation des femmes. Ces féminismes ethnicisés surenchérissent sur la position de victime de leur communauté d’appartenance. C’est en effet avant tout du refus de la liberté qu’il est question dans ces miroirs de femmes, supplétives de la guerre des civilisations. Eux et nous, elles et eux : ces dichotomies refont surface avec une violence extrême. Impures ou trop pures, souillées ou en risque de l’être, les femmes deviennent les étendards des divisions en jeu. Au nom des femmes sont mises en scène et rejouées mécaniquement les scissions terrorisantes du monde global présent.

À toutes ces régressions, il convient de mettre fin par une nouvelle vague de luttes féministes– luttes sociales revalorisant le travail du care, luttes politiques implémentant de nouveaux droits et luttes culturelles développant de nouveaux imaginaires.