Voltaire traite des vampires dans une entrée de son Dictionnaire philosophique (1764)[1]. Il faut préciser que le Dictionnaire «est au pôle opposé de ce qu’il peut être au monde académique ou aussi seulement systématique. Voltaire écrivait que son génie le sollicitait à écrire, et si par hasard le résultat n’était pas une tragédie, n’était pas un épigramme, ni une lettre, ni une poésie, ni un pamphlet ouvert, ni une œuvre en plusieurs volumes, si en somme ce n’était qu’un bref extrait en prose, il le publiait parfois sous forme de pamphlet, ou carrément sur une feuille volante, mais le plus souvent, il l’insérait dans un carnet identique à tant d’autres sous l’indication générique de Mélanges (…). Quand par contre ces écrits étaient d’un certain genre, consciemment oratoire ou propagandiste, tout au moins à partir de 1752, il prenait soin de les insérer dans une série de colonnes» (Theodore Besterman, Voltaire, Milan, 1971, p. 383).

Les différentes et multiples versions du Dictionnaire ne nous permettent pas de dater avec précision tous les articles qui y sont recueillis et qui dataient souvent de plusieurs années (par exemple l’entrée «Théisme», incluse dans le Dictionnaire de 1764, a été écrite en réalité en 1742). Dans le cas de l’entrée «Vampires», la datation est beaucoup moins certaine, alors qu’il serait important de la connaître avec précision. Le débat sur la «peste vampirique» a été de grande actualité dans les années 1730 et 1735 conséquemment à la diffusion de cette infection controversée surtout en Europe centrale. En 1792, le Roi Louis XV, curieux de la grande clameur que connaissaient les chroniques vampiriques, chargea d’une enquête le Maréchal de France Louis François Armand de Vignerot du Plessis, troisième duc de Richelieu, qui avait été ambassadeur à Vienne de 1725 à 1729. Le duc était un ami et un admirateur de Voltaire et il est donc possible qu’il ait discuté avec lui de l’inquiétant phénomène, dont l’évaluation comprend des éléments culturels, religieux, médicaux, ainsi que des enquêtes officielles des autorités politiques et militaires. Il ne s’agissait donc pas d’un pur exercice intellectuel, comme de s’interroger sur la possibilité d’une vie intelligente sur d’autres planètes ou sur l’existence ou non des fées et créatures fantastiques. Dans le cas des vampires, comme dans celui des sorcières (et dans une moindre mesure des loups-garous), on avait affaire à de véritables émergences sociales, prouvées par d’innombrables rapports et chroniques minutieux et bien documentés.

Au-delà du problème de sa datation, le texte même de l’article révèle que Voltaire le compila alors que l’urgence était déjà passée depuis longtemps, et qu’il pouvait donc considérer les choses d’une manière détachée et même désabusée. «Ces vampires étaient des morts qui sortaient la nuit de leurs cimetières pour venir sucer le sang des vivants, soit à la gorge ou au ventre, après quoi ils allaient se remettre dans leurs fosses. Les vivants sucés maigrissaient, pâlissaient, tombaient en consomption ; et les morts suceurs prenaient des couleurs vermeilles, étaient tout à fait appétissants.»

Dans cette première, et déjà sarcastique, présentation du phénomène, Voltaire glisse une indication intéressante, puisque hasardeuse, quand il écrit que les victimes tombaient en consomption. «Consomption» était une définition clinique, d’ailleurs plutôt vague, qui se limitait à une constatation symptomatique. Sous cette étiquette, on indiquait un état de déchéance physique causé par un ulcère, une tuberculose, des empyèmes, des calculs rénaux, une atrophie nerveuse, des cachexies. Pouvaient également faire tomber en consomption le scorbut, la scrofule, les maladies vénériennes, la variole, la rougeole, l’asthme… En somme, une très vaste série d’infections de natures diverses. Ce rapprochement entre une infection culturelle (tel que Voltaire considère le vampirisme) et un syndrome très diffus, reste toutefois très intéressant. Les enquêtes statistiques du Docteur John Arbuthnot (1667-1735) rapportaient qu’à Londres un décès sur dix, au moins, était dû à une consomption. Le même Arbuthnot mourra lui-même de calculs rénaux et d’asthme (Arbuthnot était d’ailleurs une personnalité que l’on pourrait qualifier de voltairienne. En effet, étudiant en médecine et en mathématiques, il s’était distingué comme auteur satirique, esprit libre et philosophe, inspirateur des Voyages de Gulliver de Jonathan Swift et de divers travaux d’Alexander Pope).

Dans le texte de Voltaire, en tout cas, la référence clinique est, comme on l’a dit, hasardeuse. Voltaire paraît ainsi vouloir distinguer nettement l’enquête épidémiologique de l’évaluation culturelle, en soulignant que : «C’était en Pologne, en Hongrie, en Silésie, en Moravie, en Autriche, en Lorraine, que les morts faisaient cette bonne chère. On n’entendait point parler de vampires à Londres, ni même à Paris.»

Cette remarque, insinuant que, en fait de superstition, les capitales civilisées d’Europe seraient culturellement plus résistantes que l’Europe centrale, oublie, de manière plutôt désinvolte, que Vienne (épicentre de la «peste vampirique») ne pouvait évidemment pas être considérée comme une ville arriérée. Ce qui nous apparaît, a posteriori, particulièrement incongru, si l’on considère que le mythe moderne du vampire littéraire trouvera dans le siècle suivant ses patries électives à Londres et Paris…

Mais retournons à l’enquête de Voltaire, qui s’interroge ensuite sur l’origine de la légende, en la localisant en Grèce : «Ce n’est pas de la Grèce d’Alexandre, d’Aristote, d’Épicure, de Démosthène, mais de la Grèce chrétienne, malheureusement schismatique. Depuis longtemps les chrétiens du rite grec s’imaginaient que les corps des Chrétiens du rite latin, enterrés en Grèce, ne pourrissent point, parce qu’ils sont excommuniés. C’est précisément le contraire de nous autres chrétiens du rite latin. Nous croyons que les corps qui ne se corrompent point sont marqués de la béatitude éternelle».

Donc, selon Voltaire, alors que les orthodoxes (et les cultures qui en sont issues) considéraient comme impurs et démoniaques les corps des morts non encore corrompus, les catholiques les considéraient comme saints et bénits. Les deux conceptions sont, à son avis, superstitieuses, et c’est de leur opposition qu’émergerait le mythe du vampire. Plus loin, en rappelant les déterrements des corps de défunts et les profanations de cadavres avérés au cours de la «peste vampirique»,Voltaire observe : «Ils ressemblaient aux anciens martyrs».

L’enquête sur la signification du rituel s’arrête pourtant là. C’est comme si l’apport de l’élément religieux rendait en soi superflu tout approfondissement ultérieur. Que le mythe ait des racines antérieures au christianisme et une diffusion bien plus large que la Grèce et l’Europe centrale et orientale, cette hypothèse n’effleure même pas Voltaire. Il est évident que ses affirmations ne peuvent pas constituer la base d’une recherche en anthropologie culturelle. Le mythe vampirique est utilisé comme un pur prétexte pour exercer une ironie corrosive contre le christianisme (tout le christianisme). Le monde grec classique d’Aristote et de Platon est épargné. Le berceau du mythe vampirique, c’est la Grèce corrompue du christianisme, barbarisée par le schisme.

La polémique devient encore plus explicite et lapidaire dans le passage suivant : «Vous trouvez des histoires de vampires jusque dans les Lettres juives de ce d’Argens, que les jésuites auteurs du Journal de Trévoux, ont accusé de rien croire. Il faut voir comme ils triomphèrent du vampire de Hongrie ; comme ils remerciaient Dieu et la Vierge d’avoir enfin converti ce pauvre d’Argens, chambellan d’un roi qui ne croyait point aux vampires.» Ici, la passion polémique de Voltaire frôle la falsification. Il est indubitable qu’au sein de l’Église catholique se sont manifestées beaucoup d’inquiétudes face à la «peste vampirique», mais il ne faut pas oublier que le Pape Benoît XIV (1765-1758) avait mis en garde clercs et fidèles contre la croyance aux vampires. Le même Voltaire, quelques lignes plus haut, avait reconnu que les enquêtes sur le sujet de Dom Augustin Calmet (auteur en 1746 du très célèbre rapport sur les vampires) étaient restées suffisamment neutres et dans le sillon de la tradition, en rapportant fidèlement tout ce qui avait été dit avant lui. Le jugement de Voltaire sur la compilation de Calmet implique pourtant un reproche : non pas sur le manque de jugement critique de l’auteur, mais sur le fait pur et simple de s’être effectivement occupé de la question, en propageant ainsi la connaissance non seulement d’événements, déjà en eux-mêmes déconcertants, mais aussi des croyances superstitieuses qui les accompagnent. La conclusion de l’article (que nous examinerons plus loin) et les références éparses au mythe du vampire comme mode semblent indiquer que, pour Voltaire, des faits, des doutes et des superstitions qui les accompagnent, le mieux serait de ne pas en parler, car en parler contribue à la diffusion d’une infection idéologique pernicieuse. Il est donc préférable d’attendre que les alarmes cessent pour ensuite, avec recul, en considérer la vacuité. De cette façon on comprend pourquoi Voltaire traite avec compassion Jean-Baptiste Boyer d’Argens qui, en 1736, avait discuté des chroniques vampiriques dans la Lettre 137 de ses Lettres juives[2]. Le reproche, non pas voilé mais adouci par une bonne dose de paternalisme, semble, dans ce cas, doublement injuste. D’abord car d’Argens se proclamait admirateur et disciple de Voltaire, et également, en l’espèce, car d’Argens (contrairement à ce que pouvaient penser les jésuites) n’apparaît en rien «converti». Sa déclaration d’intention, s’occuper de la «peste vampirique», est, en effet, celle d’un auteur qui souhaite au contraire en dénoncer les apparences surnaturelles. D’Argens écrit : «Il y a deux moyens, pour détruire l’opinion de ces prétendus revenants, et montrer l’impossibilité des effets qu’on fait produire à des cadavres entièrement privés de sentiment. Le premier, c’est d’expliquer par des causes physiques tous les prodiges du vampirisme. Le second, c’est de nier totalement la vérité de ces histoires : et ce dernier parti est sans doute le plus certain et le plus sage.» En somme, d’Argens concède que, face à des témoignages simplement absurdes, le meilleur choix serait de les ignorer, mais toutefois, dans le respect aussi de la documentation officielle des autorités qui pourraient démontrer la véracité des faits : «Je supposerai pour un temps qu’il meurt réellement plusieurs personnes du mal qu’on appelle vampirisme.» D’Argens juge possible que, dans certaines conditions, des cadavres enterrés depuis longtemps puissent apparaître bien conservés : «L’expérience nous apprend qu’il est certains terrains, qui sont propres à conserver les corps dans toute leur fraîcheur.» D’Argens trouve encore peu surprenant que la peur du mal sollicite l’imagination en causant des cauchemars et en augmentant la terreur de façon si néfaste qu’elle puisse conduire effectivement à la mort. D’Argens appelle ce phénomène fanatisme épidémique, définition assez proche de celle, moderne, de l’hystérie collective. Cette condition de peur et d’autosuggestion devient particulièrement fatale dans le cas des personnes fragiles, psychologiquement et physiquement, qui se trouvent impliquées dans l’épidémie. «Le chevalier de Maison m’a assuré, lorsque j’étais à Paris, que se trouvant à Marseille pendant la contagion qui régna dans cette ville, il avait vu mourir de la peur qu’elle eut d’une maladie assez légère de sa servante, qu’elle croyait atteinte de la peste. La fille de cette femme fut aussi malade à la mort. Deux autres personnes, qui étaient dans la même maison, se mirent au lit, envoyèrent un médecin, et assuraient qu’elles avaient la peste. Le médecin arrivé visita d’abord la servante, et les autres malades ; et aucun d’eux n’avait la maladie épidémique (…) mais, tous ces soins furent inutiles auprès de la maîtresse de maison, qui mourut deux jours après de sa frayeur.» Plus complexe est l’explication offerte par d’Argens sur le fait que les présumés vampires déterrés révèleraient la présence de sang fluide dans leurs veines. Il a recours à ce sujet à une série d’hypothèses physiques, et en particulier à l’influence du soleil et de la chaleur dans la fermentation du gras et des fluides corporels qui donnerait lieu à une espèce de sang. L’hypothèse s’approche de la vérité : ce qui dans les cas de vampirisme était considéré comme du sang était, en effet, du sérum de décomposition.

Le dernier point de l’examen de d’Argens concerne la théorie manifestement insoutenable de vampires sortant de leurs tombes. «S’ils sortent, ils doivent être visibles. Or, l’on ne les voit point car, quand ceux qui s’en plaignent appellent au secours, on ne découvre rien. Il faut donc qu’ils ne sortent pas. Si les corps ne sortent pas, c’est donc l’âme. Or, l’âme, spirituelle, ou si l’on veut, composée de matière subtile, peut-elle ramasser et contenir comme dans un vase une liqueur telle que le sang, et le porter dans le corps ?» Que sont les vampires, corps physiques ou esprits ? S’ils sont corps, pourquoi ne peuvent-ils être vus que de leurs victimes ? Et s’ils sont esprits, comment peuvent-ils boire du sang ? Cette contradiction évidente et insoluble offre à Voltaire l’occasion d’un de ses brillants exercices satiriques : «La difficulté était de savoir si c’était l’âme ou le corps du mort qui mangeait. Il fut décidé que c’était l’un et l’autre. Les mets délicats et peu substantiels, comme les meringues, la crème fouettée, et les fruits fondants, étaient pour l’âme ; les roast-beefs étaient pour le corps.»

Tout n’est pas ridiculisé. Voltaire réserve, en effet, une grande place à la question, plus épineuse pour les théologiens catholiques, de savoir si les vampires étaient ou non associés à ceux qui avaient été ressuscités par miracle. «On prouva que Saint Martin avait, entre autres, ressuscité un damné. Mais toutes ces histoires, pour vraies qu’elles puissent être, n’avaient rien en commun avec les vampires qui allaient sucer le sang de leurs voisins, et venaient ensuite se placer dans leurs bières.» Et, plus loin : «On agite souvent la grande question si l’on peut absoudre un vampire qui est mort excommunié. Cela va plus au fait. Je ne suis pas assez profond dans la théologie pour dire mon avis sur cet article, mais je serais volontiers pour l’absolution, parce que dans toutes les affaires douteuses il faut toujours prendre le parti le plus doux : Odia restrigenda, favores compliandi».

Ici, l’ironie se fait plus subtile sous un apparent respect d’opinions appartenant à une sphère des plus étrangères tant à la philosophie qu’au bon sens. Le moindre mal, semble indiquer Voltaire, est d’éviter dans tous les cas de déchiqueter les cadavres en absolvant les présumés vampires. Dans le doute, il faut, en effet, choisir la solution la plus tolérante… Mais ces passages, qui semblent renoncer à une polémique radicale contre la théologie, ne comprennent pas de raisonnements cohérents. À l’aide d’un habile artifice rhétorique, Voltaire introduit de cinglantes accusations des moines et des prêtres, contre lesquels (ce sont des parasites) la métaphore vampirique est employée. On discute ainsi de l’usage ancien et persistant, dans certaines populations, des offrandes aux morts : «Les Rois de Prusse furent, dit-on, les premiers qui se firent servir à manger après leur mort. Presque tous les rois d’aujourd’hui les imitent ; mais ce sont les moines qui mangent leur dîner et leur souper, et qui boivent le vin. Ainsi les rois ne sont pas, à proprement parler, des vampires. Les vrais vampires sont les moines qui mangent aux dépens des rois et des peuples. Il est bien vrai que Saint Stanislas, qui avait acheté une terre considérable d’un gentilhomme polonais, et qui ne l’avait point payée, étant poursuivi devant le roi Boleslas par les héritiers, ressuscita le gentilhomme ; mais ce fut uniquement pour se donner quittance. Et il n’est point dit qu’il ait donné seulement un pot de vin au vendeur, lequel s’en retourna dans l’autre monde sans avoir bu ni mangé.»

En somme, alors que les théologiens discutent de hautes questions, l’Église (et jusqu’aux Saints) se contente du concret. La superstition est profitable. Des morts on fait un marché. C’est ça, le vrai vampirisme social. Déjà, au début de son article, Voltaire avait utilisé dans ce sens la métaphore vampirique, en notant qu’à Londres et à Paris (bien qu’à l’abri des alarmes vampiriques) : «Il y eut des agioteurs, des traitants, des gens d’affaires, qui sucèrent en plein jour le sang du peuple ; mais ils n’étaient point morts, quoique corrompus. Ces suceurs véritables ne demeuraient pas dans des cimetières, mais des palais fort agréables.»

La superstition trouve donc son utilité pour les classes dominantes, en substituant au problème social la question du surnaturel, utilisant ainsi la terreur et le ressentiment populaire envers les morts, quand les vrais vampires sont en fait des vivants qui les dominent en se nourrissant de leur sang. Repousser le mythe par la lumière de la Raison ramène donc à la réalité effective de l’injustice. Ces thèses anticipent celles sur l’aliénation et l’opium du peuple.

Les conclusions finales sont optimistes. Si, pour Marx, ce sera le développement des forces productives qui affranchira l’homme de l’exploitation et de la superstition, pour Voltaire, c’est le cours inexorable de la Raison… «Le résultat de ceci est qu’une grande partie de l’Europe a été infestée de vampires pendant cinq ou six ans, et qu’il n’y en a plus ; que nous avons eu des convulsionnaires en France pendant plus de vingt ans, et qu’il n’y en a plus ; que nous avons eu des possédés pendant dix-sept cents ans, et qu’il n’y en a plus ; qu’on a toujours ressuscité des morts depuis Hippolyte, et qu’on n’en ressuscite plus ; que nous avons eu des jésuites en Espagne, en Portugal, en France et dans les Deux-Siciles, et que nous n’en n’avons plus.» Cet optimisme occulte une question d’importance : pourquoi, sous des formes diverses, la superstition renaît-elle indéfiniment au cours de l’Histoire ? Pourquoi la Raison, de fait, ne réussit-elle pas à immuniser définitivement les peuples contre l’émergence de nouvelles superstitions ? Pourquoi serait-ce du temps perdu que de suivre les conseils du marquis d’Argens pour un examen rationnel des phénomènes physiques et psychiques qui caractérisent le vampirisme ?

Dans son caractère de pamphlet, l’article de Voltaire met en évidence un glissement dans la philosophie des Lumières : d’une raison entendue comme instrument technique et scientifique à une raison de nature idéologique. Une raison, en ce cas, négatrice a priori de la nécessité d’une enquête critique, cognitive et expérimentale. Alors que la raison critique enquête sur les faits à la recherche de ses vraies causes matérielles, ainsi que sur les traditions, par l’examen attentif de leur contenu symbolique, la raison idéologique se déplace par rapport à l’ensemble complexe des traditions culturelles et religieuses comme au cœur d’une nuit hégélienne dans laquelle toutes les vaches sont grises, et présume ainsi que son travail consiste à occulter et/ou reléguer dans les marges jusqu’aux faits eux-mêmes. Dans le cas présent, l’urgence épidémique livrée à l’histoire de l’Europe sous le nom de «peste vampirique», est simplement raillée, et reste ainsi largement inexplorée dans sa matérialité, dans ses caractéristiques cliniques, culturelles et symboliques. Voltaire considérait, évidemment, que les lourds tomes de l’Encyclopédie de Diderot et d’Alembert ne pouvaient faire la révolution… alors que des instruments de plus simple diffusion, comme de brefs et vifs écrits polémiques, s’y prêtaient beaucoup mieux. Néanmoins, la «propagande», comme l’histoire l’a démontré, n’est pas, non plus, l’instrument le plus efficace pour la diffusion de la critique et d’une approche scientifique des problèmes. Dans ce court mais très exemplaire article sur les vampires, se mesurent ainsi et la grandeur et les limites de l’idée voltairienne de la Raison.

Traduit de l’italien par Sophie Fanucchi

Notes

[ 1] François-Marie Arouet Voltaire,. «Vampires», in Œuvres complètes de Voltaire, Gotha, Chez Charles-Guillaume Ettinger, 1784, vol. 43, p. 386-392.Retour

[ 2] Jean-Baptiste Boyer d’Argens, Lettres juives ou Correspondance philosophique, historique et critique entre un juif voyageur et ses correspondances en divers endroits, La Haye, P. Papupie, 1738, p. 150-157.Retour