Majeure 7. Après Gênes, après New York

Fascisme à Gênes

Partagez —> /

L’invasion brutale de l’école Diaz, où se tenait la coordination
informatique des manifestants, et le traitement outrageusement violent des militants arrêtés témoignent du fait que le fascisme n’est pas mort, et est ouvertement toléré par les chefs d’états présents. Un plan policier-fiction, imaginé par l’auteur, permet de rendre compte de l’ensemble des incidents sans dissocier les groupes les uns des autres. L’auteur rend ainsi justice à toutes les multitudes de leur commune appartenance au mouvement.J’étais là quand les carabiniers ont envahi le Centre d’Indymedia et l’école Diaz à la fin de la manifestation contre la rencontre du G8. Nous avons entendu les appels et les cris, nous n’avons pas pu sortir, nous avons couru à l’étage supérieur, et nous nous sommes cachés craignant pour nos vies.
Peut-être que les policiers nous ont trouvés, mais nous avons eu de la chance. Un membre du Parlement était dans notre bâtiment ; les avocats et les médias sont arrivés. Il y avait une sombre raison légale italienne pour que la police parvienne en ces murs. Ceci est réellement arrivé la nuit du 21 Juillet 2001 et le matin du 22. Pas dans un quelconque pays du tiers-monde mais en Italie : la prospère civilisée et ensoleillée Italie. Et la plupart des victimes était encore à l’hôpital ou en prison quatre jours plus tard.

Je ne peux pas vraiment décrire le choc et l’horreur de cette nuit. Mais aussi terrifiante qu’elle ait été à vivre, encore plus effrayantes sont ses implications. Que la police puisse commettre un acte aussi brutal ouvertement, à la face d’avocats, d’hommes politiques et de journalistes signifie qu’elle suppose ne pas à rendre de comptes de son action. Ce qui signifie qu’elle a un soutien de plus haut, d’hommes politiques plus puissants. D’après un reportage publié dans la Repubblica à partir des dires d’un policier qui a participé au raid, quand les groupes les plus démocratiques de la police se sont plaints de ce que la constitution avait été violée, on leur a répondu « Nous n’avons pas à nous en faire, nous sommes couverts ». Que ces hommes politiques aussi ne s’attendent pas à être soit effrayée. Elle s’est retirée. Mais rien n’a pu sauver nos amis de l’autre côté de la rue, dans l’école où des gens dormaient et où était logée une autre section des médias indépendants. La police est entrée : les médias et les politiciens sont restés dehors. Et ils ont battu les gens. Ils ont battu des gens qui se réveillaient, qui tenaient leurs mains au-dessus de leurs têtes dans un geste d’innocence, en criant « Pacifistes, pacifistes ». Ils ont battu les hommes et les femmes. Ils ont cassé des os, arraché des dents, écrasé des crânes. Ils ont laissé du sang sur les murs, sur les fenêtres, une mare à chaque endroit où des gens avaient dormi. Quand ils ont eu fini leur travail, ils ont amené les ambulances. Toute la nuit nous avons regardé les gens se faire tirer dehors, et partir vers l’enceinte pénale de l’hôpital, ou simplement vers la prison. Et, en prison, beaucoup ont été torturé à nouveau, dans des pièces avec des portraits de Mussolini sur les murs.
Que les policiers n’aient été ni condamnés ni obligés à la démission, signifie qu’ils ont eux-mêmes un soutien d’encore plus haut, finalement de Berlusconi, le premier ministre lui-même. Qu’ils puissent battre, torturer et arrêter indûment des Italiens signifie qu’ils ne pensent pas devoir rendre compte à leur propre peuple. Qu’ils puissent battre, torturer et emprisonner des étrangers montre qu’ils ne s’attendent pas à rendre des comptes à la communauté internationale.

Et qui d’ailleurs va leur en demander ? George Bush le non élu, l’héritier non mandaté d’un coup d’Etat ? La Suède qui a juste avant utilisé des balles réelles contre les manifestants ? Le Canada qui a construit le mur de la honte ? Que Berlusconi puisse soutenir de tels actes montre qu’il peut être certain du soutien des autres pouvoirs internationaux et que ces actions ouvertement fascistes sont liées à l’escalade croissante au niveau international de la répression contre les manifestants. Le gouvernement italien a utilisé des tactiques apprises à Québec : le mur, l’usage massif des gaz lacrymogènes, et la police canadienne avait des observateurs à Gênes pour préparer la rencontre de l’année prochaine à Calgary. La répression policière a aussi son réseau mondial. Nous apprenons de chaque action, eux aussi. Le fait que le gouvernement italien prenne aujourd’hui pour cible les organisateurs du Genoa Social Forum montre ce que visait leur agenda : discréditer le réseau anti-mondialisation, décourager aussi bien la manifestation pacifique et légale que l’action directe. Le leader du Forum a perdu son emploi. D’autres craignent pour leur liberté et leur sécurité. Il est difficile de comprendre tout ce qui s’est passé à Gênes. Trop de choses se sont passées si vite, et de l’intérieur, il était difficile de savoir qu’est-ce qui se passait. Le Black Block est apparu brutalement sur une place dont il était convenue que c’était un lieu sûr pour les rassemblements : la police a gazé et battu les femmes et laissé le Block s’enfuir. Nous étions en train de déjeuner tranquillement au centre de convergence près de la mer, et tout d’un coup des grenades de gaz lacrymogène tombaient sur l’aire de repas et une bataille rangée commençait juste à la sortie, à quelques centaines de mètres de la manifestation principale. Des prisonniers racontent qu’ils ont été torturés tant qu’ils ne criaient pas « Viva il Duce ! ». Le prétexte de la police pour attaquer l’école était la présence du Black Bloc, mais ils n’ont jamais attaqué le vrai campement du Black Bloc, et la nuit de l’attaque de l’école la plupart des Black Block avaient quitté la ville.

Je ne suis pas un journaliste d’investigation, je suis une militante et
autrefois quand la vie n’était pas aussi prenante j’étais une romancière. Je n’aime pas les théories du complot, mais j’essaie de trouver du sens au monde en racontant des histoires. Gênes fait sens pour moi si ceci est le scénario : “Mémo : Sécurité italienne à gouvernement italien et conseillers américain et internationaux. Sujet : Plan secret de sécurité de la manifestation de Gênes. Top secret.”
Le plan public de sécurité pour la réunion du G8 à Gênes est traité dans un mémo séparé. Ceci est le plan secret.
Phase un : prendre l’initiative de l’action. Cette phase est caractérisée par deux aspects : la création d’un climat de peur et d’anticipation de la violence par le stockage de sacs pour les corps, le déploiement de missiles, etc. Et un effort concerté pour saper la popularité des groupes les plus forts et les plus radicaux comme les Tute Bianche par une campagne de dénigrement, d’accusation de coopération avec la police, etc. Si nécessaire nous poserons de vraies bombes pour accroître le climat de panique.
Phase deux : recrutement et infiltration. Nous nous concentrerons sur l’infiltration du Black Block et placerons des provocateurs dans des points stratégiques où ils seront en position de lancer des attaques violentes, et de détruire des propriétés privées ce qui retournera la population contre les manifestants. De plus nous encouragerons les groupes fascistes à agir en tant que segments du Black Block, ce qui nous donnera une excuse pour attaquer ensuite la principale partie des manifestants.
Phase trois : Vendredi 20 Juillet. Nous armerons la police et les carabiniers de balles réelles plutôt que de balles en plastique ou en caoutchouc. Avec de la chance, il y aura des morts. Notre « Block » peut apparaître stratégiquement près de n’importe quel groupe que nous souhaitons attaquer, et nous donner ainsi une raison pour utiliser les gaz et cogner sur n’importe quels manifestants non violents. Les manifestants seront violemment frappés et ceux qui seront arrêtés seront torturés pour les dégoûter de manifester plus tard. De plus, notre Bloc poussera à détruire des biens, en particulier les petites boutiques, les voitures privées, et attaquera et frappera les autres manifestants, si possible une religieuse ou deux, pour discréditer les anarchistes. Un haut niveau de violence et de destruction devrait limiter le nombre des manifestants attendus pour la marche du samedi.
Phase quatre : Samedi 21 Juillet. Notre stratégie ici est d’attaquer directement, de diviser et de disperser la manifestation. Nous poussons à de nouveaux dommages aux biens privés et à de nouveaux accrochages avec la police le matin près du point de rassemblement de la marche. Une de nos sections attaquera les Tute Bianche pendant la marche proprement dite. Peu après midi nous commençons un affrontement juste à côté du centre de convergence, près du coin où la manifestation tourne vers la droite, ce qui nous donne l’excuse pour gazer le centre de convergence. Nous essayons de mener l’affrontement à l’intérieur de la manifestation, pour l’éclater ou l’arrêter, et pour nous donner le prétexte à utiliser de nouveau les gaz et d’autresagents dispersant.
Phase cinq : Après la marche. Nous entretenons le climat de violence par un raid à minuit sur le principal centre de communications et sur les dortoirs des manifestants. Des forces importantes sont justifiées par la rumeur d’une présence du Black Block. Nous découvrons les preuves de liens entre le Genoa Social Forum et le Block, ce qui va nous permettre de les discréditer. Coups, arrestations et tortures décourageront de futures implications dans les manifestations.
Phase six : Dimanche 22 Juillet et après. Nous continuons le harassement et les arrestations au hasard d’étrangers et de suspectés d’avoir manifesté.
Nous commençons une campagne d’accusations contre le Genoa Social Forum, en les accusant de lien avec le Black Block, en les faisant licencier, en attaquant leur crédibilité, et si possible en entamant une action judiciaire contre eux. Cela les forcera à se dissocier du Black Block, et fera éclater le mouvement pour la suite. »

Ce mémo est bien sûr de la fiction, mais je le crois vrai pour l’essentiel.

À la manière d’une preuve mathématique, il a tout simplement une cohérence interne qui donne sens aux faits connus. Et il y a des preuves de plus en plus nombreuses que le « Black Block » à Gênes était composé de manière significative de groupes fascistes organisés travaillant en collaboration avec la police. Si c’est vrai, même partiellement, qu’est-ce que cela signifie pour nous ? Cela signifie que la réponse aux événements de Gênes peut déterminer quel niveau de force peut être utilisé contre de nouvelles manifestations, dans quelle mesure nous verrons plus encore de crânes fracturés et plus de morts à Calgary, et plus de coups brûlants aux aisselles dans le tiers-monde. Il y a cependant des signes que leur stratégie peut se retourner contre eux. Le lundi 23 plus de 250 000 personnes sont descendues dans la rue pour protester en Italie. Il y a eu des manifestations devant les ambassades italiennes dans le monde entier. Il faut maintenir la pression, ne pas laisser le problème s’effacer. Ce n’est pas le moment d’être idéologique et puriste ; c’est le moment d’appeler tous nos alliés, de mettre de côté nos différences et d’agir avec solidarité.
Car si ce niveau de répression n’est pas contesté, personne n’est plus en sécurité, pas la plus petite ONG légale, pas la plus réformiste organisation aux demandes les plus suaves. Si nous n’agissons pas maintenant, alors qu’un espace politique nous reste ouvert, nous pouvons perdre tout espace pour agir. Continuons de nous organiser et de nous mobiliser pour la prochaine fois. La peur est leur arme la plus puissante. Le fait qu’ils aient besoin de se servir de la violence fasciste montre que nous sommes une sérieuse menace. Si nous voulons continuer d’être une menace, nous devons aussi faire avoir un regard critique sur notre propre mouvement, et comprendre ce qui nous laisse aussi perméables à l’infiltration et à la manipulation. Nous avons besoins de mieux de meilleurs préparations et de meilleurs réseaux pour soutenir nos actions. Le Genoa Social Forum a besoin d’être soutenu.

Juin 2001.

Traduction de l’américain par Anne Querrien.