Quand l’allocation universelle devient en Belgique, le thème unique de la campagne électorale d’un parti politique. Lors des élections générales du 13 juin 1999 VIVANT, petit parti inconnu jusqu’alors, réunissait sur son programme les suffrages d’environ 2 % de l’électorat. Fondé en 1997 par l’homme d’affaires et membre du Basic Income European Network (BIEN) Roland Duchâtelet, VIVANT participait pourtant pour la première fois au jeu électoral. À travers une vaste campagne financée sur la fortune de Duchâtelet, ce parti sans élu a réussi à attirer l’attention sur le point focal de ses propositions : « libérez-vous en vous donnant un revenu de base » : avec VIVANT, l’allocation universelle a fait une entrée remarquée et controversée dans le débat public du plat pays
Au lendemain des élections générales du 13 juin 1999, la presse belge était unanime : VIVANT, petit parti inconnu jusqu’alors, obtenait un résultat plus qu’honorable en réunissant sur son programme les suffrages d’environ 2% de l’électorat, soit un peu plus de 130.000 voix. Fondé en 1997 par l’homme d’affaires et membre du Basic Income European Network (BIEN) Roland Duchâtelet, VIVANT participait pourtant pour la première fois au jeu électoral. À travers une vaste campagne entièrement financée sur la fortune personnelle de Duchâtelet, ce parti sans élu avait réussi à attirer l’attention sur le point focal de ses propositions : « libérez-vous en vous donnant un revenu de base », « choisissez votre liberté avec le revenu de base », « tu recevras un revenu de base dès tes 18 ans », « Maman, on va te donner un revenu » : avec VIVANT, l’allocation universelle faisait une entrée remarquée et controversée dans le débat public du plat pays.
Une idée qui vient de loin
Depuis le milieu des années 80, l’idée avait surtout été portée par les deux partis écologistes[[AGALEV (flamand) : actuellement 7% des voix (Chambre des Représentants) ; ECOLO (francophone) : 7,4% (Chambre des Représentants).. Bien qu’ECOLO ait adopté en 1985 la perspective d’une allocation universelle inconditionnelle et supérieure au seuil de pauvreté, le programme économique du parti publié en 1999 présentait simplement l’allocation universelle comme « l’un des points de référence en ce qui concerne la politique en matière de redistribution des revenus »[[ECOLO (1999), Changer d’économie. Le programme économique d’ECOLO, Bruxelles : Luc Pire, 1999, p. 7.. Chez les Verts flamands, la proposition a toujours été plus visiblement défendue comme réforme de court terme. En février 2001, AGALEV réaffirmait que « le meilleur système de protection sociale doit nécessairement inclure l’allocation universelle »[[Agalev (2001), « Een groene visie op basisinkomen », [http://www.agalev.be->http://www.agalev.be, février 2001., explicitant les étapes à franchir pour y arriver. Pour le reste, avant l’apparition de VIVANT, l’allocation universelle avait surtout été discutée dans les cercles académiques et intellectuels. Dans la partie francophone du pays, le débat fut lancé en 1985 par le « collectif Charles Fourier », basé à l’Université catholique de Louvain, comprenant notamment le philosophe Philippe Van Parijs et l’économiste Philippe Defeyt[[Voir notamment son ouvrage récent : Le droit d’être actif. Pour une écologie du temps (avec Bouchat, T-M, Gerpinnes : Quorum, 1999). (aujourd’hui secrétaire fédéral d’ECOLO). Une version similaire est défendue depuis plusieurs années par le philosophe Jean-Marc Ferry, d’origine française mais enseignant à l’Université libre de Bruxelles[[Voir Ferry, Jean-Marc (1995), L’Allocation universelle. Pour un revenu de citoyenneté, Paris, Cerf.. En Flandre, le débat a été alimenté par les revues progressistes Komma et Vlaams Marxistisch Tijdschrift[[Voir respectivement « Naar een scheiding van arbeid en inkomen ? », Komma, n°22, avril 1985, et Vlaams Marxistisch Tijdschrift, vol. 28, n°1, mars 1994., ainsi que par les universitaires Walter Van Trier et Jacques Vilrockx.[[Pour d’autres informations concernant le débat belge, consulter [http://www.basicincome.org->http://www.basicincome.org ; voir aussi le site internet de VIVANT : [http://www.vivant.org->http://www.vivant.org .
Historique et composition du mouvement
Depuis le début des années 90, Roland Duchâtelet, à la tête d’une prospère entreprise de micro-électronique, a accumulé l’une des plus grosses fortunes de Belgique. En 1994, il publie un petit ouvrage[[Duchâtelet, Roland (1994), N.V. België. Verslag aan de aandeelhouders [SA Belgique. Rapport aux actionnaires. Groot-Bijgaarden : Globe. dans lequel il propose un modèle socio-économique alternatif reposant sur l’introduction d’un revenu de base supérieur au seuil de pauvreté. Fort de ses analyses, il prend contact avec diverses organisations politiques et leur présente ses propositions de réforme. Partout, c’est un refus poli. Il ne voit alors qu’une issue : fonder son propre parti. Au printemps 1997, il lance VIVANT, auto-proclamé « Oxygène de la politique ». La campagne publicitaire ne tarde pas à porter ses fruits, et rapidement Duchâtelet est invité par la presse à expliquer son projet. Parfois comparé au milliardaire américain Ross Perott, il déclare ne pas être lui-même candidat au pouvoir et n’avoir d’autre ambition que de nourrir le débat sur l’avenir du modèle social européen. Il investit en deux ans 2 millions et demi d’euros dans la structuration et la promotion de son nouveau produit. Il prend tous les frais à sa charge, ce qui lui permet de rendre l’affiliation au parti entièrement gratuite et d’engranger rapidement des inscriptions. En septembre 1998, VIVANT revendique 2000 adhérents, puis 5000 à la veille du 13 juin 1999, soit autant qu’ECOLO. L’affiliation étant gratuite, on peut a priori penser que ces chiffres ne signifient pas grand chose quant à une adhésion effective à la philosophie du mouvement. Néanmoins, lors du congrès électoral du 8 mai 1999, ce sont environ 700 membres et sympathisants qui se déplacent pour entendre parler du « revenu de base sous toutes ses facettes ».
On dispose de peu d’informations sur la composition exacte du public attiré par VIVANT. Lors des congrès et des réunions locales, il semble que le parti ait surtout attiré un public plutôt âgé. Un observateur note qu’au congrès de novembre 1998 la plupart des participants ont entre 35 et 60 ans[[« Vivant houdt eerste congres », De Morgen, 30 novembre 1998.. Diagnostic confirmé après les élections par Roland Duchâtelet, qui déplorera vivement l’échec du parti auprès des plus jeunes. Échec à relativiser, puisque tous les partis politiques belges sont, plus ou moins fortement, confrontés à la difficulté de mobiliser les moins de trente ans.
Sur le plan socio-professionnel, la composition du public de VIVANT paraît plus caractéristique : petits indépendants, professions libérales, cadres, retraités, personnel Horeca, mères au foyer et, plus marginalement, chômeurs. D’après Duchâtelet, c’est « l’expérience négative de la vie » qui rassemble ces diverses catégories : certains ont connu des déboires avec les organismes de sécurité sociale, d’autres ont dû renoncer à engager du personnel à cause de la pression fiscale, d’autres encore ont fait faillite pour la même raison. De fait on parlera parfois, dans la presse, d’un parti de « mécontents », uniquement constitué de voix « protestataires ». Si ce jugement doit être nuancé, il correspond bien à une certaine réalité du mouvement. Mais tout nouveau venu sur la scène politique semble destiné, dans une certaine mesure, à accueillir ceux qui ne sont satisfaits par aucune autre formation.
Un programme ambitieux
Au début de 1998, les grandes villes belges ont vu fleurir d’énormes affiches publicitaires reprenant le logo de VIVANT. Dès l’origine, cette opération de séduction a eu pour objectif de soutenir la diffusion, notamment médiatique, d’un programme plus sérieux qui se voulait complet, étayé et documenté. A chaque slogan correspondait une proposition concrète de réforme, exposée de manière pédagogique dans divers documents, tracts et prospectus.
Le programme de VIVANT[[Pour un aperçu plus complet de ce programme, voir notamment la revue Le Vivant, n°5, octobre/novembre/décembre 1998., très fortement inspiré des propositions antérieures de Duchâtelet, était articulé autour de trois revendications principales :
(1) Introduction d’un revenu de base pour tousArguant du fait que nos sociétés sont aujourd’hui suffisamment riches et développées pour fournir à tous une base matérielle conséquente, VIVANT proclamait possible l’instauration d’un véritable revenu minimum inconditionnel, octroyé à tout citoyen, de la naissance à la mort. Payé sur une base mensuelle, ce « revenu de base » aurait été indépendant de la situation de travail, du statut marital, et de tout autre type de ressources. Les montants proposés, modulés en fonction de l’âge, étaient les suivants :
– enfants < 18 : 125 euros (comparé à un niveau moyen des allocations familiales de 90 euros)[[Source : Jacobs, Didier (1997), « Transferts de solidarité en Belgique: ordres de grandeur », La Revue Nouvelle, n°5-6 (vol. CV), pp.170-172.
– de 18 à 24 : 375 euros
– de 25 à 64 : 500 euros
– à partir de 65 ans : 750 euros (comparé à un niveau moyen de la pension publique de 795 euros).
Il s’agit donc bien d’une allocation universelle d’un niveau élevé. VIVANT, reprenant une argumentation familière aux spécialistes de la question, expliquait clairement les effets positifs à attendre de son revenu de base : rationalisation et simplification du système de protection sociale, lutte plus efficace contre la pauvreté et l’exclusion, fin des contrôles stigmatisants pour les allocataires, accroissement de la liberté individuelle. VIVANT présentait également le revenu de base comme un moyen efficace de suppression des « pièges financiers » : l’individu disposant d’un socle inconditionnel acceptera plus facilement un emploi, même faiblement rémunéré.
(2) Suppression de l’impôt sur le revenu et des charges sociales
Une deuxième proposition visait à réduire de façon drastique le coût du travail en supprimant :
– les cotisations sociales pour les salariés et les employeurs ;
– l’impôt sur les revenus inférieurs à 1250 euros nets par mois. Pour les revenus supérieurs, taxation forfaitaire de 50% pour la seule partie qui dépasse les 1250 euros.
Les effets positifs attendus d’une telle mesure étaient fortement soulignés : augmentation possible des salaires nets, disparition du travail au noir, ralentissement des délocalisations…
Sur ce dernier point, la complémentarité de (1) et (2) était mise en avant : si (2) réduisait très visiblement le coût du travail, (1) contribuait aussi à cette diminution. En effet, le revenu de base devait fonctionner comme subside à l’emploi peu qualifié. Inclus dans le salaire net, il permettait à l’employeur d’engager une main d’œuvre bon marché, tout en garantissant un niveau de rémunération satisfaisant à ces mêmes travailleurs.
(3) Augmentation compensatoire de la TVA
Enfin, afin de compenser la perte de ressources pour l’État, VIVANT préconisait une augmentation très substantielle de la Taxe sur la Valeur Ajoutée (TVA). La mesure 2 étant appliquée, cette augmentation devait être calculée de manière à maintenir les prix constants. Autrement dit, «le coût du travail allégé et l’impôt de consommation revu à la hausse se compensent, et les prix de vente restent les mêmes ». Par ailleurs, VIVANT proposait d’introduire une TVA « sociale », réputée plus juste parce que modulée en fonction du type de produit taxé (plus élevée pour les produits de luxe et les produits polluants, moins pour les productions intensives en main d’œuvre). Le programme prévoyait également que cette dernière mesure devait être mise en place au niveau européen.
Perception des observateurs et du monde politique
Alors que les journaux flamands, dès la naissance du parti, s’attachent à exposer et discuter son programme électoral, les journaux francophones ont généralement tendance à ne lui accorder qu’un crédit très limité.
Pour le politologue Pascal Delwit (Université libre de Bruxelles), la vision proposée par VIVANT est « absurde » et son projet de revenu de base « ultralibéral »[[« Le paysage politique s’enrichit d’une vieille utopie », Le Soir, 15 juin 1998.. Dans le même sens, le jeune quotidien progressiste Le Matin qualifie la revendication « revenu de base » de message « simpliste » et les projets des candidats VIVANT de « catalogue disparate, hirsute, protestataire »[[Voir respectivement « Vivant versus Vlaams Blok », Le Matin, 2 juin 1999 et « Vivant, objet politique non identifié », Le Matin, 16 avril 1999.. La Libre Belgique, journal centriste, commence par considérer le nouveau parti comme un « pur produit de marketing », un « miroir aux alouettes »[[« Vivant, miroir aux alouettes », La Libre Belgique, février 1998., avant d’adopter une position plus nuancée à l’approche des élections. Globalement, la tendance est bien à la dénonciation d’un discours perçu comme démagogique et populiste, qui mérite peu d’attention. Dans la presse flamande, le ton est très différent. De Morgen (progressiste) explique à ses lecteurs que VIVANT « n’a qu’une seule thématique [l’allocation universelle, qui plus est fort complexe ». Loin de qualifier le revenu de base de proposition démagogique, le même journal rappelle qu’il ne s’agit pas d’une invention de VIVANT et indique : « tout le monde a un jour flirté avec le concept. Le syndicat socialiste FGTB était le premier, les partis écologistes sont les derniers en date ». De Morgen, ironique, ajoute néanmoins : « ils en sont tous revenus »[[« Vivant, met hulp van positive boodschap en vele miljoenen », De Morgen, 31 mai 1999.. De son côté, De Standaard (démocrate-chrétien) organise une confrontation entre Roland Duchâtelet et Bea Cantillon, sénatrice et spécialiste des questions de sécurité sociale[[« Realisme of utopie. CVP-senator Bea Cantillon Kruist de degens met Vivant-voorzitter roland Duchâtelet », De Standaard, 6 avril 1999.. Les hebdomadaires à grand tirage Humo et Knack[[Voir « Roland Duchâtelet spiegelt dromen voor maar drukt er ook de kop in », Humo, 10 februari 1998 et « Ik verkoop alleen ideeen », Knack, 1 juli 1998. publient chacun un long entretien avec Duchâtelet. Le constat est le même pour la presse audio-visuelle : alors que le journal de la VRT (télévision publique flamande) présente le programme de VIVANT et explique le revenu de base, la RTBF (télévision publique francophone) garde le silence.
Les réactions du monde politique sont plus éclairantes encore. Au Nord comme au Sud, on est resté relativement indifférent aux propositions de ce nouveau-venu. Seule exception, le PSC (Parti social-chrétien) qui a chargé son centre d’études d’analyser la faisabilité économique du revenu de base de VIVANT. Les conclusions sont sans appel : « une réforme d’une telle ampleur n’est soutenable, ni sur le plan de l’équilibre financier, ni sur celui des conditions de développement économique, ni sur celui de l’acceptabilité sociale de la proposition ». L’allocation universelle est qualifiée de « projet ultra-libéral visant à réduire la sécurité sociale à une sorte d’assistance sociale »[[« Le revenu de base proposé par Vivant. Argumentaire en 6 questions », Centre d’études politiques, économiques et sociales, Bruxelles, 29 avril 1999.. Prenant une position similaire, un responsable des socialistes francophones déclare, à propos du programme : « Il n’y a personne qui peut croire ça »[[Cité dans « Le revenu de citoyenneté, cheval de bataille électorale de “Vivant” », La Libre Belgique, 17 août 1998.. Les formations écologistes, dans lesquelles on trouve de nombreux partisans de l’allocation universelle, restent également très critiques vis-à-vis du programme proposé par VIVANT, et gardent leurs distances.
Résultats électoraux
Le 13 juin 1999, les Belges étaient appelés à élire leurs représentants à différents niveaux de pouvoir : conseils des communautés et des régions, parlement fédéral, parlement européen. Véritable exception en Belgique, où la plupart des partis n’ont plus de structures nationales, VIVANT présentait des candidats à tous les scrutins, dans tous les arrondissements du Royaume. En moyenne, le score oscille entre 1 et 2,5% des voix, avec de meilleurs résultats dans les cantons urbains. Au final, le parti n’obtient qu’un seul élu, au conseil de la Région de Bruxelles-Capitale . En dépit d’une couverture de presse négative, c’est en Wallonie que VIVANT obtient ses meilleurs résultats (2,4% pour le Conseil de la Région wallonne, contre 2% pour le Conseil flamand) : en Flandre, où la concurrence de l’extrême droite est très marquée, le Vlaams Blok a réussi à attirer les suffrages de la plupart des électeurs déçus par les partis traditionnels.
Au niveau fédéral, VIVANT obtient 2% au Sénat et 2,1% à la Chambre des Représentants, ce qui est bien mieux que les autres petits partis, dont aucun n’atteint le seuil symbolique du 1%. Il faut néanmoins ajouter que ces chiffres sont très loin des ambitions publiquement affichées par VIVANT. En juillet 1998, le parti revendiquait un potentiel électoral de… 25%. En août, Roland Duchâtelet déclarait : « VIVANT devrait recueillir entre 5 et 15% des voix », pronostic maintenu en novembre lors du premier congrès du parti[[Voir « “Vivant” rêve d’entraîner l’Europe dans son utopie », Le Soir, 30 novembre 1998. M. Duchâtelet déclare alors : « Je vise entre 5 et 15% des suffrages aux prochaines élections ».. En mai 1999, VIVANT affirmait encore pouvoir décrocher un siège dans la moitié des circonscriptions. Au lendemain des élections, Roland Duchâtelet devait reconnaître sa profonde déception : il annonçait une réduction drastique de ses investissements en politique, indiquait qu’une série de bureaux locaux fermeraient leurs portes et qu’à l’avenir, l’adhésion au parti serait payante.
Leçons d’une expérience inédite
Plusieurs leçons peuvent être tirées de l’étonnant parcours de VIVANT, seul parti européen entièrement voué à la défense de l’allocation universelle.
La première est suggérée par Duchâtelet lui-même: le programme du parti aurait dû être travaillé en détail et rendu plus crédible, de manière à séduire « les innovateurs », et en particulier les jeunes et les intellectuels.
Deuxièmement, on peut affirmer qu’il semble peu prometteur de lancer un parti exclusivement focalisé sur l’allocation universelle. Première raison, purement contextuelle : le paysage politique, en Belgique comme en France, est déjà saturé par la prolifération de formations politiques, de l’extrême gauche à l’extrême droite. Seconde raison : mettre sur pied un parti entièrement consacré à l’allocation universelle, c’est risquer de faire apparaître cette mesure comme la solution idéale à tous les problèmes sociaux. C’est ainsi s’exposer à la critique classique : « il n’y a pas de solution simple à des problèmes complexes, l’allocation universelle est une utopie démagogique ». La lecture du programme de VIVANT donne d’ailleurs cette impression, bien résumée par un observateur du Congrès de mai 1999 : « le revenu de base apparaissait [dans les discours, films et prestations comme une panacée contre tous les maux »[[De Jonge, Willem (1999), « Vivant. Basisinkomen als politieke partijgrondslag », Nieuwsbrief basisinkomen, n°28, septembre 1999, p. 13, nous soulignons.. Au contraire, lorsque la mesure est insérée dans une réflexion plus globale sur l’État social, lorsqu’elle est envisagée comme une voie plausible à suivre graduellement, sa crédibilité se trouve probablement accrue. C’est la stratégie suivie par les partis écologistes en Belgique.
La troisième leçon est liée à la précédente. Un parti comme VIVANT, porteur d’une revendication très précise, est extrêmement dépendant du contexte des élections. En juin 1999, peu après la dramatique crise du « poulet à la dioxine », les discussions politiques ont avant tout porté sur la sécurité alimentaire et l’évolution de l’agro-industrie, sur lesquelles Duchâtelet et VIVANT n’avaient rien à dire. Si la sécurité sociale avait été le thème central de la campagne, comme en 1995, VIVANT aurait probablement eu plus de poids dans le débat public.
Il importe enfin d’ajouter que la nature très particulière de l’allocation universelle dans sa version « Duchâtelet » empêche de procéder à une évaluation vraiment fiable du potentiel d’acceptabilité sociale et politique de la proposition en Belgique. Le public de VIVANT semblait autant, sinon plus motivé par l’antifiscalisme du parti que par l’allocation universelle elle-même. En d’autres mots, les résultats électoraux de VIVANT n’indiquent pas nécessairement le niveau d’adhésion des Belges au projet de revenu minimum inconditionnel. Il est cependant parfaitement possible que ce niveau soit plus élevé que 2%, et que la version radicale de ce petit parti ait effrayé de fervents partisans de la proposition.
Un revenu garanti en Belgique ?
L’apparition de VIVANT est loin d’avoir donné une impulsion décisive au débat public sur l’allocation universelle en Belgique. D’ordre essentiellement polémique, la discussion a très peu porté sur la proposition elle-même ; elle a permis, tout au plus, de diffuser l’idée hors des cercles académiques. Depuis les élections de juin 1999, VIVANT semble avoir déserté le paysage médiatique. A l’exception de la courte parenthèse des municipales d’octobre 2000, ce constat vaut aussi pour le paysage politique[[En janvier 2002, on pouvait lire dans la presse ce titre symptomatique: « VIVANT n’est pas mort » (La Libre Belgique, 7 janvier 2002). Manière de rassurer le lecteur inquiet ? VIVANT venait alors d’organiser un « Congrès du Nouvel-An » (5 janvier 2002) portant sur « L’introduction du revenu de base en Europe ». Parmi les intervenants, Yoland Bresson, l’un des défenseurs français du « revenu d’existence »..
Le projet de revenu minimum inconditionnel est-il dès lors dépourvu d’avenir en Belgique ? Les mouvements écologistes, qui ont triomphé lors des mêmes élections de juin 1999, participent désormais à divers exécutifs aux niveaux fédéral et régional. Si l’allocation universelle reste bien à leur programme, et si la longévité de ces deux partis paraît solidement acquise, il n’est pourtant pas sûr qu’ils puissent réussir là où VIVANT a échoué. D’une part, l’idée d’allocation universelle ne fait pas l’unanimité en leur sein ; d’autre part, elle provoque de solides résistances auprès de leurs différents partenaires et, plus largement, au sein du mouvement social et syndical. C’est en particulier la perspective d’une prestation sans contrepartie qui suscite les plus sérieuses interrogations. En Belgique comme ailleurs en Europe, le contexte est à l’activation des dépenses sociales : l’autorité publique souhaite remettre au travail ceux qui se trouveraient « piégés » dans les filets de l’assistance. La récente réforme du minimex, équivalent belge du RMI, va dans ce sens, même si elle s’écarte nettement des expressions les plus caricaturales du workfare à la britannique.
Mais l’ambitieux projet de fournir à tous une activité acceptable, avec ce qu’il comporte de risques de dérives, serait-il foncièrement incompatible avec le concept de revenu minimum garanti ? Pas nécessairement. L’obsession politique relative aux « trappes du chômage et de l’exclusion » pourrait offrir de nouvelles opportunités aux partisans de l’allocation universelle. La volonté de rendre cumulables allocations sociales et revenus du travail est, notamment, l’une des voies de réalisation d’une véritable garantie de revenu. Par ailleurs, le souci d’encourager l’activité de tous pourrait aussi passer par la valorisation financière d’occupations non-marchandes ou non directement productives, ce qui exigerait l’élargissement de la notion de « travail acceptable »[[Sur cette problématique dans le contexte belge, voir Commission Travail et Non-Travail à la Fondation Roi Baudouin, Travail et Non-Travail. Vers la pleine participation, Bruxelles : De Boeck & Larcier, 2000.. C’est là, précisément, l’une des plus anciennes revendications des défenseurs de l’allocation universelle. Un « revenu de participation », entendu en ce sens, constituerait l’une des étapes les plus importantes vers un socle de revenu inconditionnel. Frank Vandenbroucke, actuel Ministre des Affaires sociales et des Pensions et chantre de « l’Etat social actif », n’a-t-il pas un jour affirmé qu’un tel « revenu de participation » était « peut-être la voie de la sagesse politique » ?[[Vandenbroucke, Frank (1997), « A propos de l’instauration pragmatique d’une allocation universelle », La Revue nouvelle, n°5-6 (vol. CV), mai-juin 1997, pp.161-166. Si la voie ouverte par VIVANT semble sans issue, d’autres pourraient donc s’avérer plus prometteuses…