Pourquoi la France a-t-elle laissé faire l’orpaillage clandestin des maffias brésiliennes malgré les alertes de sa population amazonienne, qui vit au quotidien ses effets catastrophiques : criminalité, viol et prostitution, mercure meurtrier qui empoisonne les poissons et ceux qui les mangent en affectant la santé des nouveau-nés ? Pourquoi négliger d’assurer en Amazonie et dans les autres périphéries les conditions de santé et de scolarité dont bénéficient tous les autres Français ? Le passage à l’extraction industrielle selon les modalités prévues actuellement par le projet du Code minier condamnerait l’Amazonie à la destruction, à l’écocide et à l’ethnocide de ses habitants, en précipitant encore plus la menace du dérèglement climatique qui touche toute la planète. Écouter, reconnaître et partager ce que disent les peuples autochtones des territoires colonisés par la France est une priorité pour protéger les populations et la biodiversité, mises en danger par les activités minières. Agir contre ce nouveau code minier, aux côtés des Guyanais, répond à de nombreux enjeux :

Protéger l’état écologique, chimique ou quantitatif des eaux, de l’air et des sols, le maintien de la biodiversité (espèces et habitats) les mesures prises pour lutter contre le dérèglement climatique doivent être opposables à la délivrance de tout titre et autorisation miniers.

Valoriser toutes les matières premières présentes dans nos déchets, en favorisant une politique ambitieuse de recyclage afin de réduire notre consommation de métaux.

Instaurer un droit de saisine citoyennepermettant une concertation des populations dès le dépôt d’une demande de titre minier, afin d’obtenir leur consentement libre préalablement à tout octroi de permis d’exploration ou d’exploitation.

Reconnaître les revendications des peuples autochtones, notamment territoriales, donnerait une vraie légitimité à l’inscription des territoires de la République. Partager avec eux leurs expériences aiderait à transformer nos institutions et les « politiques » inadéquates qu’elles nous imposent. Les expériences des Guyanais nous concernent tous. Eux disent, y compris par leurs chansons de rap chantées dans leur langue comme le teko, en créole ou en portugais du Brésil, que la solution contre le désarroi des jeunes et la violence passe par la réappropriation de leurs langues et cultures, à l’école comme dans leur vie quotidienne, ainsi que par la gestion libre et collective de leurs communautés.

Les peuples autochtones, colonisés par la France, qui se revendiquent aujourd’hui comme les premières nations de Guyane, de Polynésie ou de Nouvelle Calédonie, ont participé au long processus d’écriture de la Déclaration sur les Droits des peuples autochtones (concernant plus de 6 % de la population mondiale), déclaration que la France a signée en 2007 dans le cadre de l’ONU. Ces droits touchent à tous les aspects de la vie, inséparables les uns des autres : culture, enseignement, économie, droit, santé, gouvernance, médias, etc. Mais la France refuse de signer la convention 169 de l’Organisation internationale du travail (OIT) « relative aux peuples indigènes et tribaux », sous prétexte que « cet instrument international attribue aux peuples autochtones des droits collectifs contraires à nos principes constitutionnels d’égalité et d’indivisibilité de la République ». La reconnaissance des droits collectifs des autochtonesest indispensable afin d’empêcher que nos institutions de recherche s’emparent des savoirs ancestraux pour les commercialiser et déposer des brevets sur les plantes, enfreignant ainsi les principes internationaux de la non-commercialisation du vivant et de la propriété intellectuelle inaliénable des Amérindiens.

La France doit adopter, comme l’ont déjà fait 24 autres pays, la Charte européenne des langues régionales et minoritaires pour les reconnaître dans leur diversité comme langues vivantes à enseigner de la maternelle à l’université, et non juste comme langues mortes faisant office de patrimoine. Les langues et cultures des peuples autochtones sont dites régionales et non « minoritaires » car, comme celles de toutes les vagues de migrants, elles sont « majoritaires » sur leurs territoires d’origine qui, même après avoir été colonisés, restent leurs territoires respectifs.

La diversité des cultures a permis de prendre soin de la biodiversité pendant des milliers d’années. On ne peut préserver la biodiversité dont nous avons besoin sans reconnaître les cultures respectives qui en ont assuré les savoirs et les pratiques, et qui continuent de créer des modes d’existence respectueux des sols, des plantes et des animaux. Majoritaires en Amazonie guyanaise, dans les îles de Polynésie ou de Nouvelle Calédonie, les langues et cultures autochtones, ancrées sur leurs territoires, sont porteuses de forces de transformation de la pensée, ouvrant vers une multitude de possibles.

Nous devons valoriser les territoires et la biodiversité, comme le font les peuples autochtones et toutes les collectivités qui inventent des solutions alternatives aux aéroports et autres grands projets qui détruisent l’environnement.Incitons l’État à ne plus financer et les particuliers à ne plus déposer dans les banques impliquées dans ces grands projets destructeurs. Encourageons ainsi les banques à financer d’autres projets, qui soient renouvelables, en concertation et avec la participation de toutes les populations concernées.

La cartographie politique de nos désirs d’existence se redessine sans cesse, mais se fonde sur des points d’ancrage, des lieux et territoires. Il s’agit de multiplier la reconnaissance de tels espaces de possibles sur la planète, de lutter contre leur destruction par les grands projets et industries extractives morbides, ainsi que par les stratégies économico-militaires qui nous empêchent de respirer et rêver.

En finir avec l’extractivisme

Extraire du sol des minerais, c’est prendre ce que l’on trouve sans se demander d’où cela vient. Il a fallu des millions d’années pour que la nature génère ces matières premières que nous consommons en quelques décennies. Nous pompons ces ressources sans nous soucier de les ressourcer. Quand une mine est épuisée, nous en cherchons une autre – en accumulant derrière nous des paysages dévastés. L’extractivisme conquiert le vivant après avoir épuisé le minéral. La production capitaliste pompe tout ce qu’elle peut d’une population humaine, animale ou végétale, puis les usines désertent une contrée pour optimiser leurs profits ailleurs. Ce capitalisme extractiviste se nourrit de nos savoirs, de nos inventivités, de nos générosités sans se soucier de les renouveler. Il veut des populations bien éduquées, mais rechigne à financer l’éducation. Il veut des travailleurs performants, mais coupe les dépenses de santé. Et il mine les régimes de retraite, parce que les vieux ne produisent plus. L’attitude extractiviste ne voit partout que des champignons à couper. Elle ignore (ou feint d’ignorer) que ces champignons si profitables sont les excroissances d’un tissu souterrain, imperceptible, qui peut vivre pendant des siècles et couvrir des centaines de kilomètres : le mycélium. L’écologie, c’est le soin de notre triple mycélium : celui des réseaux de choses dont nous avons besoin pour vivre ; celui des réseaux d’humains pour aimer la vie ; celui des réseaux d’idées et d’affects pour penser la vie. Écologie environnementale, sociale et mentale : trois dépassements de l’extractivisme, trois soins du mycélium.