En Tête 22.

L Europe vivante

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L’Europe après le rejet français : signifiant flottant

Ainsi le « peuple français », le « peuple hollandais » ont dit non par référendum. 16,5 % de la population des 25 pays membres([[La population hollandaise est de 16 millions, ce qui fait, avec la France, 76 millions d’habitants sur un total de 454.) ont considéré que le projet de traité constitutionnel devait être rejeté en l’état. Certes, la somme des pays ayant déjà dit oui l’emporte sur le non. Si l’on rajoutait les probables non britannique, danois et suédois, voire polonais ou portugais, on arriverait à un maximum de 44 % de non([[Au maximum le non recueillerait l’adhésion de pays représentant 199 millions d’habitants, le oui couvrant des pays en représentant 255 millions.). Si nous étions déjà dans un régime fédéral où le scrutin se joue d’abord par État, la cause serait entendue : la Constitution européenne disposerait d’une confortable majorité. Si l’on procédait à un vote au suffrage universel, le même jour, également. Une ratification parlementaire eût été positive et encore plus massive. Car même dans le pays dont on attendrait à priori le non, la Grande-Bretagne, la Chambre des Communes ratifierait le Traité. Mais la polémique peut continuer indéfiniment : un référendum en Allemagne, pays où cette procédure est interdite constitutionnellement tant ce type de scrutin a été considéré avec méfiance depuis le nazisme populaire et populiste, ne serait pas joué du tout. Du point de vue européen, entendons à l’échelle européenne du continent, le processus d’adoption du projet de Constitution élaboré par la Convention, signé à Rome par les chefs d’État est bloqué. Une majorité, en France, se retrouve une minorité en Europe. Si nous adoptions les règles de la majorité qualifiée prévue par la Constitution (une majorité simple de pays représentant 55% de la population totale de l’Union), la Constitution pourrait être considérée acquise. Comment une minorité peut-elle bloquer le désir d’une majorité dans des démocraties représentatives ? Il y a deux réponses à cette malicieuse question : la première, conservatrice (et en train de devenir de plus en plus réactionnaire), est que dans le conglomérat européen, la règle de l’unanimité, tant des États que de leurs mandants, est infrangible. Dans cette optique, la ratification par les États et les peuples à l’unanimité d’une Constitution qui prévoit l’extension de la règle majoritaire au lieu précisément de l’unanimité , ressemble à un cercle logique du commencement ou à celui des types logiques de Russell : doit-on inclure dans la page du sommaire d’un livre la table des matières ? Le cercle du commencement est lui, bien connu des constitutionnalistes : comment se fonde un régime constitutionnel ? Par le Peuple répond-on, paresseusement, d’ordinaire. Mais dans la plupart des vrais commencements, ce peuple est à venir. Il n’existe pas comme réalité sociologique et il n’acquiert de consistance politique que dans son caractère constituant. La seconde réponse, plus européenne, consiste à dire que dans un ensemble post-national, la règle très fruste (tout à la fois bolchevique et démocratique) que les décisions se prennent à la majorité et que la minorité se soumet, doit être combinée avec la réversibilité des majorités qui ne sont jamais éternelles et par la garantie des droits des minorités en général, (autrement dit des minorités structurelles) et de la minorité que dégage chaque expression occasionnelle majoritaire. La nette majorité française dans l’hexagone doit respecter la grosse minorité française ; mais, à son tour, cette nette majorité devenue une grosse minorité européenne doit être respectée. La clé n’est pas l’état de fait, mais le devenir minoritaire d’une majorité dans les deux sens. Cette contamination des « natures » dans le cas européen opère dès le Traité de Rome avec l’étrange ballet entre les grands et les petits pays. Le Luxembourg face à la RFA, le Danemark face au Royaume-Uni, la Slovénie face à la Pologne aujourd’hui.

Le processus de ratification du TCE n’est pas achevé. C’est seulement à la fin (dans deux ans) que l’on pourra en jauger la résultante complexe. Le peuple français s’est prononcé, mais le démos européen constitué dans cette consultation parle de façon complexe tant qu’il n’a pas fait sa révolution fédérale . Deux ans, c’est long et un rafistolage du traité de Nice (à propos, celui-là n’a pas été soumis aux peuples du tout) n’est pas exclu, pas plus que des réformes purement institutionnelles sans constitution. L’essentiel n’est pas là.

Le point crucial est que le débat sur la forme politique de l’Europe s’est ouvert pour de bon.
À commencer par l’interprétation du rejet français à une nette majorité qui va donner lieu à une vraie bataille politique, comme le soulignait Slavoj Zizek récemment([[Slavoj Zizek, in Le Monde 2, 6 août 2005 ; cf. aussi Que veut l’Europe ? Climats, collection Sisyphe, 2005.
). « Le non est l’exemple parfait d’un < signifiant flottant >. il faut donc s’interroger sur sa signification. La plupart des gens ne savaient pas eux-mêmes ce qu’ils voulaient dire avec ce non (…) Certains étaient nationalistes , d’autre opposés à la globalisation. C’est donc un refus très confus. La bataille de l’interprétation du résultat de ces deux consultations commence maintenant. Qui va s’approprier ce non ? C’est un enjeu bien plus important que le référendum en soi. » On ajoutera que la signification des 45 % de oui, chez nous, est tout aussi flottante. Moins hétérogène dans sa coloration idéologique que le non, parce que moins porté aux extrêmes, fortement corrélé aux variables de taux d’instruction et de revenu, le oui n’est pas pour autant porteur d’un projet clair sur l’avenir de l’Europe. C’est sans doute ce qui explique ses piètres performances pédagogiques, indépendamment d’avoir été porté par un gouvernement impopulaire. Mais puisque le non a été victorieux, c’est sa faiblesse qui s’est vue la première lorsque l’on a pu constater la non-mobilisation qui a suivi le 29 mai et le repli sur les échéances de la cuisine présidentielle de 2007.

Portée flottante de ce résultat. Chaque camp peut se trouver encouragé dans ses options. Faut-il décréter une pause de digestion de l’élargissement à vingt-cinq, comme les partisans de l’approfondissement avant l’élargissement le préconisaient ? Faut-il bloquer l’adhésion turque ? Faut-il revenir à plus de modestie, à moins d’effet d’annonce et à plus de proximité comme J. Delors le défendait sur France Culture le 25 juillet dans une véritable retraite de Russie sur l’Europe sociale devenue compétence nationale?([[Affligeant débat que ce chorus anti-fédéraliste de Max Gallo, Hubert Védrine rejoints par… Jacques Delors. Le rejet de toute unification des règles sociales dans l’Union, ce domaine devant rester de la compétence exclusive des États, est intenable face à une mondialisation agressive. Unifier le grand marché sans jeter les bases d’une harmonisation sociale ne peut que nourrir un rejet viscéral de la part de la gauche altermondialiste . Entre le désert social au niveau fédéral européen et le projet d’un même salaire minimum, il y a des marges. Si un salaire minimum n’est pas tenable au niveau fédéral européen, ce n’est pas seulement parce que les différentiels de productivité impliqueraient des financements considérables des nouveaux entrants, mais aussi parce que les diverses formes de salaire minimum à l’heure de l’emploi intermittent et précaire ne constituent plus la garantie sociale pertinente. C’est du côté de programmes de soutien du revenu des populations (et pas des travailleurs dotés d’un emploi bénéficiant de toutes les garanties de l’État providence) qu’il faudrait inventer des dispositifs fédéraux s’ajoutant aux dispositifs complexes nationaux.) Faut-il profiter au contraire de cet événement, chacun voyant midi à sa porte ? La « divine surprise » pour Philippe de Villiers et ses amis souverainistes, ce serait la possibilité de revenir à la souveraineté nationale « intégrale », et nul doute que cette composante sera représentée dans l’élection présidentielle, face à une droite, qui Front National excepté, a viré sa cuti européenne depuis dix ans. À l’opposé de l’échiquier politique, l’occasion historique pour les « altermondialistes » serait de renvoyer la gouvernance néolibérale dans les cordes, et d’en profiter pour repenser entièrement la construction européenne. Remettre les bœufs avant la charrue, donner au politique, à « l’expression démocratique » davantage de place, bref en finir avec cette politique qui ne s’avoue pas, qui se déguise en choix techniques, tels seraient les objectifs.
Vingt-cinq ans après la droite, la gauche française s’est coupée en deux. Elle est passée d’un engagement européen superficiel, d’un blanc-seing donné à ses élites par ses couches populaires et ses secteurs publics jusque-là protégés de la mondialisation, à l’apprentissage d’une implication plus directe. Jeremy Rifkin, après avoir souligné dans son livre, Le Rêve européen([[J. Rifkin, Le Rêve européen, Fayard, Paris, 2004.), la forte cohérence des Européens à l’égard de la science, des Lumières, de la transformation de la nature, du collectif, de la paix, penche pour la naissance d’une conscience politique de masse qui préluderait à des États-Unis d’Europe([[J. Rifkin, « L’Avenir du rêve européen », in Rebonds, Libération, 7 juin 2005.). Il faut donner acte à la gauche du non d’avoir ranimé le débat politique tout court. Débat virulent, passionné, systématique, de mauvaise foi. Mais quel débat démocratique est mesuré à sa naissance ? Il procède toujours par tâtonnements, mouvements de balancier. L’idée respectable de ceux qui ont dit non (quand ils ne sont pas nationalistes, chauvinistes, ou carrément xénophobes) est que les véritables ferments de contestation du libéralisme sont apparus et qu’il en sortira quelque chose de bon, en tout cas de moins mauvais que le consentement habituel sur lequel avait fonctionné l’Europe. Avec sa prudence coutumière, Étienne Balibar, dans Politis([[Étienne Balibar, « Une innovation dans le débat européen », entretien avec O. Doubre in Politis, 28 juillet 2005.
), soulignait que : « la campagne a porté sur de vraies questions, surmontant des obstacles du côté de la classe politique, des institutions et des médias dominants qu’il n’était pas évident d’arriver à faire bouger ! » Sa conviction est qu’il faut en passer par ce débat jusqu’au fond pour élaborer des solutions tenables. Jacques Rancière ne dit pas autre chose dans son éloge de la mésentente, seule productrice de démocratie([[J. Rancière, La Mésentente, Galilée,1995. ). D’autres toutefois y sont allés d’emblée plus impétueusement : de la catastrophe doit pouvoir surgir le ressaisissement. Thème révolutionnaire, puis romantique, et pour finir gaulliste. Thème très français également, enraciné dans l’imaginaire de la Révolution française et dans une vie politique par à-coups que les pays nordiques ont en horreur (depuis les déchirures religieuses du XVI et XVII° siècles). Jean-Pierre Chevènement n’avait-il déclaré à France Europe Express, sur France 3, que le rejet du traité de la Communauté Européenne de Défense par la France, en 1954, avait permis l’émergence de la force de frappe et surtout du Traité de Rome, après le sommet de Messine. Chevènement n’engage que les Jacobins républicains. Mais prenons Slavoj Zizek, beaucoup plus proche de notre sensibilité. Le philosophe slovène n’y va pas par quatre chemins : « Si j’étais assez content du non français, ce n’était pas en raison d’un souverainisme de droite ou de gauche, ou d’une peur de l’Europe de l’Est. Non cette Constitution n’est pas assez bonne. Sa vision politique reste insuffisante. Nous avons besoin d’une catastrophe politique en Europe. C’est dangereux, je le concède, mais seule une catastrophe saura nous réveiller »([[S. Zizek, Ibidem.). Combien ont rêvé, face à l’ennui et à l’insidieux ordre paisible du marché qui fait ses coups durs en catimini, à une vraie crise politique avec des foules dans la rue, pourquoi pas à une révolution et à une Constituante à la française au son des canons de Valmy ou de 1905 ? Avec enfin un Peuple pouvant apparaître comme sujet de l’histoire. Certes, les espoirs des partisans du non, ne ressemblent pas tous, tant s’en faut, à cette caricature dont la naïveté([[J. Lautman, esprit plutôt « raisonnable » d’ordinaire, n’hésitait pas dans une correspondance privée justifiant son choix du non, à évoquer l’antécédent de la déflagration de 1848 à l’échelle européenne. Le choix du oui ou du non a le plus souvent reposé sur des divergences d’appréciation du contexte mondial, de ses dangers, des dispositions des autres pays membres.) n’a pas échappé aux esprits anglo-saxons réactionnaires, prompts à déceler depuis 1789, la manie française de penser « qu’avec une petite révolution, les choses iront mieux ». La vraie question de ce surgissement toujours supposé du « Peuple » avec un grand P, c’est qu’il se manifeste surtout par son absence, par ce qui manque. Le peuple européen est un mille-feuille. Il s’émiette. Le véritable drapeau européen n’est pas ce bleu orné des douze étoiles de la perfection, un drapeau de plus qui se substituerait simplement aux drapeaux nationaux. Il ressemble beaucoup plus au projet de Rem Koolhaas. Tel un numéro d’identification pour lecteur optique, il comprend toutes les couleurs des différents drapeaux mais défie la perception et la mémoire. Il est singulier mais impossible à reproduire exactement.

Le premier argument des partisans du oui à la Constitution était de dire que c’était ce passage à l’ordre constitutionnel qui était fondamental et que les dispositions de l’usine à gaz constitutionnelle étaient secondaires, des amendements (à l’américaine), une nouvelle Constitution (à la française) étant toujours possible. Que les partisans du non, à gauche, aient rejeté cette Constitution au nom d’une meilleure à arracher, quelque utopique que cela puisse paraître compte tenu des rapports de force avec ceux qui ne veulent pas du tout de Constitution supranationale, pourrait bien s’avérer une solide garantie que l’ambition constituante demeure intacte. Qu’elle se met à vivre ailleurs que dans les élites et qu’elle resurgira tôt ou tard.

L’élargissement inexorable de l’Union européenne, qu’elle subisse le tropisme turc, ukrainien en attendant le tropisme du pourtour méditerranéen (Liban, Israël, Palestine, Maghreb), s’est révélé le meilleur allié d’un « fédéralisme » contenu dans le projet même de Constitution, (quoique ce mot de fédéralisme demeure tabou). Pourquoi ? Parce que les mécanismes mis en place par le Conseil Européen et le Traité de Nice, conviennent à un petit nombre de participants. L’architecture confédérale déjà passablement équilibriste (quand on pense à la guerre larvée qui oppose les petits États aux grands), largement déstabilisée par l’entrée du Royaume-Uni (un grand pays) et du Danemark (un petit pays), n’a pas résisté à l’entrée de dix pays issus du post-communisme. C’est pour cela que le sommet de Laeken a fini par en venir à une Convention constitutionnelle. Comme toujours dans l’histoire de la construction européenne, pour que le projet de Constitution se mette en branle, il a fallu que les idées se brûlent les ailes comme des papillons autour de la lumière. D’abord les projets d’intégration politique qui surgirent sous la pression de la réunification allemande et de la chute de l’Union Soviétique (le noyau dur de Wolfgang Schaüble et Karl Lamers, l’avant-garde de Jacques Delors, le centre de gravité de Joschka Fischer), bref le projet de l’Europe à deux vitesses, les pays derniers entrés ayant en commun l’espace économique, mais pas les institutions politiques. Joschka Fischer a raison de parler d’un échec de ce projet confédéraliste([[J. Fischer, « De la confédération à la Fédération » , in Quo vadis Europa?, Les Notes de la Fondation Jean-Jaurès, n° 16, juillet 2000. ) devant la volonté des pays candidats de participer à titre complet à l’intégration politique. Comme s’ils avaient senti que la pression de la mondialisation rend illusoire une simple répétition de l’expérience du marché commun menée au moment de l’internationalisation du capital, mais alors que les États nationaux n’avaient pas été dépouillés d’une grande partie de leurs outils d’intervention par la dérégulation financière.

Ensuite, il a fallu aussi la défaite du projet fédéral très audacieux du même J. Fischer (transformant d’un coup les Parlements nationaux des États membres en Sénat de l’Union, pour quitter l’ordre Westphalien([[C’est au traité de Westphalie (1647) qui mit fin à la guerre de Trente ans en Allemagne, que l’ordre européen s’instaura sur la double base d’un équilibre entre les religions catholique et réformée et de la souveraineté illimitée dans l’ordre interne des États et Principautés qui s’affranchissaient ainsi de la double et conflictuelle tutelle de l’Empereur romain germanique et de celle du Pape. Face à la prétention révolutionnaire et napoléonienne d’unifier l’Europe des Nations, le Traité de Vienne de 1815 réaffirma le droit souverain des États. )) pour que la solution médiocre (moyenne) d’une Constitution à petit pas rallie les États sur un compromis millimétré. Ce que disait le non, finalement, face à ces réglages fragiles, complexes, c’était que c’en était à la fois « trop et trop peu ». Un des contributeurs à la mineure « Créole » de ce numéro, Madison Smartt Bell rapporte le mot de Moreau de Saint-Méry « Tout le monde connaît ce trait attribué à un enfant Créol et qui peut en peindre un grand nombre – < Mon vlé gnon zé. – Gnia point. – À coze ça mon vlé dé. > – < Je veux un œuf. – Il n’y en a point. – À cause de cela, j’en veux deux > ». Le 29 mai, ceux qui étaient nés en Europe, ceux qui n’ont connu que le désordre interne (chômage), ont réclamé une Constitution, et comme celle qu’on leur présentait ne leur convenait pas, ils ont surenchéri dans l’exigence vis-à-vis du texte. On peut considérer, comme le font les eurosceptiques, que ce surcroît d’exigence conduit forcément à une déception et donc favorise le détricotage du filet européen qu’ils appellent de leurs vœux. On peut, tout à l’opposé, voir dans cette exigence accrue la preuve par neuf que l’Europe est devenue une réalité et que le « niveau monte » pour reprendre l’expression célèbre de Christian Baudelot. Nombre d’Européens ont ainsi manifesté une réaction ambivalente à l’égard des incartades françaises et hollandaises : ils les ont taxés d’enfants « gâtés » (de créoles de l’Europe) et en même temps, ils ont envié le « débat » dont ils ont été eux-mêmes le plus souvent privés et frustrés.

À vrai dire, entre ceux qui ont voté oui au TCE et ceux qui l’ont rejeté, la divergence ne porte pas principalement sur le constat des insuffisances de l’Europe, sur son atonie politique, sur son alignement sur l’Amérique, sur son économisme forcené, son credo pauvre limité à la défense de la libre concurrence face au monopole (principe utile au demeurant), sur ses inégalités croissantes. Ni non plus sur la nécessité d’arriver à un Parlement Européen qui détienne le pouvoir législatif et un exécutif responsable devant lui. Bref sur la nécessité d’arriver à plus d’Europe. Cette exigence commune s’ajoute au rejet de la xénophobie, du racisme, du nationalisme populiste, qu’il soit déguisé en néo-communisme à l’Est, en traditionalisme fondamentaliste chrétien à l’Ouest. Le désir de « davantage d’Europe » constitue une passion positive qui rassemble tous ceux qui ne sont pas eurosceptiques, attentistes ou qui rêvent, de façon totalement réactive, à l’Europe comme un simple prolongement de l’espace national. Les interprétations sur la portée du non, comme sur celle du oui se cliveront sur cette question. L’inéluctable débat, déjà entrouvert, entre l’option à dominante confédérale et l’option résolument fédéraliste, ne viendra que lorsque cette équivoque aura été tranchée.

Mais entre ceux qui veulent davantage d’Europe, le débat ne porte pas simplement sur la définition des fins (l’Europe que nous voulons), mais surtout sur le comment y arriver. La politique est toujours une histoire de comment, de conditions, d’évaluation du moment. Elle n’est pas un concept mais une expérience. Jacques Delors avait qualifié l’Union Européenne d’objet politique non identifié pour souligner son caractère hybride, mal saisissable à partir des catégories que nous a laissées la science politique. Jusqu’à la façon de la nommer : fédération d’États-nations souverains, confédération fédérale post-nationale, processus sans personnalité juridique, drapeau représenté dans les grands sommets internationaux sans siège au Conseil de sécurité (tandis que l’on discute imperturbablement pour savoir si l’on va attribuer un siège à l’Allemagne, au Japon, à l’Italie), État sans État. On n’en finirait pas d’accumuler les contradictions cruelles dont les théologiens inquisiteurs de toutes les religions, cléricales ou laïques, somment la pauvre Europe de se débarrasser. « Qu’elle abjure de toute prétention à se substituer aux États, qu’elle mette fin au grignotage fédéral en se bornant à des attributions fixées une fois pour toutes » tonnent les eurosceptiques de The Economist ou les Max Gallo chez nous. « Qu’elle abjure de la religion néolibérale et de la mondialisation anglo-saxonne et embrasse les valeurs de l’Europe sociale et du service public » exige l’autre bord. « Qu’elle sorte de l’opacité et devienne démocratique, transparente » renchérissent les contempteurs de la bureaucratie.

« Eppure si muove » comme disait tranquillement Galilée à ses juges. Elle tourne en effet. Nous ne savons pas encore autour de quel soleil. C’est là le problème et tout l’enjeu. On aimerait bien que ce soit autour de l’astre de l’égalité et de la justice, et de façon plus prosaïque et terrienne, en intégrant au calcul économique et politique, la très longue durée de la viabilité de la biosphère, et la puissance productive de la noosphère. Certains voient la comète européenne s’agréger finalement en satellite subalterne de ce que Hubert Védrine nomme l’hyper-puissance américaine. Du pareil au même pour eux, que l’Europe se constitue ou demeure l’archipel dispersé des impuissances. On peut ainsi se penser révolutionnaire logique et complètement eurosceptique. Sous le capitalisme, rien de nouveau ! Simplement un aggiornamento de la gouvernance. Dans ce cas, jouer la carte de l’inertie est la bonne stratégie. D’autres (Zizek) y voient le surgissement d’un espace de liberté face à la polarisation des deux formes hyperboliques du capitalisme entre Shanghai et la Californie.

Expérience ? L’Europe l’est à coup sûr : elle n’a pas la netteté conceptuelle des constructions achevées ; il n’y a pas de philosophie de l’Europe comme Hegel incarna celle de la Révolution française et de l’effectivité de la raison à cheval en Napoléon : la chouette de Minerve attendra longtemps pour prendre l’envol de son fronton. Elle n’est pas encore sortie tout à fait de son cocon qu’elle est déjà accusée à la fois d’être trop envahissante, trop présente et en même temps trop inexistante, trop impuissante. L’Europe est trop faible, déliquescente pour les uns. Pour d’autres, elle s’engage dans la voie sans issue de la construction du super-État. Conceptuellement, elle est introuvable ; idéologiquement, elle demeure aux abonnés absents. Que de raisons de se désengager. Cultivons notre jardin comme Zadig, mais pas un jardin européen !

L’Europe, deuxième époque ?

Comment arriver à une Europe refondée sans réveiller les démons du populisme, du néonationalisme ? Les élites européennes sont désemparées. Jacques Delors et Michel Rocard, Henri Nallet, pourtant très européens au sein d’une gauche qui a été surtout très indifférente à la question, distillent désormais un message pessimiste. L’échec du TCE est pour eux un recul grave. L’échec de ce projet, fédéraliste sans le dire, est un signe que les peuples ne suivent plus, qu’il faut différer l’intégration politique globale et relancer un noyau dur. Revient alors en force l’idée d’un directoire des nations « motrices » de l’Union : axe franco-allemand, ou troïka en ajoutant les Britanniques. Aucune nouvelle guerre d’Irak (à moins que la situation iranienne ne se tende brutalement à très court terme), ne paraît susceptible de sauver la social-démocratie allemande, et par là même, J. Fischer. Lu rétrospectivement, le message délivré par P. Lamy et J. Pisani Ferry en 2002([[Pascal Lamy, Jean Pisani Ferry, L’Europe de nos volontés, Les Notes de la Fondation Jean-Jaurès, n° 27, janvier 2002.) (nous étions en plein essor de l’euro et le désir de sortir de Nice était puissant), paraît bien insuffisant. Certaines mesures ne sont pas inutiles, encore qu’elles s’apparentent au seul énoncé de grands principes (taxe européenne sur les produits pétroliers, ferroutage, adoption d’un principe de développement durable, développer les droits des travailleurs mobiles([[P. Lamy & J. Pisani Ferry, op. cit. p. 103.)), mais le défaut majeur est que le cœur de ce programme est presque exclusivement français. Rien sur le plan institutionnel en dehors d’un renforcement du rôle de l’Europarlement, timidité, voire pusillanimité sur le plan de la politique économique et industrielle : aucune mutation profonde de la Banque centrale par élargissement de ses compétences et responsabilités, aucun objectif comme le passage d’un déficit national limité à l’arbitraire 3%, à un déficit fédéral appuyé sur une capacité de la Banque centrale d’emprunter sur le marché international des capitaux et d’accélérer la transformation de l’euro en monnaie internationale de réserve à parité avec le dollar ; aucune proposition d’augmenter le budget de l’Union en la dotant de ressources propres (assises sur un impôt fédéral), seule possibilité de réformer la PAC en en diminuant relativement le poids et l’orientation afin d’aider les pays entrants à supporter le choc de leur exposition aux économies beaucoup plus développées des pays membres, tout en cherchant à faire converger leur système de protection sociale vers le haut et non par nivellement par le bas.

Sans idées fortes, à un niveau directement européen, la querelle des oui et des non autour du TCE continuera à opérer des ravages hexagonaux (il y a fort à parier que la Gauche a perdu toute chance raisonnable de voir un de ses candidats accéder à la présidence de la République en 2007), sans produire pour autant aucune initiative politique novatrice ou une relève. On est bien obligé de pointer ici, sans indulgence, le caractère préoccupant de l’absence de cultureeuropéennede la classe politique française dans son ensemble (hormis quelques personnalités isolées([[Citons Philippe Herzog, ex-député du PCF, Président de Confrontations Europe, auteur du Rapport sur le service d’intérêt général (2004) qui fit beaucoup pour introduire dans le TCE la notion d’intérêt économique général compatible avec le service public.)) : les partis politiques français (même les Verts, extrêmement prudents dans les faits) ne sont pas anti- ou pro- européens ; ils sont le plus souvent a-européens. Ils pensent ainsi constamment au mauvais niveau : trop peu localement, dans une optique des Régions, trop hexagonalement quand il faut penser et élaborer des propositions pour 700 députés de plus de 25 « pays ».
Mais, dira-t-on : où nous conduisez-vous de la sorte ? Avez-vous envie de nous déprimer davantage, d’ajouter à la vulgarité insupportable qui s’est manifestée lors de la campagne référendaire([[Vulgarité inégalable de la droite quand tel Ministre en exercice a déclaré froidement que l’Europe était un espace pour la France (sic !). Vulgarité gouailleuse à gauche, dans l’exploitation du thème, populiste s’il en est, de la France « d’en bas » face à la « France d’en haut », et des « intellos » ou des « élites » face au « Peuple ».), ou de nous enfermer dans une mélancolie définitive ? Pas vraiment.
Ce numéro de Multitudes revient à la question de la politique et aborde la question créole, question post-coloniale s’il en est. Quel rapport avec l’Europe et ses flottements actuels ?
C’est ce que nous allons voir pour finir.

L’Europe et la politique : trois questions

La réponse au référendum sur la Constitution européenne a divisé le comité de rédaction de Multitudes. Si certains avaient envie de voter non et l’argumentaient, le problème de ceux qui votaient oui, plus nombreux, en tout cas plus nombreux que dans les milieux où ils se trouvaient professionnellement ou culturellement, tenait à ce qu’ils le faisaient sans grand enthousiasme([[Sauf le rédacteur de cet En-tête qui n’est pas parvenu à faire partager son enthousiasme partisan. ). Le problème de l’objet politiquement non identifié européen, c’est que son obscurité n’est pas celle de l’objet du désir. L’Europe institutionnelle attire peu. Rosi Braidotti avait évoqué cette question dans le dossier consacré à l’Europe dans le numéro 14.

Ceux pour qui la « politique autrement » est faite d’engagement dans des mouvements sociaux, et qui gardent un réflexe instinctif de méfiance à l’égard des institutions, le TCE et plus généralement la vie politique européenne, ont tout d’un repoussoir idéal. Quelle continuité, quelle articulation entre la défense des sans-papiers, les luttes des intermittents et des précaires, des chômeurs, des « sans », les batailles contre les « nouvelles clôtures », et la machine européenne, souvent opaque et non maîtrisée (il faudrait dire encore moins maîtrisée que la machinerie nationale) qui produit des directives sur l’espace Schengen, sur la propriété intellectuelle par exemple, qui sont souvent catastrophiques ? Seul l’environnement échappe à ce bilan décevant, mais c’est parce que le retard français en la matière est encore plus désastreux.

Posé brutalement, le problème paraît sans issue. Il n’existe pas, dans la plupart des cas, un mécanisme qui opère une transmission, dans les deux sens entre les besoins, l’inventivité des mouvements et la technicité de la mise en forme et des combats de longue haleine pour suivre les dossiers et tirer parti de la conjoncture institutionnelle. Plus exactement, ce qui fonctionne parfois à l’échelle nationale (on suivra chez nous, l’inscription précise de la Coordination des intermittents et précaires dans la mécanique parlementaire avec l’étonnant fonctionnement du Comité de suivi, de la Commission Parlementaire ou de l’expertise citoyenne à laquelle nous avons déjà consacré une Mineure), ne se produit pas au niveau européen, ou presque jamais. C’est en ce sens précis qu’il faut parler de crise de la démocratie représentative pour éviter les considérations culturalistes assez fragiles sur le déclin de la politique. Pourtant à l’échelle européenne, un autre exemple récent depuis 2002, montre que le travail patient mondialisé de Collectifs d’usagers peut aboutir à des victoires totalement inattendues et battre des mastodontes comme Microsoft, Intel et autres Sun ou Oracle. Il s’agit de la question d’une directive sur les logiciels. La fondation des Logiciels Libres en Europe (FreeSoftware Foundation in Europe), l’association April([[Voir le site de Frédéric Couchet http://fsffrance.org/about/speakers.en.html ), le travail de la revue Transversales([[Transversales n’est plus disponible qu’en ligne. Voir les sites Creative Commons et le site de Philippe Aigrain. http://onthecommons.org/taxonomy/term/69/all/page/flexinode-6 ), la formation accélérée de quelques eurodéputés sont parvenus à contrer efficacement des cabinets juridiques de multinationales faisant un lobbying à l’anglo-saxonne, ainsi que le chantage ouvert des géants de l’informatique défenseurs de la propriété intellectuelle. Il n’est donc pas vrai qu’il n’y ait rien à faire à l’échelle européenne. Au contraire.
Toutefois, pour généraliser ces exemples, et ces bonnes pratiques, il faut déblayer le terrain méthodologique. C’est ce à quoi s’attaque la majeure de ce numéro consacrée à la « politique à revers », qui au fond la forme de la politique qui peut susciter l’envie d’y consacrer du temps et de l’énergie.

Pour trouver une première marque qui permettrait de reprendre l’initiative en matière de construction européenne, bornons nous à citer ces deux jolies phrases de William James longuement développées par Didier Debaise : « ce qui existe réellement, ce ne sont pas les choses, mais les choses en train de se faire » et « nous n’avons pas à chercher d’où provient l’idée mais où elle conduit ». Considérons l’Europe comme une chose en train de se faire, et cherchons dans les idées, non leur provenance, leur pedigree, mais leur utilité dans le chemin que nous voulons prendre.

Il y a quelque chose de bon à glaner en conjuguant la tradition empiriste et radicale américaine, longuement explorée par Sandra Laugier, et une tradition européenne de l’antagonisme ouvrier. Car si la Constitution de l’Union dans ses principes (la partie II) fait la quasi-unanimité, nous savons d’expérience du passé qu’elle ne se construit qu’à partir de champs de forces multiples, se recouvrant. Laurent Bove, partant de Spinoza, nous montre que le concept de « Multitude nous renvoie donc au mouvement réel de génération de la complexité et à la coopération des singuliers dans la Constitution du corps commun, et cela d’une manière radicalement différente et même opposée aux explications de la genèse idéale des sociétés que l’on trouve dans les théories classiques de la souveraineté ». La politique ne peut donc pas se définir simplement à partir d’un champ de forces binaires (ami/ennemi), ou polarisé entre les deux classes sociales. Ces classes sociales comme le montrent François Matheron et Yoshihiko Ichida, à partir d’Althusser et Rancière, ne préexistent pas à la relation d’antagonisme. Comment complexifier la référence à l’antagonisme sans l’aplatir dans la bonne vieille dialectique qui finit toujours dans la réconciliation pour éviter ou consacrer la révolution (comme il vous plaira !) ? En évoquant les questions de pouvoir et non pas simplement d’exploitation. La Mineure consacrée à la question du créole et de l’inscription changeante du minoritaire dans les sociétés coloniales et postcoloniales, organisée par Jean-Yves Mondon, nous permet de compléter la démonstration.

Le point de vue de la libération complète ou contredit celui de l’exploitation sans se réconcilier avec lui. Mille-feuille fait de couches superposées. Il en va de même pour le fameux concept de la souveraineté dont le corrélat est l’obéissance. Le pouvoir, rappelle Maurizio Lazzarato en partant de Foucault, consiste en « des actions sur des actions possibles ». Comprendre la nature du pouvoir, sa dimension expérimentale, la technique gouvernementale, c’est s’apercevoir que le libéralisme correspond à une politique de la multiplicité, bien au-delà (et si l’on veut en deçà, c’est-à-dire sans jamais monter aux extrêmes) de la souveraineté. Le modèle contractualiste (de Hobbes à Rousseau) propose une genèse idéale et non expérimentale du pouvoir (l’état de nature est une dialectique de l’expérience). Il fait reposer l’obéissance à l’autorité soit sur une acceptation du pouvoir parce qu’il est bon, juste, soit parce qu’il est le plus fort et garantit la sécurité utile. Il se libère conceptuellement du fondement religieux, mais ce que Karsenti lit dans les deux cours de Foucault au Collège de France de 1977-78 et de 1978-79, c’est qu’il faut entendre autrement le « nulla postestas nisi a Deo » de l’absolutisme. Il ne s’agit pas de savoir quels sont les titres et l’origine du pouvoir. Il s’agit de savoir comment opère l’autorité à la source de la puissance. La puissance du pouvoir, son autorité qui provient de Dieu, est incomparablement plus forte que tout contrat symétrique parce qu’elle repose sur l’obéissance asymétrique, cette obéissance inventée par la pastorale chrétienne en opposition à la dialectique grecque ou à la discussion juive. Et si cette obéissance est si puissante, si inconditionnelle, c’est parce qu’elle repose sur la soumission absolue, l’anéantissement du moi dans l’amour et développe cette forme particulière de volonté qui est celle de n’en pas avoir de propre. Ce désir de ne pas avoir de désir nie et détruit la politique « rationnelle » mais il est éminemment « politisable » souligne Karsenti, c’est-à-dire propice à obtenir de la multiplicité de la société faite d’intérêts innombrables et de désirs incommensurables, l’obéissance.
Quand on lit bien Lazzarato et Karsenti, croisant leurs regards sur Foucault, on tient quelques pistes vertigineuses pour penser la révolution anti-pastorale que signifierait la sortie du libéralisme. Car l’individu dont ce dernier accouche, au-delà de la généalogie apologétique du contrat et du droit naturel, est le même (au sens du revers de la médaille) qui désire l’anéantissement de sa volonté propre. Le « pour désirer, ne désirer rien » de Saint Jean de a Croix est l’autre face de l’individualisme possessif sans lequel ce dernier n’aurait jamais pu passer d’un modèle à une effectivité. Quand Jean-Paul II et Benoît XVI reviennent sans cesse à la charge pour inclure dans la Constitution de l’Europe, ses origines chrétiennes, entendant par là s’opposer à une référence aux seules Lumières et au libéralisme, ils savent ce qu’ils font. Aujourd’hui que l’enjeu de la gouvernementalité est celui du vivant comme vivant, d’un vivant qui devient productible et sans limites « naturelles » (biologiques ou de genre) le modèle politique de la pastorale est toujours présent. Ainsi s’expliquerait le couple infernal et apparemment contradictoire du néolibéralisme avec les nouveaux fondamentalismes chrétiens qui ont surpris aux États-Unis, et qui ne sont pas loin en Europe.

L’Europe est une expérience, une politique européenne est une technique expérimentale du gouvernement de la multiplicité. Cette multiplicité ne peut plus se réduire à la souveraineté fût-elle limitée, partagée([[Hannah Arendt opposait ainsi la souveraineté absolue, illimitée et indivisible de la Révolution française à la souveraineté limitée, partagée de la Révolution américaine qui fait la part belle à la séparation des pouvoirs et au fédéralisme. Le processus d’abandon progressif de morceaux de souveraineté par les États-nations pourrait faire penser à un processus américain dans la construction des États-Unis d’Europe. Le problème est que les États-Unis ont évolué vers un État-nation fédéral, ils se sont européanisés, alors que l’Europe vit une expérience post-nationale : le rêve qu’elle peut susciter c’est ce ne plus reposer de façon, monomaniaque sur l’individu propriétaire et contractualiste et sur l’obéissance pastorale, ni sur la Nation.), du Peuple. Le Peuple européen, comme le drapeau de Koolhaas, ne parle pas une seule langue, il n’est pas dialectique. Elle a bien sa signature. Mais ses lieux de mémoire sont si nombreux, si vieux, si multiples, qu’ils défient les règles de la représentation. Seuls le numérique et le multimédia, la coopération des cerveaux en réseau nous permettent d’en rendre l’expérience vivante. La culture politique de l’Europe est à créer.