Face à l’intransigeance israélienne Ilan Halevi dresse le bilan de l’échec des accords d’Oslo, de la première Intifada à la seconde. La structure archaïque d’Israël face à une société pluriethnique et pluriconfessionnelle ne tient que parce que la société se définit comme étant en guerre
Il n’y a que l’intervention internationale qui puisse empêcher, le risque de passer de centaines de morts aux milliers de morts… Cette intervention est nécessaire, parce seule elle peut matérialiser pour l’opinion israélienne qu’il est impossible de régler la question par la force. Les Israéliens n’arrêtent pas de dire “nous ne négocierons pas sous le feu”, mais les Palestiniens ont toujours su que faisant la paix, sous le feu, les violences coloniales et militaires ne se sont jamais interrompues
Les Israéliens, y compris la gauche israélienne, avaient cru très naïvement que les Palestiniens avaient vraiment renoncé à lutter, qu’ils étaient convaincus de la nécessité de se contenter de ce que les Israéliens seraient prêt à leur restituer. Au bout de 7 ans, malgré des requêtes polies l’accord intérimaire (qui devait être réalisé en 5 ans) n’était toujours pas appliqué territorialement, ni politiquement, ce qui devait être une transition est devenu un gel de tout sauf de la colonisation, un gel du processus au profit d’une expansion accélérée de moins en moins rampante, de plus en plus galopante. Après les conversations sans succès de Camp David l’été dernier, quand il y a eu impasse dans ce qui restait de processus de négociation, la position israélienne étant : si la direction palestinienne ne veut pas de nos offres il y aura pas d’accord, alors, à ce moment-là, en définitive la rue a pris le relais.
Même si elle n’a pas la mémoire des textes juridiques, la rue a intuitivement compris que s’il n’y a plus de processus de paix on en revient au droit international, c’est-à-dire au droit des peuples à lutter contre l’occupation. Ce droit international que dans une certaine mesure les accords bi-latéraux signés par l’entremise des américains pour aller à Madrid et ensuite directement avec les Israéliens à Oslo avaient suspendu par consentement des parties.
Or la partie palestinienne a accepté moins que le droit international dans les accords intérimaires, mais sous condition que ce soit intérimaire, pas comme une solution en deçà du droit. Les Israéliens ont cru, eux, que l’intérimaire finirait par être accepté comme définitif, que la caution palestinienne serait donnée au déni de droit. Or pour les Palestiniens la concession immense, le compromis historique autrefois inconcevable qu’ils ont donné en amont de toute négociation, c’est de faire porter la négociation sur 22 % du territoire de la Palestine mandataire. On ne peut pas leur dire ensuite : ne demandez pas tout ; les Palestiniens demandent effectivement tous les 22 %. Maintenant la partie palestinienne a dit à Camp David : on est prêt à faire des échanges de territoires, des blocs de colonies avec les 3/4 des colons ne sont pas très loin de la frontière, annexez ces 3 ou 4 % de territoire palestinien et en échange donnez-nous 3 ou 4 %, dans le Néguev à l’est de la bande de Gaza pour décongestionner le territoire de la bande de Gaza, le rapprocher de la Cisjordanie, permettre le retour de réfugiés sur ce qui était le territoire d’Israël dans cette région-là. Il y avait une multitude de propositions palestiniennes très flexibles, mais qui respectaient le principe selon lequel le compromis territorial porte sur la renonciation palestinienne à la souveraineté sur 78 % du territoire de la Palestine historique.
Le problème du “droit au retour”
De même pour le droit au retour, les Israéliens étaient convaincus que les Palestiniens étaient prêts à vendre littéralement le droit au retour contre un État palestinien sur une partie de la Cisjordanie et la bande de Gaza. Or la position palestinienne a beaucoup évolué sur le droit au retour : elle est passée du droit au retour conçu comme un retour collectif, massif, effectivement menaçant pour le caractère de l’Etat d’Israël à une revendication du droit au retour selon l’esprit et la lettre de la résolution 194 de l’Assemblée Générale des Nations Unies de 1948 qui donne à chaque réfugié individuellement le droit de retourner ou de ne pas retourner. C’est le droit pour tous les Palestiniens de choisir entre diverses solutions dont le droit au retour sur le territoire d’Israël. Les autres options étant : le retour sur le territoire de l’Etat palestinien ou l’absorption avec les droits dans le pays d’accueil ou l’émigration dans un tiers pays. Ces options sont liées, les négociateurs palestiniens ont opéré une révolution conceptuelle très importante parce que pendant des décennies on disait retour ou indemnisation ; ça voulait dire que pour avoir des indemnisations, il fallait vendre son droit au retour ce que n’acceptera jamais un Palestinien. On a établi qu’il s’agissait d’indemnisations pour les propriétés perdues pour tous les Palestiniens qui avaient des terres, des maisons ou des biens en Palestine avant 48 quel que soit le lieu de leur résidence actuelle ou future. Donc, plus personne n’a besoin de renoncer au droit au retour pour toucher les indemnisations.
Les Israéliens ont accepté le principe des indemnisations sur la propriété, indépendante de l’option. Eux, ce qu’ils n’acceptent pas, c’était d’abord le principe du droit, parce que si les Palestiniens ont droit au retour, ça veut dire qu’ils ont été injustement chassés et donc que l’Etat d’Israël est construit sur une purification ethnique, ce qui est la vérité historique, mais ils ne sont pas prêts à le reconnaître. Et quand on leur dit, il n’y a que 170 000 Palestiniens au Liban qui peuvent éventuellement être intéressés à rentrer parce que les autres veulent leur droit, que leur droit soit reconnu mais ils toucheront de toutes façons leurs indemnisations, et l’on ne voit pas des Palestiniens qui sont citoyens en Jordanie décider de devenir des Arabes israéliens, c’est-à-dire des citoyens de seconde, voire troisième catégorie. Or retourner sur l’Etat d’Israël, ça veut dire devenir un Arabe israélien. Les Israéliens disent, non, non, pas question, nous voulons bien en récupérer une partie dans le cadre des diverses options mais 1) c’est pas un droit 2) on veut une limite de nombre.
Les Palestiniens ont dit non, pas de limite de nombre, c’est un libre choix, c’est un droit individuel, aucune direction ne peut signer la renonciation à droit individuel qui existe collectivement.
La première Intifada et les accords d’Oslo
Ce ne sont pas les Accords d’Oslo qui ont arrêté l’Intifada, c’est la Guerre du Golfe. Du fait du blocus total et du bouclage des territoires occupés pendant toute la crise, l’Intifada n’avait plus d’efficacité, elle tournait en rond et puis la guerre du Golfe monopolisait l’attention, quand on en est aux affrontements entre des grands appareils militaires, une lutte populaire avec des pierres n’a plus aucun poids dans l’équation régionale. Donc, je crois que les Israéliens sont allés à Madrid parce que les Américains les y ont traînés, parce que : 1) il n’y avait plus de guerre froide, 2) il n’y avait plus de menace irakienne et que donc toute la région était soumise à l’ordre américain ce qui retirait à Israël le dernier alibi ou prétexte pour se soustraire à une négociation. Les Israéliens eux-mêmes sont allés à Oslo quand Rabin a compris qu’il n’y avait que seule l’OLP pouvait faire un compromis, même provisoire que seule l’OLP qui avait la légitimité pour imposer à l’opinion palestinienne de telles concessions pour un moment. Je crois que Rabin était sincère dans sa volonté d’avancer, si l’on peut dire, et je crois que c’est l’assassinat de Rabin qui a cassé le processus. Péres n’a pas continué, Péres devait continuer, il avait jusqu’au mois d’octobre 1996 pour mettre l’accord intérimaire en application, il a préféré anticiper les élections. Dés qu’il a anticipé les élections, il y a eu une série d’attentats commis par le Hamas, le Hamas qui un mois avant avait subi la plus grande défaite politique de son histoire avec 96 % des Palestiniens qui ont voté alors que, eux, appelaient au boycott. Donc ayant échoué dans l’opinion palestinienne, ils ont essayé de le regagner dans l’opinion israélienne, ils ont fait 4 attentats qui ont amené l’opinion israélienne à élire Netanyaou.Mais ces attentats n’ont eu lieu qu’après que Pérès ait annoncé les élections anticipées.
L’internationalisation
Il s’est passé quelque chose d’important à partir du mois d’octobre, c’est-à-dire du premier mois de l’Intifada avec le sommet de Charm el Cheikh, c’est que le triangle americano-israélo-palestinien qui avait fini par révéler son inefficacité à Camp David a commencé à être remplacé par un nouveau cadre où commencent à intervenir d’autres partenaires, l’Europe et puis l’Egypte et la Jordanie, le ministre norvégien, l’IS, la Turquie…. Petit à petit on va vers l’internationalisation, le rapport Mitchell est le fruit direct de Charm el Cheikh. Il y a une intervention plus active de la communauté internationale . Elle avait été écartée à Madrid et elle revient peu à peu sur la scène.
Les Européens, par exemple tout en gardant un profil très, très bas ont mis sur pied – en renforçant le personnel de sécurité de leurs ambassades, de leur représentation auprès de l’Autorité palestinienne et au titre de la coopération sécuritaire euro-palestinienne – des équipes d’observateurs et de surveillance de cesser le feu et ça c’est un type d’implication où les Européens commencent à comprendre que la question n’est pour eux ni d’attendre que les Américains fassent tout, ni de rêver à une alternative européenne, dont ils n’ont ni les moyens, ni la volonté, mais au contraire, en se coordonnant avec les Américains, de jouer un rôle pilote dans l’intervention internationale pour remettre le processus sur pied.
Les Israéliens iront à reculons dans ce cadre international, complètement à reculons; Peres va faire semblant d’avancer vers ça, parce que c’est son rôle de repositiver tous les refus israéliens, de leur donner une image acceptable. Ils espéraient un cadre tripartite avec les Américains parce que les Américains sont des arbitres, tellement partisans que les Israéliens se sont toujours sentis protégés. Et ce qui a manqué à Oslo c’était justement un mécanisme d’arbitrage crédible. Dans Oslo, en définitive, sur une grande partie des Accords intérimaires c’étaient les Israéliens qui étaient de fait juges du respect des Accords par l’autre partie.
L’espoir, c’est aussi qu’en définitive, les Américains commencent à comprendre les dangers d’un embrasement régional pour la stabilité du pétrole. C’est l’administration Bush qui au contraire de la précédente qui voyait le conflit israélo-palestinien comme le centre de ses préoccupations au Moyen-Orient voit la Palestine comme une banlieue de l’Irak, la périphérie du Golfe, là où ils sont le plus intéressés à la stabilité et leurs experts ne peuvent pas ne pas leur dire que les tensions dans la rue égyptienne et jordanienne, la situation non résolue du conflit avec la Syrie ou le Liban sont à prendre en considération.
La perspective stratégique : un Etat bi-national ou deux Etats ?
Sur la question stratégique. Il y a quelques intellectuels, quelques individus dans les courants politiques avancés chez les Palestiniens, dans l’extrême gauche israélienne et surtout chez les Palestiniens d’Israël, qui pensent qu’il faut poser la perspective du bi-nationalisme, de l’Etat bi-national comme solution de fond et de long terme, même chez les Palestiniens qui sont impliqués dans le projet d’Etat national palestinien. La question, c’est dans quelle mesure on oppose ce long terme au court terme, dans quelle mesure est-ce que le court terme de deux Etats a cessé d’être à l’ordre du jour. A mon avis il n’a pas du tout cessé d’être à l’ordre du jour, il n’y a que chez les Arabes d’Israël que la revendication d’Etat bi-national a une base de masse, parce qu’il n’y a que ça qui peut les sauver, mais pour les autres, il n’y a pas besoin de faire de nouveaux sondages pour savoir que les Palestiniens et les juifs d’Israël ne veulent pas d’un Etat bi-national.
Et la colonisation est un obstacle qui peut être surmonté politiquement en démantelant toutes les petites colonies éparses sur le territoires palestinien, en regroupant les grosses colonies qui sont proches de la frontière dans le cadre d’un échange de territoires et de toutes façons en sachant très, très bien qu’une solution de deux Etats ne peut pas fonctionner s’il n’y a pas de relations normales de libre circulation entre les deux ; pas deux Etats avec un rideau de fer. Les Palestiniens n’accepteront jamais de donner leur accord à une situation d’apartheid, parce que ça c’est ce qui existe, il n’y a pas besoin de signer un accord pour ça, c’est déjà un système d’apartheid.
La viabilité de ces 22 %?
Ce qui rend ces 22 % viables c’est le fait qu’en définitive la colonisation israélienne dans les territoires occupés en 67 n’a pas du tout créé le même type de faits sociaux que ce que la colonisation juive a réussi en 1948 sur la base de l’expulsion de 80 % de la population du territoire. Ils ont expulsé 80 % de la population du territoire et ils ont isolé totalement la petite minorité arabe restée en leur sein. Ils l’ont fait vivre dans un ghetto rural sous gouvernement militaire, écrasée par un régime militaro-policier des plus pointilleux et ils ont créé sur ce territoire vidé de sa population en 48 une société israélienne capitaliste avec des relations de marché au moins dans 3 villes Tel-Aviv, Haïfa, Jérusalem Ouest où vivent les 2/3 de la population même si 80% du territoire d’Israël est encore organisé en phalanstères, villes développement, kibboutzims, tout cela organisé à fonds perdus par l’Etat. Or, ça n’existe pas dans les territoires occupés. Les colons vivent dans des forteresses dortoirs, leur vie économique est liée ombilicalement à Israël. La population palestinienne au contraire n’a pas été isolée du monde arabe, la politique des ponts ouverts avec la Jordanie, du maintien de la citoyenneté jordanienne, du maintien des échanges humains, économiques et des voyages dans le monde arabe à travers la Jordanie, pas pour les gens de Gaza, là ça s’est renoué avec l’Egypte après Camp David, mais pour la Cisjordanie et la Jordanie ça n’a jamais arrêté. Donc il n’y a pas du tout eu dépopulation, ni déculturation, ni transformation en minorité, donc on a la base d’un nationalisme classique, d’où la volonté et l’idée d’un Etat. Maintenant le fait que l’on constitue un Etat arabe palestinien de type archéo classique, l’Etat de la Ligue arabe qui aurait dû naître en 1948, même avec 50 ans de retard et plus petit, met un point final à la grande question de la balkanisation et aux idées baassistes ou nassériennes ou néo-nassériennes ou nationalistes arabes de réunification parce que pour tous l’inexistence de la Palestine était la preuve du caractère inique, du partage colonial de tout l’Orient. L’Etat palestinien qui sera conçu comme le résultant d’une lutte fera rejaillir sa légitimité sur tous les Etats nés de la division de la région au lendemain de la Première Guerre mondiale entre les mandats britanniques et français, Liban inclus etc… La division de la région en micros Etats est scellée par l’existence enfin d’un Etat palestinien.
Maintenant ça ne veut pas du tout dire que cette solution est définitive pour plusieurs raisons : la première est que l’Etat d’Israël contient une minorité d’un million de Palestiniens. C’est un million qui a fait une traversée du désert épouvantable et très longue mais qui a réussi quand même au cours des vingt dernières années à conquérir une place économique et politique. Ils ont des députés, ils ont réussi à poser la question de la contradiction entre l’Etat juif et l’Etat démocratique, entre l’Etat sioniste et l’Etat de tous ses citoyens, question désormais posée pour tout le monde.
En même temps il y a un million de Russes, de nouveaux Russes arrivés au cours, des quinze dernières années, dont en gros 5000 000 ne sont pas juifs mais Chrétiens orthodoxes. Mais même les 500 000 qui sont juifs sont quand même d’abord russes (selon un sondage sur plusieurs milliers d’interroger 7 % seulement se sentent israéliens). Et puis on estime qu’il y a actuellement entre 600 et 700 000 travailleurs immigrés, dont les 2/3 sont sans papiers, illégaux, de toutes nationalités, Roumains, Bulgares, Hongrois, Vietnamiens, Chinois, Ghanéens, Philippins, Sri Lankais etc…. Ils ont des enfants, ils n’ont pas d’écoles, pas de droits, pas de sécurité sociale, il y a déjà d’ailleurs des organisations israéliennes de défense des droits des travailleurs étrangers. Quand on voit ça : un million de Palestiniens, un million de Russes, 700 000 travailleurs étrangers, où est l’Etat juif ?
Il y a de toutes façons un facteur endogène dans la société israélienne qui va remettre en question la conception de l’Etat d’Israël en tant qu’Etat juif à terme ; la contradiction avec la réalité de la société elle-même existe déjà. Ça peut prendre longtemps, mais c’est déjà engagé. Et dans la mesure où une des composantes importantes de cette pluralité sociologique en Israël c’est un million de Palestiniens, ça ne peut pas ne pas avoir d’incidence à l’avenir, donc la question du bi-nationalisme sur l’ensemble du territoire palestinien va se reposer, même si l’Etat palestinien, lui, établi sur 22 % de la Palestine n’en a rien à faire, ne fait rien pour, la question est posée.
Aujourd’hui la structure politique archaïque d’Israël face à cette société pluriethnique et pluriconfessionnelle ne tient que parce que la société se définit comme en guerre. C’est une pression terrible, pour tout, n’importe quel problème ….. Comment parler de l’environnement quand les gens meurent ? Toutes ces machines de guerre que sont les partis politiques sionistes, les institutions de l’Etat pas seulement l’armée, toutes ces machines bureaucratiques ne fonctionnent que par le conflit, d’ailleurs elles sont payées 4 milliards de dollars par les Américains pour gérer ce conflit ; 4 milliards de dollars par an qui ne sont ni des investissements, ni des prêts, mais un don. Avant Oslo, en 92 quand l’administration américaine a mené la bataille des garanties bancaires contre Shamir, ce qui l’a fait tomber, ils ont publié un rapport sur l’économie israélienne et la colonisation au Ministère des Finances et l’on a l’impression qu’ils parlaient du Togo et qu’il fallait y mettre de l’ordre. Tant qu’il s’agissait des dépenses de guerre froide, 4 milliards de dollars, c’est moins cher qu’un corps expéditionnaire américain et beaucoup moins risqué, mais s’il n’y a plus de guerre froide, à quoi ça sert ? Tous les Etats arabes sont les alliés des Américains, en échange de quoi Israël doit-il recevoir ces 4 milliards de dollars ? Donc, il y a aussi ça en filigrane.
Maintenant de toutes façons, la question qui est posée beaucoup plus en avant c’est que la perspective d’une intégration du marché moyen oriental à commencer par le partenariat de Barcelone entre l’Europe et les pays de la Méditerranée suppose que d’ici quelques années existe une zone de libre-échange. Combien de temps peut-on permettre et encourager la circulation des marchandises en empêchant la circulation des personnes et à l’ère de l’Internet on ne peut plus de toutes façons empêcher la circulation des idées. Donc la conception de l’Etat d’Israël ne va pas seulement être remise en question à partir de l’intérieur, c’est comme au niveau européen où le fédéralisme avance dans le dos des nationalismes exacerbés. Le jour où l’Etat palestinien sur 22 % de la Palestine aura épuisé son rôle historique et à mon avis il l’aura épuisé quand il existera, pas avant, il est possible qu’à ce moment-là même le slogan Etat bi-national soit très arriéré et très anachronique par rapport à la Aujourd’hui la structure politique archaïque d’Israël face à cette société pluriethnique et pluriconfessionnelle ne tient que parce que la société se définit comme en guerre. C’est une pression terrible, pour tout, n’importe quel problème ….. codémocratiquement.
Les Palestiniens d’Israël et ceux des territoires occupés
Il y a beaucoup de contacts. D’abord, dés 67, des contacts se sont faits parce qu’il y avait des liens familiaux. Pour les Palestiniens d’Israël à partir de 67 ce sont les Palestiniens des territoires occupés qui ont constitué leur réouverture sur le monde arabe. Alors bien évidemment comme c’est une société qui est morcelée en sous-catégories géographiques, de statuts juridiques différents et comme c’est une société qui reste dominée par une façon petite-bourgeoise agraire de voir le monde, parce qu’il n’y a pas eu de développement moderne industriel en profondeur sinon très récemment, il y a beaucoup de régionalismes. Ce n’est pas l’intégration harmonieuse dans une identité vécue, comme un : “un organique,” ce sont des composantes d’une identité multiple qui est palestinienne et arabe dans cette situation.
Les Palestiniens de l’extérieur pendant des décennies ont été considérés par les Palestiniens de l’intérieur d’Israël comme une espèce de recours, à la limite ils avaient remplacé l’idée de nos frères des Etats arabes qui allaient nous libérer, ce seraient nos frères palestiniens de l’extérieur qui allaient nous libérer. À partir de la sortie de Beyrouth en 82 cette hypothèse cesse d’être militaire, mais elle demeure comme une hypothèse politique, ils vont nous libérer par la négociation. En définitive ils se retrouvent coincés et écrasés par les Israéliens encore plus que les Palestiniens de l’intérieur. Parce qu’en définitive les citoyens arabes d’Israël ont dans le système israélien de l’apartheid beaucoup plus de droits que n’en ont les Palestiniens des territoires occupés, même s’ils ont moins d’institutions autonomes.
Dans le monde arabe jusqu’en 67, ils étaient tous pratiquement considérés comme des traîtres puisqu’ils coexistaient avec l’ennemi et qu’ils vivaient sans prendre les armes. Mais maintenant tout le monde admet que c’est un atout considérable qu’il y ait une minorité palestinienne à l’intérieur d’Israël qui peut faire pression de l’intérieur sur le jeu politique. Il y a une vraie coopération culturelle entre les Palestiniens d’Israël et les territoires occupés. Mais ce n’est pas un rapport de fusion, c’est un rapport où chacun est détenteur d’une partie du problème et d’une partie de l’identité.
Une intervention internationale urgente ; un dispositif d’ingérence
Je ne suis pas très optimiste sur la possibilité de reprise des négociations, de voie royale vers la signature d’un accord de statut définitif et l’établissement d’un Etat palestinien selon les vœux de la communauté européenne, pacifique, démocratique et viable ; ça risque de prendre encore du temps. Il y a une espèce de régression culturelle qui s’est faite dans la société israélienne à la faveur de ces violences de la confrontation des derniers mois et l’on a l’impression qu’il n’y a pas les mécanismes internes qui permettent la sortie de la confrontation. D’où la nécessité d’une intervention d’une tierce partie. Parce qu’en définitive, surtout dans la société israélienne la découverte que les Palestiniens n’étaient pas soumis a provoqué un backlash absolument extraordinaire. À tout ceci s’ajoute le fait que les chefs de l’armée et Sharon lui-même n’ont pas du tout renoncé à isoler internationalement Arafat et l’Autorité, voire les liquider physiquement et que l’incitation à la violence anti-palestinienne est quand même terrible quand elle vient du sommet, à ce point et de façon aussi quotidienne. On répète tous les jours, Arafat c’est un criminel, c’est un menteur, il faut le juger, c’est Hitler, c’est Sadam, c’est le diable, donc dans de telles conditions s’il n’y a pas une intervention extérieure jusqu’à ce que ça mûrisse, c’est-à-dire jusqu’à ce que les Israéliens prennent conscience de l’échec de leur politique, et pas seulement de celle de Sharon car ils risquent d’élire ensuite Nethanyaou.
Il n’y a que l’intervention internationale qui peut empêcher la tragédie et à beaucoup plus grande échelle, c’est-à-dire le risque de passer des centaines de morts aux milliers de morts. Or le sentiment un peu amer qu’ont les gens en Palestine c’est que tant qu’il n’y aura pas des milliers de morts personne ne bougera. C’est inacceptable qu’il faille qu’il y ait des milliers de morts pour faire ce qu’on pourrait faire maintenant pour l’empêcher.
Il y a eu un revirement dans l’opinion internationale en défaveur des Palestiniens. Une grande partie des gens se sont ralliés à une attitude sympathique à l’égard de la cause palestinienne et de la direction palestinienne à partir d’Oslo puisque les Israéliens disaient que c’était bien. Mais les Israéliens ont retiré cette légitimité ; depuis le mois d’octobre Barak dit : ce ne sont pas des partenaires, ce sont des ennemis, et les Israéliens sont divisés entre ceux qui veulent frapper l’OLP seulement pour la mettre à genoux, pour qu’elle accepte ce qu’elle a refusé à Camp David et ceux qui veulent la frapper pour l’éliminer tout en reconnaissant qu’il n’y a pas d’autre interlocuteur, donc avec l’objectif clair de ne pas avoir d’interlocuteur et donc pas de présence internationale pour négocier, pas de démantèlement de colonies, pas d’évacuation de territoires occupés.
La propagande de Barak, qui a consisté à dire, on leur donne les 95 %, c’est passé dans l’opinion ; pas qu’il s’agissait des 95 % des 22 %. Mais ce n’est pas uniquement Barak, c’est Clinton. Clinton a parlé à la télévision israélienne, en anglais ; pendant 3 heures, et a dit : les Israéliens ont fait des concessions immenses, insensées et les Palestiniens ont campé sur leurs positions. Pire que ça pendant les dernières journées de Camp David, Clinton a téléphoné personnellement à 35 chefs d’Etat, y compris des chefs d’Etat arabes pour leur demander personnellement de faire pression sur Arafat personnellement. Donc, là, la campagne avait été mondialement lancée au sommet.
Quel dispositif? Quelle urgence ?
Il y a plusieurs choses. Il y a la plate-forme des ONG, on fait campagne depuis 3 ans pour utiliser la question de l’exportation des produits des colonies israéliennes en territoire palestinien sous label israélien vers l’Union européenne, c’est une violation des accords et donc normalement la communauté européenne devrait prendre des mesures de rétorsion et la plate-forme réclame l’annulation de l’accord d’association euro-israélien dans le cadre de Barcelone. On s’en approche. Il y a cette action en justice contre Sharon ; le Parti Socialiste belge a pris une résolution, dés la constitution du gouvernement de Sharon pour condamner la participation des travaillistes israéliens au gouvernement de Sharon,
Il faut utiliser toutes les interventions au niveau de l’opinion, de la presse, des groupes de pression divers pour que l’Europe aille un peu plus loin et plus fermement dans le sens où elle va, mais trop timidement. Dans le sens d’une force de protection, d’observateurs sur le terrain, d’une présence à la fois dans la négociation et de surveillance de l’application des accords. Les politiques peuvent aussi peuvent même prendre des initiatives, quand ils sont à chaud dans les évènements. Mais il faut une pression de l’opinion publique sur les gouvernements pour aller dans le sens d’une présence plus active. Et là de mon point de vue, le problème central c’est le problème de la protection. Si on va pas dans le sens d’un règlement à court terme ça devient non seulement une nécessité politique, mais aussi une nécessité humanitaire.
Le camp de la paix en Israël.
Le courant radical dans le camp de la paix il y a quelques années n’était qu’une toute petite marge, aujourd’hui c’est déjà une minorité (ce qui est un grand progrès),qui en gros représente un tiers du mouvement de la Paix Maintenant et un tiers de l’électorat du parti Meretz, en tout cas un tiers de la direction du Meretz. Ce sont des gens qui sont d’accord pour diviser Jérusalem en deux pour la souveraineté tout en la laissant ouverte ; dans l’apparente décomposition du camp de la paix avec l’Intifada il y a eu une radicalisation d’environ 1/3 de ce camp qui s’est mis à travailler systématiquement avec des gens avec qui ils ne travaillaient pas avant, par exemple avec les partis arabes, il y a eu la croissance de petits mouvements, du genre de celui qui s’appelle “coexistence”, ce sont des Palestiniens d’Israël et des juifs Israéliens qui se sont mis ensemble pour forcer le blocus et apporter de l’approvisionnement aux villages isolés par le bouclage et à protéger les villageois des colons, c’est une action, c’est pas un discours ; ils disent clairement : “nous on est d’abord et avant tout contre l’apartheid”, c’est pour ça qu’ils s’organisent en tant qu’Israéliens arabes et juifs, d’emblée ; ce ne sont pas les bons juifs israéliens qui vont aider ; ça se développe, évidemment de façon minoritaire, mais ça existe et c’est de plus en plus visible, ce n’est plus marginalisable ; et ça ne peut pas être réduit au silence non plus.
Le mouvement des Femmes est au centre de ce courant, il a été très, très avancé, bien avant les Accords, dans le dialogue israélo-palestinien entre le Mouvement de la paix et les Palestiniens et dans la période actuelle ça s’est révélé à nouveau parce qu’il y a eu un moment où pratiquement ce sont elles – et quelques tout petits groupes (il y a un groupe “le bloc de la paix” d’Uri Avnéri) – qui ont maintenu le lien avec les Palestiniens à travers les organisations de femmes, même à des moments où ça devenait quasiment impossible ce sont elles qui ont le mieux résisté à l’anti-normalisation .Depuis l’échec des Accords, c’est-à-dire depuis un an, le courant dit “antinormalisation” (contre la normalisation des rapports avec Israël) dans le monde arabe s’est considérablement renforcé. Il a toujours existé :, mais il est devenu de plus en plus virulent et de plus en plus populaire dans la région au cours de la dernière période et ça fait pression sur les Palestiniens eux-mêmes y compris au niveau de ONG palestiniennes. Au lendemain de l’Intifada les ONG palestiniennes ont voulu couper les contacts avec les ONG israéliennes, y compris avec le Mouvement de la paix. Ce sont les femmes palestiniennes qui ont proposé de leur demander de prendre position, de condamner les crimes commis par le gouvernement et s’ils les condamnaient, de continuer à les voir. Cette position a été finalement adoptée par l’ensemble des ONG palestiniennes. C’est un exemple où l’intelligence politique des organisations de femmes a devancé de très loin la pensée mécanique, c’est important.
Quant aux objecteurs de conscience, pour le moment il s’agit de quelques individus. Mais il y eu un précédent, avec le mouvement “Jesh vool” à l’époque de la guerre du Liban suivi par le refus de servir dans les territoires occupés. Aujourd’hui il y a quelques cas qui s’inscrivent dans une tradition. Mais ce qui est important, c’est que l’écho de ces prises de position individuelles dans le débat public est beaucoup plus grand qu’avant.
Tout cela fait que, sur le moyen terme, on peut garder un certain optimisme, parce que les choses ne peuvent pas demeurer en l’état. Mais il n’empêche que le court terme est très, très inquiétant. D’où l’on en revient à la nécessité d’une intervention internationale, parce qu’il n’y a que ça qui peut matérialiser pour le gros de l’opinion israélienne le fait qu’ils ne peuvent pas régler ça par la force. Et qu’il faut qu’ils discutent. Le hiatus total entre la perception palestinienne de la paix et des négociations et la perception majoritaire en Israël il est là, les Israéliens n’arrêtent pas de dire “nous ne négocierons pas sous le feu”, les Palestiniens ont toujours su qu’ils faisaient la paix, d’abord sous le feu, toutes les formes de violence coloniales et militaires ne se sont jamais interrompues. Donc pour les Palestiniens ce n’est pas une surprise que les Israéliens tirent.