Majeure 5. Propriété intellectuelle

La Liberté ou le Copyright ?

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Que reste-t-il aujourd’hui des intentions premières du copyright ? Ce qui était à l’origine un dispositif de régulation industrielle est devenu une entrave à la liberté du public, à l’heure des technologies numériques, dont les jours sont – de fait – comptés. RMS rappel ici quelques principes généraux qui ont présidés à la conception du copyleft.Il était une fois, au temps de la presse papier, la mise en place
d’une régulation industrielle sur le marché de l’écriture et de
l’imprimerie. On l’a appelée le copyright. Le but du copyright était
d’encourager la publication de la diversité des travaux écrits. Sa
méthode consistait à ce que les auteurs donnent leur permission aux
éditeurs de réimprimer leurs travaux récents.

Le lecteur moyen avait peu de raisons de ne pas être d’accord, à partir
du moment où le copyright se limitait à la publication, pas à ce que le
lecteur pouvait faire. Même si le prix s’en trouvait légèrement
augmenté, il ne s’agissait que d’argent. Le copyright était bénéfique
pour le public, comme prévu, et n’a été que de peu de charge pour le
public. Il remplissait bien son rôle alors. Puis une nouvelle façon de
distribuer de l’information est apparue : les ordinateurs et les
réseaux. L’avantage de la technologie de l’information numérique est
qu’elle facilite la copie et la manipulation de l’information, qu’il
s’agisse de logiciels, de musique ou de livres. Les réseaux offrent une
possibilité d’accès illimitée à toutes sortes d’informations ; une
utopie de l’information.

Mais un obstacle se tenait sur le chemin : le copyright. Les lecteurs
qui utilisaient leurs ordinateurs pour partager l’information publiée
étaient techniquement des contrevenants au copyright. Le monde a changé
et ce qui avait été jadis une régulation industrielle est devenu une
restriction pour le public, qu’elle était sensée servir. Dans une
démocratie, une loi qui interdit une activité populaire, naturelle et
utile est normalement bien vite assouplie. Mais le puissant lobby des
éditeurs était déterminé à empêcher le public de tirer avantage de leurs
ordinateurs et a trouvé dans le copyright l’arme qu’il fallait. Sous son
influence, plutôt que d’assouplir le copyright en fonction des nouvelles
circonstances, les gouvernements l’ont rendu plus strict que jamais,
imposant de rudes pénalités aux lecteurs pris en train de partager.

Mais ce n’était pas tout. Les ordinateurs peuvent devenir de puissants
outils de domination quand seules quelques personnes contrôlent ce que
font d’autres personnes devant leurs ordinateurs. Les éditeurs ont bien
vite compris qu’en forçant les gens à utiliser des logiciels spécifiques
pour lire des livres électroniques, ils pouvaient gagner un pouvoir sans
précédent : astreindre les gens à payer et à s’identifier eux-mêmes à
chaque fois qu’ils liraient un livre ! Le rêve pour les éditeurs, qui
ont poussé le gouvernement américain à voter le Digital Millennium
Copyright Act (DMCA) en 1998. Cette loi donne aux éditeurs un pouvoir
légal absolu sur tout ce que pourrait faire un lecteur avec un livre
électronique. Même la simple lecture non autorisée est considérée comme
un crime !

Nous avons toujours les mêmes vieilles libertés avec les livres
imprimés. Mais si les livres électroniques remplacent un jour les livres
imprimés, cette exception sera pratiquement inutile. Avec « l’encre
électronique », qui permet de télécharger un nouveau texte sur ce qui
pourrait passer pour du papier imprimé, mêmes les journaux deviendraient
éphémères. Imaginez : plus de bouquinistes, plus de prêts de livres à un
ami, plus de prêts à la bibliothèque publique ; plus de « fuites » qui
permettraient à quelqu’un de lire sans payer (et si on s’en réfère aux
publicités pour Microsoft Reader, plus d’acquisitions anonymes de
livres non plus). C’est là le monde que les éditeurs ont en tête pour
nous. Pourquoi y a-t-il aussi peu de débats publics autour de ces
changements d’importance ? La plupart des citoyens n’ont pas encore eu
l’occasion de prendre pied dans les intérêts politiques nés de cette
technologie futuriste. De plus, le public a été bercé par l’enseignement
de ce que le copyright « protège » les détenteurs du copyright, avec
comme implication que les intérêts publics ne comptent pas.

Mais quand le public dans sa majorité commencera à utiliser les livres
électroniques et qu’il découvrira le régime que les éditeurs ont
concocté pour lui, il commencera à entrer dans la résistance. L’Humanité
n’acceptera pas ce joug ad vitam aeternam. Les éditeurs aimeraient que
l’on croit qu’un copyright répressif est la seule façon de garder l’art
en vie, mais nous n’avons pas besoin d’une Guerre du Copyright pour
encourager la diversité des travaux publiés : comme l’a montré Grateful
Dead, la copie privée au sein des fans n’est pas forcément un problème
pour les artistes. En légalisant la copie de livres électroniques entre
amis, nous pouvons transformer le copyright en ce qu’il a été une
régulation industrielle.

Pour certains types d’écrits, nous devrions même aller plus loin. Pour
les livres scolaires et les monographies, tout le monde devrait être
encouragé à les reproduire en ligne mot pour mot ; cela aide à protéger
la littérature scolaire tout en la rendant plus accessible. Pour ce qui
est des manuels et de la plupart des travaux de référence, la
publication de versions modifiées devrait elle aussi être permise, dans
la mesure où cela encourage les améliorations.

Finalement, quand les réseaux informatiques permettront de faire
transiter de petites sommes d’argent, l’argumentation entière de la
restriction de la copie textuelle s’évaporera. Si vous aimez un livre et
qu’un menu contextuel vous invite à « cliquer ici pour envoyer un dollar
à l’auteur », ne cliqueriez-vous pas ? Le copyright sur les livres et la
musique, comme il s’applique aujourd’hui à la distribution de copies
textuelles non modifiées, deviendra complètement obsolète. Et plus vite
qu’on ne le croit !

Copyright © 2000 Richard Stallman. Les copies conformes et versions
intégrales de cet article sont autorisées sur tout support pour peu que
la notice de copyright et cette présente notice soient conservées.
Traduit de l’anglais par Benjamin Drieu. Article publié en français dans
Multitudes, numéro 5, Editions Exils, Paris, juin 2001.