Entretien réalisé pa Yann Moulier Boutang- Dans cet entretien, Dany Cohn-Bendit et Yann Moulier Boutang font le point sur une série de questions, en réaction à la dernière phase du travail de la Convention Européenne : quoique forcément décevante, cette Convention, en synchronie avec la guerre d’Irak, offre l’occasion de constituer un espace public européen. La discussion évoque les moyens économiques, fiscaux, institutionnels et sociaux dont l’Europe doit se doter si elle entend promouvoir la constitution d’un monde réellement multipolaire.
Yann Moulier Boutang : Fin juin la Convention rendra sa copie à la Commission et au Conseil Européen de l’Union. Quel jugement portes-tu : a) sur le déroulement du processus ? b) sur la résultante dominante des propositions qui seront proposées ? c) sur les obstacles, les différends principaux ? À ton avis, l’Union en sortira-t-elle plus forte, plus faible ? Plus confédérale ou plus fédérale ?
Daniel Cohn-Bendit : Premier constat : le résultat final ne satisfera personne, donc elle sera présentée comme catastrophique pour tous. Deux raisons à cela : les contradictions qui existent au cœur de l’Europe entre la conception anglaise et la vision allemande fédéraliste; on retrouve aussi la double opposition entre les petits et les grands pays et entre les pays déjà dans l’Union et ceux qui vont adhérer. Il ne faut pas s’attendre à ce que le projet de Constitution qui doit encore passer l’obstacle de la ratification par les États en octobre soit aussi normatif et définitif que la constitution américaine sortie, il y a deux siècles de la Convention de Philadelphie. Elle formera un socle, mais le contexte historique de la construction européenne fait que l’Europe n’est pas un État et que ses citoyens ne se considèrent pas seulement comme européens, mais comme français, allemands, belges.
Deuxième difficulté: la Convention offre l’occasion de discuter enfin de ce que devrait être l’Europe, d’en examiner la réalité économique, culturelle et politique. Mais il est impossible, concernant l’Europe, de faire abstraction des deux derniers siècles d’histoire (voire plus). Cela ne saurait excuser l’immobilisme, mais il est important de mesurer l’apport de la Convention par rapport à ces deux derniers siècles. Je suis un optimiste impénitent en matière d’Europe, mais j’avoue que si comme homme politique je me projette dans l’avenir, dans un avenir qui dépasse ma propre existence, j’ai désormais l’impression que la question du fédéralisme européen ne sera traitée que par nos petits-enfants. Ce n’est que lorsque se sera mis à exister réellement une Europe communautaire que l’on débouchera sur la question fédérale.
Examinons maintenant la Convention comme un compromis et voyons pourquoi ce compromis qui ne satisfait complètement personne est quand même important. La Convention correspond à un moment d’accélération de la construction européenne qui a été rendu possible par l’échec de la Conférence Intergouvernementale du Sommet de Nice. Cette convention avait pour objectif très simple de rechercher un autre fonctionnement que celui du Conseil, instance intergouvernementale qui décide à l’unanimité de ses membres et peut donc se heurter au veto et se trouver paralysée. Au départ formée de parlementaires issus du Parlement européen ou des Parlements nationaux, la Convention devait formuler un projet pour le Conseil ; mais elle a pris une ampleur nouvelle avec l’adjonction de représentants des gouvernements, en particulier avec l’arrivée en leur sein des ministres des affaires étrangères. L’inconvénient, c’était que l’on mélangeait ainsi les deux temps supposés distincts, à savoir celui de la Convention parlementaire et celui de la conférence intergouvernementale. Même si cela a limité l’audace de la Convention, les chances de ratification du compromis par la Conférence intergouvernementale de Rome ont par contre augmenté. L’autre avantage de ce défaut, c’est que les affrontements qui, au sein du Conseil, se passent à huis-clos, se sont produits publiquement cette fois. La nature des débats et des compromis a véritablement façonné un débat public et ceci a indubitablement contribué à renforcer un espace public européen naissant.
Yann Moulier Boutang : Comment vois-tu le rôle du Parlement européen dans le projet final de la Convention ?
Daniel Cohn-Bendit : Je ne crois pas qu’il y ait un danger réel de marche arrière quant à la redéfinition des missions et des domaines de compétences des politiques européennes. Au contraire, le nombre de domaines où l’on passe à la majorité qualifiée abandonnant l’unanimité s’accroît. Le rôle du Parlement s’en trouvera de ce fait renforcé. Certes il n’y a toujours pas de vote d’un impôt européen unifié qui donnerait plus de poids à la fonction du Parlement. Le problème est que personne n’arrive à définir à l’heure actuelle un impôt satisfaisant, qui n’a d’ailleurs pas bonne presse en général chez les libéraux. Au-delà du veto britannique à toute communautarisation de la politique fiscale, le Parlement lui-même dans sa majorité craignait que la Convention n’ouvre une boîte de Pandore.
Yann Moulier Boutang : Comment se présente la question de la ligne de démarcation entre les partisans d’un renforcement du caractère fédéral de l’union et les adversaires de cette évolution ?
Daniel Cohn-Bendit : Sur l’élection du Président de la Commission : les Fédéralistes veulent qu’il soit élu à la majorité simple par le Parlement issu des élections européennes. Le danger de cette proposition maximaliste était qu’elle soit corrigée par les anti-fédéralistes dans le sens d’une majorité aux deux tiers ce qui aboutirait à la paralysie de l’organe exécutif le plus communautaire de Bruxelles. Les députés européens seront-ils capables dans ce débat d’adopter une position commune ? Je l’espère, car actuellement le Parlement est traité par les autres institutions européennes et les États membres comme un État de moyenne importance, ce qui n’est pas rien mais pas considérable non plus. Il existe une peur d’affirmer une souveraineté européenne en tant que telle. Tout le monde pense à des politiques coordonnées ou communes. Mais pour parvenir à assumer une souveraineté européenne il faudra mettre en œuvre des exemples de politique commune. L’intergouvernementalité et l’inter-parlementarité sont le symptôme d’une même peur de l’Euro Parlement qui déciderait des questions d’intérêt général.
Yann Moulier Boutang : Quelles sont les raisons de cette peur d’une souveraineté européenne, ce recul devant un fédéralisme franc et massif ?
Daniel Cohn-Bendit : Elles sont liées à l’histoire. En France, il est courant d’entendre affirmer que l’Europe veut détruire le service public, conformément au programme néo-libéral anglo-saxon. Il est compliqué d’expliquer la distinction terminologique entre le service d’intérêt général (ou universel, notion couramment employée dans les autres pays) et le “services public” dit “à la française”. Or, ce qui compte, c’est la définition de la qualité des services qui doivent obéir à certains principes de justice. Le fait que les mêmes services soient rendus par une entreprise privée qui a été mise en concurrence avec d’autres dans un appel d’offre n’est pas condamnable ; ce qui l’est, c’est le remplacement d’un service de qualité, avec des personnels bénéficiant de garanties sociales, par des services de plus mauvaise qualité ou par des entreprises qui remportent les marchés parce qu’elles dégradent les conditions d’emploi et de salaires des employés. Prenons la question de la libéralisation du marché de l’électricité voulue par la Commission Européenne. Tu as en France, sur cette question, une vieille union gaullo-communiste qui refuse qu’on touche à EDF qui a le droit d’investir dans toute l’Europe, comme n’importe quelle entreprise privée, mais qui au ” nom du service public” doit être protégée sur le marché intérieur français. Chacun y va de son couplet : pour les uns, c’est au nom de la défense des pauvres et du droit à chacun à l’électricité qui serait compromis; pour d’autres, c’est l’indépendance énergétique de la France ou le programme nucléaire. Or la Commission Européenne veut intervenir sur une autre question : les pays membres qui se sont dotés de centrales nucléaires (la France, l’Allemagne) doivent gérer le renouvellement du parc des centrales. Pour démanteler les vieilles centrales, des sommes énormes ont été provisionnées par EDF. Ces sommes, au lieu d’être employées à cette fin écologique, vont être employées pour conquérir le marché européen qui est en train de s’ouvrir aux opérateurs producteurs et détenteurs de réseaux de distribution. La défense du service public à la française s’oppose alors de plein fouet à l’établissement d’un service d’intérêt général qui défend l’égalité d’accès de tous au réseau de distribution, en particulier pour les petits producteurs d’énergie. On voit quel serait l’impact d’une décision du Parlement Européen qui ouvrirait le marché de l’électricité aux petits producteurs en contraignant les monopoles géants à ouvrir le réseau de distribution. Deuxième exemple, celui de la guerre et de la paix. On peut imaginer l’expression suivante de la souveraineté européenne: le Conseil aurait proposé au Parlement Européen de répondre, après le 11 septembre, à la demande formulée par les Etats-Unis de les aider dans l’organisation de leur défense et de participer en tant qu’Européens à l’intervention en Afghanistan. Un débat aurait lieu sur cette motion au Parlement. En cas de majorité, l’Europe dit oui et chaque pays, au terme d’un débat au sein de son propre Parlement, dit s’il participe concrètement ou pas. La position européenne ne serait alors ni un dîner franco-allemand, ni un échange épistolaire entre huit ou dix pays. Mais je reconnais qu’il est pratiquement impossible à l’heure actuelle de faire accepter une telle définition de la souveraineté européenne.
Yann Moulier Boutang : Sur la question de l’Europe puissance, du monde multipolaire et de l’hégémonie américaine, la contestation de l’hyper-puissance américaine devient-elle un accélérateur de la construction d’une Europe puissance ?
Daniel Cohn-Bendit : Quand les Européens parlent d’un monde multipolaire, ce n’est pas pour reconstruire un monde bipolaire. La réponse au chaos actuel ne peut pas être simpliste et se réduire à penser que le monde se rééquilibrerait du seul fait que l’Europe deviendrait une grande puissance. Il y a aujourd’hui dans le monde des forces capables de rééquilibrer les instances de décision comme l’ONU, si on les identifie et les respecte. Pourquoi le Chili et le Mexique ont-ils tenus bon au Conseil de Sécurité lors de la guerre d’Irak ? C’est parce qu’il y avait derrière la diplomatie brésilienne, donc le refus d’une diplomatie à la remorque de Washington. En Afrique, si l’Angola et le Cameroun ont pu tenir, eux aussi, c’est grâce à l’Afrique du Sud. On est donc déjà dans un monde multipolaire où la force de l’Europe doit consister à créer avec les autres pays, un rapport de force. Sur la relation de l’Europe avec les Etats-Unis de Bush, je dis comme Joschka Fischer : arrêtons de dire moins d’Amérique. Seuls les Américains peuvent décider de cela. Si une majorité aux Etats-Unis émerge non seulement pour changer d’administration, mais aussi pour doter l’Amérique d’une autre vision du monde, cela ne se décidera ni à Paris, ni à Berlin. Par contre, nous pouvons décider de faire non pas moins d’Amérique, mais plus d’Europe, et peut-être une autre Europe. L’idée d’Etienne Balibar de l’Europe médiation a du bon : c’est-à-dire que l’Europe existe quand elle symbolise dans sa nature interne une nouvelle idée de la coopération entre les citoyens et les États. En effet, dans l’Europe qui est née en 1945, aucun État ne pouvait être hégémonique ou leader de l’Europe. L’idée européenne repose sur une idée d’égalité entre les grands et les petits, d’égalité entre les citoyens qui constituent l’Europe. L’Europe pourrait se donner la mission de réformer le fonctionnement de ces institutions et de les réformer en recherchant une nouvelle égalité sur le plan planétaire. Le multilatéralisme et le rééquilibrage que devrait prôner l’Europe au niveau international doivent coïncider avec le renforcement d’entités régionales. Cette ligne n’est évidemment pas celle des autorités américaines et contredit le principe d’un monde bipolaire dans lequel on aurait simplement l’Europe face au Etats-Unis. Dans le cadre de la libéralisation des échanges notamment, la question du rééquilibrage est une alchimie complexe entre libéralisation et protection qui laisse aux pays les plus pauvres ou en voie de développement une chance d’émerger.
Yann Moulier Boutang :Il n’y a pas seulement la question de l’ouverture et d’une certaine dose de libéralisation des échanges internationaux ; il y a aussi pour l’OMC la question des médicaments génériques, de la propriété intellectuelle, des OGM.
Daniel Cohn-Bendit : Prenons en effet l’exemple des médicaments. L’Europe avait ouvert la porte, au sommet de l’OMC de Doha, à un accès du Sud, en particulier de l’Afrique, aux médicaments génériques. Cette ouverture a été remise en cause par le gouvernement américain, mais si l’Europe sait s’organiser et nouer des alliances, ce type d’ouverture est susceptible de se développer. L’Europe doit aider le Sud sur la question des génériques. Mais comment faire pour qu’elle en ait la capacité effective ? Contre l’hégémonie d’une certaine conception des médicaments, si l’on veut vraiment un large accès aux génériques et une autre conception des soins et de la santé, il faut notamment développer une réelle capacité économique et financière. Cela revient à imposer un fonctionnement à l’intérieur de l’Europe qui régule le comportement de notre propre industrie.
Yann Moulier Boutang :Parlons de cette capacité économique et financière. Quelle ton opinion sur cette question ?
Daniel Cohn-Bendit : Sur la question de la coordination des politiques, la situation actuelle est complètement bloquée. Elle est victime du néo-libéralisme ambiant. La construction européenne a été un compromis entre chrétiens démocrates et socio-démocrates, autour d’une conception keynésienne traditionnelle; elle a été remplacée par un consensus néo-libéral qui collait au programme de construction d’un marché unique. Ce néo-libéralisme rend l’Europe incapable d’inventer, à un niveau supranational, un keynésianisme qui sortirait des sentiers battus, un keynésianisme capable d’inventer des nouvelles formes d’activité publique. On se heurte alors à un problème : la dimension ridicule du budget européen et, comme sur la réunification allemande, une sous-estimation dramatique du coût de l’élargissement. L’Europe, c’est aussi l’idée d’une convergence finale des niveaux de vie. Or pour cela, il faut des moyens, de l’argent et donc un budget. La solution, c’est un programme d’investissement aussi bien sur l’équipement en grands axes ferroviaires, que sur l’intelligence, la formation, la recherche, l’éducation.
Yann Moulier Boutang : Sur ces derniers objectifs, l’Europe a pris beaucoup sur ce qu’elle s’était fixée au sommet de Lisbonne, c’est-à-dire de combler le retard qu’elle avait accumulé vis-à-vis des Etats-Unis. Mais comment faire avec un pacte de stabilité des prix et non de plein emploi qui impose de ne pas dépasser le plafond des 3 % de déficit budgétaire ?
Daniel Cohn-Bendit : C’est un débat politique qui doit pouvoir trouver une solution. Car on a probablement raison de critiquer la ” solution ” de l’endettement national qui ne comprend plus de mécanismes correctifs…
Yann Moulier Boutang : Faute de synchronisation des politiques budgétaires nationales entre elles.
Daniel Cohn-Bendit : Tout à fait. Je propose donc de recourir à un endettement de la Banque Européenne d’Investissement et à la Banque Centrale Européenne pour réaliser le programme d’investissement nécessaire à l’élargissement et à l’approfondissement de l’Europe.
Yann Moulier Boutang : Admettons qu’on recourre à un endettement fédéral européen qui permettrait à l’Union d’avoir une politique de relance économique. Si la Commission et le Conseil décidaient un programme de grands travaux, ils ne pourraient le faire qu’en recourrant à l’emprunt à un niveau fédéral en gageant cet emprunt sur le marché intérieur ou sur les marchés financiers internationaux faisant réellement de l’euro une monnaie de réserve. Mais une telle politique contredira forcément la politique américaine qui draine actuellement l’épargne mondiale. Il faut en effet un excédent journalier de 2 à 3 milliards de dollars pour compenser le déficit budgétaire, et commercial, sans compter le coût de l’après-guerre en Irak. Or si les Etats-Unis ne sont pas gênés outre mesure, ce n’est pas seulement parce qu’ils sont des créanciers crédibles en raison de leur force militaire et économique, c’est aussi parce que le dollar demeure la monnaie de réserve internationale. Donc si nous voulons ” Keynes à Bruxelles “, nous nous heurterons, nous nous heurtons déjà à l’intérêt des Etats-Unis.
Daniel Cohn-Bendit : J’ajouterai qu’il en va de même pour la question de la guerre et de la paix. La question politique va de plus en plus se poser pour les Européens de savoir s’ils sont prêts à affronter des échéances mondiales, donc des responsabilités et ne pas se contenter de dire non à l’Amérique. Il faut savoir aussi si les pays de l’euro sont prêts à tenir leurs responsabilités à l’échelle de l’économie mondiale. L’Europe peut donc, si elle s’en donne les moyens, innover dans la méthode pour accroître la sécurité au sens général qui serait l’objet d’une véritable politique étrangère européenne.
Yann Moulier Boutang : On ne peut pas réduire ce problème à la part du budget de la Défense dans chaque pays européen, parce que l’Europe puissance, c’est autant sinon bien plus la part dans le budget de l’enseignement, de la recherche, bref ce que le sommet de Lisbonne a dégagé comme objectif principal d’une croissance réelle de l’Union. Mais ne penses-tu pas que l’on ne peut plus se contenter du statu quo atlantiste ?
Daniel Cohn-Bendit : L’Europe va effectivement devoir se ressaisir et se mouiller dans un moment d’extrême faiblesse. Une faiblesse qui n’est pas due seulement à ses divisions internes, mais aussi à sa difficulté d’arriver à définir quel pourrait être son apport et ses responsabilités dans le monde. On ne peut se résoudre à imiter l’Amérique, à promouvoir une hégémonie européenne en lieu et place de l’hégémonie américaine. L’Europe peut et doit être autre chose mais, en même temps, il faut acquérir un certain poids pour arriver à changer le rapport de force au niveau planétaire. Il faut malheureusement reconnaître que cette question demeure irrésolue en Europe. Il est évident qu’une refonte institutionnelle de l’Europe est nécessaire, mais celle de l’ONU l’est aussi. Il ne s’agit pas d’abolir le conseil de sécurité, mais le droit de veto, qui est un reste de la guerre froide, et d’introduire le vote à la majorité. Or, ceci suppose une représentation de l’Union européenne, mais aussi du Brésil, de l’Inde, de l’Afrique du Sud. Le gouvernement français est-il prêt par exemple à ce que la France soit représentée au Conseil de Sécurité et à l’ONU par l’Union Européenne ? Il faut mettre en œuvre, une nouvelle conception de la coopération non seulement entre citoyens et États, mais également entre les pays. Et, à mon sens il existe déjà actuellement un potentiel énorme dans les pays du Sud avec lesquels l’Europe peut construire quelque chose.
Yann Moulier Boutang : Quel est, à ton avis, le rôle du modèle social dans le caractère attractif du ” modèle européen ” ? Et surtout l’atonie européenne sur la question sociale a-t-elle été modifiée dans le travail de la Convention ?
Daniel Cohn-Bendit : On pourrait s’attendre à ce que l’Euro Parlement se soit auto saisi de ces questions, mais en fait cela ne s’est produit que durant les périodes de crise sociale forte, comme par exemple Vilvoorde. À la différence de la convergence des niveaux de vie, un objectif de convergence des degrés de protection sociale suppose vraiment que l’on fournisse un début de réponse à question : quelle finalité de l’Europe, au sens de la perspective sociale. Est-ce la convergence de nos modes de vie ou celle des formes de notre protection sociale ? Ce n’est pas la même chose. Qu’est-ce, au fond, que l’European way of life, s’il existe ? Ce n’est que sur cette base qu’il devient possible d’argumenter solidement en disant par exemple qu’il n’est pas acceptable qu’il y ait de véritables délocalisations de cultures anciennes en raison du dumping fiscal de certains pays membres. Si tu pars de la technique fiscale, on t’expliquera toujours qu’il y a dix mille arguments qui montrent qu’une harmonisation fiscale est bien trop compliquée.
Juin 2003