Cela fait maintenant vingt ans qu’un certain nombre de travaux en France ont donné au concept de travail une dimension sexuée et pourtant on ne peut dire que cette inclusion jouisse d’une quelconque stabilité car n’ayant pas eu accès à un réel droit de cité dans la communauté des scientifiques. Les catégories de sexe apparaissent et disparaissent dans la façon dont sont conceptualisés travail et production[[Sur l’instabilité/ fluctuation dans l’utilisation des notions se référant à la division sexuelle du travail dans les analyses du travail, cf. Hirata H., 1986 ; dans un tout autre registre, sur « l’instabilité des catégories analytiques de la théorie féministe », Harding S., 1990.
, et cela en dépit du poids croissant des recherches sur les femmes et la division sexuelle du travail dans l’évolution récente de la sociologie du travail en France (cf. Dubois P., Kastoryano R., 1985 ; Erbes-Seguin S., 1988).
Les raisons de cette instabilité des catégories de sexe restent à analyser, mais on pourrait probablement lier cette instabilité aux rapports de forces en vigueur au sein de la communauté scientifique, où prédominent massivement des lieux d’hégémonie masculine.
Cependant, on peut d’ores et déjà constater que l’introduction des rapports sociaux de sexe au sein même de l’analyse des relations de travail, salarié et domestique, a pu contribuer aussi bien à des connaissances renouvelées sur le travail lui-même, qu’à la formulation de nouvelles interrogations, à l’ouverture d’autres champs de recherche.
Nous avons, dans cet article, choisi de nous situer par rapport à l’état actuel de la réflexion sur la division sexuelle du travail à partir d’un point de vue particulier: celui de la division internationale du travail. Pour ce faire, nous commencerons par l’archéologie du concept de division sexuelle du travail, en nous référant aux principaux travaux effectué France sur cette question depuis le début des années 70. Après cette présentation, nous verrons comment la division du travail et l’organisation du travail sont différenciées selon les sexes et selon la place occupée dans la division internationale du travail. Finalement, le concept de division sexuelle du travail sera rediscuté à la lumière de certaines notions (variabilité, continuité, permanence)[[Ou le couple « perdurance et variabilité » de la division sexuelle du travail, cf. D. Kergoat, « Des rapports sociaux de sexes et de la division sexuelle du travail », Cahiers du G. E. D. L S. S. T, no 3, 1. R. E. S. C. 0., Paris, 1992, pp. 25-28.
, telles qu’elles se sont dégagées des comparaisons internationales de la division du travail entre les hommes et les femme[[Nous remercions Hélène Le Doare et Michèle Riot-Sarcey pour les critiques à une première version de ce texte.
.
1. Archéologie d’un concept
Depuis vingt ans environ, on remarque en France la constitution d’un champ de recherches et d’un champ problématique nouveau, à partir de différentes approches disciplinaires (cf. Bibliographie)[[Cf. notamment, dans les références bibliographiques, les travaux effectués dans le cadre du G.E.D.I.S.S.T. (Groupe d’Étude sur la Division Sociale et Sexuelle du Travail), équipe de recherche du Centre National de la Recherche Scientifique, par: E. Apfelbaum, B. Appay, D. Chabaud-Rychter, J. Coutras, D. Fougeyrollas-Schwebel, J. Heinen, H. Hirata, J. Jenny, D. Kergoat, F. Laborie, J.Ch. Lagree, A. Langevin, H. Le Doare, Ch. Rogerat, D. Senotier, E. Varikas, G. Vergnaud et M.H. Zylberberg-Hocquard.
. En effet, au cours des années 1970 s’est structurée progressivement en France une orientation de recherche sur la « transformation de l’étude des femmes en étude “des sexes” » et, simultanément, l’« interpénétration des domaines avant séparés de la sociologie du travail et de la sociologie de la famille »[[C. Delphy et D. Kergoat, « Les études et recherches féministes et sur les femmes en sociologie », p. 4, contribution au colloque « Femmes, Féminisme et Recherches » de Toulouse, 1982, cf. Actes du Colloque National, Toulouse.
ce qui impliquait la constitution d’une « sociologie des sexes » (N.C. Mathieu, 1991, p. 28) inexistante jusque-là. En effet, l’anthropologie, qui avait traditionnellement une approche comparative hommes/femmes, avait assisté, dès les années 60, à une remise en question, par certains anthropologues, d’une approche comparative mais non hiérarchisée entre hommes et femmes au profit d’une approche introduisant l’antagonisme et la domination (cf. Mathieu N.C., 1991 ; C. Guillaumin, 1992; M. Godelier, 1982)[[ Les deux premiers ouvrages rassemblent des articles écrits dès 1970; le troisième reprend des thèses développées dans des textes publiés dans les années 1960 et 1970.
. Par contre, la sociologie avait réalisé la coupure entre sociologie de la famille, où l’objet privilégié était le comportement « reproductif », dans un sens large, des femmes dans l’univers familial, et la sociologie du travail, avec un objet soi-disant universel, en réalité masculin: l’étude des caractéristiques du travail professionnel (des hommes). Dans aucune de ces sous-disciplines de la sociologie on ne pouvait trouver des études sur les rapports sociaux entre les hommes et les femmes qui se tissent simultanément dans le salariat et dans la famille.
La dichotomie créée permettait dans le meilleur des cas l’intégration des femmes dans l’univers d’analyse, avec le statut d’un « nouveau champ régional ». Selon D. Kergoat, les femmes étaient tout simplement ajoutées aux autres champs régionaux déjà existants sans les questionner. Cette ontologie du régional (l’objet femme comme objet séparé) a été constituée historiquement par quelques travaux sociologiques qui ont donné, ainsi, dans les années 1950-1960, une certaine visibilité aux femmes et au travail féminin. Les travaux de V. Isambert-Jamati et M. Guilbert (1956, 1962), de M. Guilbert (1966), constituent, ainsi, une première application des notions de la sociologie du travail traditionnelle – emploi, formation professionnelle, salaire, marché de travail, technologie – aux femmes. Il ne s’agissait aucunement d’une interrogation critique de ces notions à partir d’une catégorisation en termes de sexes sociaux, comme il sera fait par la suite dans les années 1970. En outre, de telles recherches étudiaient le travail des femmes sur les mêmes bases que le travail masculin, c’est-à-dire en le concevant uniquement dans sa dimension professionnelle, et en considérant l’univers du travail domestique et du travail dans la famille comme élément annexe.
C’est un renversement épistémologique radical qu’instaure l’élaboration, dans les années 1970, par D. Kergoat, de la problématique de la division sexuelle du travail. A partir d’une déconstruction/ reconstruction du concept de travail et de division du travail et des concepts connexes comme celui de qualification, D. Kergoat plaide pour une sociologie des rapports sociaux où classe et sexe social[[Sexe social et non « genre »: sur le sens de cette différence, cf. D. Kergoat, revue M, n° 53-54, 1992, p.18.
sont considérés comme co-extensifs. Questionnant les formes de raisonnement dominantes, son analyse découvre les contradictions de sexes sous la stabilité apparente des catégories de l’analyse sociologique qui se prétendaient universelles, mais fondées implicitement sur le modèle masculin. Cette « révolution copernicienne » inaugure, en sociologie, une approche comparative hommesfemmes. Lintroduction de la dimension sexuée, des rapports sociaux de sexes ou du « sexe social » questionne fortement l’ensemble des catégories sociologiques, comme par exemple le concept de classes sociales (C. Delphy, 1977 ; D. Kergoat, 1982 ; D. Kergoat, ouvrage collectif, Le Sexe du travail, 1984).
Dès le début des années 1980, les recherches développées par D. Kergoat et d’autres chercheuses ayant différentes appartenances disciplinaires dans le cadre du G.E.D.I.S.S.T. ont eu, donc, pour point de départ une problématique qui élargissait et restructurait (par une activité de déconstruction/reconstruction) le concept de travail par l’inclusion dans celui-ci :
du sexe social,
du travail domestique, non professionnel, non salarié et non rémunéré.
Cette problématique de la division du travail entre hommes et femmes dans la sphère professionnelle et dans la sphère domestique a eu pour conséquence, sur le plan théorique et épistémologique, de faire éclater toute une série de clivages, comme ceux entre production et reproduction, salariat et famille, etc. Elle a eu aussi pour conséquence de faire éclater des catégories sociologiques construites à partir exclusivement de la prise en compte d’une population masculine considérée comme universelle (des catégories comme celles de qualification, de mouvement social, de temps social, de plein emploi, etc.).
La problématique de la division sexuelle du travail et des rapports sociaux de sexe, le concept même de division sexuelle du travail, ont bénéficié pour leur constitution, d’un mouvement social des femmes qui, dans les années 1960-1970 a mis en cause fortement « l’androcentrisme des recherches en sciences sociales » (cf. Mathieu N.C., 1991 ; Delphy C., 1992, Rapport d’activité G.E.D.I.S.S.T., 1983).
Cette problématique a contribué, dans son développement pendant les années 1970 et 1980 à questionner le déterminisme économique des analyses du travail en postulant, pour une partie de ces recherches, la centralité des rapports inter-subjectifs hommes/femmes dans les phénomènes d’exploitation, étudiés traditionnellement dans un cadre exclusivement économique. En cela, la sociologie des rapports sociaux de sexe a été innovatrice au même titre que les disciplines nouvelles mettant en avant la subjectivité dans le travail (comme par exemple la psychopathologie du travail).
2. Division internationale du travail et organisation sexuée du travail
Une approche par la division sexuelle du travail introduit, au coeur de l’analyse de tout rapport social, la comparaison hommes-femmes. La prise en considération de la division internationale du travail, associant une comparaison Nord-Sud à une comparaison entre les sexes sociaux, peut donner un nouvel éclairage, soit confirmant, soit infirmant les conclusions auxquelles on aurait pu arriver à partir d’une analyse exclusivement en termes de division sexuelle du travail. Nous indiquerons ici l’intérêt d’une approche simultanément en termes de division sexuelle et internationale du travail, prenant comme objet l’organisation du travail industriel, à partir de deux figures paradigmatiques, le taylorisme et la spécialisation flexible.
Division internationale du travail et taylorisme
Les méthodes et techniques tayloriennes sont appliquées majoritairement aux femmes et la gestion taylorienne est prédominante dans les usines de femmes, tant dans les pays du Nord que du Sud. Inversement, les industries de process sont à main d’oeuvre essentiellement masculine. C’est selon le sexe de ses effectifs salariés que l’entreprise élabore et applique sa politique de gestion de la main d’oeuvre La politique de contrôle, en particulier, est décidée en fonction du sexe du travailleur employé et chaque enquête empirique apporte une nouvelle confirmation sur la nature différenciée de ce contrôle pour les hommes et pour les femmes.
Les travaux de Madeleine Guilbert (1966) et de Danièle Kergoat (1978, 1982) ont montré l’importance du travail des femmes dans les branches industrielles où les techniques tayloriennes ont été adoptées le plus efficacement. Les enquêtes « conditions de travail » et T.O.T.T.O. (techniques et organisation du travail) de l’I.N.S.E.E. et du ministère du Travail français (cf. S. Volkoff, 1980, 1987) ont apporté des éléments chiffrés et ont confirmé la thèse selon laquelle les techniques tayloriennes s’appliquent principalement aux travailleurs du sexe féminin: elles montrent que le travail sous forte contrainte de temps est effectué surtout par les femmes ouvrières.
Cette exécution parcellisée et standardisée, selon une « one best way », qui caractérise une grande partie du travail ouvrier féminin encore aujourd’hui, peut subir des modifications selon le degré de modernisation technologique ou selon les pays.
Nos enquêtes ont montré un mouvement de « détaylorisation » même très partiel dans un certain nombre d’établissements français et japonais, avec des expériences de constitution de cercles de contrôle de qualité, de groupes semi-autonomes, de rotation et de polyvalence, auquel correspondait un mouvement d’essor de la taylorisation dans les filiales brésiliennes. Des recherches récentes dans une branche spécifique (l’industrie du verre) ont montré que l’organisation tayloriste continue à être prédominante au Brésil, notamment dans les secteurs de la production employant des femmes, qui ne sont nullement touchées par les programmes – mis en œuvre dans certaines entreprises du secteur – de requalification des opérateurs sur des nouveaux équipements de base micro-électronique.
Une approche par la division internationale du travail montre que la « taylorisation » touche même des industries de process où la parcellisation est beaucoup plus importante dans les établissements brésiliens que dans les établissements homologues en France ou au Japon ; de plus, des segments du processus de travail dans ce type d’industrie pouvaient être « taylorisés », soumis à des cadences et extrêmement parcellisés dans les filiales, en raison des décalages dans le niveau d’automatisation (processus tronqué de travail). Ce constat signifie que la main d’œuvre masculine, qui est majoritaire dans ce type d’industrie, est plus soumise aux contraintes de type taylorien dans des pays du Sud.
Ainsi, si l’organisation taylorienne du travail affecte surtout les femmes, elle n’épargne pas les hommes, surtout dans les pays dits « en voie de développement ». Le mouvement de détaylorisation dans les années 1980-1990 de la seule branche masculine avec des lignes de montage et des cadences – la construction automobile – s’est limité pratiquement aux indus
tries des pays du Nord, la réorganisation de la production sur la base de nouveaux modèles productifs étant encore très marginale et peu significative dans les industries du Sud.
Spécialisation flexible et division internationale du travail
La pertinence des thèses aujourd’hui courantes sur les nouveaux paradigmes d’organisation industrielle et sur la requalification des opérateurs comme conséquence de l’introduction de nouvelles technologies ne peut être que fortement interpellée par une réflexion en termes de division sexuelle et internationale du travail. La coexistence du fordisme et de la flexibilité (cf. Volkoff, 1987), même dans les pays de capitalisme avancé comme la France, où le modèle de la spécialisation flexible peut être d’actualité, est encore plus marquée, avec une prédominance des modalités tayloriennes et fordistes de la production et de l’organisation du travail (cf. R. Quadros Carvalho et H. Schmitz, 1989), même dans des pays semi-industrialisés comme le Brésil. Dans les pays du Sud, il est difficile de constater la double rupture évoquée par M. Schumann (1989), avec l’idéologie du taylorisme au niveau de l’entreprise et avec le modèle taylorien sur le plan de la théorie. Si nous pouvons constater l’émergence, dans des pays comme le Brésil, d’un nouveau modèle d’organisation du travail alternatif au fordisme (cf. A. Fleury, 1988), il faut aussi situer cette émergence dans un certain nombre de grandes entreprises du secteur dynamique et compétitif de l’économie, employant une main d’oeuvre masculine. Si des femmes sont aussi employées, la requalification de la main d’oeuvre se limite le plus souvent aux hommes, les femmes restant en dehors de toute politique de formation, et exclues des techniques et méthodes de gestion « innovatrices ».
Ainsi, la considération du travail des femmes et des pays dits « en voie de développement » montre que les pratiques et les méthodes tayloriennes et la production en grande série de biens standardisés, sans préoccupations de qualité, peuvent coexister avec quelques « îlots » de modernité et de sophistication technologique et organisationnelle. Le scénario d’une telle coexistence a été d’ailleurs reconnu plus récemment, comme un des scénarios possibles par P. Piore et Ch. Sabel, à partir, justement, de la considération de la division internationale du travail (cf la préface à l’édition française de The Second Industrial Divide, 1989, p. 13): on assisterait à la consolidation d’un système « mixte », où les deux technologies (flexible et rigide) seraient combinées. Ce qui n’est pas évoqué par ces auteurs dans cette « rectification » à partir d’une analyse de la division internationale du travail, notamment de la Corée du Sud, c’est l’existence d’une autre modalité de système « mixte » où deux secteurs coexistent, l’un flexibilisé (masculin), l’autre taylorisé (féminin) (cf. D. Kergoat, 1992, 80-81). La «juxtaposition » du taylorisme et de la flexibilité apparaît, donc, comme une réalité même dans les pays du Nord, quand on prend en considération les différences en rapport avec le genre et la division internationale du travail.
3. Division sexuelle du travail: variabilité et persistance
Les modalités de reproduction ou de déplacement de la division sexuelle du travail dans le temps ont déjà fait l’objet de nombreuses études, parfois de formalisations de la part de sociologues et d’historiennes (R. Milkman, 1987 ; C. Cockburn, 1983 ; J. Scott, 1988 ; Apre, 1987 ; M. Riot-Sarcey (sous la dir. de), 1993). Cependant, quant à la variabilité ou l’invariabilité de la division sexuelle du travail dans l’espace, il y a très peu d’analyses, en partie dû à la pénurie d’études partant de comparaisons internationales de la division sexuelle du travail (cf. analyses comparatives de J. Heinen, 1989 ; de J. Humphrey, 1987 et de M.A. Barrère-Maurisson, 1992).
Comme pour l’évolution dans le temps, on peut d’abord constater que la division sexuelle du travail semble être soumise à une pesanteur qui ne rend possible que le déplacement des frontières du masculin et du féminin, selon les différents pays, jamais la suppression de la division sexuelle elle-même, indépendamment des régimes politiques ou des types d’État. Si la division sexuelle du travail professionnel entre les tâches lourdes, sales et pénibles attribuées aux hommes et les travaux propres et légers attribués aux femmes est devenue moins nette en Chine ou en ex U.R.S.S., la persistance de la division sexuelle du travail domestique et familial est notable.
Une des constantes que nous avons rencontrées dans les trois pays sur lesquels nous avons effectué des comparaisons systématiques concerne la division du travail selon laquelle le travail manuel et répétitif est attribué principalement aux femmes (à l’exception des O.S. hommes sur les lignes de montage automobile) et celui requérant des connaissances techniques, aux hommes (Hirata H. et Rogerat Ch., 1988). Une autre constante rencontrée dans notre enquête concerne le fait que les employeurs reconnaissent volontiers les qualités propres à la main d’oeuvre féminine, mais il n’y a pas reconnaissance de ces qualités comme étant de réelles qualifications féminines, différemment de ce qui se passe pour la main d’oeuvre masculine. Ces traits constants de la division sexuelle ont comme contrepartie l’extrême variabilité dans la mise au travail concrète dictée par la politique du personnel des entreprises. Ainsi nous avons constaté que les formes d’utilisation de la main d’oeuvre féminine selon l’état civil, l’âge et la formation varient considérablement selon les pays. Des différences significatives existent dans les pratiques discriminatoires, et semblent très liées à l’évolution des rapports hommes/femmes dans l’ensemble de la société. Par exemple, les entreprises japonaises ont pratiqué ouvertement deux systèmes de rémunération selon les sexes. Elles ont essayé, parfois, de les transférer vers leurs filiales, sans succès, étant donné les barrières juridiques (lois d’égalité professionnelle) en vigueur dans un certain nombre de pays occidentaux, et au Japon même depuis 1987. Un autre exemple est celui de la discrimination envers le travail des femmes mariées. Si les firmes en France ne font pas de discrimination envers les femmes mariées, elles adoptent dans leurs filiales étrangères des pratiques de sélection et de licenciement discriminant ces dernières, pratiques, qui sont en vigueur dans le pays d’accueil.
Si on constate cette diversité dans la mise en oeuvre des politiques de gestion de la main d’oeuvre dans les entreprises, dans les résultats de nos enquêtes comparatives internationales ce sont les persistances, les continuités, les similarités qui sont les plus frappantes dans la division du travail entre les hommes et les femmes de pays très contrastés par leur place dans la division internationale du travail ou par leur niveau de développement économique et technologique. Des occasions de déplacements, sinon de ruptures dans la division sexuelle, ont pu être constatées: les conjonctures d’expansion économique ou de crise, l’introduction de nouvelles technologies. Ce qui semble cependant surdéterminant dans ces transformations, c’est l’état des rapports entre hommes et femmes dans la société donnée, rapports de forces institutionnalisés ou non, mais qui sont très souvent le résultat de luttes sociales d’ampleur, de mouvements sociaux, notamment de l’existence ou non de mouvements féministes et d’activités conscientes en vue d’une transformation des rapports hommes-femmes dans le travail et dans la société.
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Rapports sociaux de sexe. Une journée de discussion, C.N.R.S. G.E.D.I.S.S.T., Paris, impr. I.R.E.S.C.O., 1992,61 p. Cahiers du G.E.D.I.S.S.T., 3.
Coopération et construction de l’identité en situation de travail*
C. DEJOURS
Introduction
De la coopération, on peut proposer la définition suivante
« La coopération: ce sont les liens que construisent entre eux
des agents en vue de réaliser, volontairement, une oeuvre commune. »
Cette définition souligne plusieurs dimensions de la coopération :
1) La notion de liens qui associent les agents entre eux,
implique des relations d’intercompréhension, d’interdépendance et d’obligation. Ces liens sont de nature symbolique et ne
peuvent être considérés comme coopératifs que lorsqu’ils sont dotés d’une certaine stabilité.
2) Construisent: ces liens ne sont pas donnés. Ils sont le résultat d’une construction humaine et non l’effet d’un environnement ou d’une contrainte extérieure sur les agents. Ce qui n’exclut pas l’existence d’une contrainte externe (J’organisation du travail). Mais la notion de construction implique que la
coopération passe par l’initiative des agents. Sans le relais de cette initiative, les contraintes n’ont pas d’effet durable. Les contraintes peuvent tout aussi bien susciter la passivité, la résistance, l’individualisme ou la grève du zèle. La notion de
construction souligne que la forme des liens de coopération n’est pas donnée par l’extérieur, mais qu’elle dépend de la
manière dont ils sont élaborés par les agents dans l’interaction et du contexte subjectif, social et matériel du travail.
* Texte de l’exposé présenté au Congrès de la Société d’Ergonomie de Langue Française Lille, septembre 1992.