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De la loi des grands nombres aux grands nombres qui font la loi
IA, Jeu de l’imitation et vote démocratique, par

De la loi des  grands nombres aux grands nombres qui  font  la  loi
IA, jeu de l’imitation et  vote  démocratique
Les affaires de Facebook et de Cambridge Analytica ont révélé aux démocraties la toute-puissance de la manipulation algorithmique. Les IA influencent dorénavant de manière drastique jusqu’au sacro-saint scrutin majoritaire. En ciblant nos affects et les failles de notre jugement, les IA attisent la tyrannie de la majorité. Sommes-nous pour autant condamnés à voir un choix individuel peu assuré dissout dans un choix collectif douteux ? Pour initier une réponse réjouissante qui redonnerait tout son sens au vote, l’article propose de revoir non sans dérision les règles du jeu : Et si les capacités de simulation des IA, au lieu de nous berner, nous aidaient au contraire dans notre jugement de citoyen ? Et si, en dégourdissant la pensée humaine plutôt qu’en la numérisant au moyen de l’IA, la simulation d’un candidat artificiel éveillait une intelligence collective permettant de prémunir les citoyens contre la tyrannie des moyennes ?


From the law of  large numbers to  the  large numbers that  make  the law
AI, imitation game and  democratic voting
Facebook and Cambridge Analytica affairs have exposed democracies to the power of algorithmic manipulation. AI now drastically influences the sacrosanct majority vote. By targeting our affects and the flaws in our judgment, AI fuels the tyranny of the majority. Are we therefore condemned to see an individual choice with little assurance dissolved in a questionable collective choice? To initiate a pleasing response that would restore all meaning to the vote, the article proposes to review not without derision the rules of the game: and if the AI simulation capabilities, instead of fooling us, instead helped us in our judgment of citizen? What if, by stretching human thought rather than digitizing it by means of AI, the simulation of an artificial candidate awakened a collective intelligence making it possible to protect citizens against the tyranny of the average?

Est-il trop tard pour l’effondrement ?, par , et

Est-il trop tard
pour l’effondrement ?
Cette introduction invite à décadrer et à recadrer la thématique de l’effondrement, popularisée et médiatisée par la théorie dite « collapsologie », vers le plan des acteurs, des terrains, des temporalités, et des régimes d’énonciation. Nous appelons à documenter empiriquement ce que fait l’effondrement, et ce qu’en font celles et ceux à qui cette idée « fait » quelque chose. En effet, l’effondrisme pose la question des façons de se positionner non pas uniquement par rapport à une théorie, mais également par rapport à des expériences individuelles et collectives. Le dossier vise à comprendre comment la réception de la « collapsologie » donne lieu à des jeux complexes entre désemparement et capacités d’agir. L’atterrissage sur un sol anthropocénique de plus en plus critique mérite une décisive discussion collective. L’hypothèse de cette majeure est que les expériences effondristes ont une valeur d’expérimentation à cet égard, notamment en créant un zone discursive et praxique où des cultures et des expériences politiques différentes sont amenées à se rencontrer et à collaborer.

Is it too late for collapse?
This introduction invites the reader to displace and reframe the theme of collapse—which currently receives heavy media coverage—towards a sociological approach to the actors, the places, the temporalities and the regimes of discourse. We claim the need empirically to document what collapse does to people, what people do with it, once they are touched by this idea. Collapsology calls for people to position themselves not only in relation to a theory but, more importantly, in relation to individual and collective experiences. This issue attempts to understand how the reception of collapsology provides a location for complex interplays of disarray and empowerment. Landing on an and ever more critical Anthropocenic ground deserves collective discussion. This issue promotes the hypothesis that collapsological experiences provide occasions for experimentations, by creating discursive and practical zones where different political cultures and practices can meet and collaborate.

Lire et vivre dans les ruines : Tsing et Sebald, par

Lire et vivre dans les ruines : Tsing et Sebald
À partir du Champignon de la fin du monde d’Anna Tsing, ce texte interroge l’imaginaire résolument optimiste de découverte et de reconquête nourrie par l’attention à ce qui échappe à la destruction, propre à plusieurs travaux récents. Revenant sur la position du chercheur avide de nouveaux récits, soucieux également de ne pas les écraser sous des jugements déterminant a priori ce qui compte et ne compte pas, au risque de les étouffer, l’article invite cependant à ne pas négliger la dimension de perte associée aux catastrophes passées et en cours. À cet égard, il convoque d’autres voix, en dehors des sciences sociales, en particulier celle de l’écrivant allemand W.G. Sebald, lequel accorde une place très importante aux ruines et à la remémoration des mondes perdus, de ce qui a compté pour les disparus, tel l’inlassable effort caractérisant la vie au sein des milieux fragiles.

Reading and Living in the Ruins: Tsing and Sebald
Musing from Anna Tsing’s Mushroom of the End of the World, this article questions the resolutely optimistic imagination of discovery and reconquest nourished by the “arts of attention” to what escapes the destruction, promoted in many recent works. Returning to the position of the researcher eager for new stories, also anxious not to crush or stifle them under judgments determining a priori what should or should not count, the article invites us not to neglect the dimension of loss associated with past and ongoing disasters. In this regard, it calls in other voices, outside the social sciences, especially that of the German writer WG Sebald, who gives a very important place to the ruins and the remembrance of the lost worlds, of what counted for the disappeared, as a tireless effort characterizing life in fragile environments.

Et si ce n’était même plus du capitalisme, mais quelque chose d’encore bien pire ?, par

Et si ce n’était même plus du capitalisme, mais quelque chose d’encore bien pire ?
Le capital a pensé trouver le moyen d’esquiver la confrontation avec les travailleurs en se fiant au vecteur d’information. La mondialisation, la désindustrialisation et la sous-traitance permettraient de s’affranchir du pouvoir dont disposaient les travailleurs pour bloquer les flux de la production. Il est temps, toutefois, de se demander si ce qui est apparu en plus et au-dessus du mode de production capitaliste ne serait pas quelque chose de qualitativement différent, qui se trouve en train de générer de nouvelles formes de domination de classe, de nouvelles formes d’extraction de plus-value, voire même de nouveaux types de formation de classe. De même que le capital a dominé la propriété foncière, subsumant son contrôle sur la terre dans une forme de propriété plus abstraite et fongible, de même la classe vectorialiste a subsumé et débordé le capital en s’appuyant sur une forme plus abstraite de valorisation.

What if this is not even capitalism any more, but something  worse?
Capital thought it found it by escaping from labor along the information vector. Globalization, deindustrialization, and outsourcing would enable it to be free from the power of labor to block the flows of production. We should now ask whether what has emerged, in addition to and on top of a capitalist mode of production, is something qualitatively different, but which generates new forms of class domination, new forms of the extraction of surplus, even new kinds of class formation. Just as capital came to dominate landed property, subsuming its control over land in a more abstract and fungible property form, so too the vectoralist class has subsumed and outflanked capital in a more abstract form.

L’hétéromation, par et

L’hétéromation
La numérisation de l’économie –  comme de la vie quotidienne  – a transformé la division du travail entre humains et machines, versant beaucoup de gens dans du travail qui est à la fois caché, mal payé ou accepté comme incombant à « l’usager » de la technologie digitale. À travers clics, balayages, connexions, profils, emails et courriers, nous sommes les participants plus ou moins volontaires à des pratiques digitales dont la valeur profite à d’autres, mais peu ou pas à nous. Hamid Ekbia et Bonnie Nardi nomment hétéromation ce type de participation : l’extraction de valeur économique au moyen de travail pas cher ou gratuit caché sous des apparences d’automation algorithmique. Ils explorent ici les processus sociaux et technologiques par lesquels la valeur est extraite du travail numérisé.

Heteromation
The computerization of the economy—and everyday life—has transformed the division of labor between humans and machines, shifting many people into work that is hidden, poorly compensated, or accepted as part of being a “user” of digital technology. Through our clicks and swipes, logins and profiles, emails and posts, we are, more or less willingly, participating in digital activities that yield economic value to others but little or no return to us. Hamid Ekbia and Bonnie Nardi call this kind of participation—the extraction of economic value from low-cost or free labor in computer-mediated networks—“heteromation.”

Afrocomputation, par et

Afrocomputation
L’explosion des usages des techniques de communication en Afrique puise ses racines dans l’imaginaire pré-colonial, qui portait sur l’extension du monde au-delà du perceptible, du corporel, du conscient. Dans cette cosmogonie, les objets techniques et artefacts étaient doués d’une vitalité qui en faisaient des interfaces, des seuils à transgresser pour accéder aux horizons infinis de l’univers, dans une sorte de transmutation. Le téléphone portable et Internet parlent à l’inconscient archaïque et aux mémoires techniques des sociétés africaines, leur permettant de passer sans transition de l’âge de pierre à l’âge numérique. L’Afrique était déjà numérique à une époque pré-numérique, car les sociétés africaines se sont constituées par la circulation et le mouvement, inscrits dans les mythes africains de l’origine. Qui dit migration dit expérience de la nouveauté, plasticité permanente, extension du possible. Cette souplesse et cette aptitude à l’innovation constante, c’est aussi l’esprit d’Internet et du numérique.

Afrocomputation
The explosion of uses of communication techniques throughout Africa has roots that go deep into the pre-colonial imaginary, which extended its world beyond the perceptible, the corporeal, the conscious. In this cosmogony, technical objects and artefacts were endowed with a vitality generating interfaces, thresholds to transgress in order to reach the universe’s infinite horizons. Smartphones and the Internet speak to this archaic unconscious as well as to the technical memories of African societies, allowing them to move without transition from the stone age to the digital age.Africa was digital before the digital age, as African societies were constituted by circulation and movement, written in the myths of origins. Migration means a readiness to experience novelty, permanent plasticity, extension of the possible. This subtle aptitude constantly to innovate also animates the spirit of the Internet and of the digital.

Subjectivations computationnelles à l’erre numérique, par

La raison instrumentale, le capitalisme algorithmique et l’incomputable, par

La raison instrumentale, le capitalisme algorithmique et l’incomputable

La cognition algorithmique joue un rôle central dans le capitalisme contemporain. Depuis la rationalisation du travail industriel et des relations sociales jusqu’à la finance, les algorithmes fondent un nouveau mode de pensée et de contrôle. Dans cette phase du tout-machinique dans l’évolution du capitalisme numérique, il ne suffit plus de se mettre du côté de la théorie critique pour accuser la computation de réduire la pensée humaine à des opérations mécaniques. Comme le théoricien de l’information Gregory Chaitin l’a démontré ; l’incomputabilité et l’aléatoire doivent être conçus comme les conditions de bases de la computation. Si le technocapitalisme est contaminé par l’aléatoire computationnel et le chaos, la critique traditionnelle de la rationalité instrumentale doit elle aussi être remise en question : l’incomputable ne pleut plus être réduit au statut de contraire de la raison.

Instrumental Reason, Algorithmic Capitalism, and the Incomputable

Algorithmic cognition is central to today’s capitalism. From the rationalization of labor and social relations to the financial sector, algorithms are grounding a new mode of thought and control. Within the context of this all-machine phase transition of digital capitalism, it is no longer sufficient to side with the critical theory that accuses computation to be reducing human thought to mere mechanical operations. As information theorist Gregory Chaitin has demonstrated, incomputability and randomness are to be conceived as very condition of computation. If technocapitalism is infected by computational randomness and chaos, the traditional critique of instrumental rationality therefore also has to be put into question: the incomputable cannot be simply understood as being opposed to reason.