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66. Produire des biens et des services sans but lucratif

Produire des biens et des services sans but lucratif

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Les mutuelles et associations permettent de rendre à leurs adhérents des services dans les domaines les plus divers : assurances, restaurants, groupements d’achats, éducation populaire, services à la personne, activités culturelles, publications. Avec ou sans salariés, elles ne sont pas moins exigeantes que les entreprises du secteur commercial. Mais elles se caractérisent par un travail bénévole de leurs dirigeants et animateurs, par la participation des adhérents aux décisions, par la capacité de créer des emplois adaptés aux territoires, et par la non redistribution des bénéfices en fin d’exercice. Par conséquent, l’État les a exonérées de l’impôt sur les sociétés.

Dans le cadre de la recomposition du tissu économique de l’industrie aux services, de nombreuses entreprises privées se sont créées pour délivrer professionnellement ces services imaginés par le secteur non lucratif. Pour ce faire, elles ont demandé à l’État un alignement fiscal du secteur à but non lucratif sur le secteur à but lucratif. L’État est donc intervenu pour rendre solvable et maintenir l’accessibilité à tous de ces services, en particulier de l’aide à la personne : ménage, bricolage, jardinage, transports de malades, etc. Grâce à des subventions et à des allocations, il a permis à la plupart des acteurs d’assumer les coûts supplémentaires, engendrés par cette professionnalisation et cette fiscalisation. De fait, aujourd’hui, ce sont des professionnels qui rendent ces services, et dans le secteur lucratif, et dans le non lucratif, avec des niveaux de rémunération comparables grâce à l’intervention de l’État. Cette identité apparente des deux secteurs a été avalisée par la Loi sur l’Économie sociale et solidaire, votée en 2014, qui admet qu’une entreprise possédée par des actionnaires, mais ayant un objectif social, puisse être considérée sous certaines conditions comme une entreprise sociale et solidaire. On parle même de « capitalisme d’intérêt général ».

Or il existe des différences fondamentales entre l’entreprise capitaliste et l’association ou la mutuelle. Dans l’entreprise capitaliste, les excédents financiers de la gestion annuelle sont répartis entre les actionnaires, car la société a été constituée pour tirer profit de l’argent qui lui a été confié ; sa gestion va donc être pilotée par la nécessité de dégager ces excédents. Dans l’association ou la mutuelle, les excédents financiers ne sont pas redistribués, mais mis en réserve pour servir à l’amélioration future du service, ou pour en créer de nouveaux. Son statut lui impose une gestion désintéressée. Elle cherche évidemment l’équilibre, mais, pour y arriver, ne fait pas pression sur l’organisation du travail et la qualité du service rendu. Dans l’entreprise capitaliste, les décisions sont prises par les actionnaires, fondateurs et associés, alors que dans les associations, elles sont prises par les adhérents bénéficiaires des services, ou leurs représentants.

Depuis les années 1990, avec le repli des politiques étatiques vers l’austérité et le déplacement de la pression fiscale des entreprises vers les consommateurs, l’économie sociale et solidaire (ESS) a quitté la position marginale qui était traditionnellement la sienne. Les services rendus par les mutuelles, les associations et les fondations sont désormais au cœur de l’économie. L’économie sociale et solidaire rassemblait 221 325 établissements employeurs et 2 370 301 salariés à fin 2013. La part des emplois de l’ESS dans l’ensemble de l’économie est de 10,5 %. Mais l’État entend imposer les entreprises de l’ESS de la même manière que les entreprises ordinaires pour les empêcher de devenir un pôle plus attractif, où se développeraient d’autres conditions de travail et un autre rapport avec l’utilisateur final.

La collusion actuellement dominante entre le marché et l’État s’ingénie à réprimer le dynamisme des associations et des mutuelles. Plus étonnant : en plus de la fiscalisation des services rendus par le secteur non lucratif, l’État veut taxer les services gratuits rendus aux salariés par leurs entreprises. Illustration parmi d’autres : il considère aujourd’hui les salles de sport offertes par Adidas à ses employés pour favoriser la pratique du sport comme des avantages en nature dont la valeur devrait figurer sur les fiches de paie !

La dynamique du travail bénévole, hors emploi, hors sujétion, hors captation de valeur, renouvelle perpétuellement la donne de ce large secteur du travail hors emploi. Rémunérer du travail dans les mutuelles et les associations, ce n’est pas se donner le droit de l’exploiter et d’en capter le produit pour se le répartir, mais faciliter la mise en œuvre des services. Taxer le travail bénévole, c’est considérer qu’il n’existe pas de travail non rémunéré, c’est méconnaître le rôle essentiel du travail domestique, généralement féminin, dans la production de la vie.

Le rôle des mutuelles dans la santé

La santé est un domaine privilégié d’intervention des mutuelles. Elles complémentent la sécurité sociale, mais anticipent aussi sur les transformations des pratiques médicales par les nouvelles technologies, tout en suivant l’évolution sociale des pathologies. L’organisation décentralisée au plus près des patients oblige à rechercher la mise en place de réseaux de soins accessibles dans la proximité et capables d’assurer le suivi du dossier médical et de mobiliser les compétences par l’informatique. Le vieillissement de la population introduit de nouvelles professions dans le parcours de soins. Aujourd’hui, les salariés de l’aide à domicile pour les personnes âgées sont partie intégrante des professionnels devant intervenir dans le parcours de soins (garde-malade, agent à domicile, employé à domicile, auxiliaire de vie, technicien de l’intervention sociale et familiale, etc.). Il en est de même pour les services dont ont besoin les personnes âgées (courses ou livraisons, portage de médicaments et de repas, promenade des animaux de compagnie, aide administrative, aide à la mobilité et transport, services de téléassistance, etc.). Autour de la personne, la coopération existe déjà ; les patients-adhérents de mutuelles essaient de la structurer. Ils jouent un rôle central dans nos vies sociales – que nos institutions politiques ignorent pour leur plus grand dommage.