Globalisation des économies, externalités, mobilité, transformation de l’économie et de l’intervention publiqueBeaucoup[[Une première version de ce texte a fait l’objet d’une présentation au Séminaire international Communication, espace et nouvelles formes de travail, Organisé par l’Institut de Philosophioe et de Sciences Humaines (CFCH) et par l’Institut de Recherche et de Planification Urbaine et Régionale (IPPUR) de l’Université Fédérale de Rio de Janeiro, les 16, 17 et 18 juin 1997.
, sinon presque tout a été dit sur la globalisation des économies à l’aube de ce deuxième millénaire. Les principaux éléments de la description sont largement cernés. Crise des catégories, des précédents rapports de préséance ou de force, en particulier entre économie de production et économie financière, tout cela peut toujours être raffiné, mais l’essentiel est désormais connu. En revanche l’aspect transformateur de la crise commencée en 1975 est beaucoup plus flou. Dans le centre du système capitaliste, nous voyons un monde s’effondrer, celui de la révolution industrielle d’une part, celui aussi du salariat canonique de la société salariale[[S’il est vrai que le salariat ouvrier progresse à pas de géants dans le monde en général, le passage dans le Tiers-Monde à l’après-salariat s’effectue aussi très vite, du fait de l’absence de garanties puissantes du salariat canonique. des Trente Glorieuses. Il est plus difficile en revanche d’apercevoir nettement ce qui va s’y substituer. Les limites principales du diagnostic néo-classique et plus généralement classique (on doit inclure aujourd’hui dans l’orthodoxie la science économique de matrice keynésienne et l’économie d’orientation marxiste traditionnelle) de la mondialisation, comme des remèdes prescrits et des potions administrées réellement au malade, tiennent à notre sens à une absence de théorie construite du mécanisme profond de la mondialisation, comme de son origine. C’est ce que nous essaierons de reconstruire dans un premier moment. Après avoir sommairement décrit la mondialisation ainsi que les limites des paradigmes qui entendent l’expliquer et en prévoir l’évolution, nous essaierons de faire jouer des notions empruntées au champ de la nouvelle économie institutionnelle des coûts de transaction dans une perspective marxiste franchement hétérodoxe pour expliquer la force de ce mouvement de globalisation. L’impasse est telle, qu’à notre sens, pour baroque ou inélégante qu’elle soit, cette hétérodoxie au carré se justifie si elle permet de reconquérir un début d’unité théorique. Elle nous paraît en particulier un travail préalable à toute analyse comparative à l’échelle internationale.
Dans la grille de lecture que nous proposons, l’analyse des externalités, des coûts de transaction permet de comprendre la logique de globalisation (I° partie). A partir des apports des théories économiques de la croissance « endogène », nous proposons de caractériser le post-fordisme de façon positive (II° partie) à partir de l’émergence d’un secteur de la production qui joue un rôle analogue à celui du secteur des biens de production, celui du travail immatériel ou dit autrement de la production de capital humain au moyen de capital humain. Dans la troisième partie, qui nous servira de conclusion provisoire nous proposons quelques conséquences pour une reconstruction de l’intervention publique.
I. La signification de la globalisation des économies : la revanche des externalités
Les limites de la description classique de la globalisation financière de l’économie-monde.
Dans le processus de globalisation, l’accent est généralement mis sur le développement du commerce international qui augmente la part dans le volume global des échanges des transactions avec des espaces non unifiés ou peu homogènes. Dans ce cas, seuls les liens monétaires assurent la commensurabilité des transactions. D’où la règle du désabritement et la dérégulation « nationale » des monnaies et des flux de capitaux entamés avec la crise de l’étalon dollar-or à partir de 1971.
Cette ouverture des marchés financiers a eu en retour un effet sur l’espace national des économies. La comparaison s’opère désormais sur la compétitivité globale et sociale des économies et non plus sur un bien-marchandise particulier censé tirer à la fois le commerce mondial et le cycle de la demande intérieure comme ce fut le cas du fordisme qui déjà par rapport au cycle d’échanges sur des biens de base ou faiblement ouvrés de l’impérialisme colonial, incorporait davantage de sous-traitance et surtout de savoir-faire en matière d’organisation (dans le cas de l’industrie automobile, faire converger simultanément 22 000 pièces en plus de la technologie). Si dans un premier temps cela a pris la forme de l’apparition des nouveaux pays industrialisés (NPI) qui se sont taillés une part modeste (7 à 8 % du commerce international) mais stable, et a donc paru introduire un élément de concurrence manufacturière (délocalisation), cela s’est surtout traduit à partir des années 1985-1995 par une restructuration profonde des espaces productifs au sein des espaces nationaux et/ou régionaux des économies tant centrales que périphériques. Les facteurs financiers de localisation des activités nouvelles, les questions de coût global du travail sont devenues de plus en plus importantes : en témoignent le débat en cours à Genève au sein de l’OMC (l’Organisation mondiale du Commerce) sur la question du dumping social qui agite les pays riches à l’égard des formes de concurrence des géants asiatiques du travail des enfants, ou du travail non-libre, mais aussi celle qui est à la base d’une volonté de plus en plus affirmée dans l’espace de l’Union Européenne de compléter le Traité de Maastricht par un volet social et fiscal.
Toutefois les analyses qui mettaient au premier plan de la compétitivité économique, les délocalisations industrielles en fonction des bas coûts de main-d’oeuvre, et du moindre degré de protection sociale, ont vite montré leurs limites. D’une part, les Nouveaux Dragons du Sud-est asiatique se sont avérés sensibles à des hausses des coûts salariaux et à une vague de revendications sociales (Corée) en attendant celles à venir en Chine. D’autre part, après une période de flottement, l’Empire américain a fait preuve d’un regain de dynamisme. Il est apparu en particulier que les économies du centre les plus performantes alliaient une flexibilisation incontestable d’une partie du marché du travail (le moins qualifié) à une incorporation croissante et de plus en plus rapide de la science, des services les plus sophistiqués aux entreprises. La concurrence internationale en vient ainsi à s’opérer sur les éléments de la compétitivité hors coûts dans lesquels les flux de services et de travail immatériel contribuent de façon décisive à la productivité globale et à la captation des flux aussi bien financiers que d’informations émergents de l’économie-monde du XXI° siècle. Il y a de ce point de vue, une large cohérence entre l’insistance politique sur la qualité d’ensemble de la population en particulier sur les investissements dans les secteurs de l’éducation et de la santé tels qu’ils ont été affichés comme des priorités aussi bien par les programmes des démocrates américains, des travaillistes anglais ou des socialistes français, et d’autre part la réhabilitation théorique du rôle du secteur public et des investissements collectifs dans les modèles de croissance endogène.
La recherche d’une diminution relative des coûts du travail, d’une réduction des dépenses publiques (et en particulier du système de protection sociale) n’a constitué que la partie la plus visible de la véritable transformation des appareils productifs. Le rôle exact de cette flexibilité « défensive » (R. Boyer), qui n’est qu’un retour aux mécanismes de la sur-valeur absolue, mériterait un développement à soi seul dans lequel nous ne pouvons nous engager ici[[On peut remarquer que le retour à la sauvagerie ” libérale “, ce n’est pas la première fois dans l’histoire de l’accumulation, correspond à une volonté de discipliner la main-d’oeuvre et de la fixer. Probablement de l’empêcher de se soustraire au travail dépendant.. Il est important de souligner que là où la flexibilité a été efficace, c’est parce qu’elle s’est accompagnée d’une flexibilité « offensive ».
Comment caractériser cette flexibilité « offensive » ? Peut-on parler de l’installation d’un nouveau « régime d’accumulation » selon le vocabulaire de l’école de la Régulation procurant stabilité, durée et nouvelles conventions ? d’une réorganisation sectorielle et surtout spatiale de l’accumulation ou de l’économie-monde vers la zone pacifique ? Les réponses de ce type soulèvent plusieurs problèmes :
il n’y a pas de cycle de produit nettement identifiable ; l’industrie des composants et l’informatique ne s’est pas substituée à l’automobile comme vecteur du cycle économique. Qu’il ne faille pas rechercher la réorganisation de l’économie-monde autour d’un produit particulier, on peut l’admettre ; mais la puissance de description du régime « fordisme » tenait largement à l’unité d’une théorie du salaire comme investissement dans un bien de consommation durable encore aujourd’hui emblématique, d’une théorie du circuit financier, de l’épargne des ménages et de l’intervention de l’Etat (Keynes) et d’une organisation de la division du travail (Taylor). La voiture sans Keynes, et après Taylor, avec des patrons revenus au salaire comme coût variable, n’est plus grand chose. L’ennui c’est que l’informatique (hardware comme software) et l’économie de l’information n’a pas le poids de l’automobile, ni surtout trouvé encore ses corrélats théoriques et institutionnels.
Il n’est pas apparu en effet, de compromis institutionnel substantiellement nouveau par rapport au cycle précédent fordien, taylorien et keynésien. On a plutôt l’impression d’une succession assez incohérente de séquences-collages, de citations post-modernes des Trente Glorieuses. Ni le syndicat, ni l’Etat n’ont trouvé de configurations vraiment nouvelles tandis que se poursuivait le minage du modèle de contrat de travail et du salariat canonique et ni dans les conflits, ni dans le réformisme capitaliste n’apparaissent une puissante alternative. Autrement dit, il ne manque pas seulement à l’actuel fonctionnement de l’économie mondiale un étalon-marchandise emblème, il manque surtout un New Deal social et politique. Le communisme a cessé d’être le rival extérieur menaçant du système, le néo-libéralisme n’a été qu’une idéologie de transition et la social-démocratie européenne cherche largement de nouvelles marques.
La financiarisation de l’économie mondiale a paru d’abord jouer un rôle positif ou au moins stabilisateur dans l’instauration d’une règle générale face à l’incohérence des régulations nationales ou à l’affaiblissement de l’ordre impérial de Yalta. Elle s’est révélée porteuse de risques considérables dont la crise de la dette mexicaine de 1982, l’éclatement de la bulle spéculative de 1987 et le krach immobilier de 1992-94 ou les scandales des pertes des traders des grandes banques d’affaire (Baring, Crédit Lyonnais) ont montré l’acuité. Toutefois rien ne serait plus faux que d’imputer au système financier actuel en soi, la responsabilité de l’instabilité. Si les marchés financiers sont devenus réellement un marché walrasien, informatique et monde virtuel aidant, c’est parce qu’il existe des centaines de milliards de dollars d’excédents monétaires placés à court terme qui ne savent ni ne peuvent s’investir à long terme. Ce n’est pas la spéculation qui crée le risque, même si en retour, en feed-back, les pratiques spéculatives ont incontestablement des effets risques supplémentaires, c’est fondamentalement le risque de long terme, l’incertitude qui conduit à une obligation de spéculer et qui se traduit par ces fameux taux d’intérêt réel positif qui étranglent l’investissement productif. La financiarisation de l’économie présente incontestablement des effets pathologiques (en particulier en ce qu’elle affecte la capacité de diagnostic politique et de prévision de la gouvernementalité telle qu’elle reflétait quatre siècles d’expériences)[[ Le FMI est ainsi devenu le Fourrier de toutes les émeutes, révolutions ou mouvements intégristes dans le Tiers-Monde traditionnel par ses programmes d’ajustement structurel. Dans les anciens pays de l’Est, il a contribué à remettre en selle au bout de cinq à six ans presque tous les anciens partis communistes. En Russie, il accÈlère l’instabilité. Quand on pense à ce qu’il fit faire à Ceaucescu en Roumanie, en Chine, il pourrait constituer l’étincelle de la poudrière par l’alliance qu’il préconise entre maintien de structures politiques autoritaires et insertion accélérée dans l’économie mondiale. Décidément dans la Sainte-Alliance moderne, le gouvernement financier de l’économie-monde a très peu de William Pitt et beaucoup de Metternich. Il n’est pas le seul, les institutions monétaires dessinées pour l’Union Européenne présente la même cécité par mimétisme sans doute. C’est en sens qu’on peut parler d’une véritable inconscience politique. L’encaisse n’est plus de précaution ou de spéculation, mais de spéculation par précaution. C’est parce qu’aucun régime nouveau d’accumulation stable n’est en vue que les capitaux flottants atteignent des proportions considérables sans rapport avec une accélération des transactions. C’est aussi le poids du risque global qui affecte la masse des capitaux investis productivement, qui explique le maintien obsessionnel de critères anti-inflationnistes alors que les conditions macro-économiques de chaque situation nationale n’en exigent plus le maintien et ont un effet de stagnation sur la croissance des économies qui ne bénéficient pas du privilège impérial de la monnaie de réserve internationale, c’est-à-dire de toutes les économies sauf l’américaine. L’inflation est incorporée au mécanisme de création monétaire par avance de crédit sur le futur dans une économie de production. Dans une économie qui n’arrive pas à employer pleinement le capital disponible, l’inflation est vécue par les détenteurs de liquidités ou de placements à court terme comme ce qu’elle était pour Keynes, une véritable euthanasie des rentiers, mais cette fois-ci de la rente des investisseurs institutionnels qui représentent entre autres les fonds de pension nords-américains, européens et japonais.
La globalisation de l’économie se traduit par la suppression des barrières d’entrée au mouvement des marchandises, à celui des capitaux, par un désengagement de l’Etat dans sa fonction directement productive (privatisation, diminution des dépenses publiques et des subventions), par une flexibilisation du marché du travail (abaissement des seuils minimaux pour le salaire, démantèlement des éléments limitant le droit de licenciement) par une augmentation de la part des profits dans le revenu national. La libéralisation se traduit par une augmentation des échanges internationaux, par une augmentation à plus ou moins long terme du produit national, par une réallocation des ressources vers les secteurs productifs (entreprises du secteur privé capables de résister au désabritement). La fixation des taux de change et des niveaux des taux d’intérêt par le marché international des capitaux entraîne une perte de marges d’autonomie des politiques monétaires. Dans le cas des pays de l’Union Européenne, le phénomène est encore plus draconien puisque, avec l’Euro, c’est la possibilité même d’une politique monétaire qui disparaît, tandis que la fixation de plans d’ajustement structurel pour les pays du Tiers-Monde endettés ou les politiques de limitation des déficits budgétaires à un pourcentage fixé du PIB pour les autres (les 3% du Traité de Maastricht ou la menace de l’interdiction de voter des budgets fédéraux en déficit aux Etats-Unis) marquent le déclin durable des marges d’autonomie des politiques budgétaires. Les réformes du welfare, du code du travail, du secteur public se retrouvent désormais en première ligne. C’est évidemment sur elles que se concentre le tir des libéraux qui réclament un tour de vis supplémentaire si l’on veut renouer selon eux, de façon durable avec l’emploi.
Dans un tel schéma la globalisation se traduit essentiellement par une mise en concurrence des coûts globaux du travail, des revenus des placements financiers pour obtenir soit un profit immédiat maximum, soit une meilleure profitabilité. Les systèmes institutionnels dans leur forme démocratique de gouvernement ou de façon en apparence plus limitée, la constitution du travail et la répartition de la richesse, deviennent des variables d’ajustement. Le déplacement systématique, quasi systémique, de l’économie de production sur un terrain monétaire et financier représente la nouvelle forme de gouvernement mondialisé qui fournit des repères unifiés à chacune des couches dirigeantes des diverses situations. La financiarisation de l’économie achèverait la domination unilatérale du marché comme mécanisme d’assujettissement disciplinaire « psychologique », nouvelle loi fondamentale. Elle deviendrait l’appareil idéologique par excellence de l’Etat post-fordien, appareil idéologique d’Etat paradoxal dans la mesure où il paraît en annoncer la disparition et présider à la réduction de son insertion dans le tissu économique et à la réduction de ses marges d’autonomie, le tout au profit d’un état de choses mondial défini comme les bon critères de fonctionnement des marchés financiers.
La globalisation élargirait le champ des transactions des biens et de services, intensifierait les flux, susciterait la création de nouvelles organisations internationales de régulation et de surveillance de l’homogénéité juridique mais aboutirait en même temps à une simplification des organisations au sein des Etats, à une forme d’Etat minimum chère aux néo-libéraux, qui en ferait la simple courroie de transmission des contraintes objectives du marché mondial.
Les limites de la contre-révolution libérale
Peut-on dire après vingt cinq ans de transformation néo-libérale et de globalisation qu’un tel schéma se soit vérifié ? Nous ne le pensons pas. Les observations empiriques montrent que les dépenses publiques dans la création de richesses – en nous limitant à celle figurant dans les comptes nationaux mesurée par le PIB – ont vu leur part monter partout, et que l’homogénéisation qui s’opère de façon très relative voit plutôt l’exception japonaise et américaine et anglaise (marquée par une part encore faible des dépenses publiques) se résorber que s’accentuer. Dans les pays continentaux européens et particulièrement nord-européens, c’est le trend de croissance des dépenses publiques qui s’est infléchi mais son niveau demeure extrêmement élevé à partir de la transformation quantitative et qualitative qui s’est produite au cours des années 1970, moment où est née précisément l’idéologie néo-libérale.
Une fois corrigée du biaisage de comparaison introduit par la dévolution ou décentralisation de l’engagement de l’Etat central au profit des collectivités locales d’une part et des instances fédérales embryonnaires de l’Union Européenne, la part de l’emploi public dépendant pour son financement du système redistributif d’ensemble n’a pas subi la cure d’amaigrissement radical annoncé par la mondialisation néo-libérale. Si l’on ajoute les subventions accordées indirectement au secteur privé par divers plans d’adaptation, et surtout par les exemptions partielles ou totales de charges sociales pour les emplois non qualifiés dont les titulaires perçoivent déjà plus du tiers de leur revenu total par des transferts sociaux financés par la collectivité, les emplois courants du secteur privé sont en fait financés à hauteur de 33% et le revenu des ménages occupant ces emplois sont en fait dépendant à près des trois-quarts de l’impôt[[En France par exemple, dans le secteur privé, pour un salaire brut mensuel de 100 unités de compte, l’employeur doit payer normalement (100 + 51 de charges sociales), soit 151 unités de comptes. L’employé perçoit lui 80 de salaire net (sa contribution au financement des assurances maladies, aux retraites etc., est à peu près de 20 pour cent). Le coût ordinaire du travail est donc de 151 pour l’employeur. Par ailleurs on sait que les transferts sociaux (dégrèvement d’impôt, protection sociale, etc.) représentent plus du tiers du revenu moyen ouvrier. Pour ces catégories sociales on peut considérer comme négligeable le revenu du patrimoine. Le revenu après impôt est donc formé de la somme des salaires nets, plus un tiers de cette somme, soit mensuellement de 80 unités de compte + (0,33 x 80) soit un total de 106,4 unités de compte. Si l’Etat prend en charge intégralement la part patronale du financement des charges sociales, pour la formation d’un revenu net de 106,4 unités de compte, il aura déboursé les charges sociales et le revenu de transfert soit 26,4 unités de compte soit un total de 77,4. Ce flux brut de dépenses (qui bien entendu n’est pas un flux net puisqu’une partie des revenus de transfert garanti à l’employé est financée par les charges sociales) correspond à près de 73% du revenu net de notre employé du secteur privé. Le marché ne le rétribue plus que pour 27 % de son revenu net. Le néo-libéralisme voue aux gémonies l’économie mixte mais il généralise le salaire mixte. Nous avions fait le même constat sur l’économie de la troisième Italie qui vante l’autonomie de l’initiative privée, mais s’avère en fin de compte une économie encore plus subventionnée que les grands conglomérats publics.. Il s’agit de nouvelles lois sur les pauvres, mais s’appliquant aux seuls détenteurs d’un emploi salarié, tandis que les autres subissent les rigueurs des coupes budgétaires, elles n’ont aucun des effets stabilisateurs qu’une plus grande équité peut apporter.
La simplification des organisations et la réduction au minimum de l’intervention étatique relève elle aussi d’un mythe. On constate au contraire sous la contrainte de la mondialisation, une étatisation croissante de l’administration locale au sens d’une complexification et d’une croissance de la fonction de « gouvernance » tandis qu’apparaissent des niveaux fédéraux, supranationaux en Europe Occidentale mais indubitablement dotés des prérogatives non seulement régaliennes de l’Etat mais également des pouvoirs économiques et internationaux. Dans les pays dotés d’une tradition fédérale, avec des emboîtements de pouvoirs étatiques dévolus partiellement aux Etats, et à l’instance fédérative, on assiste également à une profonde redistribution des rôles entre le niveau local, le niveau étatique et le niveau fédéral dans tous les aspects des politiques publiques (politique urbaine, politique sociale, politique industrielle, politique fiscale).
Ainsi, après environ de vingt ans de durée, c’est le caractère non terminé, interminable de la crise, (en ce sens elle est tout le contraire d’un cycle identifiable) qui pose un problème majeur. Pourquoi la globalisation de l’économie-monde ne surmonte-t-elle pas la financiarisation de l’économie comme simple moment pour accoucher de nouveaux territoires, un nouveau régime d’accumulation, de nouveaux principes d’intervention de la puissance publique en particulier dans les politiques économiques, industrielles et d’aménagement urbain ?
La globalisation ou mondialisation n’est donc pas un processus simplificateur, ni un principe linéaire d’alignement sur une norme unique, celle du marché. En rester là, ne nous fait guère avancer. Si la mondialisation complexifie énormément les organisations et leurs lois, la question est de chercher quel est le fil qui permet de reconstruire une politique possible d’intervention publique. Si l’on veut aller au delà de la description, il est nécessaire de reconstruire un schéma entièrement différent et dynamique de la mondialisation.
La mondialisation est l’enregistrement d’un processus : La revanche des externalités
Quelques jalons théoriques
On introduira ici la notion de coût de transaction due à Ronald Coase, et abondamment utilisée par D. North et O. Williamson. Rappelons qu’elle revient à prendre en compte dans l’analyse des formes de transaction économique adoptée par une société, le coût d’installation et de fonctionnement des institutions nécessaires. L’établissement de la règle fait partie de la transaction et son choix obéit à un principe d’économie, de minimisation des coûts de transaction et d’augmentation du volume, mais aussi de la fréquence et de la sûreté des échanges.
L’hypothèse théorique que nous faisons s’énonce de la façon suivante :
La production de richesse est dominée aujourd’hui par des interdépendances tellement fortes que les phénomènes d’économies externes, ou externalités deviennent déterminants[[Voir par exemple G. SAINT-PAUL, (1996) qui a très bien vu cet aspect dans la vogue des théories de la croissance endogène. . Sur les externalités nous renvoyons aux quelques éclaircissements que nous donnons dans notre annexe.
Cette réalité présente deux faces : d’un côté les externalités positives font des prix et des mécanismes de marché, des indicateurs de plus en plus médiocres des mouvements réels de l’économie : les gains réels apparaissent comme des rentes distribuées administrativement (hiérarchiquement), alors que le profit dégagé par les secteurs marchand et privé correspond de plus en plus à une redistribution de rente ; de l’autre, la croissance des externalités négatives pousse les pouvoirs publics pour en corriger les effets, à tenter à révéler ces effets en introduisant dans l’échange marchand des actifs[[ Un actif correspond soit à un bien matériel, soit à un service, soit à un bien ou un service immatériel. Un actif constitue donc l’objet sur quoi porte la transaction ou échange. Dans l’échange argent/travail, par exemple l’actif peut se limiter à la force musculaire de l’individu (le cas le plus simple, mais aussi le moins représentatif), il peut inclure la capacité d’initiative de l’individu; il peut aussi inclure la personne (esclavage). spécifiques (les éléments naturels, la formation des individus, les réseaux de gouvernance, l’information) exaspérant par là même la marchandisation financière et la dévolution à la norme du profit de secteurs d’activité publique, tandis qu’en même temps on refuse de les reconnaître comme les sources majeures désormais de création de valeur. Une externalité négative, ne peut pas être compensée ou corrigée par une externalité positive dans une logique de jeu à somme nulle. En ce sens la crise des dépenses publiques de l’Etat-Providence est triple : a) la croissance des prélèvements obligatoires traduit la reconnaissance du rôle majeur des externalités négatives à corriger en aval du marché, et positives à produire en amont dudit marché pour que ses coûts de transaction ne le condamne pas ; b) la montée des dépenses et la contraction des recettes de l’Etat sont toutes deux liées à un rétrécissement logique de l’assiette fiscale à partir du moment où la base productive réelle de l’économie n’est entrée que partiellement dans l’inventaire comptable de la richesse (le problème bien connu du « secteur informel » est la traduction de ce phénomène dans les pays en voie de développement) ; c) la structure des dépenses en production d’externalités positives, n’est pas homothétique de celle de la compensation des externalités négatives. Il y a là une véritable crise des ciseaux.
3) Cette asymétrie entre le développement des externalités positives et les externalités négatives se poursuit par des effets extrêmement contrastés et encore à explorer, sur les coûts de transaction. O. Williamson avait proposé[[O. WILLIAMSON, (1991), p. 284. une explication du recours différencié au marché, à la hiérarchie (entreprise, administration publique) ou aux formes mixtes par la mise en relation des coûts de transaction avec la spécificité des actifs échangés. Plus les actifs deviennent spécifiques, plus les coûts de transaction s’élèvent. Un programme de minimisation des coûts de transaction conduit ainsi au remplacement du contrat classique (spot market) par le contrat néo-classique (contrat de long terme) ou par le contrat juridique (la norme). Si l’on peut admettre que la spécificité des actifs augmente avec la croissance des externalités négatives dans l’économie, il n’est pas sûr en revanche qu’un niveau élevé d’externalités positives, accompagné d’un haut degré de spécification des actifs s’accompagne d’une hausse inéluctable des coûts de transaction ; autrement dit que le contrat classique soit rapidement disqualifié comme le suppose Williamson. Ce cas nous paraît être précisément celui que Marx décrit dans l’échange argent-travail dépendant ou salarié, produisant de la sur-valeur relative.
4) Dans un ensemble donné formant une unité (fonctionnelle comme une entreprise, une administration, un territoire, une nation), l’apparition durable d’externalités positives ou négatives hors marché peut être soldée de plusieurs façons : soit par endogénéisation des externalités à travers le marché (attribution d’un prix), ou à travers des transferts ; soit par exogénéisation, c’est-à-dire en déchargeant sur l’extérieur de l’unité considérée, les effets négatifs (exportation des industries polluantes vers le Tiers Monde), soit enfin en maintenant la possibilité de prélever constamment des externalités positives sans jamais avoir à les payer ou en ne les payant qu’en proportion infime. Les seules unités qui sont obligées de procéder à une compensation finale, sont celles qui par leur circuit recueillent les externalités négatives et sont poussées par des mécanismes politiques à financer des externalités positives.
L’apparition d’un nouveau cadre englobant par rapport au premier, répond à ce problème de réintégration des externalités. Prenons un exemple, lorsque le capitalisme manchestérien, fils en cela de l’esclavage de plantation, eut utilisé le travail comme une marchandise en quantité illimitée, il apparut dans le sud de l’Angleterre une fuite des ouvriers agricoles des grands domaines céréaliers, une reprise de l’émigration vers le Nouveau monde, cette fois-ci à une échelle massive, ainsi qu’une mortalité impressionnante. Ce problème n’était pas celui des filatures de coton, tant qu’elles trouvaient de la chaire fraîche et qu’elles ne se heurtaient pas à des grèves. Mais il en était un pour plusieurs autres composantes de l’ensemble national anglais et en particulier de l’Etat qui avait en charge l’approvisionnement régulier et homogène du pays en main-d’oeuvre dépendante et la stabilité politique des transactions argent/travail. La suite est connue : un contrat juridique limitant de façon homogène, la durée du travail, le travail des femmes et des enfants, vint protéger le caractère spécifique de la force de travail. Nous avons montré que le même mécanisme avait lieu en même temps lorsque l’Angleterre, devenue la première puissance mondiale, prit le parti de modifier radicalement la règle de l’échange international en soustrayant entre 1808 et 1834 des transactions l’étalon esclave qui servait non seulement de contrepartie à la canne à sucre (elle-même étalon de reproduction des ouvriers), mais aussi de contrepartie au crédit aux planteurs en l’absence de valeur de la terre[[Y. MOULIER BOUTANG (1997). .
La redéfinition périodique de l’assiette de la sur-value relative s’est opérée historiquement sur la base d’une construction d’institutions juridiques qui ont donné un sens spécifique au contrat de travail. Certains actifs qui faisaient partie de la transaction argent/ travail dépendant ont été exclus (la personne porteuse de la capacité de travail, les conjoints et enfants, le temps comme durée obligatoire, les intermédiaires touchant une rente etc..). D’autres ont été inclus (l’assurance contre les risques de maladie, de perte d’emploi, le paiement différé des retraites, le temps de pause, le temps de formation, etc.).
5°) Lorsqu’au sein d’un ensemble donné, les externalités ne sont pas soldées (soit qu’elles ne soient pas soldables, soit qu’il y ait un refus de le faire) il se produit des phénomènes de fuite, de sortie hors de cet ensemble, et cette réaction entraîne à son tour l’inclusion dans un ensemble plus large, donc une rédéfinition de l’espace, du territoire, des frontières spatiales comme productives. La course aux économies d’échelle à laquelle on assiste actuellement est moins technologique et industrielle, que liée aux coûts de fonctionnement des administrations de plus en plus lourdes. Mais cet alourdissement n’a rien à voir avec une simple tendance bureaucratique abstraite. Gérer les fonctions tutélaires des externalités, entraîne aujourd’hui l’administration publique pressée par un besoin fiscal croissant dans une invention d’un autre appareil d’Etat. D. North a évoqué dans la naissance de l’Etat moderne, le rôle de la vente du privilège fiscal (voter l’impôt) ou des charges. Aujourd’hui l’affermage par les Etats, des canaux de communication, la création de droits biologiques (clônage, inventaire du génôme) traduisent une poussée similaire. Ce que les libéraux présentent comme un amaigrissement de l’Etat correspond en fait à une extension formidable du pouvoir de contrôle sur le vivant, sur le culturel et non plus simplement sur les biens. Ce phénomène bouleverse à lui seul les antiques clivages du monde moderne qui distinguait la sphère privée (celle de la sexualité par exemple, celle de la famille) de la sphère publique ou communautaire, tout comme la définition de la « marchandise »[[Voir sur ce point C. MARAZZI (1997).
6°) L’insécurité sur les transactions à long terme qui pèse sur le système actuel de l’économie-monde, doit être lue comme une incapacité de solder les externalités positives comme négatives dans le cadre national. Le recours à la financiarisation mondiale comme substitut d’une auto-discipline des partenaires sociaux, est porteur par feed-back d’externalités négatives très puissantes. Au niveau micro-économique par exemple, la remise en cause du principe du marché interne, par de downsizing des effectifs au nom d’une rentabilité financière immédiate dans un établissement, a des effets puissants sur la position d’effort des salariés de l’ensemble d’un groupe (ce que les économistes à la suite d’Harvey Lebeistein appellent l’efficience x). A niveau macro-économique, la fuite de l’épargne des ménages et des investisseurs institutionnels vers les placements financiers au détriment des investissements de long terme, ne peut plus être combattue que par des dégonflement brutaux de la bulle financière, c’est-à-dire par le retour à des taux d’intérêt réels négatifs soit par élimination de la rente (crise financière) soit par un retour à l’inflation (solution largement pratiquée par les pays du Sud au cours des deux décennies).
Les étapes de la revanche des externalités
On peut alors reconstituer rapidement les étapes des tentatives de contrôler la croissance des externalités depuis les années soixante. L’importance croissante des externalités a constitué d’abord un défi théorique pour l’économie néo-classique. On a assisté alors à une double tentative de récupérer cet hors-marché principalement à travers une extension de la portée et du domaine d’application des fonctions de maximisation de l’utilité du consommateur ou du producteur. L’espace hors-marché par excellence (la politique, les liens matrimoniaux) s’est trouvé annexé par les « nouveaux économistes », tandis que l’extension du paradigme néoclassique à l’horizon inter-temporel permettait à Milton Friedman et GS. Becker de justifier la différenciation croissante du contrat néo-classique par rapport au modèle classique du marché instantané. Au-delà des aspects comiques ou monomaniaques de l’Ecole de Chicago, il y a la reconnaissance dès 1962[[Voir le numéro de décembre du Journal of Political Economy sur le travail comme facteur quasi-fixe, sur le capital humain. On y trouve G.S. Becker, Schultz, Mincer, W. Oi. par ce courant qu’il se passe quelque chose de fondamental pour l’économie hors de ses frontières traditionnelles.
Mais au sein même de la citadelle par excellence de la production, l’entreprise, on a assisté à un même phénomène : la découverte de la productivité des équipes, de l’efficience comme de l’inefficience X, revient à dire que le tout, l’organisation, produit plus que la somme des parties. L’information, la confiance, la loyauté, le capital symbolique de la firme, comme sa renommée se sont trouvé réhabilités sous une forme marchande bien entendu tandis que les modèles théoriques dits alternatifs demeuraient trop souvent prisonniers d’une vision très restrictive de la production. Le développement dans la décennie suivante des modèles écologiques (du Club de Rome, ou des critiques de l’idéologie du développement) a accompagné la révélation des externalités négatives engendrées par la croissance. La transformation radicale de l’attitude des organisations internationales à l’égard du secteur informel des pays du Tiers-Monde, traduit elle la prise de conscience de l’importance des gisements d’externalités positives comme source majeur de création d’emploi hors normes. Vont dans le même sens dans les économies du centre, la découverte du rôle des réseaux communautaires, des districts industriels comme facteurs de productivité, le rôle innovateur de l’industriel consistant à tirer parti non plus des ressources physiques, mais des segments d’organisation sociale et des valeurs d’usage qui lui sont offerts par la société gratuitement dans le même sens. Nous avons essayé de montrer dans deux recherches sur l’industrie de la Confection dans l’Italie de l’industrie diffuse (la Troisième Italie) et sur le Sentier dans la métropole parisienne, que la fonction même des entrepreneurs était aujourd’hui largement conditionnée par sa faculté de capter les externalités positives générées par l’organisation sociale[[Voir M. LAZZARATO, Y. MOULIER BOUTANG, A. NEGRI et G. SANTILLI (1993),
et A. CORSANI, M. LAZZARATO, A. NEGRI, Y. MOULIER BOUTANG ( 1996).. La dernière et non des moindres révélations de la puissance des externalités est la crise urbaine. La définition des « banlieues » européennes ou des « ghettos » américains, ou des villes sauvages du Tiers-monde, n’est-elle pas l’épuisement des externalités positives, et la disparition de l’employabilité du travail dépendant ?
On aurait pu donc croire que la grande transformation à l’oeuvre serait une grande endogénéisation des coûts et des gains cachés dans les mécanismes du marché et à travers des vecteurs de prix. Pourtant cette réaffirmation de l’hégémonie du marché n’a pas réussi. Elle s’est heurtée à plusieurs limites :
La première raison a tenu sans doute au coût gigantesque de la révélation marchande des externalités ; ainsi la reconnaissance un moment envisagée de rémunérer le travail domestique et maternel a été rapidement abandonnée. En 1980, Annie Fourquet évaluait en France à trois fois le SMIC la rémunération de ce travail selon les diverses méthodes comptables possibles. Décider aujourd’hui que la traite des femmes, comme il y eut celle des esclaves, n’interviendrait plus de façon décisive dans la formation et la reproduction de la force de travail, reviendrait à renoncer à ce prélèvement largement gratuit.
La seconde raison tient à l’épuisement des gisements d’externalités positives privées faute des investissements publics parallèles qui leur sont nécessaires. L’éloge que l’on a entendu de la société civile (au moment du développement dans les économies du centre du travail non déclaré), de la flexibilité qu’elle permettrait, relevait d’une double illusion. Celle tout d’abord d’un caractère naturel et éternel des externalités positives communautaires, alors que ces dernières constituent une articulation de la dépense publique, son autre face. Celle ensuite d’une flexibilité inconditionnelle et alternative à l’Etat-Providence, lorsque la flexibilité du secteur informel de l’économie, l’acceptation des formes particulières d’emploi sont étroitement corrélées à l’existence du filet protecteur du Welfare.
Faute de cette endogénéisation des externalités en coûts supportés par les agents, la réponse qui a pris forme a été la globalisation, c’est-à-dire un élargissement du cadre de mise en équivalence de la totalité des échanges économiques. Mais une question se pose alors. Faut-il reprendre comme telle l’explication de ce déplacement de l’économie-monde à une échelle internationale par une trop grande rigidité locale ? Nous ne le pensons pas.
Le contrôle des externalités produites par la mobilité du travail
La recherche que nous avons menée sur la constitution du salariat et du contrat de travail[[Y. MOULIER BOUTANG (1997). nous a montré à partir du passé, que la mobilité du travail dépendant était à l’origine du mouvement de spécification de la transaction argent/travail. C’est à partir des externalités positives comme négatives qu’elle produit que s’est organisée la transformation du marché du travail et sa spécification. La constitution du salariat est en effet surtout un problème de fixation de la population dans une condition de travailleur dépendant. C’est la rupture de l’engagement de travail (rupture du contrat individuel d’engagement) qui a constitué le problème majeur de fonctionnement d’un marché du travail. La prolétarisation économique, la contrainte politique au travail forcé colonial, au servage et à l’esclavage ont été la conséquence de ce problème de fixation. Le vagabondage des pauvres, l’émigration interne et internationale, la fuite vers les villes, la conquête du statut de paysan, l’accès au travail non salarié (travailleur indépendant) ont été les premières manifestations de cette externalité négative de la mobilité. L’édifice juridique compliqué qui se construit autour de la question de la rupture unilatérale du contrat d’engagement permet de dégager deux grands pôles. Soit la spécificité de la transaction argent/travail ne se trouve pas reconnue juridiquement et pour contrôler la mobilité, c’est-à-dire la fuite constante du salarié ou du dépendant, la transaction est élargie à la personne (esclavage), à un bien (servage, péonage), à la durée obligatoire de cession (engagement). Soit la liberté de rupture unilatérale du contrat devient la base du salariat. La fuite d’un employeur déterminé, négative pour ce dernier, devient une externalité positive si elle se transforme en vecteur de la concurrence entre les capitaux. C’est la fonction indispensable du marché du travail et de la liberté. Dans ce dernier cas, il faut que des institutions convertissent ces externalités privées négatives en externalités publiques positives. C’est le rôle des lois sur les pauvres et du welfare moderne. La rente foncière, la création des organismes de maintien de l’ordre urbain remplissent des fonctions clairement liées à ce problème de maintien du travail dépendant à disposition. La rente foncière absolue mesure le coût de rétention du travail dépendant et vise à colmater l’étendue de la « brèche paysanne » dans la prolétarisation, c’est-à-dire la fuite des travailleurs dépendants vers le travail autonome ou indépendant (accès à la propriété de la terre, à celle de la maison).
Aujourd’hui, les manifestations de fuite du salariat revêtissent d’autres formes, mais les transformations productives, les changements de taille et de structure des marchés, les nouveaux découpages de territoires obéissent à une logique semblable de contrôle de la mobilité et de compensation des externalités négatives. La quaternisation de l’économie qui combine à la fois une financiarisation et une industrialisation du travail tertiaire, répond à une mobilité intersectorielle très forte vers le tertiaire. L’introduction de l’écologie dans la production industrielle et de services, répond aux luttes écologiques et à la mise en avant de valeurs d’usage.
C’est sans doute dans les transformations productives que le poids des externalités se manifeste le mieux. Nous examinerons ce point, car il exprime la véritable transformation post-fordiste.
II La véritable mutation post-fordiste : de la production de marchandises au moyen de marchandises, à la production de capital humain au moyen de capital humain
Les modèles de croissance endogène[[Voir ROMER P.M. (1990) D. Guellec & P. Ralle (1995), Bruno Amable et Dominique Guellec, Les théories de la croissance endogène (1992). D. Guellec et P. Ralle (1995, pp. 54) donne la présentation suivante du modèle:
(1) Qt = At Kt a (ut Ht )1- a
(2) Ht = B (1- ut)b
A, B sont des paramètres positifs , a et b toujours exposants sont des coefficients positifs, Q est la production, K, le stock de capital physique, H le stock de capital humain et u la proportion de capital humain affectée à la production de capital, donc une sorte de taux d’investissement, t est le temps.
Dans la seconde équation de production/formation de capital humain, le capital humain est formé à partir de lui-même. (1-u) est la proportion de capital humain ou travail affectée à la production de capital humain.
On suppose que le rendement du capital humain est constant.
Si Ut est constant on a:
(3) H/H = B (1-u)b
et dans les sentiers de croissance équilibrée où Q et K augmentent au même rythme, on a:
(4) Q/Q = H/H + (A/A)/(1-a) marquent à la fois l’importance du rôle des externalités, le caractère central de la reproduction du travail comme capital humain et le rôle de l’Etat et des investissements publics. Dans le modèle de P.M. Romer (1990), la croissance du capital humain est fonction de l’importance de la population produisant du capital humain au moyen de capital humain et la production Q en dépend également. Dans la première fonction de production de type Cobb-Douglas, le travail traditionnel des fonctions de production est scindé en deux, u étant la partie de la population active qui travaille à la production et son complément à 1 étant affecté à la production différée de capital humain. On ne saurait mieux expliquer le caractère désormais inopérant de la distinction classique entre travailleurs directement productifs et les autres puisque ce sont ceux qui ne sont pas investis dans la production matérielle qui détiennent les clés de la croissance future. On remplace donc la vieille distinction marxiste bien de consommation/bien de production (secteur 1/secteur 2) par les travailleurs affectés à la production de marchandises au moyen de marchandises (et de progrès technique incorporé dans K ou dans L) d’une part, par les travailleurs affectés à la production de capital humain, au moyen de capital humain (la production de capital humain au moyen de capital physique entre directement dans le processus à t1) d’autre part. La production du travail humain au moyen du travail humain, récupère également la thématique marxienne de la petite circulation et de la reproduction de la force de travail comme telle. Education, formation et santé sont ainsi les secteurs d’une accumulation inépuisable.
Les modèles de croissance endogène se présentent en fait comme la première tentative de traiter les externalités positives. Par rapport à la théorie des biens publics et du learning by doing de K.J. Arrow, ils présentent l’avantage d’incorporer au raisonnement économique global, les économies externes à un niveau macro-économique. Ils cherchent donc à endogénéiser ces externalités, autrement que par leur révélation par le marché. C’est à leur rôle dans la croissance et à la reconnaissance de leur utilité sociale, que se trouve confiée leur réintégration dans le bilan complet de l’économie. Il n’est pas étonnant dans ces conditions que les théoriciens des modèles de croissance endogène, tel P. Romer, aient été à l’origine de la transformation du programme réactionnaire des libéraux de modifier le welfare en workfare, en edufare. Travailler et se former, ne représentent plus deux sphères séparées, mais les deux faces d’une même médaille. Espace de formation, espace de production, espace de reproduction constituent désormais une véritable bande Moebius.
En revanche la théorie du travail productif qu’on peut inférer de ces modèles, demeure assez vague. L’évocation du rôle de la Recherche et Développement des entreprises n’est pas une nouveauté. Elle ne fournit pas d’indication nouvelle par rapport aux recommandations schumpétériennes. En revanche si nous remplaçons le capital humain trop général des modèles de croissance endogène, par le concept de travail immatériel[[ CORSANI A., LAZZARATO M., NEGRI A., MOULIER BOUTANG Y., (1996) p. 29-45., nous faisons apparaître plusieurs caractéristiques nettement plus spécifiées.
En effet si l’on définit le travail immatériel comme l’activité produisant le contenu culturel et informatif de la marchandise et de son cycle de production, on remarque que le dépassement du travail matériel, physique, permet de réintégrer dans la description de ses composants des éléments qui constituent des externalités positives évacuées de la transaction de marché. Toute production matérielle s’accompagne d’une production de formes, de procédures cognitives, de connaissances de la société. Tout se passe d’autre part comme si le travail immatériel effectuait pour son compte, à son échelle, l’opération d’endogénéisation des externalités positives sur laquelle butte précisément une relance de la croissance et de l’accumulation à partir d’un nouveau régime stable et dont elle se contente de mimer une partie seulement du programme : la circulation, la déterritorialisation. Traduit en termes marxiens, cela se dirait ainsi : le travail immatériel est la nouvelle figure de la sur-valeur relative, donc de la valeur tout court. La mise en cohérence du marché et du hors marché, des externalités et la valeur, ne peut s’opérer par l’équivalent monétaire, mais par l’incorporation du langage, et des investissements de formes sauf à se trouver devant des coûts de transaction dissuasifs. Or il est évident que le salariat canonique était construit sur la séparation de la personne, de la force de travail, sur la séparation des moyens de production d’avec le travailleur dépendant. La crise de l’emploi n’est pas une crise de croissance, c’est une crise de forme.
Il faudrait bien entendu aller plus loin. Nous nous contenterons pour conclure de tirer quelques observations provisoires sur les transformations des conceptions de l’intervention publique que l’on peut tirer de ce parcours.
III Nouvel agenda de l’intervention publique
Une autre comptabilité économique
Si notre diagnostic de l’importance croissante des externalités dans la vie économique et dans la croissance des richesses est correct, et si par ailleurs, l’intervention publique doit jouer un rôle croissant même si elle est amenée à prendre une forme moins étatisée, il devient urgent de reconstruire la comptabilité économique et réajuster la fiscalité sur cette base nouvelle.
La mesure de la productivité ne peut plus se faire à partir de la valeur ajoutée qui ne saisit que les flux monétaires ou les évaluations comptables des transactions non marchandes sur la base des transactions marchandes. La richesse nationale est selon toute vraisemblance sous-évaluée[[ Voir P.M. Romer estime ainsi que la vision de la stagnation de la croissance au cours des années 80 et 90 est un effet de nomenclature, (interview dans le Monde du Mardi 10 juin 1997). et insuffisamment auto-centrée. Le non-retour au plein emploi salarié, n’aurait pas alors seulement la signification d’une mauvaise allocation des ressources, mais également celle d’une mésinterprétation, d’une mésévaluation des ressources globales. Le temps de travail salarié ne peut plus servir à mesurer la valeur. Faut-il substituer à la comptabilité en temps de travail, une comptabilité en savoir incorporé et en temps de formation ? Ou bien même en méta-travail ou en travail immatériel incorporé ? Faut-il mesurer la vraie richesse au temps de libre dont disposent les individus (voir sur ce point Yoland Bresson, 1993) ? Ce sont là des questions qui deviennent déterminantes. La fin de l’industrie manchestérienne, c’est aussi le long cycle de la valeur-travail ricardienne qui se boucle.
Nouveau territoire productif, l’ouverture et faire la ville
Il convient de revoir complètement les priorités en matière d’ouverture extérieure, et d’intervention de la puissance publique. Bien loin d’être des questions limitées aux pays en voie de développement, la question de la constitution ou reconstitution de sources d’externalités positives pour les entreprises, est devenue la question fondamentale des économies des pays hautement industrialisés qui connaissent elles aussi un véritable épuisement du cycle de productivité qui associait mécaniquement à une certaine quantité de capital une quantité prévisible d’emploi. Nous dirions que le choix stratégique du degré et de la qualité d’ouverture à l’économie internationale, est conditionné par la capacité de la puissance publique de se placer en position de capter le plus d’externalités positives générées par son organisation sociale. Les économies socialistes s’étaient caractérisées par un investissement massif dans les biens du secteur 1 socialiste, c’est-à-dire la production de moyens de production physique de moyens de production, elles ont échoué parce qu’elles n’ont pas su résoudre le problème de la production du capital humain qui s’opère ni sur et par le marché des biens de consommation, ni au travers du nombre d’écoles construites, mais à travers le marché de la liberté et la libération de l’intelligence. Aujourd’hui comme hier dans le passé, les combinaisons productives viables dans la durée, ont été celles qui ont conjugées « grande circulation » de la valorisation des marchandises avec « la petite circulation » de la main-d’oeuvre en en épousant les « contours ».
Il faut partir des flux de mobilité du capital humain et du niveau matériel atteint par le secteur 2 pour construire les schémas de développement et orienter l’intervention publique. Il faut inscrire l’aménagement du territoire qui sont l’expression de l’articulation entre l’économie interne d’un pays avec l’économie monde, dans les courants déjà constatés dans la main-d’oeuvre. Autrement dit développer un programme selon lequel les investissements doivent suivre les flux humains et non l’inverse. Il faut partir des besoins exprimés par le travail immatériel pour construire les infrastructures adéquates. Celles-ci peuvent rencontrer la norme du marché et y puiser un dynamisme extraordinaire. Mais elles peuvent aussi être tuées dans l’oeuf par une application dogmatique de la norme du marché, ou de la logique encore manufacturière et manchestérienne de l’économie publique (qui hypertrophiera le hardware par rapport à l’activité de production de logistique qui repose sur le capital humain et qui ne dépend pas de monopole technologique).
Dans la question de la programmation urbaine par exemple la logique des investissement lourds en moyens de transport (voitures, autoroutes) entre des pôles d’activités séparés fonctionnellement en lieux de travail, lieux d’habitation et lieu de loisir, doit être totalement remise en cause. Dans le travail immatériel, l’accumulation de réseaux est fondamentale ; c’est elle qui génère des externalités. On a pu définir d’ailleurs la fonction économique des villes comme celle de générer des externalités. La tripartition « moderniste » de la ville a détruit l’urbanité cumulative pour la remplacer par un zonage des quartiers résidentiels et des habitats populaires, une accumulation de bureau, et des quartiers de loisirs. Le développement du secteur 2, producteur de capital humain et générateur d’externalités susceptibles d’attirer les entreprises, ne peut se faire que dans un tissu urbain. C’est ce qu’on appelle les externalités technopolitaines[[ Voir pour une bonne synthèse E. DECOSTER (1996) et P. VELTZ (1994).. Le développement du télétravail, de l’informatique, de la bureautique permet précisément le cumul du lieu de résidence, d’activités de caractère ludique avec le travail. Les investissements physiques doivent devenir réversibles, c’est-à-dire être utilisés dans plusieurs sens, et susceptibles d’être réinvestis pour d’autres usages. Les économies d’échelle cessent d’être liées au principe d’agglomération et à la séparation des fonctions, au profit de la circulation garantie d’une augmentation des transactions, de leur sécurité. La priorité doit être donnée aux investissements en capital humain et au secteur de production de capital humain au moyen de capital humain, aux investissements dans l’organisation. L’interaction entre les agents productifs n’est plus gravitationnelle ni entropique. Le potentiel comme masse peut être remplacé par l’intensité, la densité des interactions. Mais cette densité n’a rien à voir avec une mesure de vitesse d’acheminement d’unités d’informations.
Ce principe de réversibilité, de polyfonctionnalité des investisements matériels devrait avoir pour corrélat spatial une prévalence des structures transversales, et non plus verticales ni horizontales (l’incision verticale sur l’infini horizontal que Le Corbusier dessinait sur le Rio del Plata argentin) mais hélicoïdales. Le réseau rhizomatique devrait prendre le pas sur l’arbre de décision hiérarchique. La décentralisation productive ne se limite pas seulement à la destruction des notions de centre, de périphérie, elle remet en question également les points moyens-médiateurs, la ville d’équilibre. Le polycentrisme qui se développe n’est ni polaire ni duopolaire mais métropolaire ou métapolaire[[ Voir F. ASCHER, (1995), P. BECKOUCHE, (1994) R. CAMAGNI, (1996), et S.SASSEN (1994 et 1995).
Un nouveau New Deal salarial
De telles transformations de la structure urbaine qui visent à reconstruire les sources d’externalités positives dans une économie dont la croissance repose surtout sur le développement quantitatif mais aussi qualitatif du travail immatériel, n’ont toutefois aucune chance de réussir une endogénéisation vertueuse des externalités si l’échange argent/activité dépendante ne se trouve pas profondément réorganisé.
Quelle doit être la fonction d’un nouveau contrat de travail et plus largement d’une nouvelle « Constitution de l’activité » (Arbeiterverfassung) [[Max Weber s’intéressa dans ses premiers travaux de jeunesse aux migrations internes et internationales massives qui affectaient les travailleurs agricoles des grands domaines de l’Est en Silésie et à ” l’illusion de la liberté ” qui préoccupait les organisations patronales agraires. (” Privatenquêten ” über die Lage der Landarbeiter (1892) MWG,1/4, pp. 74-102) et Entwicklungstendenzen in der Lage der ostlbischen Landarbater (1894), MWG, pp. 368-462). Or il ne s’arrêta ni aux conditions objectives et quantitatives de l’exode rural (la prolétarisation) ni à ce que l’école libérale anglo-saxonne pouvait en dire (rationalité économique de l’individu maximisant son bien-être), mais aux motivations subjectives des candidats à l’émigration vers la Rhénanie. Son programme de recherche cherchait à découvrir les modalités et les ressorts de ce qui allait donner à la fois l’individu et le prolétariat, comme deux faces d’un même phénomène. C’est ainsi qu’il finit par mettre au centre de son analyse le concept de Arbeitsverfassung, de constitution du travail, entendant à la fois le cadre juridique existant (la règle, la constitution existante) mais aussi le mouvement, le désir de changement de règles et de constitution et ses effets directement économiques. La subjectivité apparaissait ainsi essentiellement dans la tension sur les règles existantes, dans leur destruction et dans le désir d’un autre cadre « constituant » du travail. Cf. sur ce point la lumineuse contribution de S. MEZZADRA (1996).
? Tout d’abord de procéder à la reconnaissance sous forme de revenu de citoyenneté et/ou de salaire de toute une série d’activités hors marché et hors comptabilité économique. Ensuite de créer une réelle protection du travailleur dépendant ou formellement indépendant vis-à-vis de la flexibilité productive qui n’est pas une donnée transitoire. Sans ce type de mesure très égalitaire parce qu’elle ne passe pas par le crible aujourd’hui biaisé des titulaires d’un emploi reconnu comme salarié, les programmes d’inspiration keynésienne répètent à la lettre des recettes des années trente sans en retenir l’esprit qui était de rendre solvable la demande de logement, de soins médicaux, d’éducation et de formation de la population citoyenne. On objectera qu’une telle nouvelle donne de la société salariale paraît difficilement finançable par les dépenses publiques placées déjà sous haute surveillance des banques centrales.
Là encore, c’est la transformation de la structure productive réelle qui doit dicter les transformations du prélèvement obligatoire et non l’inverse. L’impôt doit être assis sur la mobilité et sur la transformation des formes et non plus sur la transformation matérielle. L’explosion des transactions immatérielles au regard du rétrécissement de la base physique des échanges, doit permettre d’obtenir un rendement de l’impôt bien supérieur, tout en dégrevant fiscalement les individus et le travail matériel, en taxant de façon soit neutre soit dégressive les différentes formes de circulation des flux productifs. Si c’est la réallocation des capitaux, des compétences, des hommes qui est créatrice de richesse, c’est cette réallocation qui doit supporter l’impôt. L’application de la proposition de l’économiste américain Tobin de taxer entre 0,5 et 2% les flux de capitaux qui ne s’investissent pas à long terme, permettrait aux finances publiques de retrouver des marges de manoeuvre budgétaire considérables.
Marché , hiérarchie et démocratie
La lecture libérale de la crise déjà formulée depuis les années soixante-dix par les économistes anglais R.Bacon et W. Eltis[[ R. BACON & W. ELTIS (1978). , est que la base productive des économies d’affluence est trop faible pour le train de vie des dépenses publiques. La lecture keynésienne est que c’est la demande qui est trop faible pour relancer la machine. La lecture marxiste orthodoxe est que l’alourdissement de la composition organique du capital ( dominée par le capital fixe) génère une crise de profitabilité de l’investissement à long terme. Nous ne partageons aucun de ces diagnostics dans leur globalité même s’ils comportent chacun une part descriptive qui peut être tenue pour correcte. Le problème structurel de l’économie-monde à l’orée du XXI° siècle, c’est que la base enregistrée de la création de richesse mutilée des externalités, est trop large par rapport aux critères comptables d’une croissance équilibrée. Les keynésiens ont raison sur l’importance de pallier le sous-investissement des agents privés et du marché, mais ils se trompent à la fois sur les contours de la demande effective en restant fidèles à un état du salariat datant du fordisme, et sur les secteurs stratégiques qui doivent faire l’objet d’un investissement massif. Ainsi l’Union Européenne continue-t-elle impertubablement à proposer pour relancer l’emploi à niveau communautaire, un programme de grands travaux qui suscite des oppositions écologiques de plus en plus sérieuses, et qui continue à juger centrale les investissements dans l’infrastructure matérielle. La crise de profitabilité qui pèse sur les investissements ne nous paraît pas non plus l’élément cardinal de la situation actuelle, surtout si on l’impute à un alourdissement de la composition organique du capital. Les marxistes orthodoxes prisonniers de la différenciation purement physique des biens de productions et des biens de consommation, sous-estiment totalement l’importance des arbitrages qu’il faut faire en faveur du travail immatériel et dont la privatisation libérale n’est que l’expression mystifiée. Nous croyons que la profitabilité dans le secteur 1 de la production de capital humain au moyen de capital humain est élevée une fois réintégrés les effets d’économies externes. Ce qui est en cause c’est la possibilité de reconduire le cadre juridique de l’appropriation privée sur un monde productif immédiatement socialisé et dont l’interdépendance est si forte.
Williamson et l’école néo-institutionnelle croient avoir trouvé quant à eux, une clé de répartition objective entre les transactions par le marché, les transactions par la hiérarchie et les transactions mixtes qui déterminent le plus souvent des règles (définissant par exemple la mission d’un service public) tutélaires administrées, et obéissent partiellement à une logique de production et de distribution de marché. Mais la spécificité des actifs n’est pas un critère suffisant pour déterminer la nature décroissante ou croissante des coûts de transaction. Il faut parvenir à une théorie plus claire des relations qui existent entre la spécificité des actifs échangés et la nature et le signe des externalités concernées d’une part et entre le profil des coûts de transaction et l’endogénéisation des externalités d’autre part. Hiérarchie et marché loin de s’opposer se sont plutôt partagés les rôles de façon complémentaire. Libéraux clament que la liberté de l’individu est du côté du marché, keynésiens et marxistes que l’égalité des groupes sociaux est du côté de l’allocation administrative des ressources[[ Voir pour un bon résumé de ce débat M. J. PIORE, (1995) et notre recension dans ce numéro de Futur Antérieur. . Nous aurions tendance à renverser radicalement les termes du problème en voyant dans l’intervention publique la possibilité de libération du potentiel productif dont est porteur l’individu du travail immatériel, et dans l’organisation du marché politique, le mécanisme de contrôle de l’égalité et de l’équité entre les groupes sociaux et les communautés en vue d’une véritable cure d’amaigrissement de la rente étatique servie aux corporations fordistes. Ce n’est que ce double programme iconoclaste qui pourra s’approcher de la démocratie économique, qui est sans doute le régime d’accumulation le « moins mauvais possible ».
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Références
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Annexe
Les externalités[[Les références citées en appel de notes ne figurent pas dans la bibliographie supra car il s’agit en général de références ” classiques “.
La définition des externalités.
C’est A. C. Pigou qui a donné la première définition de la notion d’externalité[[ A.C. PIGOU, Economics of Welfare , (4° édition,1946). Il écrit : « Une personne A, en rendant un service, pour lequel un paiement est acquitté, à une seconde personne B, rend incidemment des services ou cause des dommages à des tierces (qui ne les produisent pas) de telle sorte qu’un paiement ne peut en être tiré des bénéficiaires ni des compensations pécuniaires déboursées au profit des personnes lésées ». Ainsi il existe des actions qui occasionnent des gains ou des pertes pour des tiers (agents non pris en compte). S’il n’existe aucun mécanisme d’ordre économique direct qui les comptabilise ou d’ordre juridique qui, permettant de les révéler ou incite les agents à les révéler, les effets de ces actions seront incorporés et dissimulés dans les prix des transactions entre les agents reconnus. Ainsi l’utilisation par une entreprise de ressources qui ne sont pas reconnues ou sont devenues rares, comme l’eau pure des rivières, sans comptabilisation de la pollution occasionnée par elle et du coût de renouvellement de ces ressources soit par elle, soit par un organisme public, permet à ladite entreprise de bénéficier d’externalités, comme l’abeille et l’apiculteur de l’exemple de Meade[[ J.E. MEADE , (1952). bénéficie des fleurs des champs voisins[[Dans l’exemple de l’apiculture, exemple qui a toujours des résonances particulières en économie, – à cause de la Fable de Mandeville ? -, une présentation simple pouvait soutenir que l’apiculteur ne paye pas à son voisin l’usage des fleurs de son champ ou de son verger où vont se nourrir ses abeilles, alors que faire paître les vaches lui coûterait de l’argent. Dans certains cas limites, comme une surpopulation d’élevage d’abeilles, il peut y avoir des limites imposées et des arbitrages entre apiculteurs et/ou riverains incommodés. Mais tel n’est pas le cas étudié par Meade. D’autre part, l’étude du cycle naturel a montré (le plus souvent à partir de catastrophe naturelle et de raisonnement a contrario) que le pomiculteur, l’éleveur, ou le cultivateur ne payent pas de leurs côtés, la pollinisation des plantes. Si l’on comparait les débours à effectuer par ces derniers pour payer cette opération naturelle gratuite, et ceux d’un fermage des terres où butinent les abeilles, c’est l’apiculteur qui s’avérerait trés largement créditeur.. Logiquement, dans un calcul complet de la richesse nette produite, il faudrait retrancher certaines externalités (au sens des coûts sociaux ou écologiques de la croissance) et en ajouter d’autres (au sens des avantages dont bénéficient gratuitement les entreprises du fait du niveau de l’investissement public, et la collectivité du fait de la qualité de la population)[[Voir les travaux sur la prise en compte des externalités dans la comptabilité nationale.. Dans le cas évoqué ici, il s’agit d’externalités procurées à l’entreprise par la nature en tant qu’elle demeure dans la sphère du hors-marché.
Il y a des externalités chaque fois qu’il y interdépendance des fonctions de production et de consommation des producteurs et des consommateurs et que le système des prix cesse d’être l’unique agent d’information et de mise en rapport des agents.[[Pour une présentation générale dans une problématique, parallèle sur ce point à la nôtre, de recherche d’un fondement économique à l’action de l’Etat, voir A. VIANES (1980) pp. 92-101. L’explication des rendements croissants sur longue période, qui contribue à résoudre une bonne partie de l’énigme de la croissance économique, s’est opérée à la suite de Marshall autour du concept d’économies externes. On dira qu’il y a des économies externes pécuniaires lorsque les profits d’une entreprise dépendront des outputs et des inputs d’une autre firme ou d’un groupe d’autres firmes[[cf A. MARSHALL (1920) et ROSENSTEIN-RODAN (1943 ) et T. SCITOVSKY (1954). Les fonctions de production lorsqu’il y a externalités , s’écrivent de la façon suivante :
soient deux entreprises A et B, XA et XB leurs outputs respectifs, VA1,VA2, …..VAi…., et VB1, VB2, … VBj…, leurs inputs; leurs fonctions de production seront de la forme :
XA = F ( VA1,VA2, ..VAi…; VB1, VB2, .. VBj,.; XB)
et XB = G ( VB1, VB2, .. VBj.;VA1,VA2, ..VAi..;XA );
L’écriture des fonctions de consommation respective de deux consommateurs suit le même schéma.
. L’investissement d’une firme B pourra abaisser le prix de son produit, lequel étant input de la firme A, augmentera le profit de la première. Des transferts peuvent s’opérer entre agents publics et privés.[[Pour l’application détaillée au problème de la gestion publique, cf. A. VIANES , op. cit. pp. 97-99.
Les externalités comprennent en effet les deux faces : la production de richesse non payée à des personnes individuelles ou à des organisations (État, entreprises, communautés, etc.) d’un côté ; de l’autre les dommages non payés : les personnes lésées disposant de droits de propriétés, (le cas qui intéresse Coase et sur lequel on a tendance à concentrer toute l’attention) ou bien les tiers consommateurs de richesse détruite (qualité de l’environnement pour les ménages).
On pourrait même dire que ce sont surtout les coûts de transactions entre plaignants et défendeurs et les modalités du contrat d’assurance dommage qui sont envisagés par Ronald Coase (cas particulier d’externalités entre deux agents économiques). Il est symptomatique que l’exemple central de son célèbre article, l’arbitrage juridique entre le propriétaires de champs blé le long de la voie de chemin de fer, et la compagnie propriétaire des locomotives à charbon, n’évoque que les dommages involontaires causés au paysan (l’incendie) et ne dise mot des dommages causés à des tiers, – ce qui serait plus conforme à la définition de Pigou -, soit directs (victimes éventuelles d’incendie) soit indirects (destruction de l’environnement pour les riverains). On a remarqué que la défaut majeur du droit contractuel coutumier (common law of contract) tenait à sa négligence à peu près complète du problème des externalités.
Or il est évident que la norme, la réglementation en tant que modalités particulières de cette dernière, apparaissent dès qu’il y a des externalités. Non que la production de règles en l’absence d’externalités soit impossible ou impensable. Mais dans ce cas, on a affaire à un cadre tracé préalablement comme dans la vision externaliste du droit dans le marché. En revanche, une fois admise l’existence de phénomènes d’externalités économiques en général, privées ou publiques, la fonction des coutumes produisant des règles de conduite pour les agents privés ou celle des lois prescrivant des règles dans l’espace public apparaissent clairement.
La notion d’externalités publiques
Nous ferons appel à la notion d’externalités publiques qu’André Vianès (1980) a contribué à clarifier et que les discussions récentes sur les théories de la croissance endogène ont mises en relief [[AMABLE B. & GUELLEC D. (1992). On se reportera également à discussion générale proposée par Lysiane Cartelier in B. BELLON, G. CAIRE, L. CARTELIER , J-P. FAUGERE et C. VOISIN (1994)..
L’intervention de l’État a pour tâche de révéler et d’intérioriser dans la sphère économique tout effet externe positif ou négatif chaque fois que la compensation privée s’avérera impossible par définition ou bien très difficile à atteindre.
Alfred Marshall a fait apparaître le concept d’économies externes pour rendre compte de la contre-tendance sur longue période à la loi des rendements décroissants. Les rendements historiquement croissants s’expliquent selon Marshall du fait que « l’accroissement du montant total de la production augmente les économies qui ne tiennent pas directement à la situation individuelle des différentes entreprises. Les plus importantes d’entre elles résultent du développement de branches d’industrie corrélatives qui s’aident mutuellement les unes les autres, soit qu’elles se trouvent peut-être groupées dans les mêmes localités, soit en tout cas qu’elles se servent des facilités modernes de communication … »[[A. MARSHALL (1920), Principes d’Economie Politique, tome 1, Livre IV , chapitre IX, § 7, p. 439; chap. XII,p. 519 et le chapitre XIII, §.1 521-526. La citation est tirée du chapitre XIII, p. 525. . Il n’est pas jusque à « l’aptitude aux affaires, même aux échelons les plus bas » dans les entreprises qui ne bénéficient du développement général de la société et de l’augmentation en quantité et en qualité de la population[[A. MARSHALL, op. cit. p. 519.. Il est revenu à Rosenstein-Rodan[[P.N. ROSENSTEIN-RODAN, (1943) avec sa théorie de l’industrialisation coordonnée et à Tibor Scitovsky[[T. SCITOVSKTY , (1954), pp. 143-151. d’élargir le concept d’externalités de la conception technologique définie par Marshall à celle d’externalités pécuniaires incorporant des effets de prix.
A. Vianès propose la définition générale suivante du concept d’externalités publiques : « On qualifiera d’externalité publique tout effet résultant de la production d’un bien économique ou d’un service économique ou financier, matériel ou immatériel, divisible ou indivisible, marchand ou extra-marchand, qui, le décideur étant la puissance publique ou l’un de ses démembrements et n’étant pas assujetti à la contrainte de rentabilité, équivaut à une condition permissive, une garantie ou un soutien de la rentabilité d’une ou de plusieurs activités privées dans le cadre d’une régulation d’ensemble du système socio-économique ».[[A. VIANÈS, ibidem, p. 219 . Cette notion, fait remarquer l’auteur, est beaucoup plus large que celle de « transferts » car elle comprend l’ensemble des conditions permissives du système socio-économique et de la gestion publique des politiques sociales. D’autre part, la notion néo-classique d’externalité se confond avec le hors-marché ou non-marchand et la carence d’information qui rend les contributions des agents indiscernables et inter-dépendantes. Dans l’optique néo-classique des externalités, il ne saurait y avoir d’externalités publiques marchandes.
Il y a donc deux sources principales distinctes de production d’externalités :
Des interdépendances des fonctions économiques de différents agents rendent inopérants la rémunération des facteurs à leur productivité marginale ainsi que le mécanisme de transmission des signes de déséquilibre par les prix.
Le marché est en défaut soit parce que le marché n’est pas assez le marché (position libérale classique), soit parce qu’il dépend du hors-marché qui résiste à une mise en marché par nature ou bien parce que les coûts d’inclusion dans le marché seraient décourageants (c’est le cas de certains biens collectifs[[Mais on peut se demander si tel n’est pas le cas également du travail maternel (voir les évaluations du « salaire » domestique faites par A. FOURQUET (1980)). ).
La théorie des externalités publiques consolide donc l’optique internaliste : il existe bien une raison « économique » à la production de droit par la société. Celle-ci ne correspond pas à la définition ex ante des conditions d’un contrat qui permettraient de sortir de l’anarchie de l’état de guerre et ou de nature ou de la jungle de tous contre tous pour accéder à l’échange. Dès lors qu’il existe des interdépendances des producteurs (point de vue transversal), des interdépendances temporelles (point de vue longitudinal), donc une société économique, il existe non seulement des coûts de transaction entre les agents qui impliquent, sous peine de graves déséquilibres, menaçant à terme, la raison même de l’échange, l’organisation conventionnelle de régularités et de corrections du marché, mais il existe aussi le besoin de produire des externalités positives (pécuniaires ou technologiques) qui : a) minimisent de façon très sensible, les coûts de transaction entre les agents économiques privés quand bien même ces derniers seraient déjà parvenus à élaborer des protocoles réduisant les externalités négatives[[Il va de soi que nous prenons là un cas limite quasi-hayékien : celui d’agents privés de la micro-économie parvenant à opérer des échanges et à les organiser par consentement mutuel sans intervention macro-économique de structures collectives et d’un ensemble de lois qui s’imposent à eux comme une contrainte extra-économique. ; b) qui augmentent la productivité globale des facteurs de production et ont une incidence favorable non sur la seule forme de l’échange (les conditions de réalisation des transactions), mais aussi sur sa substance (progrès technique, diffusion de l’innovation) comme l’a relevé la théorie de la croissance endogène.