Hors-champ 10.

L’Université israélienne contre la liberté de penser

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Appartenant à l’école israélienne des nouveaux historiens, Ilan Pappé réponds aux questions de Amaya el Bacha sur les raisons qui ont motivé son incrimination disciplinaire par les autorités de l’université Haïfa. Essentiellement parce qu’il a appelé à la réprobation morale du milieu académique israélien pour son manque d’indépendance et aussi à cause de son intervention scientifique dans la ” Nakba ” et le massacre de Tantura, opération dépuration ethnique d’un village palestinien au moment de la fondation de l’Etat d’Israël. Le milieu universitaire israélien se caractérise par son conformisme et sa pusillanimité. Le travail de mise à jour effectué par les nouveaux historiens est de moins en moins toléré par les autorités israéliennes.

AE. Ilan Pappé, vous êtes une des figures de proue du courant connu sous le nom des « nouveaux historiens » israéliens, né en 1988 – date à laquelle les archives israéliennes et britanniques ont été ouvertes, permettant une nouvelle lecture de la période qui a donné naissance à l’État d’Israël en 1948. Période fêtée par Israël et considérée comme une grande catastrophe par les palestiniens. Vous considérez qu’un nettoyage ethnique a eu lieu à ce moment là, nettoyage à l’origine du conflit au Proche Orient. Vous êtes l’auteur notamment de La guerre de 1948 en Palestine aux origines du conflit israélo-arabe, livre dans lequel vous racontez également l’exode des palestiniens chassés de leurs terres et leur destin une fois devenus des réfugiés. Vous enseignez, depuis 10 ans, l’histoire du Moyen Orient, à l’Université de Haïfa. Vous avez reçu le 12 mai une convocation à un procès dans votre Université. L’accusation représentée par le professeur Arye Rattner, Doyen de la faculté de Sciences humaines, demande votre expulsion en raison de propos diffamatoires que vous auriez eu à l’égard de cette institution, en 2000, à la suite de l’affaire Katz, du nom d’un étudiant de maîtrise, Teddy Katz, qui a dévoilé dans son mémoire un des massacres perpétrés par l’armée israélienne en 1948, celui du village de Tantura. Vous considérez ce massacre comme l’un des plus horribles. Quelles sont selon vous les véritables raisons de cette tentative d’expulsion ?

IP : Trois raisons ont motivé cette décision:
– La première est que j’ai signé une pétition appelant la communauté européenne à sanctionner le milieu académique israélien pour son manque d’indépendance à l’égard du gouvernement. J’ai été l’un des 9 universitaires israéliens à le faire ce qui a provoqué la colère de nombreuses personnes à l’Université, qui ont alors décidé d’utiliser mes critiques lors de l’affaire Katz pour régler du même coup un vieux compte.
– La deuxième raison est que j’ai finalement réussi à trouver un journal universitaire en hébreu qui a accepté de rendre public un article retraçant l’affaire Katz, le massacre de Tantura, ainsi que mes critiques à l’égard de l’Université à cause de sa position dans cette affaire. J’avais fait cet article en anglais à l’époque. Mais les israéliens ne lisent pas l’anglais. Ils s’en foutent : vous pouvez tout publier tant que vous ne le faites pas en hébreu. La demande d’expulsion est aussi une tentative pour empêcher cette publication.
– La troisième raison est que je m’apprête à donner l’an prochain un cours sur la « Nakba » – personne ne l’a jamais fait. On ne peut pas dicter à un enseignant le contenu de son cours en Israël ; Dieu merci, nous avons encore cette indépendance : alors on essaye de vous expulser pour que le cours n’ait pas lieu.
Mais les raisons qui m’ont été signifiées dans la convocation ont été quelques critiques que j’avais énoncés en condamnant l’université à la suite de l’affaire Katz: j’avais jugé immorale la position adoptée par l’université dans cette affaire, j’avais parlé de lâcheté mue par des motivations idéologiques.

AE: Pouvez-vous me parler du massacre du village de Tantura, sujet de mémoire de Teddy Katz, et de la procédure pénale dont a fait les frais l’étudiant à la suite des conclusions de sa recherche basée sur les témoignages enregistrés des survivants du massacre et de vétérans israéliens qui ont participé à ce massacre ?

IP : Tantura faisait partie des 64 villages palestiniens situés dans la petite région très peuplée délimitée par ce qui est devenu aujourd’hui Tel Aviv au sud et Haïfa au nord.
En mai 1948, tous ces villages ont été effacés. Leurs habitants ont été expulsés. L’armée israélienne se contentait en principe d’expulser les palestiniens, elle ne les massacrait pas. Mais à Tantura, un très grand village de 1500 habitants, l’armée a encerclé le village. Les habitants n’avaient aucun moyen de s’échapper. Les soldats se sont retrouvés avec tous ces palestiniens à leur merci. C’est alors qu’ils ont décidé de les massacrer pour s’en débarrasser. Ils ne voulaient pas se retrouver avec des prisonniers de guerre. A chaque fois que cette situation s’est présentée, il y a eu recours au massacre.
Les femmes étaient épargnées, mais les hommes de plus de 13 ans y passaient. Les conclusions de Katz correspondent aux témoignages qu’il a recueillis, et que des documents de l’armée israélienne viennent confirmer : elles font état de 200 à 250 personnes massacrées à Tantura dans le cadre d’une entreprise plus globale de nettoyage ethnique qui a eu lieu en 1948.

L’université a octroyé la mention Très Bien au mémoire de Katz, dont des extraits ont été repris par la presse israélienne, lançant un débat en Israël, qui a amené des vétérans de la brigade ayant commis ce massacre à poursuivre l’étudiant pour diffamation

AE: Cette même unité dont certains membres se sont confiés à Teddy Katz.

IP: Oui. certaines personnes avaient admis avoir commis le massacre. Quelques uns ont nié ce qu’ils avaient affirmé lors de ces témoignages. Mais les enregistrements attestent de ce qu’ils avaient d’abord avoué. Puis, pour des raisons que Katz lui-même n’arrive pas à s’expliquer, après deux jours de procès, il a déclaré à la cour : « j’ai eu tort, j’ai fabriqué ces témoignages, j’ai menti, ils n’ont pas commis un massacre, je présente mes excuses ! » Il subissait une énorme pression. L’important, c’est que 12 heures plus tard, il s’est dit : « mais qu’est ce que je viens de faire ? je maintiens mes conclusions » . Mais c’était évidemment trop tard. Les excuses faites l’avaient discrédité aux yeux du public. Il a alors exprimé le désir de faire appel, mais le tribunal en Israël ne vous permet pas de le faire si vous avez signé des excuses.
L’affaire s’est ainsi terminée en novembre 2001. L’université lui a alors retiré son titre. Il est naïf. Il veut réécrire son mémoire pour aboutir aux mêmes conclusions, et espère être accepté. J’en doute fort !

Q : Quelle a été votre réaction à l’issue de cette affaire ? Réaction que l’on vous reproche aujourd’hui, presque deux ans plus tard ?

IP: J’ai rédigé une lettre à l’intention de nombreuses associations d’historiens dans le monde. Je leur ai dit que j’étais seul dans ma lutte pour dénoncer l’issue de cette affaire. Lutter contre cette décision, qui est à mon sens outrageuse, me paraissait très important. Dans ma lettre je dénonçais l’attitude de l’université et disait qu’ils auraient pu reprendre le mémoire sur quelques imperfections, qui n’auraient pas changé la conclusion finale. Mais au lieu de cela, l’université s’est battue pour que la vérité ne puisse pas se faire sur la Nakba. Je l’ai expliqué cela aux présidents de ces associations et je leur ai dit que l’Université, soumise à une pression extérieure, pourrait reconsidérer ses positions. Mais « American Release and Studies Association » a été la seule association à répondre à mon appel, et l’université a ignoré son intervention.

AE: Comment l’université a-t-elle réagi à vos critiques à l’époque ?

IP : Je suis boycotté à l’université. Je suis exclu de toutes les rencontres universitaires, de tous les séminaires, des conférences. Ce boycott atteint son sommet avec un procès intenté contre moi pour tenter de m’expulser, et que doit prendre en charge le seull tribunal habilité à le faire : le tribunal disciplinaire, qui peut expulser un enseignant même après 10 ans d’ancienneté.

AE : Au lieu de demander à vos collègues de vous soutenir, vous avez fait appel aux universitaires dans le monde, parce que vous aviez constaté par le passé leur passivité à diverses occasions. Pourquoi cette passivité ?

IP : Quand j’ai publié ma position à l’issue de l’affaire Katz, l’université a annulé ma participation à trois conférences majeures qui ont eu lieu à l’Université de Haifa et auxquelles j’avais été convié avant l’affaire. J’ai alors demandé à mes collègues de condamner publiquement ces annulations : ils ont refusé de le faire. J’ai ensuite reçu des lettres personnelles où quelques collègues m’exprimaient leur soutien. Quand je leur ai demandé l’autorisation de les publier, ils ont de nouveau refusé.
Vous me demandez pourquoi ils se comportent de la sorte. Le système académique en Israël est très conformiste. Ce sont des gens qui n’ont pas le courage de leurs idées. Ils ne sont pas prêts à mettre en danger leurs carrières. Une chose est d’écrire un article général sur le droit des palestiniens à un État une autre est de se mettre en danger pour dénoncer la persécution d’une personne parce qu’elle a des idées différentes, des idées antisionistes, ou tout simplement parce qu’elle est arabe. Dans mon université, je n’ai trouvé personne qui soit prêt à prendre ce risque. Mais, après ma convocation à comparaître devant un tribunal disciplinaire, il semble que de nombreux collègues commencent à se réveiller et se rendent mieux compte de ce qui se passe. Peut-être que cette fois j’obtiendrai un véritable soutien, mais c’est encore trop tôt pour le dire.

AE: Vos étudiants ne réagissent pas non plus ?

IP : Mes étudiants veulent réagir, mais je ne veux pas qu1ils le fassent. Ils sont trop vulnérables et risquent de se voir expulser de l’université. Je leur ai demandé de montrer profil bas. Je préfère que ce soient mes collègues qui réagissent. Eux ne doivent avoir peur de rien du tout.

AE : Quand votre procès aura-t-il lieu ?

IP : Ils n’ont pas fixé de date : ils sont encore en train de réfléchir à la question.

AE : Est-ce que vous allez vous présenter au procès ?

IP: Au départ j’ai annoncé que non ; puis j’ai décidé de le faire, sur le conseil d’une ONG palestinienne. J’ai décidé d’assister au procès, et de faire appel à des avocats et aux médias locaux et internationaux. Il y a de nombreuses organisations des droits de l’homme qui ont proposé d’envoyer des observateurs.

AE : Qu’est ce que vous avez l’intention de faire si vous êtes expulsé ?

IP : Je chercherai du boulot. Ils n’arriveront pas à me terroriser. Je n’ai pas peur d’eux. J’ai reçu de nombreuses propositions pour enseigner à l’étranger, mais je n’ai aucune intention de quitter le pays. J’ai également reçu une offre pour travailler dans une école palestinienne à Eblin, je pourrais choisir cette option. Je ne sais pas si l’université réussira à m’expulser, vu la réaction internationale à ma convocation. Ça commence à avoir de l’effet. Mais cette action doit se poursuivre ; sinon, bien sûr, elle n’aura servi à rien.

AE: Pourquoi l’université a-t-elle attendu deux ans avant d’essayer de vous expulser ?

IP: Le climat en Israël s’est dramatiquement dégradé depuis février 2001. Jusque là Israël n’était pas une grande démocratie, mais acceptait le jeu démocratique : les dissidents juifs comme moi, les radicaux juifs, ou tout simplement les juifs qui interrogent les questions à la base du consensus sioniste étaient tolérés, même s’ils n’étaient pas aimés. Bien sûr si mes collègues d’origine palestinienne avaient osé dire ce que je dis depuis 20 ans, ils l’auraient payé cher.
Mais, depuis février 2001, la majorité des israéliens, ceux qui sont au pouvoir comme ceux qui ont conduit ce gouvernement au pouvoir, ont décidé que le jeu démocratique les affaiblissait dans leur lutte contre les palestiniens et contre le monde arabe. Ils ont commencé à harceler les gens comme moi, et plus seulement les victimes habituelles : les palestiniens des territoires occupés, ou la minorité d’origine palestinenne en Israël. Ils harcèlent même des juifs israéliens politiquement au centre. Par exemple, Yaffa Yarkoni, une chanteuse populaire septuagénaire, réputée depuis plus d’un demi-siècle pour ses chants de guerre. Elle a suivi les infos à la télé ; elle a vu ce qui s’est passé à Jénine et elle a exprimé sa colère. Elle a dit que cela lui rappelait ce que les nazis avaient fait durant la deuxième guerre mondiale. Conséquence : elle n’a plus le droit de se produire, elle a été publiquement condamnée. Elle a des problèmes économiques parce qu’elle ne peut plus travailler. Et je vous parle là d’une femme du centre, je ne vous parle pas de moi. Elle a été menacée de mort, elle ne circule plus qu’accompagnée de ses trois gardes du corps.
Il y a aussi Gaby Gazit. C’est un journaliste qui dirigeait un programme d’information à la télévision. Il penche très légèrement vers la gauche. On ne peut même pas dire qu’il est franchement de gauche. Disons qu’il a été critique et ça lui a valu une expulsion de la télé.
Il y a de plus en plus de procédures judiciaires contre des universitaires qui ont soutenu les soldats refusant à servir dans l’armée israélienne. Voilà l’ambiance régnant en Israël et c’est cette ambiance qui fait que les gens qui ont toujours voulu ma peau ont jugé que le moment était venu.

AE : À quel moment les nouveaux historiens dont vous faites partie n’ont ils plus été toléré par le gouvernement israélien ?

IP: Les nouveaux historiens sont apparus en 1988. C’était à la base un petit groupe d’historiens dont je faisais partie qui, suite à leurs recherches, ont compris que la version officielle de la période de 48, celle de la création de l’État d’Israël était fausse. Que c’était un mensonge intentionnel. Ils ont alors essayé de réécrire ce qui s’est passé. La vérité s’est avérée plus proche de la version palestinienne que de celle des israéliens. Au milieu des années 90, le groupe s’est étendu pour devenir un courant de pensée composé d’intellectuels, d’universitaires auteurs d’ouvrages critiques non plus uniquement de la période de 1948 mais aussi des années 60, du sionisme en général. Le gouvernement israélien a accepté un certain nombre de critiques et d’accusations de la part de penseurs connus sous le nom de penseurs anti-sionistes. Ce mouvement englobait également des artistes. On percevait ce regard critique dans le cinéma israélien, dans le théâtre, dans la presse, et même dans les ouvrages scolaires. Ce courant de pensée fut toléré jusqu’en 1999, où le gouvernement israélien a commencé à considérer que ce mouvement constituait une menace pour lui. Il a alors voulu faire taire cette pensée, retirant toute ses traces des ouvrages scolaires, des programmes de télévision et de radio. Mais c’était encore supportable. Les choses se sont accélérées avec l’élection de Sharon et la deuxième intifada.

Q : Quel a été l’impact des nouveaux historiens sur l’opinion publique israélienne ?

R : Je pensais, dans les années 90 que l’impact de ce courant était significatif. Il l’a été au niveau du milieu éducatif, mais nous n’avons pas eu d’impact sur la pensée politique, et les réactions sont telles, même dans le milieu éducatif contre ce courant est telle que je ne pense pas qu’il aura une quelconque influence sur l’opinion publique dans un avenir proche. Peut être qu’à long terme, les racines donnerons des fleurs, mais cela prendra des années et, je le crains, encore plus de sang versé.

Q : Vous dirigez l’institut pour la paix en Israël.

R : Je l’ai dirigé pendant 10 ans puis j’ai arrêté. L’institut pour la paix a été fondé en 1993 : c’était un institut de recherche arabo-juif pour la paix. L’idée était de diriger les travaux de doctorants arabes et juifs intéressés par des recherches retraçant une histoire de la paix entre juifs et arabes en palestine. Nous avons réalisé de bonnes choses. Nous avons publié des travaux en arabe à l’intention du monde arabe, et en hébreu. Nous avons fait un bon travail pour montrer l’importance de l’histoire pour l’avenir d’une histoire israélo-palestinienne commune. Cet institut a fermé ses portes il y a maintenant un an et demi. Je voulais que notre travail soit incisif, et mes collègues ont plutôt opté pour une coopération avec le gouvernement ; je n’aime pas coopérer avec le gouvernement.

AE : Quelles sont, selon vous, les conditions pour que la paix soit possible en Israël ?

IP : Nous avons d’abord besoin d’une très forte pression internationale sur le gouvernement israélien. Des sanctions doivent être prises. Un peu comme en Afrique du Sud. Il n’y a pas de forces politiques à l’intérieur d’Israël qui pourraient servir d’alternative au gouvernement de Sharon. Il n’y a plus de gauche – disons plutôt qu’il ne reste plus grand chose de la gauche. En tout cas elle ne constitue plus une alternative. D’où la nécessité d’une pression; international pour changer les choses. L’histoire a démontré l’efficacité de telles pressions sur un pays. Ensuite, les israéliens doivent comprendre qu’ils doivent payer pour leurs actions. Ils doivent payer un prix économique et culturel. Nous sommes tous en train de payer le prix du sang .
La pression internationale est nécessaire car je crains une nouvelle Nakba très bientôt. Nombreux sont les israéliens qui commettraient une nouvelle Nakba sans aucune hésitation. Spécialement si les américains décident d’attaquer l’Irak. Ils justifieront cela par une situation de guerre, et dans une situation de guerre vous pouvez perpétrer des choses que vous ne pouvez pas faire en temps de paix.

Sur un plus long terme, les israéliens doivent reconnaître ce qu’ils ont fait lors de la création de l’État d’Israël en 48. C’est la clé de la solution. Si Israël reconnaît le nettoyage ethnique qu’elle a perpétré en 48. on pourra alors commencer un processus de réconciliation, et les israéliens seront surpris de constater la bonne volonté que mettront les palestiniens dans toutes les questions : sur la création d’un État palestinien ou le nombre de réfugiés qui reviendront en Israël, sur la question de Jérusalem. Sur toutes les questions. Si seulement les israéliens disaient « nous avons menti sur l’histoire de la création de l’État d’Israël, nous avons commis un nettoyage ethnique. Nous devons reconnaître nos crimes. Nous devons parler de nos crimes. Nous vous devons des compensations. C’est pourquoi, nous devons permettre aux réfugiés de retourner chez eux. Alors seulement, nous pourrons parler de paix ». Il faut accompagner tout cela, bien sûr par la fin de l’occupation.

AE : Est ce que le peuple israélien est prêt pour cela ?

IP : Non non non non. Il n’est pas prêt. C’est la raison pour laquelle j’ai laissé tomber la politique pour me consacrer à l’éducation. Cela demande un long processus d’éducation. Cela n’arrivera pas en deux ou trois ans. Je crains qu’il ne faille encore quelques années de sang versé, pour que le peuple israélien se rende compte que c’est la seule solution possible pour arriver à la paix.

AE : Vous étiez en train de parler de la nakba à venir. Mais cette nakba touchera également les militants israéliens pour la paix.

IP: Oui. Absolument. Absolument. Trois groupes seront les victimes de la prochaine nakba : les palestiniens des territoires occupés, la minorité palestinienne en Israël, puis tout juif qui vit en Israël et qui n’adhère pas à la pensée régnante. Ces trois groupes seront les victimes de cet horrible scénario qui, je l’espère, n’aura pas lieu. Mais cela dépend beaucoup de la pression internationale.

AE : Quel est votre regard de nouvel historien et de militant pour la paix sur cette opération rempart qui, selon les israéliens, devait servir à éradiquer le supposé terrorisme palestinien?

IP : Cette opération a conduit à trois résultats très néfastes : Premièrement, elle a détruit l’infrastructure qui rendait la vie possible en Cisjordanie. Il faudra des années pour la reconstruire. Deuxièmement, elle a motivé de nombreux palestiniens à se transformer en bombes humaines, puis malheureusement, elle a rendu la population israélienne encore plus récalcitrante à toute tentative de résolution du conflit.
Tout ce qui intéresse ce gouvernement, c’est sa politique intérieure ; il n’a pas de vision globale, il a les yeux fixés sur Netanyahou. Cette opération rempart est à situer dans le cadre de la bataille de pouvoir de ce gouvernement contre Netanyahou. En ce sens, cette opération est pour lui une réussite. Il a montré qu’il utilisait la brutalité sans aucune hésitation, il espère montrer par là qu’il a un meilleur programme pour gérer ce qu’Israël appelle le problème palestinien.

AE: N’est-il pas trop simpliste de dire qu’à l’intérieur d’Israël il y a ceux qui se battent pour la paix et ceux qui refusent la paix ? N’est-ce pas beaucoup plus compliqué que cela ?

IP : C’est un peu plus compliqué. La société israélienne a été endoctrinée durant 50 ans. D’une manière assez complexe, dans la mesure où ce n’était pas une dictature. C’est pour cela que la majorité des israéliens pensent que ce qu’ils font est bien. Ce n’est pas une dictature où les gens ont peur de parler autrement. Ils veulent parler comme cela. C’est pour cette raison que je parle d’éducation et de pression internationale. C’est comme en Afrique du sud : les blancs voulaient l’apartheid, on ne le leur a pas imposé. Ça les arrangeait. Ils en ont profité. Et il a fallu une pression internationale pour mettre fin à l’apartheid, et bien sûr la lutte de l’ANC pour la libération.

AE : Quel est le pourcentage de ceux qui pensent comme vous en Israël ?

IP : Ils ne sont pas nombreux. Ils ne représentent qu’une goutte d’eau dans un océan.