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Femmes migrantes : invisibilité, ethnicisation

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À propos du recueil “Genre, travail et migrations en Europe”« Reconsidérer les biais sexistes et racistes qui permettent d’ignorer leur rôle fondamental [des femmes migrantes dans notre société » amène ce recueil à mettre en évidence à la fois l’invisibilisation et l’ethnicisation du travail des migrantes réinscrit dans la division sexuelle du travail. Des analyses qui portent sur plusieurs pays européens : Espagne, France, Italie.

Tel qu’il est posé dans l’introduction de Claude Zaidman et Prisca Bachelet le propos des interventions rassemblées ici([[Genre, travail et migrations en Europe, coordonné par Claude Zaidman et Madeleine Hersent, Cahiers du Cedref, février 2004. Fait suite au n°8/9, Femmes en migration, 2000.
) est bien de « reconsidérer les biais sexistes et racistes qui permettent d’ignorer leur rôle fondamental (des femmes migrantes) dans notre société ». L’ouvrage a d’abord l’intérêt de mettre en évidence l’hétérogénéité des femmes migrantes et la construction réductrice qui en fait un groupe homogène. L’article d’Adeline Miranda montre par exemple les motifs très différents des femmes et les nouvelles configurations de l’immigration féminine en Italie. Mais surtout, toutes les interventions mettent l’accent sur deux données de tout premier intérêt, véritables fils conducteurs tout au long de l’ouvrage, à savoir l’invisibilité des femmes migrantes dans les sociétés européennes et l’ethnicisation des rapports sociaux dans le contexte d’une internationalisation de la division du travail qui renvoie les femmes migrantes aux tâches de reproduction, ce que les anglo-saxonnes nomment le « care ».
L’invisibilisation des femmes migrantes, elle, est permanente. Pourtant, il y a une véritable féminisation de la population immigrée et une vision familialiste cache en fait l’existence de la main d’œuvre féminine, alors que depuis 1990 l’augmentation du nombre d’immigrés actifs est due à la progression du nombre de femmes actives. Francesca Scrinzi insiste sur le rôle de plus en plus essentiel des femmes migrantes pour la survie des ménages du Sud.
Cette invisibilisation liée à celle, traditionnelle, du travail domestique féminin est aussi corrélative de la non reconnaissance de l’ethnicisation des tâches. Eleanor Kofman dénonce la conceptualisation réductrice qui suppose automatiquement que les femmes migrantes constituent une main d’œuvre non qualifiée (qui peut-être tout simplement déqualifiée). En réalité il y a aussi des emplois qualifiés, des formes plus professionnalisées de « la chaîne mondiale de l’aide à domicile » : infirmières, sages-femmes, aides sociales dont le déficit se manifeste en Europe. Francesca Scrinzi met en parallèle l’emploi de la main d’œuvre féminine dans les productions délocalisées dans le Sud et dans les tâches de reproduction sociale ou travail domestique des migrantes dans le Nord et écrit : « mon hypothèse de fond est que les rapports de travail dans le secteurs des services à la personne entérinent et reproduisent des catégories sexistes et racistes et confortent une structure de hiérarchisation sociale établie sur une base « raciale » ». La comparaison qu’elle mène entre l’Italie et la France montre une reconnaissance explicite par l’Italie du recours à une main d’œuvre féminine migrante entraînant des régularisations massives, main d’œuvre laissée au secteur informel, en particulier les associations religieuses, développant une politique de « contrôle » et de « protection » à leur égard. En France, il y a une volonté affichée de réglementation et de professionnalisation des services à domicile qui ne reconnaît pas les femmes comme migrantes (on parle de « femmes de milieu populaire »), mais en réalité la racialisation commence à devenir visible dans des fiches non officielles.
Si bien que pour les deux pays on constate, en analysant par exemple les projets de formation, que la différence culturelle est mise en avant dans le sens d’une « adaptation » des migrantes et que l’on développe toujours la « naturalité » des compétences des femmes dans ces services, « naturalité », donc, de la division sexuelle du travail.