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Giselle Donnard nous a quittés

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Il faudrait ne jamais avoir à saluer un ami en son absence.
Giselle était une amie parce qu’elle comprenait mieux que tant d’autres ce que l’indignation implique d’urgence et de révolte, parce que ce moteur-là était en elle plus puissant que tous les raisonnements, que tous les délais, que tous les « si » et tous les « mais », que tous les appels à la prudence et à la pondération. Giselle était une amie parce que nos disputes étaient homériques et qu’on y apprenait toujours quelque chose – sur soi, sur elle -, parce ce que l’on savait toujours, même dans les polémiques les plus animées, que l’on appartenait à la même famille, la famille de ceux qui ne supportent ni la souffrance ni la fatalité.
L’histoire de Giselle, telle que nous l’avons partagée constamment pendant trente ans, c’est l’histoire des amis de Félix (Guattari), des expérimentations politiques et humaines, du refus à renoncer à ce à quoi on tient plus que tout : la joie, la solidarité, la puissance de l’invention, la puissance du commun. Cette histoire, qui est aussi celle d’une saison politique que nous avons eue en partage, Giselle en a représenté une figure formidable : Giselle et ses cheveux noirs, Giselle et son trait de khôl autour des yeux – comme si ce regard-là, parfois assassin, toujours ironique, avait eu besoin de cela pour gagner en intensité ! –, Giselle et ses coups de gueule, sa générosité violente et sa violence généreuse, sa pugnacité, ses « on ne me la fait pas », son intelligence des gens et des choses, sa recherche du dialogue et de la paix, y compris là où rien ne semblaient s’échanger que la douleur et la haine, en Bosnie, en Palestine ou en Tchéchénie.
Giselle disparue, c’est une amie qui s’en va, c’est une part de tout cela, c’est un morceau de nous mêmes que l’on perd. Mais il faut aussi se dire qu’elle aurait détesté commémorations et apitoiements, qu’elle leur aurait préféré la franchise d’une discussion animée, et ce « qu’est-ce qu’on fait maintenant ? » qui n’a jamais cessé de la faire avancer. Giselle vivait au présent. C’est de ce présent qu’il s’agit de se souvenir pour que, où qu’elle soit aujourd’hui, elle puisse continuer à nous fulminer du regard, à nous éperonner, à nous pousser, à nous donner à réfléchir.
Il ne faudrait jamais avoir à saluer un ami en son absence ?
Nous ne te saluons pas, Giselle, parce que tu es toujours là, et que nous continuons à nous énerver de nos disputes, à rire de nos empoignades, à admirer ta ténacité, Nous ne te saluons pas, mais nous fourbissons nos arguments, préparons nos raisonnements, nous réfléchissons à ce à quoi tu nous obliges à penser, nous te remercions pour toute cette intelligence dont tu continues à nous animer.
Toni

Giselle sera présente dans le prochain numéro de Multitudes avec les ami(e)sdes mouvements qu’elle a accompagnés.