Fragments de texte(s) avec e-mails
Cut-up à partir de Benj, Fred, Mick et Severino par Aris PapatheodorouLa zeligConf… « Rencontre européenne des contre-cultures
digitales », les 15-16-17 décembre… Trois jours (et une bonne partie des nuits) de folie et de fous/folles… Faut-il encore nous le répéter? Peut-être… Tant il est vrai que c’est sans doute là le principal « succès » de cet incroyable projet. Chacun des textes de « bilan » qui commencent à circuler, des
e-mails échangés, qu’ils soient privés ou publics, témoigne d’une façon ou d’une autre de cette impression diffuse de tourbillon…
La pari d’une rencontre entre activistes de différents horizons, venant
de différentes Babel (culturelles, techniques), de création d’un espace
de convergences, d’une zone autonome temporaire pour tenter de mutualiser différentes pratiques, pour créer une richesse, qui n’est ni totalement dans
le logiciel, ni totalement dans les idées échangées, ni totalement dans les savoirs, mais plutôt dans la communauté en germe, était un projet de fous, porté par
des fous. Ce fût une vraie, une authentique réussite. Ce long, très long, mais pas assez long, week-end fut le plus enrichissant, techniquement, socialement, humainement parlant de tous les week-ends de cette année. La zeligConf fût
une la source d’une incroyable décharge d’énergie humaine, se propageant
entre les différents acteurs. Beaucoup de choses ont été dites, d’autres attendent sans aucun doute d’être dites. Sera-ce l’An 01 des contres cultures digitales
européennes? Seul l’avenir nous le dira. En fait, la zeligConf ne fût pas un cri mais plutôt un chant, un rythme bigarré, un refrain repris en choeur par des hommes le coeur léger de la certitude de vivre des moments uniques. Chant
qu’il nous appartiens de faire vivre. Merci et félicitations à tous les fous qui nous ont permis de les suivre : aris, pedro, ludo, blicero, hobo, germinal… et tous
les autres. Que la force du copyleft soit avec nous 🙂
– Benj et Fred
Richesse de l’hybridation, parfois inattendue (ou tant attendue), entre activistes anti-sida d’Act Up-Paris et militants du logiciel libre d’April, entre associatifs des divers projets de « l’après altern.org » et les « mutualistes » du Net et de l’informatique libre de Pl@cenet, entre compagni du LOA HackLab de Milan et companeros de Sindominio et du GUGS de Madrid, ou encore du « Mouvement antagoniste finlandais », entre notre ami Mike enseignant « ex-grêviste » du Gard et Charlie, enseignant guérillero de la Debian GNU/Linux en Seine-Saint-Denis… Et…
Les locaux se remplissent, et il est impossible de discutter avec tout le monde : Des linuxiens contre les brevets logiciels, des universitaires en économie
et sociologie, des militants de l’université ouverte, des hacktivistes, des militants du libre et des militants politique, des associatifs pour le développement et
la promotion de l’hébergement gratuit au Sénégal, des hackers (au sens où
le définit Eric Raymond), des internautes qui sont venus par curiosité,
des militantes d’un réseau d’échange de savoir en banlieue, des finlandais
d’Indymedia, un théoricien qui parle de soutenir le libéralisme pour venir à bout
du nouveau féodalisme, un informaticien retraité qui peut enfin programmer comme
il l’entend, des squatters de Madrid qui développent un serveur indépendant
et font la promotion du logiciel libre, des journalistes de digipress, un enseignant qui relate l’expérience des luttes syndicales via les listes de diffusion, des italiens qui enseignent Unix à des salles combles de néophytes, et j’en oublie plein!
– Severino
Richesse de la coopération, aussi, entre tous ceux qui ont fait la zeligConf, qui se sont appropriés cette initiative, qui se sont impliqués pour que cette fabrique de « monstres, mutants, hybrides et cyborgs » soit bien plus que cela encore; avec tous ceux que nous avions sollicités « à la volée » (Bug Brother, Valentin, Bortz, les deux Fred, Ariel et quelques autres), et qui furent disponibles pour apporter un peu de leur richesse et de leur expérience à cette entreprise de fous; avec ceux qui ont inventé l’initiative française des Big Brother Awards, de Jérôme, vétéran de la défense des libertés civiques sur l’Internet, à Antoine du superbe site web Kiteota…
Je vous avais prévenu … fallait veni r… ce fut un week-end passionnant! Maintenant, il va falloir des mois pour trier les idées, pour affiner les contacts.
Car des centaines de personnes venues de France et d’Europe se sont retrouvées à Paris le week-end passé pour échanger leurs expériences dans une sorte
de salon des contre-cultures à l’heure d’Internet. L’initiative n’est pas passée inaperçue du « haut monde » des médias puisque plusieurs télés, dont Arte
et Canal +, ont couvert l’événement. Mais restons concrets, c’est-à-dire proche
du terrain. Deux univers se sont rencontrés lors de ces journées. Celui des
« activistes » venant de mouvements précis, engagé dans des actions, Act-up, Sherwood, école, etc.), qui a découvert l’Internet sur sa route, comme outil,
et celui des « programmeurs », de l’informatique, qui pense ses pratiques
professionnelles, il me semble, sur un mode politique. Car derrière la bagarre qu’ils mènent pour la liberté et la gratuité des logiciels et la communauté
des producteurs se profile une question beaucoup plus générale qui est celle
de la source de l’invention et de la richesse économique et culturelle aujourd’hui (voir liens ci-dessous pour plus d’infos). Lors des discussions et des débats,
ces deux univers se sont progressivement reconnus et trouvés. Convergence théorique? Je n’irai peut-être pas jusqu’à là, car justement personne n’a cherché véritablement à produire une synthèse. Mais, ce qui est dès lors sûr, c’est que tout le monde a compris que, “en face”, pour faire court, on retrouve toujours
la même chose, des gens, des structures, des logiques qui brident nos
mouvements, qui tentent de les accaparer et de les transcrire, au mieux,
en termes d’argent, de pouvoir ou de régulation. C’est donc bien l’autonomie
des mouvements et des pratiques qui était à l’ordre du jour.
– Mick Miel
Les débats furent certes, parfois, confus et pour le moins formels : la lourdeurs des traductions nécessaires, une certaine impréparation aussi, en sont des causes probables. Mais pouvait-il en être autrement dans une salle bien trop petite et où en permanence plus d’une centaine de personnes se sont à moitié entassées pour participer à des discussions où tant de langues et de langages devaient apprendre à communiquer. Et puis, après tout, ne faut-il pas renoncer au fantasme du « soviet de l’intelligence collective », de cette assemblée générale d’où sortiraient à un rythme industriel autant d’idées géniales? La zeligConf fut bien plus proche, en cela aussi, d’une assemblée chez les Yanomamis d’Amazonie : le brouhaha des conversations croisées, les discours et les proclamations ne furent pas l’essentiel… Pas plus en tout cas que tant de discussions au bar, dans le hall du CICP, plus tard dans la soirée au restaurant ou dans un bistro. Que sortira-t-il de tout cela? Qui sait? Aucune machine de guerre, aucun agencement politique, en tout cas, mais plutôt des pistes, des esquisses, des désirs, dont nous cherchons désormais les parcours possibles.
Un exemple, entendu lors de ces rencontres, montre parfaitement l’importance de ces enjeux dans notre domaine, celui de l’école. L’ABU, association de
la bibliothèque universelle est une association qui regroupent des gens qui
travaillent et “militent” ainsi pour la diffusion des grands textes de la littérature. C’est typiquement là un “truc” de profs! Elle met à la disposition des Internautes, des oeuvres classiques en format de base, lisibles par tous, avec
la seule restriction de mentionner le nom de leur association. Le travail est
à la fois solitaire et convergent, collectif. Au travail de l’auteur, Zola ou Voltaire par exemple, tombé dans le domaine publique, car il y a évidemment le problème du droit, s’ajoute celui de numériser et de mettre en ligne. Voilà, seulement
des petits malins, des entreprises ont su récupérer l’ensemble de ce « travail
gratuit », ont passé les textes en format “prisonnier” au moyen d’un logiciel qu’il faut acheter pour visualer les œuvres et vendu ainsi le ” produit”. Hold-up?
Non, marchandisation! C’était exactement la même chose que racontaient
les “programmeurs” et les gens d’Act-up! La recherche collective, publique
sur les questions de la santé est “marchandisée”, découpée en brevets,
en fragments susceptibles de produire de l’argent et ce au détriment de l’intérêt collectif. De nouveaux territoires » sont en train d’être découpés en parcelles
et mis en coupes. Pour qui a eu affaire un tant soit peu à la mise en ligne
de contenu (sites d’école en particulier), il est banal de rappeler le véritable
casse-tête de cette question des droits pour les images, les musiques, etc.
Une bonne partie de ce qu’on pourrait appeler le “patrimoine de l’humanité”
est protégé, voire confisqué par des droits, des copy-rights, des brevets. Il me semble que cette façon de voir les choses et de poser les problèmes peut nous permettre de reprendre de façon intelligente, dans l’école, le discours contre
la marchandisation. Non pas une critique abstraite qui condamnerait
abruptement « le marché » sans réfléchir sur les rapports complexes entre
l’Etat et la production dans nos sociétés modernes, mais une réflexion
convergente avec d’autres réflexions sur les nouveaux processus en œuvres
partout pour capter et transformer en argent ce que chacun fait dans son coin.
– Mick Miel
Le futur de la zeligConf n’est certainement pas dans sa propre reproduction, il est désormais le présent de chantiers qui s’ouvrent. Celui d’une redéfinition de la « propriété intellectuelle » contre la privatisation des savoirs, celui d’une communication alternative sur l’Internet qui aille au-delà de la « contre-information » militante, celui du partage des savoir-faire informatique… D’autres aussi sans doute… Mais surtout celui de donner corps aux multitudes de l’intelligence collective qui parcourent les profondeurs infinies des réseaux. Zelig, « monstres, mutants, hybrides et cyborgs » disions-nous.
http://www.zelig.org
http://www.samizdat.net
http://www.april.org
http://www.placenet.net
[ ->http://www.bugbrother.org
http://www.sindominio.net
http://www.ecn.org/loa
http://severino.free.fr/archives
http://madcahat.org
http://www.kitetoa.com
http://www.ecn.org – http://www.carta.org
Etc.
NB : L’e-mail façonne l’écriture dans une certaine urgence qui prend des aises avec la frappe et l’orthographe, tout comme avec la ponctuation… La publication imprimée dans Multitudes de ces fragments d’e-mails ne m’a pas semblé une raison suffisante pour « corriger » quoi que ce soit.