L’effet “aimant” demeureAnalyse de l’enjeu que représente le problème palestinien non résolu sur l’échiquier géostratégique et des tentatives de captation de la légitimité de sa cause dont il fait une fois de plus l’objet aprés le 11 septembre.En centrant le discours qu’il a adressé au monde immédiatement après le déclenchement des hostilités américano-anglaises contre l’Afghanistan sur la cause palestinienne, Osama Ben Laden a délibérément essayé d’obtenir de l’opinion publique musulmane et arabe une légitimité en liant sa cause à celle des Palestiniens et en exploitant leur frustration.
De là, on peut facilement déduire que la cause palestinienne est la plus légitime et la plus crédible de la région. Dix ans auparavant quand les offensives de la coalition conduite par les Américains, étaient sur le point de se déclencher le président irakien Saddam Hussein avait lui aussi lié sa cause à celle des Palestiniens, déclarant qu’il ne mettrait fin à l’occupation du Koweït que lorsqu’Israël mettrait fin à celle de la Cisjordanie et de la bande de Gaza.
Même le Président des Etats-Unis George Bush et l’administration américaine semblent s’apercevoir qu’ils doivent faire quelque chose pour soutenir la cause du peuple palestinien s’ils veulent réussir à consolider le soutien arabe à une coalition anti-terrorisme.
Tandis que la stratégie de Saddam de lier les deux causes pouvait à cette époque-là apparaître séduisante aux Arabes et plus encore au peuple palestinien et à ses dirigeants, ce n’est pas le cas aujourd’hui de celle de Ben Laden. Si les paroles de Ben Laden peuvent avoir trouvé un écho dans les frustrations permanentes des Palestiniens, les comparaisons qui peuvent être faites par ailleurs entre les sentiments des Palestiniens envers l’Irak et envers l’Afghanistan ne sont pas valables et ne résistent pas à l’examen.
De nombreuses raisons peuvent expliquer la sympathie et la solidarité entre Palestiniens et Irakiens, pas seulement parce que tous deux sont des peuples arabes et musulmans et ont la même culture mais, plus importante, parce qu’ils partagent une proximité géographique. L’Irak a envoyé, aussi, ses armées combattre avec les Palestiniens dans toutes les guerres de Palestine depuis le début du problème palestinien.
L’Afghanistan, par contre c’est complètement différent. D’abord, les Afghans ne sont pas des Arabes et sont loin de la Palestine et des Palestiniens. Deuxièmement, beaucoup de Palestiniens ne considèrent pas que l’attaque contre les civils américains du 11 septembre soit justifiable et – bien qu’ils ne justifient pas non plus l’usage de la force et de violence par les Américains contre les Afghans – ils ne s’identifient pas beaucoup avec les Talibans et Ben Laden, si ce n’est par des sentiments d’appartenance à une humanité commune et en désespoir de cause, en quelque sorte, parce que quelqu’un parle enfin d’eux. De plus, la société palestinienne reste majoritairement laïque et ne s’identifie pas fortement avec l’idéologie et le régime des Talibans.
C’est pourquoi, en dépit de l’appel de Ben Laden, l’opinion publique palestinienne moyenne n’a pas manifesté un grand enthousiasme à le soutenir, lui, ou ses actions supposées. Ceux qui ont exprimé leur soutien avec force, ce sont les Palestiniens islamistes fondamentalistes qui s’identifient à Ben Laden sur une base idéologique. Ceci explique que le seul endroit où les manifestations de soutien ont eu lieu était l’Université islamique de Gaza, qui est majoritairement contrôlée par le Hamas et le Jihad islamique.
Pour replacer ces manifestations dans leur contexte, quelques membres du Hamas et du Jihad ont cherché à défier la décision de cessez-le-feu du président Arafat. En faisant se ranger les Palestiniens derrière Ben Laden, ils là voyaient une occasion à exploiter pour miner le pouvoir de l’Autorité palestinienne en dirigeant une manifestation de soutien aux Talibans et à Ben Laden.
Arafat, lui aussi, a répondu en fonction de ses intérêts politiques. Il n’a pas pu faire pression sur le Hamas pour qu’il coopère à son cessez-le-feu impopulaire et il a estimé qu’il était temps désormais d’accroître les pressions sur l’opposition. Arafat croyait que la majorité de l’opinion publique palestinienne comprendrait ses tentatives d’empêcher le Hamas d’aligner les Palestiniens sur les positions de Ben Laden et des Talibans. C’est pourquoi il lui semblait politiquement réalisable d’intervenir contre les manifestations du Hamas ou d’autres factions de l’opposition, alors qu’il n’était pas possible d’intervenir contre Hamas quand il violait les ordres de cessez-le-feu. Résultat, l’opinion publique a été choquée du niveau de brutalité avec lequel la police palestinienne a réprimé les manifestations et la presse s’est inquiétée des mesures prises pour l’empêcher de couvrir les événements.
Ces événements à eux seuls confirment l’analyse précédente sur la nature et l’étendue de la capacité de “contrôle” d’Arafat sur les territoires palestiniens. Une fois de plus, la capacité de “contrôle” d’Arafat dépend du fait que l’opinion publique soutient ou non ses décisions. Quand Arafat veut imposer quelque chose qui bénéficie de la compréhension et du soutien de la majorité de la population, alors sa capacité de “contrôle” est effective. Mais quand il veut mettre en oeuvre un projet qui est impopulaire et qu’il s’est vu lui-même imposer, il perd sa capacité de “contrôle” parce qu’il n’est pas en mesure d’imposer sa volonté même par la force.
L’Autorité palestinienne, même si elle s’emploie à éviter le piège politique qui consisterait à lier la lutte palestinienne aux parias de ce monde que sont Ben Laden et les Talibans, est absolument injustifiée d’avoir réprimé la manifestation de Gaza avec une brutalité telle qu’elle a fait plusieurs victimes. Et ce n’est pas le seul problème que pose le comportement de l’Autorité palestinienne dans cette crise. L’Autorité palestinienne a également empêché la presse étrangère et locale de couvrir la manifestation (ce qui s’est tout simplement retourné contre elle parce que cela a donné aux médias la fausse impression qu’il y avait peut-être de nombreuses tentatives de soutien à Ben Laden et qu’elles n’était pas retransmises à cause du black out de la police de l’autorité palestinienne).
L’Autorité palestinienne a fait une autre erreur en ne délivrant pas un message officiel clair et fort en réponse au communiqué de Ben Laden, un message qui réitère sa condamnation des attaques du 11 septembre et s’exprime en même temps avec prudence sur l’utilisation de la force contre les civils afghans innocents. Cette prise de position aurait permis de distinguer la cause palestinienne de celle des Talibans et répondu à la tentative de Ben Laden de lier inextricablement les deux.
Tant que se poursuivra l’occupation illégitime des territoires palestiniens par Israël, tant que le problème des réfugiés, de 4 millions de Palestiniens ne sera pas résolu et tant que Jérusalem Est et la mosquée El-Aqsa resteront sous contrôle des occupants israéliens, nous continuerons d’assister à des tentatives d’utilisation de la légitimité de la cause palestinienne – qu’elles soient ou non justifiées, qu’elles viennent de Bush ou de Ben Laden. La légitimité de la cause du peuple palestinien prend pourtant ses racines dans les droits humains et le droit international, précisément dans la résolution 242 du Conseil de Sécurité de l’ONU, qui demande la fin de l’occupation israélienne. Jusqu’à ce que le problème palestinien soit résolu, il sera difficile, sinon impossible de faire référence aux principes des droits humains et du droit international dans d’autres conflits de la région.
Publié le 10/10/01.
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Traduit de l’anglais par Giselle Donnard.