– Cet article discute de la transformation de l’économie et de la société sud-africaine en relation avec l’insertion du pays dans l’Empire. La spécificité sud-africaine est largement due au rôle central joué par le prolétariat d’usine dans l’effondrement de l’apartheid. Le néolibéralisme et l’entrée dans l’Empire doivent être compris dans ce cas comme des réponses de l’état à une composition de classe qui s’est organisée sur le lieu de travail pour résister à l’imposition de la discipline salariale. La reformulation du discours nationaliste par l’ANC pour se plier aux exigences de la mondialisation capitaliste et l’adoption d’un agenda néolibéral ont entraîné l’abdication de la souveraineté de l’état comme véhicule du contrôle par la citoyenneté sociale. De nouveaux mouvements composés pour l’essentiel des exclus du travail salarié ont émergé pour contester les choix de l’ANC. Ces mouvements n’ont pas de programme souverainiste et ne veulent pas déléguer la résistance à l’état. Dans leur écart aux mythologies nationaliste et salariale, ils rendent claire la nature biopolitique des courants de contestation actuels et combinent les luttes à la base avec les capacités cognitives de réappropriation.
Les élections d’avril 1994 en Afrique du Sud ont marqué la transition de l’apartheid à un régime de démocratie représentative formelle et ont installé au pouvoir l’ANC (African National Congress) et à la présidence Nelson Mandela. On peut voir dans le succès de l’ANC la dernière étape de l’émancipation africaine du colonialisme. Ce fut aussi le premier cas de libération nationale intervenu depuis que le monde est dominé par les forces du marché et l’idéologie néolibérale. La victoire écrasante de l’ANC avec 62% des voix (et même 67% aux élections de 1999) semblait conférer un mandat massif pour un programme politique combinant le discours nationaliste avec la promesse d’un rôle progressiste de l’État dans la lutte contre les énormes inégalités sociales héritées du passé. Le style propre de l’ANC et son rôle en tant que seul parti de masse vraiment non racial et interclassiste capable de construire une citoyenneté unifiée et d’alimenter ainsi une transformation sociale décisive, étaient la marque de fabrique de la forme de souveraineté du nouvel État.
La libération nationale et le déclin du lien souveraineté-citoyenneté
Huit ans après ce moment crucial, la mythologie politique de l’état de post-apartheid est dans une crise profonde, et beaucoup de principes semblent avoir été abandonnés ou reconfigurés de manières profondément différentes, et souvent contradictoires (Marais, 2001). Le discours de transformation sociale a changé ses référents pour désigner une dynamique de compétitivité économique, d’insertion sur les marchés mondiaux et d’investissement dominée par un capital non restructuré et lourdement financiarisé où les acteurs traditionnels ont été partiellement complétés par quelques nouveaux petits bataillons de l’élite entrepreneuriale africaine. De même les slogans nationalistes d’indépendance et de souveraineté démocratique ont été sublimés dans une nouvelle vision tout aussi mythique de l’Afrique comme transcendance des frontières nationales. L’inégalité sociale et l’exclusion se sont accrues pour de larges strates de la majorité autrefois opprimée, tandis que la diminution des différences raciales de revenus entre noirs et blancs révèle une inégalité croissante au sein de la population africaine. Le puissant soutien de la classe ouvrière à l’ANC a été confronté à la réalité déplaisante d’un déclin de l’emploi salarié permanent, d’une foule houleuse de chômeurs, de la prolifération d’activités « atypiques » hautement vulnérables (Hayter, Reinecke et Torres, 1999; Torres, 2002). Un tiers de la population rurale et un quart de la population urbaine n’ont pas accès aux services de base (Bond, 2001). Il en résulte un état de rébellion endémique et la révolte violente se manifeste souvent dans de nombreuses communautés urbaines et rurales qui sont devenues pour le gouvernement des zones d’opposition totale, comme elles l’étaient vis-à-vis du gouvernement de l’apartheid. La police et les entreprises privées de sécurité employées par le gouvernement local y sont le seul service public en expansion, spécialisé dans le travail quotidien d’expulsion et de débranchement des réseaux pour les résidents incapables de payer leurs loyers et leurs charges.
Tandis que l’abstention aux élections et le déclin croissant de la participation politique signalent la désaffection populaire pour l’ANC, des mouvements et des organisations locales émergent sous des formes significatives de leur distance croissante d’avec les vieilles organisations du prolétariat d’usine. En août 2001 beaucoup de ces mouvements mirent en scène une marche historique forte de 20 000 personnes à l’occasion du congrès mondial contre le racisme à Durban. Leurs slogans antigouvernementaux, divers et colorés, dont le plus fameux était “assez de tout ce cANCer” et leur spectacle radicalement innovant ont fait irruption sur la scène publique dans une rupture complète avec le discours boursouflé de la rhétorique de “libération” officielle. Ainsi s’est exprimé un rejet profond de toute la classe politique sud-africaine, y compris dans ses formes avant-gardistes de “gauche” propres aux organisations syndicales. Ces mouvements sont soumis à une répression étatique de plus en plus déterminée et violente, souvent soutenue par les commentaires des syndicats qui dépeignent leurs participants comme des « réactionnaires », des « opportunistes », des aventuristes » et des « contre-révolutionnaires ». Le large rejet du régime de l’ANC est devenu apparent au niveau international avec l’approche négationniste de l’épidémie de SIDA par l’ANC, dans un contexte où le gouvernement a affirmé que ses contraintes fiscales et ses obligations macroéconomiques l’empêchait d’augmenter les dépenses de santé. Loin de se borner à s’opposer aux multinationales pharmaceutiques, des mouvements comme Treatment Action Campaign (TAC) ont directement (et légalement) agi contre le gouvernement et son rôle dans l’imposition de la discipline néolibérale. C’est ainsi que des médecins ont été condamnés pour avoir procuré des médicaments rétroviraux à leurs patients, tandis que d’autres faisaient passer clandestinement des médicaments à l’intérieur des hôpitaux dans des jouets d’enfants. (Sunday Independent, 24 January 2002).
La mise en relation des processus globaux et des subjectivités oppositionnelles est en train de redéfinir clairement la souveraineté de l’État comme limitée à la reproduction, à l’organisation de l’exclusion sociale et à la répression ( Mezzadra et Ricciardi, 1997). L’éclatement de la relation entre citoyenneté et souveraineté a de nombreux traits communs avec des cas semblables étudiés au “Nord”. Par conséquent, en plus d’inviter à douter de la pertinence des oppositions Nord-Sud simplistes, le cas de l’ère post-apartheid sud-africaine peut éclairer les débats sur la post-colonialité et le post-autoritarisme dans le contexte de la mondialisation néolibérale.
Beaucoup d’analyses de gauche ont gardé un biais structuraliste qui les fait interpréter les concepts de “mondialisation” et de “néolibéralisme” essentiellement en termes de domination capitaliste et de désarticulation des sujets sociaux par des forces économiques impersonnelles (Bourdieu, 1998) et qui ignore les dynamiques et les institutions susceptibles de donner une expression et une représentation plus adéquates à de multiples forces sociales (Teeple, 1995). Les structures d’opposition – rangées de manière indifférenciée sous des titres comme « travail », « mouvements sociaux », « la gauche » – tendent à être présentées comme des victimes du déclin des formes traditionnelles de représentation politique condamnées à l’échec en l’absence d’alternative d’ensemble au système. Cette vision des sujets sociaux à l’ère de la mondialisation que nous pouvons définir comme « résiduelle-résistante » réifie la souveraineté d’État en en faisant un rempart contre la mondialisation. Les défenseurs de la souveraineté de l’État contre la globalisation négligent l’intensité des processus sociaux par lesquels le lien entre souveraineté et citoyenneté a été remis en question au Nord, d’abord par le prolétariat d’usine, et puis par les actions de révolte des sujets sans garanties formelles et sans représentation (les travailleurs précaires, les étudiants, les mouvements féministes, les immigrés) (Witheford, 2000). Comme le montre Yasemin Soysal (1994) dans le cas des migrations internationales de travail en Europe, cette dynamique a déployé dans toute la période d’après la seconde guerre mondiale une demande de droits universels qui en vient éventuellement à contester le modèle exclusif de citoyenneté ancré dans la souveraineté nationale. Mais aussi au Sud le développement du prolétariat d’usine a été un facteur puissant d’écroulement du développementalisme nationaliste autoritaire, qui était souvent au service de la « périphérisation » et de l’expansion mondiale du fordisme (Herold, 1994). Ceci aide à expliquer en retour l’apparition de « l’ajustement structurel », non comme un élément d’une conspiration mondiale néolibérale mais dans le contexte des stratégies d’État pour contrôler les subjectivités en révolte.
Le travail de Michael Hardt et Antonio Negri (2000) fournit des concepts utiles pour combler l’écart, souligné dans les premières critiques de la globalisation, entre d’un côté la constitution d’un ordre capitaliste mondial lié aux processus de dépliement de subjectivités sociales en formation qui ont conduit à la crise du compromis fordiste au Nord et de l’autre côté, au Sud, le développementalisme nationaliste né des luttes de libération. Leur vision de l’Empire permet d’éviter le cul-de-sac conceptuel rencontré par les critiques de gauche traditionnels coincés dans une opposition binaire à propos de la disparition ou de la persistance de l’État-nation face à la mondialisation, qui idéalise l’antagonisme entre les deux et néglige les voies par lesquelles le national et le global sont des moments d’un même régime de production de l’identité et de la différence, ou plutôt d’homogénéisation et d’hétérogénéisation (Hardt et Negri, 2000) défini par une économie déterritorialisée et un système de commande fondé sur la communication dans lequel l’organisation hiérarchique de la production à l’échelle mondiale est légitimée par de nouvelles autorités dépositaires de la nouvelles idéologie des droits du citoyen universel. Par conséquent, tandis que la souveraineté d’État est dépouillée de ses prérogatives essentielles – qui en viennent à dépendre du bon fonctionnement des marchés et de l’exercice mondial du pouvoir militaire pour répondre aux situation d’urgence – les fonctions de contrôle social et de répression de l’exclusion, et la définition des nouvelles limites de l’accès au droit de citoyenneté, acquièrent une nouvelle signification comme partie prenante de la redéfinition des hiérarchies mondiales.
L’Afrique du Sud est un laboratoire intéressant car cette dynamique y a pris place dans un temps extrêmement court, du fait de sa récente incorporation à « l’Empire ». La défaite de l’apartheid, de ce point de vue, n’a pas été simplement le retrait du dernier représentant de ce que Hardt et Negri considèrent comme l’impérialisme colonialiste sur le continent africain. L’État raciste sud-africain était le seul régime nationaliste dans l’Afrique coloniale. La place du pays dans la vieille chaîne impérialiste de l’exploitation des matières premières fut donc justifiée par un discours d’autosuffisance économique et industrielle (dû aussi à l’isolement international) et organisée de manière à promouvoir les intérêts de la population blanche (en général et pas seulement des Afrikaners, cf. O’Meara, 1983). Ce projet nationaliste entra en crise à cause de l’incapacité de la forme raciale de l’État à imposer une discipline de travail servile au prolétariat militant des usines. La dynamique de la rébellion de la classe ouvrière des années 70 souligna finalement l’illégitimité de ce projet politique et contribua à amener au pouvoir une alternative nationaliste de masse organisée par l’ANC.
L’Afrique du Sud dans l’Empire
Dans le scénario post-colonial la “nation” traduisait en politiques de développement et de modernisation menées par les nouveaux États l’unité des groupes subordonnés (Chatterjee, 1993). Cette équivalence entre nationalisme et modernisation politico-économique fournissait un outil de mobilisation puissant, mais déléguait la continuation de la « lutte » aux nouvelles élites, qui détenaient généralement leur autorité de leur capacité à articuler la souveraineté nationale et la modernisation en continuité avec les politiques mises en place d’abord par les pouvoirs coloniaux. De ce point de vue, les exceptions que représentent les ambitions de changer les rapports sociaux de production à partir de l’État (Mozambique, Angola, Ethiopie) ont échoué à construire une contre-hégémonie viable et se sont même effondrées avec le déclin de la bi-polarité mondiale après 1989. Dans son commentaire de la tradition des études « mineures », Frederick Cooper (1996) stigmatise l’inadéquation des discours de libération nationale comme une « décolonisation d’en haut ». Celle-ci serait fonctionnelle pour reproduire le pouvoir des nouvelles élites urbaines éduquées, pour incorporer et minimiser les dynamiques conflictuelles des subjectivités en formation sous les images totalisantes et non problématisées du « peuple » et de la « nation ». Le cas sud-africain se distingue de cette trajectoire dans la mesure où l’ANC, en tant que force dirigeante du mouvement de libération nationale, est venue au pouvoir précisément quand la modernisation d’origine étatique a été éclipsée par le nouveau scénario macroéconomique mondial. Le parti au pouvoir, qui au début partageait cette conception, l’a rapidement abandonnée quant à ses conséquences. L’absence d’une tradition de développementalisme au pouvoir appuyé sur les masses et dirigé par l’État – qui dans les autres pays africains a entraîné l’expérience du parti unique – a conduit dans le cas sud-africain le discours nationaliste à un bien plus grand degré de fonctionnalité pour l’intégration dans l’Empire. Les caractéristiques formelles du processus ressemblent à celles décrites par Hardt et Negri.
Le nationalisme de l’ANC au pouvoir n’a jamais été fondé sur la réalisation d’un « rêve » de développement autonome. Certes une approche de la croissance comme tirée par la demande intérieure, où l’État contrôle des ressources et des mécanismes économiques stratégiques a inspiré des thèmes importants du premier discours émancipateur de l’ANC (McKinley, 1997). Mais ces thèmes, présents dans la charte historique de 1955 adoptée par le congrès de l’alliance dirigée par l’ANC sont restés confinés au niveau purement symbolique dans l’histoire plus récente. Les élections de 1994 ont été gagnées par une alliance également dirigée par l’ANC qui incluait ce qui est de loin la plus grande fédération syndicale du pays, le Congress of South African Trade Unions (COSATU) et le petit parti communiste sud-africain (SACP). Le programme de cette Alliance, le programme de reconstruction et de développement (RDP), était le produit d’un compromis négocié entre les trois partenaires. Il contenait encore une forte orientation vers la croissance par la redistribution qui donnait des priorités qu’on pouvait comprendre comme un scénario politique keynésien destiné à encourager la demande intérieure à travers la satisfaction des “besoins de base” et le redressement des énormes inégalités sociales héritées de l’apartheid.
Au même moment, les réflexions économiques et constitutionnelles de l’ANC d’après 1989 reconnaissaient le besoin pour le capital sud-africain de devenir mondialement compétitif et de rendre le pays attractif pour l’investissement local et international. Cela revenait de facto à développer la vision d’un développement conduit par l’État, notamment par la propriété directe et le contrôle de ressources stratégiques. Ces orientations sont devenues encore plus accusées avec l’adoption de la Stratégie pour la croissance, l’emploi et la redistribution (GEAR) en 1996, un document qui plaidait pour une démarche résolue vers l’équité sociale et la création d’emploi, en insistant sur le rôle essentiel de la confiance du monde des affaires et de la compétitivité internationale comme les principaux véhicules de la modernisation. Ceci a conduit à soumettre l’augmentation des dépenses publiques à des objectifs de stricte contention du déficit, à mettre la priorité sur les mécanismes anti-inflationnistes et à soutenir la flexibilité du travail comme solution au problème du sous emploi chronique (Michie et Padayachee, 1997; Habib et Padayachee, 2000).
Par conséquent le rôle développementaliste de l’État a été de plus en plus subordonné à un nationalisme “mondialisé”, pour lequel l’intrication entre performance économique, croissance compétitive sur les marchés extérieurs et construction de la nation a été de plus en plus étroite et exclusive. Le secteur privé qui a joué un rôle significatif dans la promotion d’un ordre capitaliste déracialisé, et qui comprend une nouvelle bourgeoisie noire issue des rangs des anciens opprimés, se voit déléguer une autorité substantielle, y compris dans la sphère de la souveraineté, pour résoudre la question sociale du post-apartheid. Le profit et l’entreprise sont reconnus comme les véhicules prioritaires de la création de richesse, de la participation sociale et de la promotion individuelle. Par ailleurs, le marché mondial et les institutions financières internationales sont chargés de fonctions directement normatives et programmatiques. Ils sont reconnus en particulier comme des sources d’autorité et d’influence dans la définition des contraintes et des choix associés dans le discours politique à la mondialisation. Une fois internalisées dans les débats de politique intérieure, ces contraintes sont autant de frontières dans les processus d’allocation des ressources, d’intervention publique, par rapport aux légitimes aspirations populaires et par rapport à l’expression des désirs subjectifs.
Dans son effort de déracialisation d’un capital de plus en plus financiarisé, le gouvernement du president Thabo Mbeki a introduit subrepticement la notion de participation noire au pouvoir économique pour désigner le rééquilibrage des relations de pouvoir dans la propriété des entreprises. Dans ce cas la race est remobilisée comme un argument de légitimation essentiel pour le nouveau régime. Il autorise l’ANC à se présenter comme investie de façon continue dans la lutte contre les inégalités sociales creusées par l’histoire et héritées de l’État raciste, tout en jetant le voile sur le maintien des forces sociales qui causent cette inégalité par leur loyauté continue aux forces du marché mondial et par la confusion du marché avec l’égalité des chances (à laquelle est largement réduite la participation noire au pouvoir). Le changement entre le vieux et le nouveau discours nationaliste de l’ANC est apparent dans les déclarations officielles. Dans un discours de 1978 en tant que représentant de l’ANC devant le congrès à Ottawa, le président actuel Thabo Mbeki affirmait : “Le capitalisme noir au lieu d’être l’antithèse du capitalisme est plutôt une confirmation de son caractère parasite, sans aucune circonstance atténuante pour excuser son existence ». Mais le même Mbeki pouvait dire également en 1999, quelques mois après son élection à la Présidence:
“Pour aider à la réalisation de notre objectif d’éradiquer le racisme dans notre pays, nous devons avoir soin de créer et renforcer une classe capitaliste noire. Parce que nous venons du milieu des noirs opprimés, beaucoup d’entre nous se sentent embarrassés d’affirmer un tel objectif tant nous sommes démunis. ( …) Je voudrais nous presser très fortement d’abandonner cet embarras quant à la possibilité de voir émerger des propriétaires industriels noirs prospères et que nous pensions et agissions d’une manière en phase avec le monde réel. C’est comme partie intégrante de notre lutte continue pour balayer l’héritage du racisme que nous devons travailler à l’émergence d’une bourgeoisie noire, dont la présence dans notre économie et notre société fera partie du processus de déracialisation. Par conséquent, le gouvernement doit aider ceux qui dans la population noire ont besoin de cette aide pour devenir entrepreneurs. »
Beaucoup d’analyses traditionnelles de gauche (McKinley, 1997; Bond, 1999) ont vu dans la transformation du discours initial de l’ANC une simple cooptation des élites nationales issues de la libération, ou un ralliement aux dictats des institutions financières internationales et du capital, surtout financier, national, ou au mieux ont parlé de retrait face à un rapport de forces défavorable. Cependant ces explications, qui marginalisent la subjectivité sociale des mouvements de base, ont largement oublié de reconnaître que les changements dans les politiques de l’Alliance sont le produit, souvent non intentionnel et contradictoire, des luttes populaires tant à l’intérieur qu’à l’extérieur des organisations formellement alignées sur l’ANC.
Ces analyses ont également négligé la capacité du nationalisme mondialisé de l’ANC à réinterpréter et reconfigurer les désirs de la population de façon très éloignée des premiers rêves d’égalité et de citoyenneté sociale universelle en une vision dans laquelle la transformation sociale progressive coïncide avec le développement des entreprises et de la participation individuelle sur le marché (Jacobs, 2001). Ce déplacement est généralement opéré par un hommage formel aux notions de redistribution et d’égalité des chances dans lequel la centralité de l’emploi salarié est combinée avec une emphase nouvelle sur le marché comme véhicule de la discipline individuelle. L’impact de ce processus vient de la capacité de l’ANC de passer d’une définition de la souveraineté de l’État en tant que conduite et satisfaction des désirs (Marais, 2001: 261-262; Saul, 2001) à de nouvelles configurations de contrôle social en vue de ce qui apparaît dans les slogans du parti comme « une meilleure vie pour tous ». Cette reformulation continue des demandes et des luttes menées conflictuellement par des subjectivités sociales diverses reflète par ailleurs le déclin des institutions de l’État comme véhicules de la représentation et de l’organisation de ces subjectivités.
La subjectivité au travail: la fin du travail salarié et les nouvelles stratifications sociales
La dynamique la plus importante dans la formation des subjectivités durant les vingt cinq ans qui ont précédé la fin de l’apartheid est constituée par l’émergence du travail salarié non seulement comme condition matérielle généralisée, mais encore plus important, comme origine de revendications, d’aspirations et d’une vision du monde émancipatrice qui a profondément reconfiguré les demandes et les programmes politiques de l’opposition interne à l’apartheid. Par conséquent l’hétérogénéisation récente des sujets sociaux qui ont connu le salariat comme cœur matériel de leurs visions de la libération et de la citoyenneté représente le problème le plus important que doivent affronter tant l’État dans ses efforts de consolidation que les mouvements d’opposition et de résistance dans leur reconstruction. Le déclin du travail salarié tout à la fois comme condition matérielle et comme acteur politique de l’émancipation au Sud rouvre en même temps la contestation de la capacité de l’ANC à contrôler et reproduire les désirs et les demandes des multitudes sud-africaines.
La résurgence d’une organisation de la classe ouvrière noire dans les années 1970 a présenté des traits tout à fait particuliers par rapport aux autres pays africains et par rapport aux précédentes étapes de l’histoire de la classe ouvrière en Afrique du Sud. Les précédentes vagues d’organisation avaient affecté partiellement les classes travailleuses prolétarisées, principalement dans les zones minières. Mais les années 1970 marquent l’irruption dans l’opposition d’un prolétariat noir urbain semi-qualifié travaillant dans l’industrie manufacturière et voyant dans l’emploi salarié la principale source d’intégration sociale. La remarquable analyse comparative des politiques sud-africaines du travail de Yann Moulier-Boutang (1998) dans leur relation avec l’émergence du travail salarié moderne insiste sur la contestation du contrôle sur la subjectivité et sur la résistance de la classe ouvrière noire et en fait un terrain décisif de confrontation entre l’État raciste et les mouvements de libération. En particulier l’apartheid est regardé ici comme un processus de long terme, infini, incorporé à l’ensemble des institutions et des pratiques pour réguler l’établissement et la mobilité de la main d’œuvre noire. La création d’un marché du travail capitaliste ne visait pas tant ici l’accès à une main d’œuvre bon marché que la réduction au minimum des possibilités pour les travailleurs d’échapper à la relation salariale, et de fuir tout court. L’ordre social raciste ne pouvait évidemment pas reposer sur l’option qui consistait à réaliser cela sous la forme d’un travail libre – assis sur des droits civiques, politiques et sociaux et sur la citoyenneté – et ce fut tout compte fait un des facteurs cruciaux de la crise et de l’effondrement de cet ordre. On doit aussi souligner (Cooper, 1996) que la résistance des travailleurs à la prolétarisation était elle-même un facteur qui empêchait les entrepreneurs capitalistes d’organiser la transition d’un travail coercitif à un travail libre dans un contexte marqué par le déni des droits civils, politiques et sociaux. La création d’une discipline de la force de travail socialisée dans la relation salariale constitua un problème décisif, mais souvent négligé, que la règle raciale minoritaire et l’État colonial ont transmis aux régimes issus des politiques de libération nationale.
La lutte du prolétariat noir sur les droits et les pouvoirs des travailleurs exprimait de profonds désirs de libération du travail salarié qui coexistaient avec la demande d’une reconnaissance politique et sociale dérivant du fait d’être partie prenante du processus d’industrialisation. Le besoin de l’apartheid en travail bon marché était en contradiction avec la possibilité d’un contrôle social plus effectif sur lui, et avec celle d’une coopération, comme il en existe avec les travailleurs libres, qui aurait exigé l’extension des droits de complète citoyenneté. L’accession à de tels droits sous le gouvernement de l’ANC a accompli finalement le long processus historique d’établissement d’un marché capitaliste du travail en Afrique du Sud. Ceci a été complété par la régulation des droits du travailleur dans un dispositif politique et constitutionnel qui reconnaît la priorité de la création d’emploi en tant que véhicule essentiel de l’insertion sociale, tout en prévoyant l’organisation et la négociation de droits supposés renforcer le pouvoir autonome des travailleurs. De ce point de vue la légitimité politique et idéologique gagnée finalement par le travail salarié libre dans l’État démocratique a autorisé le nouveau gouvernement à demander la modération salariale et l’acceptation par les syndicats du modèle de croissance compétitive comme contrepartie et condition de la préservation du nouvel édifice normatif.
La transition vers l’industrialisation au vingtième siècle en Afrique du Sud a pris des formes originales et incomplètes. En particulier la stratification raciale des consommateurs ne permettait pas d’économies d’échelles ni donc l’expansion d’une production de masse. De plus la mobilité professionnelle des ouvriers noirs semi-qualifiés était limitée par les barrières raciales imposées par la législation et les accords collectivement négociés entre le capital et les travailleurs blancs. Les barrières imposées par ce modèle, appelé fordisme racial (Gelb, 1991) furent responsables de l’échec du développement d’un secteur marchand à capital de propriété locale et entraînèrent l’appel de l’industrie manufacturière à la technologie et aux machines d’importation, facilitée par les réserves en devises étrangères gagnées par l’exportation de minerais. Par ailleurs la production de biens de consommation pour un marché domestique largement blanc, et relativement étroit fut favorisée par les sources d’énergie bon marché produite dans la sidérurgie, secteur largement propriété de l’État. Fine et Rustomjee’s (1996) estiment que ce modèle de développement industriel était basé sur les intérêts du complexe énergie-minerai qui empêchait une diversification de la base de production sud-africaine. En même temps la répression et le refus de la citoyenneté politique structurait le flux d’un prolétariat africain récemment urbanisé vers les villes et organisait le système de coercition des travailleurs migrants. Finalement cet ensemble de formes de contrôle servait le double but de plus en plus contradictoire de minimiser les coûts du travail tout en réalisant ce qu’ impliquait l’idéologie officielle de l’État à savoir que l’urbanisation et le travail salarié devaient rester temporaires et instables pour les travailleurs noirs.
Dans les années 1970 la rébellion des travailleurs, dans un contexte de crise économique et de menace de déclin du complexe minerai-énergie accentua cette contradiction et donna une forme décisive aux politiques de l’apartheid de réforme du travail. En même tempsles traits techniques de la composition de la classe ouvrière noire fondés sur le contrat à durée déterminé et l’emploi précaire, avec la vulnérabilité qui y est associée, n’empêchèrent pas son activisme et sa politisation, mais contribuèrent plutôt à des trajectoires et des méthodologies spécifiques. A partir des grèves de Durban en 1973 des organisations d’ouvrières d’ateliers s’établirent dans la région de Johannesburg (cœur de la région minière), dans l’Est et dans celle du Cap (Friedman, 1987; Baskin, 1991). La relation ente la crise du capitalisme et la rébellion des travailleurs traduisait également l’impact sur l’Afrique du Sud de la fin du système de Bretton Woods et de l’abandon de la convertibilité entre l’or et le dollar, ce qui a entraîné le début de l’instabilité des cours mondiaux de l’or, et par conséquent des fortunes du complexe minerai-énergie sud-africain. L’intensité du capital, d’un degré déjà élevé, fut accrue en réponse aux luttes des travailleurs, mais cela entraîna plus encore de suraccumulation et renforça les rigidités auxquelles se heurtait le développement capitaliste. Le besoin de passer d’une économie reposant sur l’exportation de matières premières à une économie davantage fondée sur la connaissance et sur un prolétariat noir qualifié – déjà affirmé en 1971 par Harry Oppenheimer, directeur de la grande corporation Anglo-américaine – devient un sujet majeur des débats au sein du capital sud-africain.
Après une courte période de répression directe des luttes de travailleurs (1974 – 1978), le régime tenta de restratifier la classe ouvrière noire par la promotion de droits limités négociés collectivement par les syndicats (Wiehahn Commission de 1979), et l’octroi du droit à une résidence urbaine permanente à une petite couche de noirs intégrés (Riekert Commission de 1977). Ce programme d’incorporation échoua dans son essai de cooptation et de barrage au radicalisme.
Les luttes des townships durant les années 1980 se développèrent à propos des services sociaux, de la qualité de la vie, de la citoyenneté politique et de la démocratisation du gouvernement local. Elles étaient menées par une pluralité de sujets politiques (travailleurs, étudiants, femmes, Églises, professionnels, classes moyennes) avec des programmes politiques divers et souvent contradictoires qui convergeaient autour des thèmes de la libération nationale et passèrent donc rapidement sous l’hégémonie des organisations alignées sur l’ANC. De telles luttes demandaient au mouvement syndical d’en assumer les choix politiques et la responsabilité, alors que jusque là il avait privilégié les problèmes liés au lieu de travail et avait gardé une attitude réservée par rapport à la politique nationaliste. L’implication des syndicats ouvriers dans cette phase de la lutte fut souvent le résultat de pressions venant de la base qui remettaient en cause l’orientation conservatrice de la direction qui se limitait aux problèmes liés à la production (Baskin, 1982; Ruiters, 1995). L’organisation autonome des travailleurs (comme par exemple les conseils de délégués d’ateliers dans la concentration industrielle de Durban) faisait montre d’une conscience croissante des problèmes liés à la vie hors travail et faisait circuler l’information sur les pratiques de lutte, comme par exemple les grèves de loyers et de paiement des autres services (transport, eau, électricité). Dans ce contexte, le ralliement de la COSATU au programme politique de l’ANC après sa reconnaissance en 1985 reflétait l’incapacité des dirigeants syndicaux à se lier de manière créative au mouvement massif de refus de la discipline du salariat.
L’établissement d’un régime de travail libre dans l’Afrique du sud d’après l’apartheid se transforma en une tentative de rendre constitutionnel le travail salarié en reconnaissant légalement les droits de base et les lieux et moments de négociation des syndicats (Barchiesi, 1999). Cela répondait aux exigences stratégiques définies en 1995 par le Labour Relations Act (LRA), qui essayait ouvertement de promouvoir un environnement économique compétitif sur le plan international fondé sur des relations capital-travail exemptes de conflit. La participation des syndicats était offerte en échange de la limitation des droits des organisations. Au même moment l’acceptation par les syndicats de la discipline du marché et de la compétitivité internationale liée à leur institutionnalisation était canalisée dans des organismes de négociation sociétale de style corporatiste comme le Conseil national du développement économique et du travail (NEDLAC).
Les expériences corporatistes dans un contexte néolibéral utilisent les organisations de salariés non seulement pour redéfinir leur représentation, mais aussi pour organiser et reproduire l’exclusion sociale de ceux (chômeurs, travailleurs précaires) que la discipline de la compétition économique a laissé en dehors de toute influence politique significative par des moyens institutionnels (Mezzadra et Ricciardi, 1997; Habib 1997). Alors que 5000 000 emplois permanents ont été perdus (principalement dans l’industrie) pendant les cinq premières années de gouvernement démocratique sud-africain, le chômage est toujours évalué par les statistiques officielles autour de 37% de la population économiquement active (ce qui le fait monter à plus de 50% dans le cas des Africains). Une récente recherche montre l’augmentation de l’emploi atypique ou non standard (temporaire, occasionnel, en contrat à durée déterminée, à temps partiel) (Crankshaw et Macun, 1997; Kenny et Webster, 1999). Dans ces recherches, le mot atypique souligne le fait que l’expansion de la condition de salarié à temps plein ne fait pas partie de la base sociale des premières années de démocratisation de l’Afrique du Sud.
Le résultat c’est qu’alors que le chômage de longue durée ou la précarité tendent à devenir la condition la plus vraisemblable pour un nombre croissant de nouveaux entrants sur le marché du travail, l’emploi salarié à plein-temps est aujourd’hui le fait d’un petit peu moins de la moitié de la population active, et de seulement un tiers de sa composante africaine (NEDLAC, 2000). Finalement, il faut remarquer que le caractère de moins en moins central du salaire dans le revenu et les stratégies de vie des ménages se reflète dans le fait que la frontière entre emploi et exclusion sociale devient de plus en plus brouillée et indiscernable. La montée de nouvelles formes de pauvreté et d’exclusion ouvrières est reflétée par les analyses qui montrent comment, dans des familles officiellement définies comme pauvres ou très pauvres, le salaire reste la source la plus importante de revenu. A contrario on constate une augmentation significative des activités informelles et de l’économie parallèle, dans laquelle l’immigration clandestine joue un rôle décisif.
Les rigidités imposées par la vieille composition de classe capitaliste ont conduit durant les années 1990 à la crise du complexe minerai-énergie et au besoin pour le capital financier historiquement puissant d’identifier de nouveaux régimes de valorisation: la finance produisait 20% dans les années 1990 qui doivent devenir 30% à l’horizon 2010. L’économie domestique essaie aussi de se restructurer vers la promotion de l’exploration et le développement d’activités de haut niveau en communication, information et connaissance (Ministère de l’Industrie et du Commerce, 2002). De tels changements politiques reflètent une nouvelle composition de l’emploi qui entre 1970 et 1995 a vu une impressionnante augmentation de la demande dans les professions liées à l’information et dans le secteur des services (Bhorat et Hodge, 1999). Cette transition vers une production cognitive est particulièrement frappante dans les territoires qui ont été au cœur de l’industrialisation de l’Afrique du Sud. En même temps un nouveau pôle de croissance se développe le long de l’axe N1, un corridor qui lie Johannesburg, Midrand et Pretoria et qui totalement non urbanisé il y a 20 ans est le secteur du pays qui croît le plus vite actuellement (Hodge, 1998). Ces transformations préfigurent une rupture paradigmatique (Corsani, 2001) avec le vieux capitalisme fordiste-racial centré sur le complexe minerai-énergie. La préoccupation du gouvernement et des syndicats pour le chômage et la création d’emploi témoigne de leur conscience croissante de la perte du sujet unifié de la classe ouvrière et de l’apparition de nouvelles possibilités d’opposition.
L’émergence de la multitude et le nouveau terrain biopolitique et cognitif de la contestation
La résistance des réseaux de médecins prêts à transgresser les limites imposées aux dépenses médicales par l’ANC pour combattre l’épidémie de SIDA est un exemple probant de l’émergence d’un déplacement dans les formes de discours oppositionnel. Les politiques néolibérales sont sévèrement contraignantes quant au montant de ressources destinées aux services sociaux pour les populations les plus vulnérables. L’imposition de la discipline du marché dans des domaines tels que le logement, l’eau, l’électricité, l’assainissement fait de la reproduction de la vie elle-même l’enjeu d’une contestation politique. Sur ces terrains les récentes pratiques de lutte ont montré une remarquable tentative de réappropriation par en bas des nouvelles capacités cognitives créées par le passage à l’économie cognitive.
Quand en 1999 l’ancien township “indien” de Chatsworth à Durban s’est révolté contre les expulsions faites à l’aide de la police et contre la déconnection des services d’eau des résidents qui ne pouvaient pas payer, l’ANC accusa leur mouvement d’être inspiré par le séparatisme indien et d’être en réaction contre le projet de construction de la nation. Les mots d’ordre des résidents africains et indiens répondirent à cette tentative de mise à l’écart sur une base ethnique et différentialiste pseudo-culturelle: “nous ne sommes pas Indiens, nous sommes les pauvres” (Desai, 2002), c’est-à-dire une figure économique (Hardt et Negri 2000: 156-157) ; on demande au pauvre d’activer ses capacités de communication et de connaissance pour négocier sa vie dans les réseaux de l’informalité, du crime, ou , occasionnellement et de façon précaire, aux marges des activités de service.
Les luttes locales se sont multipliées dans les grandes villes contre les politiques de privatisation des services municipaux. Ces enjeux ont aussi été mis en évidence par des coordinations de ces mouvements à l’échelle nationale. C’est le cas des luttes des étudiants contre la privatisation de l’éducation et du militantisme croissant pour le libre accès aux médicaments contre le sida. Les occupations de terres continuent. L’intelligence nécessaire à la survie dans l’économie post-salariale est inextricablement liée aux activités qui produisent les connaissances nécessaires à la rébellion de la multitude. Ces compétences sont produites informellement dans les réseaux familiaux et de voisinage. Le cas de l’opération Khanyisa est devenu fameux. Khanyisa (qui veut dire allumer) consiste à reconnecter les lignes électriques déconnectées par les municipalités pour les résidents qui ne peuvent pas payer leur facture. Cette activité est pratiquée à large échelle par des gens formés pour le faire.
L’affaiblissement de la vieille subjectivité sociale en est arrivé au point où l’État de la libération nationale reconnaît son impuissance à exercer la souveraineté en imposant son contrôle par l’extension de la citoyenneté. La fin du mythe de l’intégration sociale ouvre de nouvelles possibilités de lutte pour la vie.
(traduit de l’anglais par Anne Querrien)
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