En ce début de troisième millénaire, il semble que beaucoup de
mouvements se créent autour des nouvelles technologies. Afin de ne pas
se sentir débordé, et dans le but de se donner encore une illusion de
contrôle sur les contenus numériques, l’État préfère émettre des
barrières législatives plutôt que de chercher à comprendre les
phénomènes et à les réguler. Hier, l’affaire Yahoo. En ce moment, les
brevets sur les logiciels. Et ces jours-ci, une nouvelle redevance
apparaît sur les supports numériques. L’April, l’Association pour la
promotion et la recherche en informatique
libre[[L'[April->http://www.april.org a diffusé, en même temps que ce
texte, un long communiqué de presse relatif aux récentes prises de
position de la ministre de la culture. Voir : [« Taxes sur le numérique
: c’est Mozart qu’on assassine !
»->http://www.april.org/articles/communiques/pr-taxe.html.., ne peut
pas rester insensible à une telle démarche, et ce sur différents points,
tant économiques, qu’éthiques ou légaux.
Cette redevance part du principe que les auteurs et les sociétés
d’auteurs ont un manque à gagner à cause de copies de contenus culturels
sur des supports numériques vierges disponibles à la vente sur le
marché. Cependant, cette redevance va s’appliquer pour tous les usagers
de contenus numériques (et en particulier ceux qui ne font ni
n’utilisent de copies de contenus audiovisuels) se contentant de frapper
à l’aveugle l’ensemble des consommateurs. Devant une telle pratique, le
parallèle avec la célèbre réplique d’Arnaud-Amaury, abbé de Citeaux,
lors du massacre de Béziers en 1209 contre les « hérétiques » albigeois
: « Tuez-les tous, Dieu reconnaîtra les siens » ne serait pas incongru.
La décision prise en 1985 de faire payer une taxe par cassette achetée
était déjà contestée à l’époque. Cela remet en effet en cause la liberté
de chacun de sauvegarder le patrimoine acquis, et de pouvoir y accéder
en toutes circonstances : le fait de payer pour avoir accès à un contenu
musical sur un disque devrait suffire à lui-même si on souhaite passer
ce contenu sur cassette, par exemple pour pouvoir écouter ses morceaux
favoris en voiture. Mais ici, il faut bien comprendre qu’à l’origine,
autant les cassettes audio et video ont été créées pour contenir
respectivement des données audio et video, autant les supports
numériques n’ont pas été prévus dans cette optique. Il s’agit de cette
récupération d’une utilisation partielle des supports numériques dans le
but de créer encore une nouvelle redevance que nous dénonçons ici même.
En effet, la majorité des CD-R et CD-RW n’est pas utilisée pour stocker
des données musicales. Cet usage en particulier est estimé d’après le
SNEP (Syndicat national de l’édition phonographique) à un tiers
seulement de l’utilisation des CD-R ; les deux tiers restants
correspondent à d’autres types de copie privée. De plus, dans l’ensemble
des CD-R utilisés dans le but de stocker des données musicales, une
bonne partie, hélàs difficile à chiffrer précisément, correspond à des
oeuvres libres de droits ou à des copies expressément autorisées par les
artistes eux-mêmes. En comparaison, environ un tiers des CD-R en général
est utilisé dans un but professionnel par le monde de l’informatique et
plus d’un huitième est utilisé légalement dans un but personnel pour
réaliser des sauvegardes, pour stocker des photos de vacances ou encore
pour graver des logiciels libres de manière totalement légale. La
redevance est donc basée uniformément sur l’utilisation de nettement
moins d’un tiers des CD-R vierges, sans tenir compte de l’usage
majoritairement répandu qui est l’utilisation informatique tel qu’elle
était pratiquée depuis l’origine. Mais nous n’avons mentionné ici que
les supports de type CD-R, et il va sans dire que pour le reste des
principaux supports numériques, tels que les disques durs d’ordinateurs,
le pourcentage de l’espace de stockage utilisé pour le droit de copie
privée est négligeable.
Revenons un court instant sur l’article L321-9 Alinéa 3 du Code de la
propriété intellectuelle tel qu’il était défini le 3 juillet 1985[[Voir
: [SACD->http://www.sacd.fr/fd_td_copie_privee.htm, Société des auteurs
compositeurs dramatiques.. Dans cet article, il était déjà fait
exception des médias de stockage informatiques, tels que les cassettes
C10 et C15, qui pouvaient cependant fort bien être utilisées dans le but
de copier un ou deux morceaux musicaux. Pourquoi y a-t-il donc eu un
changement dans la politique de taxation sous prétexte d’une utilisation
très particulière d’un support physique qui peut être utilisé dans
beaucoup d’autres circonstances ? Pourquoi l’exception
informatique[[Voir :
[Légifrance->http://www.legifrance.gouv.fr/citoyen/code03.ow?heure=170231446461&h0
=CPROINTL.rcv&h1=1&h3=31. a-t-elle disparue depuis du Code de
la propriété intellectuelle ?
Prenons maintenant quelques exemples :
– Dans le milieu de l’édition, de la publicité : les CD-R et CD-RW sont
devenus un moyen des plus économiques pour faire transiter les fichiers
très volumineux vers les imprimeries. Quel est le rapport avec les
droits d’auteurs musicaux ?
– Chez des fournisseurs d’accès Internet, la loi oblige l’archivage des
traces des connexions des utilisateurs. Les moyens de sauvegarde les
plus courants sont les CD-R ou les bandes magnétiques DAT ou DLT, qui ne
tarderont pas à être taxées (dans quel but ?).
– Un des moyens de diffusion des logiciels libres est la vente au
meilleur prix de logiciels, en particulier sur CD-R. Il n’y a aucune
raison de rétribuer les sociétés de compositeurs alors que l’auteur de
logiciel libre ne perçoit, quant à lui, directement ou indirectement,
aucune royaltie par le biais de ce support de distribution (et c’est son
choix).
– Que dire de la place occupée par le système d’exploitation et par les
différents logiciels, lorsque bientôt les disques durs seront taxés au
volume ?
– Nous nous abstenons de formuler des commentaires en ce qui concerne la
mémoire informatique qui peut être utilisée dans les appareils photos
numériques pour stocker des photos. Une photo va t-elle donner quelques
centimes de plus à la Sacem ?
– Pourquoi payer une redevance lorsqu’on distribue une oeuvre libérée de
tous droits, telle que « Les misérables » de Victor Hugo ou la « XIème
symphonie » de Beethoven ?
Ces exemples ne sont malheureusement qu’un très bref échantillon des
aberrations que pourrait produire ce système une fois mis en place.
Mais le problème ne s’arrête pas là. En effet, la question de la
rétribution des auteurs se pose. Dans quelle mesure cette action
pourrait-elle favoriser les jeunes talents ? Aucunement ! La redevance,
tout d’abord, sera reversée à la Sacem et à la Sorecop, alors que
beaucoup d’auteurs et d’artistes n’appartiennent pas à ces sociétés, qui
sont très strictes quant à leurs règles d’admission et sont loin d’être
gratuites. Ensuite, une autre partie sera versée à un groupement de
producteurs, dont le rôle au sein de l’industrie culturelle est
fortement remis en question actuellement vis-à-vis des abus qui ont
récemment eu lieu de par le monde[[A ce sujet, voir une [interview de la
chanteuse Courtney
Love->http://www.salon.com/tech/feature/2000/06/14/love qui présente
bien la situation dans le monde des auteurs qui se plaignent de plus en
plus de leur exploitation par les maisons de production..
Enfin, de plus en plus de groupes indépendants prennent leurs distances
par rapport à des organismes tels que la Sacem et préfèrent distribuer
certains de leurs morceaux gratuitement sur Internet ou encore donnent
des CD-R de leurs enregistrements à l’occasion de concerts. Pourquoi de
tels artistes, qui ont déjà bien du mal à s’assurer une balance non
négative, devraient payer une « rançon » à Johnny Hallyday ? Car la
répartition des fonds ainsi récoltés risque bien évidemment de se faire
au prorata des oeuvres vendues ou diffusées, marché qui de plus est de
nos jours totalement truqué et décidé à l’avance par de gros lobbies
financiers.
Car cette redevance ne revient même pas à l’État, elle est légitimée par
l’État pour des groupes qui lui sont indépendants. Plus encore, la
décision en revient à une commission dont l’impartialité n’est pas
clairement établie. Cela pose un sérieux problème moral, qui nous
confirme chaque jour de plus en plus le fait que ce n’est plus le
gouvernement qui dirige les affaires de la République mais une poignée
de sociétés toutes puissantes dont la gestion reste obscure pour la
quasi-totalité de la population et qui n’ont que faire des intérêts des
citoyens (au niveau Européen, prenons l’exemple de l’Office Européen des
Brevets dont la politique en matière de propriété intellectuelle va à
l’encontre de l’ensemble des institutions européennes actuelles).
D’autant plus que les ventes de contenus audio et vidéo ne se sont
jamais aussi bien portées que cette année. Est-ce là un aveu
d’impuissance de l’État face à certains lobbies tout rayonnants ?
Au final, cette redevance va même peut-être engendrer de fâcheuses
conséquences sur le plan économique. En effet, de nombreux marchés
parallèles s’établiront pour aller se « fournir » à l’étranger, par
convois ou par commandes sur Internet. Et qui en pâtiront les premiers,
si ce ne sont les commerçants français ? Sur ce genre de matériel, la
France est en effet largement en tête des redevances imposées, alors que
beaucoup de pays de l’Union européenne ne veulent même pas entendre
parler de ce genre de redevance.
Imaginons un instant un parallèle avec l’informatique actuelle, où le
marché est inondé par des produits de grandes sociétés multinationales.
Imaginons que l’on mette en place une redevance qui rétribue les auteurs
des logiciels. Une part énorme irait aux géants sous le seul prétexte
que leurs logiciels ont un coût et parce qu’ils passent par le circuit «
classique » de distribution du logiciel. Mais rien ne reviendrait aux
auteurs de logiciels libres, tels que le logiciel bind, qui est à la
base même d’Internet tel qu’on le connaît ou même aux auteurs
indépendants de shareware, qui font partie de la pointe de
l’innovation européenne en matière de logiciels. Pourquoi ne
seraient-ils pas rétribués à leur juste valeur ? Parce que ce mode de
répartition est tout simplement aberrant et parce qu’il est impossible
d’évaluer pertinemment l’impact d’un contenu culturel sur une population
à partir du moment où il possède une part de liberté.
De même et pour revenir au matériel informatique, si nous commençons à
taxer les disques durs au prorata de la capacité de stockage, la
croissance fulgurante du matériel dans ce domaine fera que d’ici deux à
quatre ans, on payera plus en redevance que le coût initial du matériel.
Allons nous vers un « droit à l’informatique », réservé aux plus riches
? Cela va totalement à l’encontre de la volonté de M. Jospin, dont une
des volontés est la démocratisation en masse de l’usage de
l’informatique. Ce n’est pas en créant des redevances illégitimes à tour
de bras qu’on va dans ce sens. Il serait plutôt sage non seulement de
mettre en place une vraie réflexion avec des personnes concernées et
compétentes dans le domaine, qui comprennent les enjeux des technologies
numériques et qui ne sont pas juges et parties, mais aussi de favoriser
au maximum les possibilités d’accès aux ressources d’Internet par le
plus grand nombre et ce de la manière la plus démocratique possible.
L’April demande donc purement et simplement le retrait des redevances
sur les supports numériques, en particulier CD-R et CD-RW, et s’oppose à
l’établissement de redevances plus générales telles que celles sur les
disques durs ou les mémoires d’ordinateurs. Ce faisant, l’April va dans
le sens des pétitions présentes sur les sites Vachealait.com[[Site
d’action contre la redevance sur les supports numérique. Voir :
[Vachalait->http://www.vachealait.com. et ATCD[[Voit le site de
l'[Association contre la taxe sur les CD->http://www.atcd.f2s.com.,
ainsi que de l’action du Simavelec[[Syndicat des industries de matériels
audiovisuels électroniques. Sur sa réaction aux divers projets de
redevances sur les supports numérique voir l’article sur
[Zdnet->http://www.zdnet.fr/cgi-bin/a_actu.pl?ID=17706<newline>=zdnews..
De plus, l’April demande à être représentée lors de futures
consultations, afin de défendre les intérêts des logiciels libres dont
le seul moyen de diffusion est la copie en toute légalité et en toute
liberté sur le plus grand nombre de supports numériques possibles.
Fait à Paris, le 16 janvier 2000
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