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Au-delà du retour à zéro

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interview de Félix Guattari par Toni NegriFélix Guattari a publié récemment Cartographies schizoanalytiques, Galilée, 1989. Ce livre réunit différents matériaux théoriques et psychanalytiques ; Félix y élargit ses recherches antérieures à la fois par fragments et dans un ensemble très innovateur. Les questions de l’interview qui suit ne visent pas les aspects psychanalytiques de cet ouvrage. Elles portent plutôt sur les avancées qu’il permet sur le terrain plus traditionnel de la philosophie. Et c’est sur ce dernier terrain qu’il a été demandé à Félix Guattari de répondre.

Je voudrais commencer par une question que j’ai aussi posée récemment à Gilles Deleuze à propos de Mille Plateaux. Dans ce livre, un des grands essais philosophiques du siècle, j’ai cru percevoir une note tragique. Les couples conflictuels qui sont dessinés là (procès/projet, singularité/sujet, composition/organisation, ligne de fuite/dispositif et stratégie, micro/ macro, etc…), tout ce qui en somme constitue un système ouvert, est par ailleurs, non pas refermé, mais contenu comme dans une tension insoluble et un effort sans fin. C’est en cela que me paraît consister l’élément tragique.

Joie, tragédie, comédie, les processus que j’aime qualifier de machiniques tressent un avenir sans garantie – c’est le moins qu’on puisse dire ! A la fois on est « faits comme des rats » et promis aux aventures les plus insolites, les plus exaltantes. Impossible de se prendre au sérieux mais impossible aussi de ne pas « s’accrocher ». Je ne vois pas tellement cette logique de l’ambiguïté comme une « tension insoluble », mais comme le jeu multivoque, polyphonique, de choix parallèles, quelquefois antagonistes, qui ne vous laisse d’autre recours que celui de la mauvaise foi, la bifurcation toutes affaires cessantes. Comment « faire avec » ces constellations intenables d’univers de référence. L’oubli peut être d’un grand secours mais il n’est pas à la portée de tous !

Dans Cartographies schizoanalytiques, tu fais un pas supplémentaire dans l’articulation de topologies, de dynamiques et de procès de subjectivation. La phénoménologie y est développée à travers l’analyse des agencements généalogiques. Et tu es de plus en plus intéressé par les équipements collectifs de subjectivation. Or à analyser ceux-ci comme formes en faisant abstraction de leur insertion dans un système de pouvoir et de reproduction sociale, en donnant droit à la posture esthétique, n’as-tu pas l’impression de risquer le vice de formalisme des postmodernes, qui d’une manière paradoxale vident le mouvement, et considèrent comme épuisée l’histoire supposée inépuisable ? Ne joues-tu pas trop avec l’idée de « l’éternel retour » ?

Da capo. Musique parallèle pour des paroles peu différentes. L’histoire n’est pas linéaire mais dischronique ; les reterritorialisations anachroniques y côtoient les virtualités futuristes ; l’événement s’arrache à l’hétérogenèse de composantes foncièrement discordantes. Ce que tu appelles mes topologies n’a pas uniquement pour fin de rendre compte des équipements collectifs de subjectivation. Ou, plus exactement, il faut entendre collectif dans le sens de multiplicité intensive. C’est dire que l’art, la production pré-personnelle – par exemple, la somatisation hystérique – procède d’agencements collectifs non humains. Les rapports de forces du niveau molaire conservent évidemment leur droit, mais leurs statuts sont relativisés par la promotion de foyers d’énonciation, d’incorporels et l’incarnation de territoires existentiels selon une logique pathique qui échappe à la logique des ensembles discursifs. Je préconise ainsi une analyse des agencements collectifs d’énonciation qui échappe à la forme pour relever de machines abstraites autopoïetiques. La forme est toujours déclinée selon une procédure linéaire qui pose ses coordonnées de temps intrinsèque d’espace et d’énergie comme état extérieur. La machine abstraite affirme ses ordonnées ontologiques comme répétition auto-affirmative. Pour elle, la linéarité ne peut venir qu’après. Elle est substance d’expression, énonciateur partiel, qui ne déploie que par ailleurs une matière objective et une subjectale formelle. La «posture esthétique» réside dans le fait que la pluralité ontologique «mise en cause» ne relève pas d’un Etre avec E majuscule mais d’une «matière à option» aux incessantes mutations. Dans leurs affirmations processuelles, les agencements d’énonciation sont producteurs de composantes ontologiques irréductiblement hétérogènes et singularisantes.

Toujours dans les Cartographies schizoanalytiques, mais désormais dans tous les écrits, tu utilises pour caractériser la période historique actuelle l’expression «âge informatique planétaire ». Cette catégorie fait écho aux discours foucaldien et deleuzien sur l’âge de la communication et les spécifie. L’acceptation de cette catégorie en philosophie a des effets méthodologiques fondamentaux : elle te permet de résoudre la généalogie dans l’épistémologie et vice versa, et de construire d’un point de vue historique les agencements d’énonciation. Cependant cette réduction ne peut-elle avoir aussi des effets pervers dans le cas d’une épistémologie de référence informatique? N’y a-t-il pas risque d’aplatissement de la détermination ou de l’agencement généalogique dans l’univers des relations transversales, linéaires et indifférentes caractéristiques de cette épistémologie? Comment rompre l’indifférence de l’horizon informatique ?

La subjectivité capitalistique implique une binarisation et une déqualification systémique de tous les « messages ». Elle couronne le règne d’un équivaloir généralisé qui a, par ailleurs, déployé ses coordonnées dans les domaines de l’Espace, du Temps, de l’Energie, du Capital, du Signifiant, de l’Etre… Il s’agit à la fois d’un horizon historique, dont le surgissement est daté, et d’un vertige axiologique qui remonte à la nuit des temps. Partout, toujours il y a eu menace d’abolition par l’intérieur de la complexité qualifiée. Le chaos habite le complexe ; le complexe habite le chaos. Ce qui implique que ce dernier soit composé d’entités animées à vitesse absolue – quitte à ce que la science « ralentisse » ces vitesses avec des constantes telles que c, h (constante de Planck), l’instant zéro du big bang, le zéro absolu etc… Ce qui légitime une perspective de « révolution moléculaire » c’est que cette entropie capitalistique de la subjectivité s’instaure à toutes les échelles et renaît constamment de ses cendres. Une périodisation comme celle qui enchaîne le passage des sociétés de souveraineté aux sociétés disciplinaires pour aboutir aux sociétés de contrôle est à la fois généalogique et ontogénétique. Tous ces régimes de territorialisation du pouvoir, du savoir et de la subjectivité se décomposent et se recomposent dans la subjectivité contemporaine. Ce qui fait, par exemple, qu’on ne peut pas parler aujourd’hui, avec la montée des intégrismes et des racismes de « régression archaïque » mais plutôt de progressisme fasciste ou, à la rigueur, de néo-archaïsme étant entendu qu’ils réinventent de toutes pièces des formes d’intelligence et de sensibilité du monde contemporain. Recommencer l’histoire par le début ou la tendre vers des finalités progressistes ce n’est vraiment plus le problème ! Il s’agit plutôt de recomposer, sur d’autres bases, les agencements de subjectivation et, à cette occasion, de recréer d’une façon pathique les diverses figures de la subjectivation historique, dont la subjectivité capitalistique est la plus vertigineuse par son vide, sa banalité, sa vulgarité, son état des choses à ras des marguerites.

Comment on reconnaît aujourd’hui et comment on stabilise un processus de subjectivation ? Comment on reconnaît le niveau ontologique (composition, code, bloc, agencement, équipement) sur lequel ce processus est constitué? Je sais que tu n’aimes pas le mot ontologie, mais je voudrais que tu l’utilises dans l’acception de Spinoza comme détermination des singuralités à l’intérieur du procès constitutif des passions. Je voudrais que tu précises concrètement le sens et les oppositions de constitutions subjectives, que tu les appelles ontologiques ou non. Comment les procès de subjectivation peuvent-ils construire un nouvel horizon du réel, une nouvelle figure de la « Lebenswelt », dans laquelle il soit possible de s’orienter et lutter ? Quel est le point sur lequel dénotation et signification vont au-delà du cercle magique ou bien de l’autonomie du récit asignifiant?

J’aime bien le mot ontologie. Si je m’en méfie c’est que j’ai tendance à le mettre à toutes les sauces. Il y a pour moi, si tu veux, des foyers de production ontologique, des sites d’affirmation autopoïétique, des répétitions, des insistances, des intensités avec tout leur cortège de références incorporelles et d’heccéité. Tout ça participe d’une vision un peu animiste qui ne me pose pas vraiment de problème. Où les choses se compliquent, c’est lorsqu’il s’agit de penser une praxis. Comment, à partir d’agencements de sémiotisation, mettre à l’être de nouvelles constellations intensitaires ? D’où cette fascination sur la fonction des ritournelles, des traits de visagéité qui indiquent ce que peuvent être des foyers de subjectivation partielle. Mais aussi cette difficulté aporétique autour des ritournelles problématiques, déterritorialisées – bien loin des chants d’oiseau – qui oeuvrent, elles aussi à titre de fonction existentielle. Dans mon idée, les ritournelles les plus simples, celles par exemple de la névrose obsessionnelle, sont toujours des ritournelles complexes. La répétition simple est support de la complexité. Mais il faut alors faire dériver les références discursives vers une appréhension pathique non discursive. La Primité n’est pas simple. La qualité la plus simplement donnée est hyper-complexité. Toute une poisse, qui fait que nous collent à la peau les significations et dénotations d’usage, nous interdit le plus souvent l’accès aux arêtes vives de ces fonctions existentielles de reprise pragmatique que tu peux bien qualifier d’ontologiques.

Nous vivons dans un monde dans lequel la pluralité des procès de subjectivation se constitue avec une pluralité d’équipements collectifs, ainsi que de marchés et d’institutions. Ce processus est très riche et impossible à résumer dans les vieilles catégories de la démocratie ou du socialisme. Sans ironiser davantage sur les vieilles catégories du capitalisme libéral. Mais ce processus est aussi traversé par des dynamiques de globalisation et de subordination qui relativisent et surcodent l’intensité des procès de subjectivation. Parfois, j’ai l’impression que le processus moléculaire une fois devenu hégémonique a été consommé et digéré par une puissance molaire qui ne reconnaît plus son opposé comme existant. Dans ce contexte les échappées métaphysiques et politiques ne sont pas intéressantes (on n’en connaît que trop du nouveau mysticisme à l’idéologie verte). Comment dans la multitude moléculaire peut se reconstruire une opposition molaire ?

Relayée comme elle l’est par les mass-médias, les sondages, la publicité, les conseils en communication, la démocratie politique devient non seulement de plus en plus formelle, de plus en plus coupée des réalités, mais aussi de plus en plus délirante. Ce qui ne signifie pas qu’elle perde toute prise sur la subjectivité capitalistique. Les leaders politiques rivalisent avec les présentateurs de la télé pour pénétrer toujours plus avant dans la pseudo-intimité des foyers. C’est le règne du Bébête Show relayé par le Psycho-show. Ce qui est vertigineux, à travers tout ça, c’est la capacité de ce type de production de subjectivité de capturer toute immnence processuelle, toute mutation moléculaire. Existe-t-il cependant une épreuve de vérité qui soit discriminante à l’égard du leurre, de la grimace, du simulacre puisque ceux-ci peuvent aussi devenir le siège d’une authentique territorialisation existentielle ? Voir par exemple la gestuelle stéréotypée du star system de la culture rock, dont les traits sont néanmoins objets de réappropriation par des enfants et des adolescents à des moments cruciaux de leur existence. Mais l’épreuve de vérité ne trompe pas ; elle est d’ordre pathique ; c’est elle qui entraîne une sorte d’adhésion existentielle qui crée l’événement.
Il n’est que trop vrai que tous ces foyers de résistance moléculaire contre la sérialité de la subjectivité capitalistique ne s’incarnent, le plus souvent, que dans des retours à la transcendance, au mysticisme, au culte du « naturel ». Ça me dérange moins que toi. Je me dis que Dieu y retrouvera les siens ! Il y a quelque chose de tellement artificiel dans ces néo-archaïsmes. Ils n’engagent jamais qu’une strate parmi d’autres des formations de subjectivité. On sait bien que les intégristes boivent la coupe et regardent des films pornos en cachette. Ce qui n’excuse rien ! Bref, le micro-fascisme est toujours renaissant mais pas forcément le macro-fascisme.
L’opposition molaire passe encore et toujours par la constitution de machines de guerre sociale. Simplement, il serait temps de penser à autre chose que les machines léninistes en la matière. Des machines molaires dans le Tiers Monde, on vient d’en voir naître de fameuses avec l’intégrisme iranien puis le nationalisme irakien. Il y a eu pendant huit ans guerre des modèles, sélection artificielle puis mise à l’épreuve! Dans la mesure où le surcodage des relations internationales par l’antagonisme Est-Ouest s’est affaissé, on peut s’attendre à voir naître et proliférer toute une série de machines molaires. Il n’y a pas que des exemples catastrophiques : le P.T. au Brésil autorise des espoirs mesurés… mais tu penses bien que je n’ai pas de programme, pas de modèle de référence ! Tout ce que je peux dire, c’est qu’il me semble légitime, inévitable, que les révolutions moléculaires soient « doublées » par des machines à grande échelle oeuvrant au sein des rapports de force sociaux qui, loin de s’effacer, iront en se durcissant, quoiqu’en se différenciant.

Tu soutiens le droit fondamental à la singularité. Tu l’illustres comme un recentrement des finalités de la division du travail et des pratiques sociales émancipatrices, comme exercice d’une éthique de la finitude. Comment à partir de là un procès de singularisation peut-il devenir antagoniste ? Ou encore comment la résistance des singularités opprimées peut-elle devenir efficace ? Existe-t-il encore un intolérable ? Ou est-il lui-même résorbé dans le mécanisme de la pluralité croissante des marchés ? Existe-t-il la possibilité de construire une idée philosophique du communisme et de la lier au procès de subjectivation ? Est-il encore possible de faire tout cela sans tomber dans les pièges du positivisme, du dogmatisme ou de l’utopie ?

J’ai l’impression que tu traînes des pieds pour me faire parler. Tu sais aussi bien que moi qu’un procès de singularisation est une pure affirmation qui ignore l’antagonisme, l’oppression ou même tout simplement l’interaction. Il s’agit justement là de sortir une bonne fois des métaphores dynamiques et énergétiques. Un communisme de l’immanence ramènera constamment le curseur sur des praxis éthico-politiques supportant leurs propres univers de référence. Exit les paradigmes scientistes qui ont hanté le marxisme, le freudisme, le structuralisme etc… Toute une pensée de la transcendance, toute une sentimentalité de l’éternité ont transformé le progressivisme en une immense phobie, un évitement systématique de la finitude, de l’inanité ultime de l’existence magnifiquement illustrée par Samuel Beckett. Au lieu d’en faire une maladie, en faire une raison pragmatique. Il y a là un saut esthétique qui exproprierait le saut religieux de Kierkegaard. Pourquoi changer, pourquoi la révolution plutôt que rien? Parce que ça a meilleure gueule ! Mais, au fond, pour rien, pour un plaisir immatériel, une palpitation imperceptible à la surface des choses.

Je connais ta passion pour l’événement et ton plaisir pour la vie. Mais quand tu philosophes tu sembles vouloir te détacher de cela. Comment gères-tu la schizophrénie structure-événement ? N’as-tu pas tendance à anticiper toujours la structure sous-jacente à l’événement au risque de ne pas le laisser parler? Cette question se retrouve-t-elle dans ton travail avec Deleuze Quelle est ta théorie de l’événement? Comment imaginer aujourd’hui non le processus. mais l’événement révolutionnaire, non les conditions de la révolution mais le pouvoir constituant?

L’événement est un don (le Dieu. On a toujours l’impression qu’il ne se passe rien, qu’il ne se passera plus rien. Puis surgissent les «événements du Golfe ». Même là j’ai pensé, qu’au fond, il ne se passerait rien. La machine mass-médiatique planétaire lamine toutes les aspérités, toutes les singularités. On ne rencontre plus de zones de mystère. La question maintenant est de faire de l’événement avec ce qui se présente. Pas comme les journalistes qui sont tenus, quoi qu’il arrive, de faire leur « une ». Mais de façon plus poétique. Il est donc bien question ici d’un pouvoir constituant, d’une production ontologique sui generis. Faire avec la sérialité. Ne serait-ce qu’en rêvant aux militaires américains en train de cuire dans leurs chars, au désarroi des otages, à la jubilation des jeunes Arabes, au délire systématique de Saddam… Ces scènes, sans limites précises, pour qu’il se passe enfin quelque chose !
Quant à la question que tu poses, relative à la structure, j’aimerais la décentrer. Je ne prétends jamais décrire un état de fait, un état de l’histoire ou de la subjectivité. Je cherche seulement à préciser les conditions de possibilité des divers modes de description possibles. Pour appréhender ou pour contourner les problématiques de l’énonciation collective, tout système de modélisation- qu’il soit théorique, théologique, esthétique, délirant… – est amené à positionner ce que j’appelle des facteurs ontologiques. (les Flux, les Phylums machiniques, les Territoires existentiels, les Univers incorporels). Ainsi se trouve conjurée ou assumée partiellement la question pour moi essentielle, du pluralisme ontologique. Il y a choix de constellations singulières d’Univers de références, incarnées dans des Territoires existentiels., eux-mêmes marqués par une précarité, une finitude qui font basculer l’Etre dans une irréversibilité créationniste. Dans ces conditions, une ontologie ne peut être que cartographique, métamodélisation de figures transitoires des conjonctions intensitaires. L’événement réside dans cette conjonction d’une cartographie énonciatrice et cette prise d’être précaire, qualitative, intensive. Ce rapport de fondation réciproque entre l’exprimant et l’exprimé, le donnant et le donné, trouve son expression exacerbée dans la création esthétique précisément considérée comme pouvoir constituant ontologique.
Disons qu’il y a trois temps : celui de l’état initial, celui du retour à zéro, celui de la reprise de processualité. Le second temps n’est pas dialectique. On n’en n’a jamais fini avec la finitude, avec le non-sens. Et cependant, c’est un temps riche, une recharge de complexité par un bain chaotique. Toujours le temps zéro réserve des surprises ; à partir de points de singularité laisser repartir des lignes de possible. Le troisième temps serait celui des imaginaires, c’est-à-dire de la reprise des ambiguïtés. Comment définir un communisme, ou tout simplement un amour réussi, en échappant tout à fait aux illusions d’un désir d’éternité. La puissance de vivre, la joie spinoziste n’échappe à la transcendance, à la loi mortifère que par son caractère de modalité fragmentaire, polyphonique, multi-référentielle. Dès qu’une norme prétend unifier la pluralité des composantes éthiques, la processualité créative s’estompe. La seule vérité ultime est celle du chaos comme réserve absolue de complexité. Ce qui a fait la force et la pureté des premières moutures de socialisme et d’anarchisme c’est précisément d’avoir tenu ensemble, au moins partiellement, un imaginaire communiste ou libertaire et un sens aigu de la précarité des projets individuels et collectifs qui les supportaient. Depuis, la finitude s’est bien affadie, la subjectivité massmédiatisée et collectivisée s’est infantilisée. La finitude du second temps de « prise de terre » n’est pas donnée une fois pour toutes. Sans cesse, elle doit être reconquise, recréée dans ses ritournelles et dans sa texture ontologique. La reconstruction du communisme passe aujourd’hui par un élargissement considérable des modes de production de subjectivité. D’où la thématique d’une jonction entre l’écologie environnementale, l’écologie sociale et l’écologie mentale par une écosophie.