Littérature

Mort de Naguib Mahfouz : passeur Orient-Occident

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( Mercredi, 29 août 2006 )Il s’est éteint mercredi 29 août 2006 dans un hôpital public du Caire à l’âge de 94 ans, alors que son état de santé s’était détérioré depuis plusieurs semaines.
Lauréat du Nobel de littérature en 1988, Mahfouz était considéré comme le maître du roman moderne arabe. Il a été l’un des rares intellectuels égyptiens et arabes à avoir approuvé les accords de paix de 1979 entre l’Egypte et Israël, tout en se déclarant totalement solidaire des Palestiniens.

En 1994, un intégriste l’avait poignardé au cou, le blessant grièvement. Mahfouz avait miraculeusement survécu à l’attaque mais sa main droite était irrémédiablement paralysée.
L’oeuvre de Naguib Mahfouz n’a été reconnue que dans les années 50 après la parution de sa grande “Trilogie” dans laquelle il décrit les espoirs et les désillusions politiques d’une famille bourgeoise cairote sur trois générations.
Auteur prolifique, Naguib Mahfouz a signé une cinquantaine de romans, de nouvelles et de pièces de théâtre. Cet apôtre de la tolérance sera inhumé jeudi 31 août à midi dans la mosquée Al-Rashdan, dans le quartier de Madinet-Nasr au Caire. Il avait 94 ans.

Né en 1911 dans une famille de la petite bourgeoisie cairote, il fait des études de philosophie à l’université du Caire (alors université Fouad Ier) .Il commence à écrire à l’age de 17 ans et publie ses premiers essais d’écriture dans les revues littéraires des années 1930.Il publie sa première nouvelle en 1939. Sa licence en poche, il obtient un poste de fonctionnaire et décide de se consacrer à la réécriture romanesque de l’histoire de l’Égypte. Le relatif échec des premiers romans, situés dans l’Égypte pharaonique, et peut-être l’urgence du contexte (l’Égypte est durement affectée par le déclenchement de la Seconde Guerre mondiale) l’amènent à renoncer à ce projet pour plonger dans l’histoire immédiate. Désormais, ses romans ont pour cadre Le Caire contemporain, dont il décrit les bouleversements sociaux dans une veine réaliste (Passage des miracles, 1947 ; Vienne la nuit, 1949).

Mais le succès public et la reconnaissance critique tardent à venir. En 1952, après avoir achevé l’énorme roman de plus de quinze cents pages qui deviendra la Trilogie (Impasse des deux palais, Le Palais du désir, Le Jardin du passé), Mahfouz délaisse l’écriture romanesque pour le scénario ­ forme d’écriture moins noble mais mieux rémunérée. La publication de la Trilogie en 1956-1957 lèvera ses doutes. A quarante-cinq ans, il est enfin reconnu. Avec cette saga familiale doublée d’une fresque historique de l’Égypte, de la révolution de 1919 aux dernières années de la monarchie, Mahfouz est en phase avec la nouvelle donne politique issue du changement de régime de 1952 et avec un mouvement littéraire et artistique qui privilégie le réalisme sous toutes ses formes.

Il s’en détourne pourtant avec son roman suivant, Awlad haretna (1959, trad. française Les fils de la médina), tournant dans sa carrière et dans l’histoire du roman arabe. Il y renoue en effet avec la riche tradition de la fiction allégorique pour développer une critique des dérives autoritaires du régime de Nasser et, au-delà, une réflexion pessimiste sur le pouvoir. Publié en feuilleton dans le quotidien Al-Ahram, ce roman est attaqué par les oulémas qui le jugent blasphématoire, puis frappé d’une interdiction officieuse de publication en Égypte (il sera publié à Beyrouth en 1967). En même temps, le scandale contribue à asseoir sa réputation et n’affecte pas sa carrière (il occupe alors, jusqu’à sa retraite en 1971, des fonctions de direction dans les appareils culturels étatiques). Il publie beaucoup : des nouvelles dans la presse, reprises en recueils, et près d’un roman par an, revenant au plus près d’un réalisme critique (Dérives sur le Nil, 1966 ; Miramar, 1967) ou dissimulant son message dans des textes à clés (Le Voleur et les chiens, 1961 ; La Quête, 1965). Ses grands romans réalistes sont adaptés au cinéma l’un après l’autre, ce qui lui donne accès à un public incomparablement plus vaste que celui de l’écrit.

Proche des jeunes écrivains en colère qui émergent dans les années d’effervescence qui suivent la catastrophe de 1967 ­ les Gamal Ghitany, Sonallah Ibrahim, Baha Taher, Ibrahim Aslan, Mohammed El Bisatie, etc. ­ Mahfouz reprendra volontiers à son compte, dans ses romans ultérieurs, leurs innovations esthétiques. Mais c’est lorsqu’il renoue avec sa source d’inspiration favorite, le vieux Caire de son enfance (Récits de notre quartier, 1975 ; La Chanson des gueux, 1977), qu’il est au sommet de son art.

Demeuré fidèle tant à ses convictions politiques libérales qu’à sa conception de la littérature, il fait figure dans les années 1980 de maître respecté pour ses qualités morales et son apport massif au roman arabe, mais souvent contesté pour ses options politiques (notamment son soutien à la paix égypto-israélienne). Le prix Nobel qui lui est décerné en octobre 1988 va bousculer sa routine de retraité, pour le meilleur et pour le pire. Le meilleur : ce prix, le premier attribué à un écrivain arabe, lui donne accès au marché mondial (ses traductions se comptent aujourd’hui par centaines, dans plusieurs dizaines de langues). Le pire : dans un contexte d’affrontement violent entre le pouvoir et la fraction radicale de l’opposition islamiste, mais aussi de raidissement moral et religieux qui touche peu ou prou toutes les couches de la société égyptienne, la polémique autour de « Les Fils de la Medina » Awlad haretna refait surface et Naguib Mahfouz survit miraculeusement à une tentative d’assassinat à l’arme blanche (octobre 1994) perpétrée par deux jeunes fanatiques islamistes. Depuis, il était paralysé de la main droite et avait cessé d’écrire, contraint de dicter ses textes.

Bibliographie

Au cours de sa carrière qui s’étend sur près de soixante ans, il a publié plus de 50 romans et recueils de nouvelles.

‘Abath al-aqdâr, roman 1939 (trad. française La Malédiction de Râ, 1998)

Radôbîs, roman 1943 (trad. française L’Amante du pharaon, 2005)

Kifâh Tîba (Le combat de Thèbes), roman 1944

Al-Qâhira al-jadîda, roman 1945 (trad. française La Belle du Caire, 2000)

Khân al-Khalîlî, roman 1946 (trad. française Le Cortège des vivants : Khan al-Khalili, 1999)

Zuqâq al-midaqq, roman 1947 (trad. française Passage des Miracles, 1970)

Hams al-junûn (Le murmure de la folie), nouvelles, 1947

Al-Sarâb, roman 1948 (trad. française Chimères, 1992)

Bidâya wa-nihâya, roman 1949 (trad. française Vienne la Nuit, 1996)

La Trilogie du Caire :

. Volume I : Bayn al-Qasrayn, roman 1956 (trad. française Impasse des Deux-Palais, 1987)

. Volume II : Qasr al-Chawq, roman 1957 (trad. française Le Palais du désir, 1987)

. Volume III : Al-Sukkariyya, roman 1957 (trad. française Le Jardin du passé, 1989)

Awlâd hâratinâ, roman 1959 (trad. française Les Fils de la médina, 1991)

Al-Liss wa-l-kilâb, roman 1961 (trad. française Le voleur et les chiens, 1985)

Al-Simmân wa-l-Kharîf (Les cailles et l’automne), roman 1962

Dunya Allâh, nouvelles 1962 (trad. française Le Monde de Dieu, 2000)

Al-Tarîq, roman 1964 (trad. française La Quête, 1997)

Bayt sayyi’ al-sum’a (Une maison mal famée), nouvelles 1965

Al-Chahhâdh, roman 1965(trad. française Le Mendiant, 1997)

Tharthara fawq al-Nîl, roman 1966 (trad. française Dérives sur le Nil, 1989)

Mîrâmâr, roman 1968 (trad. française Miramar, 1990)

Khammârat al-Qitt al-Aswad (Le cabaret du Chat Noir), nouvelles 1969

Tahta al-Midhalla (Sous l’abri), nouvelles 1969

Hikâya bi-lâ bidâya wa-lâ nihâya (Histoire sans commencement ni fin), nouvelles 1971

Chahr al-‘asal (La lune de miel), nouvelles 1971

Al-Marâyâ, roman 1972 (trad. française Miroirs, 2001)

Al-Hubb taht al-matar (L’Amour sous la pluie), nouvelles 1973

Al-Jarîma (Le Crime), nouvelles 1973

Al-Karnak (Karnak), nouvelles 1974

Hikayât hârati-nâ, récits 1975 (trad. française Récits de notre quartier, 1988)

Qalb al-Layl (Au cœur de la nuit), nouvelles 1975

Hadrat al-muhtaram (Son Excellence), roman 1975

Malhamat al-harafîch, roman 1977 (trad. française La Chanson des gueux, 1989)

Al-Hubb fawq hadabat al-haram, nouvelles 1979 (trad. française L’Amour au pied des pyramides, 1997), 1979

Al-Chaytan ya’izh (Satan prêche), 1979

‘Asr al-hubb (Le temps de l’amour), 1980

Afrah al-Qubba (Les noces de Qobba), 1981

Layâli Alf Layla (trad. française Les Mille et Une Nuits, 1997), 1982

Ra’aytu fi-mâ yarâ al-nâ’im (J’ai vu dans mon sommeil), nouvelles 1982

Al-Bâqi min al-zaman Sâ’a (Heure H-1), nouvelles 1982

Amâm al-‘arch (Devant le trône), roman 1983

Rihlat Ibn Fattouma (Le voyage d’Ibn Fattouma), roman 1983

Al-Tanzhîm al-sirrî (L’organisation secrète), nouvelles 1984

Al-‘A’ich fî l-haqîqa, roman 1985 (trad. française Akhénaton le Renégat, 1998)

Yawma qutil al-za’îm, roman 1985 (trad. française Le Jour de l’assassinat du leader, 1989)

Hadîth al-sabâh wa-l-masâ’, roman 1987 (trad. française Propos du matin et du soir, 2002),

Sabâh al-ward, roman 1987 (trad. française Matin de roses, 1998)

Quchtumar, roman 1988

Al-Fajr al-kâdhib (L’Aube trompeuse), nouvelles 1989

Asdâ’ al-sîra al-dhâtiyya, récits 1996 (trad. française Echos d’une autobiographie, 2004)