“Toute occupation est une oppression”Les « Women in black » de Jérusalem sont apparues lors de la première Intifada. Tous les Vendredis, Place de France à Jérusalem-Est leurs pancartes « End of occupation » disent clairement en anglais, en hébreu et en arabe leur refus de la politique d’occupation des territoires, qu’il n’y a pas de paix possible sans que les territoires occupés soient rendus et constituent un État palestinien. Comme les Mères de la place de Mai qui les ont inspirées leur ténacité a payé ; elles sont devenues emblématiques de la résistance non-violente des femmes à une situation d’injustice. D’autres groupes de femmes en noir se sont créés de par le monde, en Colombie, en Italie, en Espagne, aux USA.Silencieuses, vêtues de noir, les “Women in black” de Jérusalem sontapparues lors de la première Intifada . Tous les Vendredis, place de France à Jéusalem-ouest, leurs pancartes “end of the occupation”, en anglais, en hébreu et en arabe disaient clairement qu’elles refusaient la politique d’occupation des territoires au-delà de la ligne verte, de l’Etat d’Israël et de ses gouvernements successifs. Les agressions verbales et même parfois physiques des passants ne leur ont pas été épargnées ; que des femmes anonymes brisent le tabou et osent dire publiquement qu’il n’y avait pas de paix possible sans que les territoires occupés soient rendus et constituent un Etat palestinien – “pas de paix sans justice” comme elles le rappellent toujours quand on les rencontre – était difficile à supporter pour l’opinion publique israélienne. C’était la trahison et la trahison par les femmes, ce qui fit se déchainer le sexisme à leur égard.
Pourtant, comme les Mères de la place de Mai (qui les ont inspirées), leur tenacité, leur dignité, ont payé. Elles sont devenues emblématiques de la résistance non violente des femmes à une situation d’injustice ; d’autres groupes de “Femmes en noir” se sont créés de par le monde, à Belgrade, en Colombie, en Italie, en Espagne, aux USA… et le réseau se retrouve une fois par an.
Aujourd’hui, la deuxième intifada a éclaté depuis un an ; on connaît les difficultés du camp de la paix en Israël mais, elles, sont toujours là. Deux d’entre elles ont retracé pour nous leur histoire et leurs nouvelles actions depuis un an.
C’est dans le contexte de la guerre du Liban que naît le mouvement pacifiste israélien. En 1984 est créé un Mouvement des Femmes pour la Paix qui était en gestation depuis 1982. Refondé en 1989, il donnera naissance en 1994 au Bat Shalom actuel.
Pour la première fois, les femmes ont manifesté au moment de la guerre du Liban. Il faut dire qu’après 1973, et l’occupation des territoires, l’armée (à laquelle les femmes participent) et l’importance de la place qu’elle occupe dans l’establishment israélien commencent à faire l’objet de débats. La gauche radicale a toujours développé les mots d’ordre de solidarité avec le peuple palestinien et quand éclate la première Intifada ce travail continue. Mais du côté des femmes, au sein du Mouvement pour la paix, un agencement particulier va se produire, où se combinent féminisme radical et gauche radicale, ce sont les “Women in black” de Jérusalem en 1988 autour de la figure emblématique de Hagar Roblev (décédée en 2000). Il y aura une grande différence entre le leadership et la base, et pourtant une longueur d’onde commune se dégage pour exiger la fin de l’occupation. Des femmes vont réagir à la fois comme citoyennes – puisqu’elles participent à l’armée – et comme mères. L’armée constituant le creuset de l’identité nationale, ces femmes vont estimer que ce n’est plus ce qu’elles souhaitent que l’on enseigne à leurs enfants. Cet agencement s’articule aussi sur la critique féministe de l’occupation : “toute occupation est une oppression” (cf. en particulier le rôle du collectif Women’s Voice). Les “Femmes en noir” insistent beaucoup sur la prise de conscience qui a été la leur qu’il y avait des occupants et des occupés, que l’occupation se faisait en leur nom, qu’elles étaient dans le camp de l’occupant et ne voulaient plus l’être. Et vis à vis des Palestiniens, ce n’est pas d’abord la solidarité qu’elles mettent en avant, c’est plutôt d’abord “c’est pas moral”, ces enfants que l’on tue pourraient être les nôtres, c’est une guerre civile contre des femmes et des enfants. Des femmes qui ne sont ni radicales, ni féministes vont alors adhérer à cette démarche et pour beaucoup c’est une véritable rupture.
On assiste donc à une mobilisation qui déborde les réseaux habituels de solidarité politique et qui va renvoyer à la société israélienne l’image de l’occupation et de la répression qu’elle fait régner sur le peuple palestinien, image renvoyée par des femmes. En décembre 1988 a lieu une grande conférence sur le thème: “feminist attitude against ocupation” qui rassemble bien au-delà de l’aire féministe.
Au début les médias font silence, les femmes font elles-mêmes leurs photos de la manifestation pour la faire connaître. Peu à peu leur présence s’impose malgré les avatars, elles rallient autour d’elles et deviennent un maillon fort du camp de la paix. Le rassemblement du Vendredi, place de France à Jérusalem finira par être connu dans le monde entier.
Il y avait bien sûr des contacts avec les Palestiniens pour des actions de solidarité, mais pas de liens spécifiques avec les femmes. Ce sont des féministes italiennes des mouvements de paix qui vont permettre cette relation – le troisième élément de l’agencement. Elles arrivent en août 1988, elles ont des actions de solidarité importantes avec les femmes palestiniennes. Les “Women in black” disent “c’est difficile d’inspirer la confiance quand on fait partie du camp des oppresseurs, car la violence produit une contre-violence, il faut absolument en prendre conscience”. “En tant que feministes on voulait écouter les palestiniennes, comprendre ce qu’elles vivaient”, mais la méfiance était grande. L’intervention des féministes italiennes a permis de dégager un espace politique commun entre les femmes israéliennes et les femmes palestiniennes. Le premier résultat sera une présence non officielle de 55 femmes palestiniennes à une conférence commune.
Peu à peu une collaboration va pouvoir s’établir, uniquement sur les problèmes de l’ocupation. En 1992 sera créé le Jerusalem’s Link dans lequel israéliennes et palestiniennes ont toute une gamme d’actions communes en direction des femmes, des enfants, des écoles, de la santé, des prisonniers…
C’est en 1989, que femmes israéliennes et palestiniennes organisent ensemble la première journée de Time for Peace (la seconde journée et la chaine humaine autour de la vieille ville de Jérusalem étant organisée par Peace Now). Toute la matinée du dernier vendredi de décembre femmes palestiniennes et israéliennes se succèdent alternativement dans des débats organisés à Jérusalem-ouest, puis c’est le rassemblement place de France d’où part une longue manifestation (comprenant aussi plus d’un millier de personnes venues de toute l’Europe) sévérement contrôlée par la police à cheval pour rejoindre symboliquement à Jérusalem-est le théâtre où les femmes palestiniennes ont préparé une manifestation culturelle. Des affrontements auront d’ailleurs lieu prés du théâtre.
Quand arrivent les Accords d’Oslo, la Guerre du Golfe a malheureusement créé une première fissure entre femmes israéliennes et palestiniennes. Les femmes israéliennes ont été déçues par la prise de position palestienne pro-irakienne et ont eu peur de la guerre. C’est le début d’un affaiblissement du mouvement des femmes israélien. C’est la montée en puissance du Hamas, côté palestinien dont une des dimensions est la reprise en main des femmes qui s’étaient énormément affirmées pendant l’Intifada. Ce n’est d’ailleurs pas le seul intégrisme, on voit aussi s’affirmer des fondamentalismes chrétiens ; les Etats-Unis soutiennent les tendances de droite.
La gauche radicale est perplexe par rapport à Oslo, mais ne voit pas de solution de rechange ; la fraction la plus à gauche y voit un piège. On assiste donc à un effritement, un affaissement du camp de la paix. Pour les femmes, la majorité se rallie à Oslo, mais avec vigilance, une “coalition des femmes pour une paix juste” se constitue (Bat Shalom).
Depuis un an, la deuxième Intifada : une nouvelle guerre contre les Palestiniens disent les “Femmes en noir”, une terrible guerre au quotidien. Le tournant c’est Camp David, Barak a détruit le désir de paix”, et “Sharon en allant à Al Aqsa a plongé les deux camps dans le désespoir”, cette deuxième Intifada est celle du désespoir, de trop de déceptions accumulées. Certaines sont découragées : la société israélienne refuse de comprendre “tout est pourtant clair, il suffit de lire la presse” dit l’une d’elle, et pourtant la majorité des gens repète : “pas de partenaire, pas de compromis”, une fin de non recevoir. Découragement et pessimisme aussi devant la nécessité de tout recommencer avec leurs faibles moyens (pas de bureau, pas d’argent), de reprendre encore une fois une action symbolique et de n’avoir jamais pu faire entendre leur voix dans les négociations ; le camp progressiste (ce n’est pas radical de revendiquer deux Etats disent-elles) est très réduit aujourd’hui, mais il multiplie les actions depuis le début.
D’autres sont plus optimistes, galvanisées par l’arrivée de nouvelles femmes qui se mobilisent. Elles continuent de faire face aux défis, sortent de plus en plus dans la rue, participent à la désobéissance civile, au soutien aux Palestiniens. L’armée commence d’ailleurs à se méfier des femmes dans ses rangs. Récemment, pour la première fois depuis 1982, une femme qui refusait d’effectuer son service dans les territoires occupés – à Gilo – a été emprisonnée et a subi des mauvais traitements, elle attend son jugement. Avia Atal explique son refus “Je ne crois pas à la brutalité et à l’usage de la force. Je pense que c’est l’armée et les politiques qui nous ont conduit à la guerre. Je ne veux pas y participer, je n’effectuerai pas mon service dans les territoires occupés en 1967. Je ne crois pas à la politique d’expansion d’Israël… Je veux apprendre aux enfants à aimer la terre d’Israël… Je ne veux pas leur faire des leçons sur les bombes…”.
Le silence des médias est total sur toutes les actions pourtant nombreuses. Une rapide chronique : Octobre 2000, 500 personnes avec Gush Shalom ; 8 novembre 2000 meeting de toutes les organisations féministes (une dizaine dont “coalition for a just peace”) sur le thème des femmes contre l’occupation ; 28 Décembre 2000 à Jérusalem “we refuse to be enemies” grande conférence réunissant femmes israéliennes et palestiniennes avec une marche réunissant 3000 femmes en noir, une grande pancarte a été installée sur les remparts.
En 2001 : 1er février, action commune (avec des hommes), 4 février elles ; occupent la rue en s’allongeant sur le sol (70 sont arrêtées)… Les actions continuent : essayer de miner l’occupation en s’attaquant aux blockhaus, remplir les tranchées d’ordures, essayer de débloquer les checkpoints, chaque fois des femmes sont arrêtées et pour certaines actions il n’y a pas de femmes palestiniennes pour qui ce serait trop dangereux.
De toutes ces actions il n’y a pas eu d’écho. Pour la première fois deux médias importants CNN et BBC ont couvert la manifestation du 8 juin 2001 appelée au niveau international par les “Femmes en noir”. Elle a été importante : 10 000 personnes sur les mots d’ordre: “not another war”, “no occupation”. Il y a eu aussi des rassemblements dans de nombreux pays, dont à Paris, aux USA…
Le problème le plus difficile aujourd’hui c’est la crise que traversent les relations avec les organisations de femmes palestiniennes, la méfiance accrue depuis El Aqsa et les pressions de leur propre camp ont beaucoup réduit la coopération.
“On gagnera, l’occupation est condamnée” nous dit l’une des principales activistes de la mobilisation actuelle, “l’occupation tue les Palestiniens mais aussi les Israéliens”. Mais elles craignent aussi une éventuelle action d’envergure de l’armée israélienne.
Ce texte a été réalisé à partir des interviews d’Yvonne Deutsch et Gila Svirsky fin août 2001 à la rencontre internationale des “Femmes en noir” à Novi-Sad.