Quelles transitions à la démocratie ?

Démocratie et citoyenneté en Amérique latine

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Démocratie latino-américaine et théorie empirique

Il est à la fois curieux et éclairant de constater que l’épanouissement de la démocratie en Amérique latine et ailleurs dans les années 80 a coïncidé avec l’échec patent des efforts béhavioristes pour forger les bases d’une compréhension scientifique de la politique en général et de la démocratie en particulier. S. Verba se lamente : ” nous étudions le développement politique depuis longtemps mais nous ne pouvons plus dire avec confiance ce que c’est et comment le comprendre ” (l985 : 28-29), tandis que pour J. Dominguez, 25 années de recherches sur les corrélations entre les types de régime et le niveau de développement économique ” se soldent par beaucoup moins de certitude sur ces problèmes qu’au début ” (1987 : 5). L’ère de l’optimisme quant à l’avenir de la ” science politique comme science ” est loin derrière nous. ( … ) Si la théorie empirique était notre seul guide, il faudrait en conclure que nous avons plus de démocratie dans le monde que jamais, mais que nous savons moins que jamais pourquoi c’est le cas. ( … ) Néanmoins, les grands noms de la science politique des années 60 prétendent que l’expansion globale de la démocratie prouve qu’ils ont toujours eu raison, et ils disent tout haut que leur engagement normatif en faveur du capitalisme et de la démocratie libérale (dans cet ordre) prime sur les fondements scientifiques, prétendument ” dépourvus de jugements de valeur “, de leur compréhension du caractère et des perspectives de la démocratie libérale.

En ce qui concerne l’Amérique latine, il y a assurément des faits qui nécessitent une explication. Bien que l’indépendance de presque toutes les républiques de l’Amérique centrale et de l’Amérique du sud remonte aux premières décennies du XIXe siècle, aucun de ces pays ne figure dans la liste proposée par Lijphart des 21 pays qui connaissent la démocratie sans interruption depuis la deuxième guerre mondiale (1984 : 38), tandis que Powell (1982 : 3-5) n’inclut que le Costa Rica dans sa liste des 21 core democracies. ( … ) Dans les années 60 et 70, l’idée selon laquelle le développement économique pouvait apporter – fût-ce tardivement – la démocratie, était piteusement infirmée puisque l’Argentine, la Bolivie, le Brésil, le Chili, l’Equateur, le Pérou et l’Uruguay ont succombé à des dictatures militaires de relativement longue durée. Comme on l’a noté à l’époque, les pays les plus avancés étaient aussi les plus affectés par cette tendance. Pourtant , à la fin des années 70, un retour à la démocratie s’est fait jour, si bien qu’aujourd’hui, aucune dictature militaire pure ne reste en place. Les adeptes des corrélations robustes et des lois universelles ont moins de prise que jamais sur la réalité. En Amérique du sud, la transition a autant affecté les pays les plus pauvres que les plus riches : en effet, le Pérou, la Bolivie et l’Equateur (avec des PNB par tête respectivement de 1080, 570 et 1100 dollars U.S. en 1980, à comparer avec la moyenne de 9424 dollars dans les pays démocratiques développés) ont montré la voie entre 1979 et 1982. La transition démocratique a donc eu lieu au milieu de la plus sévère crise économique dans la région depuis les années 30 – circonstance qui pourrait, à la limite, expliquer la chute des régimes autoritaires, mais ni l’évolution vers la démocratie partout,, ni sa survie presque partout. Puisque cette transition a affecté tous les régimes de la région, quelles que soient leur différences socio-économiques, elle appelle une explication conjoncturelle plutôt qu’une explication traitant tous les pays comme des cas séparés, en faisant abstraction du contexte géographique et historique.

Cette chute dans l’incohérence de l’effort béhavioriste se reproduit dans l’étude en quatre volumes sur la démocratie dans les pays en vole de développement, éditée par Diamond, Linz et Lipset (1988-89). ( … ) Ces auteurs évitent les tâches ingrates de la construction théonque, de l’élaboration des modèles et de la vérification des hypothèses. ( … ) La quête de la vérité scientifique a cédé le pas à un mélange contradictoire d’engagements normatifs et de recommandations politiques pratiques. ( … ) Ils conseillent aux nouveaux gouvernants de réduire l’intervention économique de l’État, de réduire les inégalités entre les riches et les pauvres, et de réorienter les économies afin des les rendre compétitives à l’échelle internationale et d’attirer les investissements. Ils appellent au bon exercice de l’art politique, à des décisions courageuses et sages de la part des leaders, et à la patience des groupes d’intérêt et d’autres groupements publics. Ils juxtaposent ainsi une description de l’idéal- type d’une démocratie libérale stable, éloignée de l’expérience des pays qu’ils traitent, à un ensemble de prescriptions politiques criblées de contradictions internes. par exemple, ces auteurs prônent une redistribution massive des revenus tout en plaidant pour la réduction de l’intervention étatique et pour des politiques d’incitation à l’égard des investissements étrangers. Ces prescriptions ne sont liés à la démocratie libérale que par l’idée pieuse selon laquelle les leaders doivent être courageux et sages. Sur les dilemmes politiques spécifiques qui ne tarderont pas à surgir, ces auteurs n ont rien a proposer. Par exemple, ils préconisent une redistribution des revenus au Brésil tout en notant mollement que, bien que la réforme soit essentielle, elle est peut-être impossible, puisque ” les politiques visant à réduire les inégalités, telle que la réforme agraire, comportent de sérieux risques à court terme, tandis que la réduction de la pauvreté absolue exige des engagements politiques à long terme qui peuvent être politiquement difficiles à maintenir en vigueur (ibid. : 20). Bien sûr, c’est précisément parce que la réforme est à la fois essentielle et impossible que l’expérience latino-américaine de la démocratie a été si limitée. Bref, Diamond et. al. offrent un modèle normatif et un ensemble de prescriptions qui n’ont pas le moindre rapport avec les circonstances qu’ils décrivent, ce qui a pour effet de vider de toute cohérence la tradition empiriste au sein de laquelle ils travaillent. Pour c(mprendre le caractère et les perspectives de la démocratie en Amérique latine de façon à examiner avec plus de cohérence les options politiques et les questions normatives, nous devons regarder ailleurs.

Capitalisme et démocratie

La démocratie libérale est un phénomène historique conjoncturel, que l’on ne peut expliquer qu’en fonction de ses conditions structurelles d’émergence et de reproduction, et des interactions de celles-ci avec la dynamique institutionnelle propre de la démocratie. On ne peut la comprendre théoriquement qu’en expliquant également le contexte social de son émergence et de sa reproduction. Cette tâche est trop ardue pour Diamond, Linz et Lipset car ils refusent d’examiner la relation entre démocratie et capitalisme, se fondant sur le présupposé absurde que le concept du système économique capitaliste est tellement vague qu’il est ” presque dépourvu de signification ” (1989). Pour nous il s’agit au contraire du point de départ essentiel pour une analyse théorique de la démocratie libérale. Schumpeter notait il y a 50 ans qu'” historiquement, la démocratie moderne est apparue avec le capitalisme, et en connexion causale avec celui-ci ” (1942 : 296) -, plus loin il se demandait si la démocratie pouvait être compatible avec le socialisme. Dans une perspective similaire, je prendrai comme point de départ la relation historique et théorique entre la démocratie et le capitalisme des pays du centre du système mondial, ensuite J’examinerai comme une question ouverte le caractère et les perspectives de la démocratie dans les économies capitalistes périphériques du Tiers-Monde.

En bref : le capitalisme est un mode de production dans lequel la minorité qui possède les moyens de production affronte une majorité qui ne les possède pas. La concurrence nationale et internationale entre capitalistes et la lutte des classes sont les moteurs fondamentaux du changement. La démocratie est une forme de régime politique dans lequel les non-capitalistes jouissent potentiellement d’une majorité inattaquable. En général, le capitalisme et la démocratie ne seront compatibles que si la règle de la majorité produit des gouvernements qui s’engagent à reproduire le capitalisme – sans quoi, quelque chose doit céder. Même dans les pays capitalistes avancés, la stabilité démocratique n’a pas été facilement acquise et sa survie ne peut être garantie. Mais ses attraits pour le capital et les mécanismes qui tendent à perpétuer sa survie ont fait l’objet de théorisations importantes (bien que tardives) dans la tradition marxiste (voir par exemple Gramsci 1971 ; Miliband 1977 ; Therborn 1978 ; Hunt 1980). Étant donné la nécessité préalable de théoriser le capitalisme et la relation contingente entre le capitalisme et la démocratie, il ne saurait Y avoir de lois universelles ou d’explication de la dérnocratie comme phénomène général. La démocratie ne saurait être théorisée en faisant abstraction des circonstances sociales dans lesquelles elle apparaît, sauf dans la mesure ou caractéristiques des institutions spécifiques dans lesquelles elle S’incarne se prêtent à l’analyse formelle. Pour Therborn, en premier lieu, ” la sphère de la représentation politique n’est pas indépendante des relations sociales économiquement déterminées ” ; et deuxièmement, chaque situation a sa propre logique conjoncturelle, et par conséquent ” la reproduction sociale doit se réaliser dans une chaîne sans fin de situations concrètes. L’Etat intervient non pas dans des processus et des crises généralisés, mais à tel ou tel moment ou lors de telle ou telle crise “. L’approbation du capitalisme par la majorité, en tant qu’elle s’exprime par le vote en faveur de tel ou tel parti pro-capitaliste, est conditionnée par ” sa soumission et son assujettissement à la bourgeoisie dans le travail et dans la vie quotidienne, ce qui résulte non pas du hasard ou d’une détermination structurelle, mais des efforts constants de l’Etat et de la classe dirigeante pour persuader la majorité,) par des initiatives matérielles et idéologiques, qu~il n existe aucune alternative ” (1978 : 170-171). Dans les démocraties, deux sortes de parti ont joué un rôle central : le parti bourgeois, qui est ” avant tout un véhicule pour l’organisation des autres classes autour de la bourgeoisie, et le parti du travail, qui contribue à la stabilité démocratique tant qu’il ne témoigne d’ ” aucune ambition pour aller vers l’établissement d’une société socialiste ” (ibid. : 194, 209). Mais il n’existe aucune loi d’airain qui exclut d’autres solutions institutionnelles au problème consistant à concilier le respect des limites imposées par la production capitaliste avec le suffrage universel. Le marxisme offre, de ce point de vue, une perspective comparative conséquente à partir de laquelle on peut analyser la démocratie dans les sociétés du centre et de la périphérie, ce qui nous permet d’incorporer et de corriger les aperçus partiels des théoriciens qui se situent en dehors de la tradition marxiste classique, tels qu’Adam Przeworski et Stein Rokkan. Przeworski théorise le cas spécifique de la social- démocratie mais il le fait d’une façon unilatérale qui surestime sa capacité à offrir des progrès concrets aux travailleurs et ignore sa tendance à lui nier d’autres options. Il explique le mouvement historique vers le réformisme dans la social- démocratie européenne comme une conséquence de l’action rationnelle des travailleurs qui découvrent qu’ils peuvent améliorer leurs conditions matérielles au sein du capitalisme, puisque le niveau des profits rend possible à la fois la reproduction du capital et la hausse des salaires réels (1985 : 136-7). Mais avec sa formalisation & l’argument, qui se fonde sur l’idée que ” il doit exister à tout moment donné un niveau de hausse des salaires qui remplit les conditions minimum de la reproduction du consentement,” (147), Przeworski se trompe en traitant le capitalisme comme un jeu perpétuel à somme positive. Pour être précis, tout ce qui est nécessaire pour obtenir le consentement, c’est la capacité à exclure d’autres alternatives. Mais en fait, les leaders sociauxdémocrates ont surtout prouvé leur utilité au sein du capitalisme en appelant à des sacrifices chez leurs partisans en temps de crise, plutôt qu’en démontrant que des acquis sont possibles en permanence : ils poussent au compromis de classe surtout en temps de crise économique aiguë, phénomène que Przeworski exclut en théorie. ( … ) Comme le note Miliband à propos du Parti travailliste britannique, on ne trouve ” aucune trace historique d’un moment où les leaders du Parti travailliste ont utilisé leur position d’autorité pour encourager des prises de position plus radicales chez leurs militants la tendance a toujours été, sans exception, en sens contraire ” (1982 : 69).

La suggestion de Therborn, selon laquelle la force des régimes bourgeois avancés ” réside surtout, probablement, dans son système politique (polity) : ses organisations politiques et ses appareils administratifs ” (l978 : 195), reflète un intérêt récent chez les marxistes pour les aspects institutionnels de la démocratie. Therborn comprend qu’il n’y a rien d’automatique dans le respect que manifestent les démocraties des sociétés capitalistes avancés envers les limites exigées par la reproduction du capitalisme. Si ce ” respect ” résulte en grande partie d’effets structurels, il a néanmoins besoin de se traduire aussi par des formes institutionnelles appropriées, qui s’adaptent aux situations concrêtes. On peut trouver une analyse plus détaillée de la relation entre les facteurs structurels et institutionnels qui sous-tendent les démocraties stables, du point de vue d’une économie politique tout à fait compatible avec le matérialisme historique, dans les travaux de Stein Rokkan (1967, 1970), auteur qui insiste beaucoup sur les formes d’interaction de ces facteurs dans des cas historiques particuliers. Son analyse classique (avec Lipset) de l’émergence des systèmes de partis en Europe souligne le timing, le caractère et les effets des révolutions nationales et industrielles successives. Il étudie également la genèse des contextes de luttes de classe de l’ère industrielle, à partir des conflits entre centre et périphérie, église et État, agriculture et industrie. ” Ce qui était en jeu, c’était la capacité des élites pro-capitalistes (qu’elles soient libérales ou conservatrices) a créer à temps les institutions modernes qui leur permettraient de relever le défi de l’organisation prolétarienne ” (Lipset et Rokkan, 1967 : 51). (…)

Cette approche historique, structurelle, conjoncturelle et institutionnelle, qui est conséquente avec le cadre théorique marxiste esquissé plus haut, appelle davantage une comparaison avec les analyses de Gramsci sur la politique italienne dans la période de l’unification nationale, la sociologie historique comparative de Tilly, ou l’analyse par Barrington Moore des origines de la démocratie et de la dictature, qu’avec les abstractions décontextualisées du behaviorisme. Ce qui nous amèe à approcher le développement politique latino-américain, non pas en appliquant les généralisations tirées de l’expérience européenne, mais en analysant justement l’impact des révolutions nationales et industrielles que Lipset et Rokkan prennent comme point de départ. Il s’agit, autrement dit, d’analyser les révolutions nationales et industrielles en tant que processus globaux, et d’examiner les formes de l’émergence des Etats-nations et de l’expansion de l’économie capitaliste internationale en Amérique latine, en tant que région particulière du système-monde.

Du point de vue de ces deux dimensions, les républiques d’Amérique latine partagent une histoire commune qui les distingue des Etats démocratique européens les plus ” réussis “, ainsi que des autres régions du Tiers-Monde : une indépendance politique acquis assez tôt (dans la lutte contre les puissances espagnole et portugaise) et l’incorporation dans l’économie capitaliste globale à un stade relativement peu avancé de la révolution industrielle, à travers un développement dominé par l’exportation et fondé sur la fourniture de matières premières – agricoles et minérales – au centre en voie d’industrialisation. Contrairement aux conflits entre le,~ puissances qui ont ponctué l’histoire européenne durant une période assez longue, la formation des États en Amérique latine, a connu une source unique : l’effondrement de la domination espagnole et portugaise, suite aux événements européens de 1810 à 1830. Ce processus n’a pas correspondu à un défi local lancé contre l’église catholique par le protestantisme, ni un défi lancé à l’agriculture par des intérêts industriels. Au contraire, la domination des élites terriennes a été renforcée par la croissance rapide de l’économie exportatrice, surtout entre 1880 et 1930. Les implications de cette circonstance pour le futur développement de la politique et de la démocratie furent immenses. Comme nous l’avons vu, Lipset et Rokkan soutiennent, à partir de l’expérience européenne, que les élites pro-capitalistes ont réussi à contenir le défi des partis ouvriers et a créer des démocraties stables la où elles ont pu créer des partis politiques modernes, de masse, relativement tôt danr, le processus de mobilisation de masse. Là où cela ne s’est pas produit, il a fallu attendre la fin de la deuxième guerre mondiale, et la conjoncture spécifique de la défaite des puissances de l’Axe, pour que l’aire géographique de démocratie puisse s étendre de façon significative. En Amérique latine avant 1930, il y eut peu d’occasions et peu d’incitations à la construction de partis politiques à base ouvrière. Après 1930, de nouveaux obstacles à la création de la démocratie stable ont surgi au moment même où les obstacles anciens disparaissaient.

Classe, Etat et partis en Amérique latine après 1930

La clé de la vie politique latino-américaine dans le demi-siecle qui a suivi le krach de 1929 réside dans la perte durable par la classe dominante de son hégémonie. Avant 1930, les classes dominantes de la région n’avaient pas encore réussi à construire des institutions politiques modernes. Seules les républiques du Cône sud – Argentine, Chili, Uruguay – avaient élargi la participation électorale de façon significative, mais en aucun cas la classe ouvrière ne se trouvait incorporée dans les organisations nationales de masse. ( … )

Ces trois pays sont les exemples les plus avancés du développement des partis politiques sous la domination oligarchique avant 1930, mais dans aucun de ces pays les forces bourgeoises n’ont su organiser des partis efficaces après que la dépression eût provoqué la fin du développement par l’exportation. ( … ).

Une des caractéristiques originales des pays latino-américains résulte du développement par l’exportation et du caractère limité de l’industrialisation, à savoir que l’incapacité des classes dominantes a rencontré une faiblesse analogue chez la classe ouvrière, celle-ci étant souvent divisée entre des contingents séparés, ruraux et urbains, et entre un prolétariat industriel minuscule et une masse beaucoup plus grande de travailleurs employés dans des petits ateliers ou dans des travaux précaires et informels. Dans ces circonstances, les défis lancés à la domination bourgeoise dans le demi-siècle qui a suivi la grande dépression venaient moins des partis du travail que des ” partis d’ Etat ” sui generis, fondés et dirigés par des entrepreneurs politiques à partir de postes exécutifs au sein de l’Etat même. Par conséquent ces partis engendraient du soutien en utilisant la capacité de l’État à réprimer ou à compenser. Ils ont rencontré le plus de succès là où ils érigeaient en stratégie principale l’incorporation des travailleurs dans des syndicats contrôlées par l’Etat, ainsi que l’industrialisation initiée par l’Etat. Les caractéristiques les plus significatives de cette forme politique – que l’on décrit généralement comme ” populiste ” – étaient son succès conjoncturel comme ” pis-aller ” (second-best option) pour les classes dominantes privées d’options propres, l’appui massif des travailleurs habitués auparavant à la négligence ou à la répression, sa tendance à perdre après quelques temps l’une des conditions de son succès, à savoir sa capacité à contrôler sa clientèle ouvrière et à maintenir la classe dominante à distance, et enfin son antipathie foncière envers la démocratie, puisqu’elle avait besoin d’utiliser le pouvoir d’Etat pour nier la liberté d’association de ses adhérents comme de ses opposants. La vague de dictatures militaires qui a traversé toute la région lors du cycle d’instabilité a partir de 1930, devait autant au caractère anti-démocratique des mouvements de défi à l’hégémonie de l’élite qu’aux classes dominantes elles-mêmes.

Lorsque leur propre capacité de gestion politique faisait défaut, les institutions populistes faisaient barrage à l’émergence de la libre compétition électorale ou d’alternatives démocratiques. Le recours à la dictature militaire directe ne constituait pas le premier, mais bien le troisième refus de la démocratie au 20e siècle en Amérique latine, les deux premiers ayant été les pratiques d’exclusion et d’incorporation clientéliste poursuivies successivement par les élites privées d’hégémonie et par leurs rivaux populistes. Ces pratiques ne constituaient pas des aberrations susceptibles d’être corrigèes par des exhortations à la sagesse et au courage. Elles représentaient au contraire des réponses rationnelles qui témoignaient des limites structurelles de la capacité de gestion politique tant des partis bourgeois que des partis populistes semi-autonomes.

La démocratie libérale dans l’Amérique latine contemporaine

Une conclusion importante que l’on peut tirer de la discussion qui précède, c’est qu’en Amérique latine ia démocratie et la citoyenneté ont été des catégories contradictoires plutôt que complémentaires. On se tromperait M considérant cet aspect de la vie politique de la région comme un simple reflet du fait – accepté comme une donnée objective dans une grande partie de la théorie démocratique orthodoxe – qu’aucun régime démocratique du monde ne répond pleinement aux critères normatifs de l’idéal-type. Car on ne peut pas dire seulement que la démocratie a fonctionné en dépit des niveaux relativement bas de participation et d’activité associative ; ÏM faudrait plutôt dire qu’elle a eu besoin de ces bas niveaux et qu’elle s’est effondrée – comme au Brésil en 1964 et au Chili en 1973 – là où l’affirmation de la citoyenneté était sur le point de dépasser les limites imposées. La faiblesse structurelle du capitalisme périphérique et la faiblesse institutionnelle (liée à la première) des classes dominantes locales se sont combinées pour produire le mauvais bilan de la démocratie dans la région. La contradiction entre la démocratie et la citoyenneté est MI effet structurel du développement capitaliste périphérique à un moment historique spécifique. La perception que cette contradiction reste non résolue aujourd’hui se manifeste danç les travaux de Dianiond, Linz et Lipset et explique le gouffre entre les critères normatifs dont ils se réclament et les conseils politiques qu’ils profèrent. D’autres analyses récentes de la transition latino-américaine abordent cette contradiction plus directement. Malloy (1987) reconnaît sans ambages l’absence de théories générales convaincantes du développement latinoaméricain et de nombreux obstacles au plein développement de la démocratie stable. Sa réponse à ce problème consiste à accepter que les réflexes démocratiques et autoritaires sont tous deux des caractéristiques permanentes de la vie politique latinoaméricaine, responsables des mouvements cycliques entre les deux formes de régime du passé. Par ailleurs il recommande des ” règles de prudence qui permettent à une forme de démocratie de survivre “. Ces règles sont fondées sur la suggestion que les deux réflexes devraient être contenus dans un seul régime hybride fondé sur des coalitions entre des leaders civils et militaires, sur un pouvoir exécutif fort et sur la possibilité d’un régime quasi – autoritaire en temps de crise. Qu’on le veuille ou non, son message c’est que les Latino-américains devraient apprendre à vivre avec leur culture autoritaire. Alors que Diamond, Linz et Lipset évitent cette question, Malloy prône ouvertement une forme de démocratie (auto-) limitée dans laquelle les droits afférant à la citoyenneté sont volontairement abandonnés. O’Donnell et Schmitter (1986) semblent, de prime abord, adopter une perspective différente, puisqu’ils reconnaissent que les obstacles structurels à la consolidation démocratique sont immenses, mais ils soulignent aussi le changement provoqué par la montée des valeurs démocratiques dans la région. Ils attribuent la chute des régimes autoritaires à la résurgence de la citoyenneté active, mais ensuite ils suivent Malloy en conseillant la prudence maintenant que la démocratie ~1 été restaurée. lis conseillent par exemple aux leaders civils d’ éviter des réformes sociales ” hâtives “, de traiter les forces armées et les droits de propriété comme des choses sacrées, de persuader les syndicats de discipliner leurs membres et de créer des parw; qui fonctionnent comme des ” instruments de contrôle social et politique ” (1986 : 58). Autrement dit, ayant fait l’éloge de la citoyenneté pour son rôle dans la chute de l’autoritarisme, ils viennent ensuite présider à son enterrement.

L’impression qu’il se passe ici quelque chose de ” louche ” est vite confirmée lorsque nous revenons aux travaux de Przeworski, l’apôtre de la consolidation démocratique à travers la réponse rationnelle des travailleurs à la perspective d’acquis sociaux progressistes sous le capitalisme. Quand il se tourne vers l’Amérique latine, il commente ainsi la situation :

” Il semblerait qu’une docilité et une patience presque complètes soient nécessaires pour qu’une transformation démocratique réussisse. Ici encore, il vaut la peine de noter que le système démocratique fut consolidé en Belgique, en Suède, en France et en Grande Bretagne seulement après que des ouvriers organises eussent subi de graves défaites dans des grèves de masse et ensuite adopté une attitude docile… On ne peut pas éviter la possibilité qu’une transition à la démocratie ne peut se faire qu’en laissant les relations économiques intactes : non seulement la structure de production mais aussi la distribution des revenus ” (l 986 : 63).

Ce passage contredit l’explication par le même Przeworski du cas européen mentionné plus haut, et ce faisant il révèle plus clairement les limites structurelles de la démocratie bourgeoise. En même temps, le parallélisme indiqué occulte le fait notable que dans les cas européens, les régimes cités ont fini pt ir prouver qu’ils avaient les ressources matérielles et institutionnelles pour passer, en termes gramsciens, de la domination à l’hégémonie. Comme nous l’avons vu, la capacité institutionnelle des régimes latino-américains a jusqu’ici été beaucoup plus faible, et la même chose peut se dire de leurs ressources matérielles. Indiquant son accord sur ce dernier point, Przeworski est amené a plaider pour une démocratie où les travailleurs renoncent volontairement à tout espoir de progrès matériel, dans des circonstances bien documentées d’inégalité dans la distribution des revenus et de la richesse. Ceci revient à avouer que si sa théorie est valable, la démocratij, en Amérique latine ne peut pas marcher, puisqu’il décotil directement de cette théorie que les candidats qui proposent (les améliorations sur le plan matériel se présenteront inévitablement aux élections et s’attireront beaucoup de soutien.

D’un point de vue soit normatif, soit analytique, il y a donc une contradiction profonde au sein toutes ces approches. Elles proclament la valeur de la démocratie politique comme une fin en soi, mais s’en distancient immédiatement en prônant le renoncement volontaire aux droits de citoyenneté qui permettraient d’achever la consolidation démocratique. La relationentre citoyenneté et démocratie est certes complexe, en partie parce que les tentatives pour pousser les ” frontières ” de chaque concept rendent les deux termes fluides (Vogel et Nioran 1990). Ici, l’intérêt comparatiste est évident. Dans les démocraties du centre, le débat ne tourne plus depuis longtemps autour de la citoyenneté politique dans l’Etat-nation démocratique. Car depuis que l’Etat-providence existe comme objet d’analyse, beaucoup de débats tournent autour de l’extension des droits démocratiques vers les domaines social et économique. On a assisté plus récemment à une remise en cause du statut de l’Etat-nation en tant qu’unité au sein de laquelle les questions de démocratie et de citoyenneté peuvent être résolues, l’attention se tournant à la fois vers la délégation des prises de décision au niveau local et vers des entités supranationales en gestation, sur lesquelles la citoyenneté et les droits démocratiques pourraient se fonder. En Amérique latine, par contraste, les fondements de la citoyenneté et de la démocratie sont si faibles que les propositions pour élargir leur portée et leurs frontières sont reléguées au second plan, la priorité urgente étant de leur faire prendre racine pour la première fois. Dans une grande partie de la région, les droits essentiels à la pratique effective de la démocratie libérale, même définie dans un sens étroit, ayant trait à la procédure – la liberté d’opinion et d’expression, la liberté de parole, de réunion et d’association à l’intérieur des limites de la loi, le droit de voter librement et de se présenter aux élections, le principe des élections compétitives, libres et honnêtes, et les arrangements institutionnels qui font réagir le gouvernement aux préférences exprimées par le suffrage universel – ces droits ne sont pas respectés. En attendant que les conditions de l’exercice de la citoyenneté politique effective existent, il y a peu de chances pour que les institutions actuellement existantes survivent, et on ne petit pas justifier le fait de les considérer comme réellement démocratiques. Car on ne peut considérer le progrès social et économique comme une chose séparée de la démocratie politique, ou comme un complément à la consolidation de celle ci ; au contraire, la réalisation de la citoyenneté, si essentielle Pour la démocratie politique, exige des réformes sociales et éconorniques substantielles. Ce qu’il faut, ce n’est pas l’extension de la démocratie de procédure et la citoyenneté politique, déjà assurées, à de nouveaux domaines, mais une réforme substantielle qui enlève les obstacles sociaux et économiques qui empêchent la réalisation de la citoyenneté politique elle-même.

Démocratie et citoyenneté en Amérique latine

Fox (1990 : 11) a affirmé récemment que la démocratisation rurale en Amérique latine exige ” un changement dans le rapport de forces au sein de la société “. Il attire l’attention sur plusieurs obstacles à l’exercice de la citoyenneté dans une grande partie de l’Amérique latine : le blocage de la participation en dehors des élections – blocage qui est le fait d’élites et de forces de sécurité de l’Etat -, le caractère rampant du clientélisme, la résistance de l’élite à la construction d’associations fortes et autonomes par les pauvres eux- mêmes. Dans le même volume, Grzybowski, puisant dans l’expérience des mouvements des travailleurs ruraux et des travailleurs du caoutchouc, soutient que de tels mouvements sociaux, loin d’être antagoniques avec la démocratie libérale, visent à réaliser les conditions dans lesquelles une véritable démocratie politique peut exister. Il suggère ensuite que si la voix de la majorité rurale dépossédée se fait enfin entendre, elle revendiquera inévitablement d’autres stratégies de développement que celles poursuivies à partir du modèle du capitalisme sauvage adopté par les forces militaires depuis plus de vingt ans. Autrement dit, si la citoyenneté et la participation démocratique devenaient réalité, elles mèneraient inévitablement à des demandes de changement sociaux et économiques dont la formulation a pris un retard considérable. A l’heure actuelle les leaders des mouvements politiques tels que ceux étudiés par Grzybowski deviennent les cibles d’attentats routiniers – cf. l’exemple de Chico Mendes – chaque fois qu’ils arrivent réellement à remporter des succès. L’oppression de la paysannerie par les propriétaires terriens et par l’État n’est pas un problème qui affecte toute la région, mais elle reste un obstacle majeur à la démocratie au Brésil, en Colombie, au Salvador, au Guatemala, au Honduras et au Pérou, pour ne nommer que les cas les plus notoires. Au Salvador, le parti d’extrême-droite ARENA fonde sa domination d’une part sur le clientélisme et la répression dans les campagnes, d’autre part sur la manipulation de la législation électorale afin d’enlever le droit de vote aux secteurs de la population rurale qu’il ne peut pas intimider ou contrôler. Au Guatemala, la menace d’une mobilisation contre le système a été contenue – avant le retrait formel des militaires de la scène politique – par une petite affaire de 40 000 assassinats commis par les forces de sécurité et par la mise en place d’un système régional de sécurité qui rend impossible, auj’ourd’hui encore, l’association politique libre, sauf au péril de sa vie (Handy 1986). Le Parti conservateur et le Parti libéral en Colombie ont maintenu leur influence en pratiquant un clientélisme traditionnel ” tout à fait incompatible ” selon Zamosc, ” avec le principe de citoyenneté politique “, tout en réprimant les mouvements populaires qui se développent contre l’accaparement des terres par les trafiquants de drogue ainsi que toute forme de mobilisation paysanne (Zamosc 1990 : 50, 71-2).

La ” décennie démocratique ” des années 80 en Amérique latine n’a en fait connu qu une seule tentative sérieuse de briser les obstacles à la participation démocratique de la majorité rurale : celle du Nicaragua, pays que les théoriciens de la démocratisation classent, avec une commodité discutable, dans la catégorie ” révolution socialiste “, le retirant ainsi d’office du débat comparatif. Après le soulèvement contre la dynastie des Somoza en 1979, les Sandinistes se sont efforcés de donner du pouvoir à la majorité qui en était privée, d’abord en promulgant une nouvelle constitution et en créant de nouvelles institutions permettant aux paysans et aux petits producteurs d’échapper à la,répression exercée par les grands propriétaires terriens et par l’Etat, mais aussi en redistribuant les terres dans une réforme agraire qui avait d’abord été refusée par la direction nationale (Luciak 1988). En enlevant, en l’espace d’une décennie, les obstacles à la participation démocratique – ces mêmes obstacles qui, ailleurs, ont été renforcés afin de créer l’apparence de la démocratie sans faire courir de trop gros risques aux intérêts dominants – les Sandinistes ont créé les conditions d’une citoyenneté politique effective tout en forgeant les institutions formelles de la compétition démocratique. Les Sandinistes ont, bien sûr, violé les limites de tolérance imposées au capitalisme périphérique et ont ainsi provoqué une intervention massive et illégale des administrations Reagan et Bush. Cette dernière a réussi en 1990 à persuader la population, de guerre lasse, d’élire la coalition improvisée dirigée par Violeta Chamorro.

Ces données nous suggèrent que les aspirations des Sandinistes correspondait mieux au modèle normatif de la démocratie élaboré par Diamond, Linz et Lipset que toutes les pratiques politiques que ces auteurs préconisent eux-mêmes. De même il nous semble que la manifestation la plus authentique du sentiment démocratique en Amérique latine depuis une décennie, c’est le développement du Parti des travailleurs au Brésil. Ce parti a été fondé en 1979 suite à un mouvernent efficace de résistance contre la politique anti-ouvrière du régime militaire. S’appuyant sur une large gamme de mouvements laïques, catholiques, féministes, ouvriers, paysans et locaux (à l’échelle des quartiers), le PT vise à construire une alternative autonome vis-à-vis des institutions ouvrières corporatistes et un instrument pour organiser les couches dépossédées de la société brésilienne. Il définit son objectif central comme ” l’extension à tous des pleins droits de citoyenneté ” (Sader et Silverstein 1991 : 106). Si ce parti réussit à donner des pouvoirs démocratiques a ceux qui n’en ont pas, il pourrait susciter, par exemple, une réforme agraire et une répudiation de l’énorme dette extérieure accumulée par la dictature militaire, ce qui, encore une fois, remettrait en question les limites de tolérance imposées au capitalisme périphérique.

Dans leur reconnaissance de la déficience des pratiques démocratiques du passé, et dans leur engagement en faveur de la création des conditions d’une pleine Citoyenneté au présent, la révolution sandiniste au Nicaragua et le Parti des travailleurs au Brésil posent, mais ne résolvent pas, la question de savoir si Ic c.ipitalisme périphérique et la démocratie libérale peuvent être compatibles en Amérique latine. Les cas du Costa Rica et du Venezuela – les deux exemples reconnus de démocratie libérale réussie dans la région – suggèrent que c’est possible dans certaines conditions, mais ces exemples offrent peu d’indications pratiques pour la transition en cours dans d’atiti-es pays. Dans ces deux cas, de hauts niveaux de participation, dans des conditions d’authentique compétition électorale, ont été maintenus durant des périodes assez longues. On peut identifier sans problème certaines caractéristiques structurelles, institutionnelles et conjoncturelles que ces deux pays partagent : la relative faiblesse de la classe des propriétaires terriens dan~ la période d’exportation, la réalisation de réformes significatives dans la période de transition démocratique (l’abolition des forces armées au Costa Rica et la réforme agraire – financée par le pétrole – au Venezuela) ; des circonstances économiques favorables durant la transition et la consolidation, et un ferme anticommunisme durant la guerre froide. Dans les deux cas, des régimes voués à la réforme pro-capitaliste ont pu construire une base populaire qui leur permettait de gagner des élections plusieurs fois de suite et d’obliger les autres partis a accepter le système électoral compétitif. Si ces démocraties ont leurs limites (les communistes ont été proscrits au Costa Rica jtisqu . en 1970, et les candidats au Congrès vénézuélien doivent payer plus pour gagner une élection qu’aux États-Unis), il faut reconnaître qu’on rencontre les mêmes limites dans d’autres régimes démocratiques et libéraux modernes.

Il y a peu d’indices qui suggèrent que dans les circonstances nouvelles des années 90, de telles formes de consolidation démocratique seront réalisées dans d’autres pays. Les nouvelles démocraties ont certes le mérite de permettre une véritable coinpétition électorale, mais elles n’ont pas su produire des partis susceptibles de construire des bases d ‘appui durables. Aucun candidat sortant à la présidence n’a été réélu depuis le début de la transition en 1979. Au Pérou, la présidence a été conquise par trois partis différents en trois élections successives, et chaque fois le sortant arrivait à peine a un score en deux chiffres. Le Chili continue d’être gouverné selon les termes d’une constitution léguée par le général Pinochet, qui favorise grandement la droite et enlève de vastes domaines à la vie nationale de tout contrôle démocratique (Loveman 1991). Le Brésil présente le cas le plus frappant des pays où le système politique titube de crise en crise au fur et à mesure que la transition progresse (Mainwaring 1991). Au Brésil et au Pérou, des présidents ont été élus sans aucun soutien partisan organisé et ils ont gouverné – comme d’ailleurs en Argentine et en Équateur – autant par décret exécutif qu’en conjonction avec le Congrès. Dès lors, ni l’abrogation de la constitution par Fujimori au Pérou, ni la crise qui a abouti a la destitution de Collor en 1992 ne devraient surprendre. Une grande partie du soutien dont bénéficiaient les leaders du centre ou du centredroit lors des transitions a été dissipée, et leur refus de considérer des réformes sociales ou économiques progressistes ‘n’en est pas la moindre cause. Le début des années 90 a vu l’avènement d’une nouvelle génération de tenants de la libéralisation économique, dont les efforts s’accordaient certainement avec les intérêts du capital international, mais qui ne donnaient pas l’impression de vouloir défier les structures enracinées du pouvoir qui empêchent la maj orité des Latinoaméricains d’agir efficacement en tant que citoyens. Ce serait ironique mais parfaitement explicable en fonction des caractéristiques actuelles du capitalisme global si l’Amérique latine entrait dans une période de démocratie institutionnelle juste au moment où les États de la région, comme ceux d’autres régions, abandonnent toute responsabilité pour l’accession de leurs habitants aux droits de citoyen (empowerment as citizens). On peut certes en théorie envisager une citoyenneté réelle sans démocratie. Mais il a fallu le savoirfaire politique (skillful political crafting) des dirigeants latinoaméricains pour façonner, avec le soutien enthousiaste des théoriciens empiristes contemporains, une démocratie sans citoyenneté.

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