Texte collectif : Franco Barchiesi, Franco Berardi dit Bifo, Gianfranco Bettin, Giuseppe Caccia, Luca Casarini, Giuseppe Cocco, Michael Hardt, Maurizio Lazzarato, Yann Moulier Boutang, Peter Pal Pelbart, Suely Rolnik, Tatiana Roque, Denise Sant’Anna, Gerardo Silva (Bologne, Johannesburg, Mestre, New York, Padoue, Paris, Rio de Janeiro, São Paulo, Venise).
La scène paraît bien divisée en deux : d’un côté New York, le Nord économique, riche et guerrier ; de l’autre le Sud culturel, divisé, pauvre, qui resterait socialiste dans son cœur, installé dans un des seuls bastions de la gauche (le Rio Grande do Sul) du plus grand pays d’Amérique Latine, seule gauche qui, avec le Parti des Travailleurs (P.T.) et en la personne de Lula, ait une chance sérieuse de l’emporter aux prochaines élections. Le tout à un petit millier de kilomètres seulement de l’Argentine, en pleine insurrection antilibérale. Avec en plus, discrètement, quelques États européens hostiles à l’hégémonie américaine. Les choses semblent donc claires. Un autre monde est possible. Tous derrière le PT au Brésil, tous derrière Attac dans le monde ! Tous contre l’hégémonie américaine, de Kaboul, à Buenos Aires ! À bas le néolibéralisme !
Empire
Seuls quelques Européens auront pu lire dans le supplément du Monde du 27-28 janvier qu’Empire était l’un des principaux livres de chevet des contestataires. Heureuse surprise s’il en allait ainsi, et si l’on parvenait à éviter que le nouveau Léviathan de la production globale et de la mode du logo ne s’empare de ce livre et n’en neutralise la puissance subversive dans les réseaux de communications et les querelles académiques. Mais il faudra beaucoup de travail et d’énergie pour que les thèmes par lesquels on pourra se débarrasser des vieux habits du socialisme, de l’idéologie travailliste, de l’anti-impérialisme, du nationalisme et du Tiers-mondisme soient placés au centre du débat. Peut-être ne seront-ils d’ailleurs jamais au “centre” parce que ce n’est pas là que la multitude s’exprime. Ce n’est pas le centre de Porto Alegre qui a été le plus intéressant pour nous, et pour beaucoup d’autres. Ce ne sont pas les tribunes officielles ou les institutions qui parlent le langage des mouvements de transformation. Ces derniers se servent toujours, joyeusement ou cyniquement, de façon géniale et saine, des garnitures créées par les “centres” et de leurs autosatisfecits nombrilistes. Nous étions à Porto Alegre[[Les auteurs de ce texte ont tous participé au Séminaire “Le Travail de la multitude”, coordonné par le LABTEC et le Programme EPPG (Université Fédérale de Rio de Janeiro), ainsi que par l’Association Resistência/Criação (São Paulo). Ce séminaire s’est déroulé à Rio les 27 et 28 janvier, puis à Porto Alegre dans les Docks (Entrepôt A-7) où un atelier de 6 heures à réuni 200 personnes. Remerciements aussi au Labo Idea Eco de l’URFJ, au Museu da República/Minc/Iphan. Le financement de cette initiative est dû au CNPQ, au CAPES, au FINEP, à l’UFRJ et au Consulat de France de São Paulo., sans avoir participé à l’organisation du sommet, sans avoir un candidat présidentiel à vendre. Libres donc. Formulons donc un avis libre, le cœur réchauffé et la tête froide.
Comment ne pas saluer la puissance de ce rassemblement, son seul nombre d’abord face à Davos, la diversité prodigieuse des sujets abordés, des langues pratiquées ? Le mouvement des mouvements n’est pas contre la mondialisation, il est pour une autre mondialisation, contre sa gestion néo-libérale.
Et c’est là que l’affaire se complique : à Porto Alegre, on sentait ce désir multiple, collectif, bien plus que des jeux de pouvoir d’appareils, mais cet immense appel n’a pas produit à lui seul une “révolution moléculaire” ; il n’a fait craquer qu’en partie les blocs molaires de l’idéologie, de la scène politique médiatique. Par légitime souci d’éviter les hold-up de la part des ministres invités ou s’auto-invitant, l’organisation des séances a été encombrée de procédures ennuyeuses : discours interminables, prises de parole par petits papiers anonymes. Bref point ou trop peu d’idées nouvelles, de débats politiques sur l’actualité la plus brûlante, comme l’Argentine, alors qu’étaient présents des militants impliqués dans les piqueteros et les cacerolazos. N’attendons pas trop du “centre” ! Un autre monde fonctionne déjà à l’heure de l’Internet, avec d’autres moyens que la grand-messe, le banquet républicain en mal d’investiture, la médiation empressée entre mouvements sociaux et gouvernements, un autre monde que celui des manifestations sans musiques. Comme dans un congrès académique ou politique, l’essentiel des connexions nouvelles se passait en marge des sessions officielles.
Quel a été, en effet, le résultat, le message “autorisé” pour ceux qui n’étaient pas à Porto Alegre même ? Attac France a été confirmé dans son rôle d’animateur idéologique essentiel, tandis que le Parti des Travailleurs brésilien l’était dans celui de vitrine d’un socialisme soft ou d’une révolution light. Étaient absents les méchants historiques (Castro, Chavez, Arafat), mais présents en revanche des coquins bien connus et bien actuels (Chevènement, Folena, quelques ministres, etc…). Par contre le “centre” n’a pu s’apercevoir que rôdaient des esprits invisibles qui ont noué force amitiés dans les couloirs du Forum, dans la rue, sous les tentes du campement des Jeunes ou dans des rôtisseries : le sous-commandant Marcos avec l’humour, la dérision et la capacité de maîtriser le jeu de vilain de la “communication globale”, la composante du Nord de l’Europe avec ses ONG capables de tenir à l’écart les puissantes social-démocraties, une pléiade de centres sociaux italiens (présents mais hors commission la plupart du temps), les mouvements des minorités noires, amérindiennes, les contestataires internes du mastodonte chinois. On y trouvait aussi le spectre des mouvements sociaux Africains qui se sont manifestés au Congrès Mondial contre le Racisme 2001 à Durban en rejetant de plus en plus le nationalisme des partis au pouvoir, ainsi que les discours de “libération nationale” !
Il y avait aussi, parmi ces invisibles, Celso Daniel avec qui travaillaient certains d’entre nous, maire de Santo André, assassiné quelques jours avant le sommet. Celso Daniel, animateur clé de la communauté urbaine du Grand ABC pauliste, le pôle industriel le plus important d’Amérique Latine, conseiller de Lula. Son assassinat (commandité ou banal enlèvement crapuleux ? nul ne sait encore) ne pouvait mieux tomber pour les adversaires de l’accès de Lula à la Présidence du Brésil. On sait que le Président Bush a exprimé les préoccupations américaines à ce sujet.
Communication premier front de la bataille
Le centre n’a pas pu profiter de l’esprit de Gênes et de Seattle. Les miroirs dont il s’est entouré ont dressé une barrière qui a écarté quantité de belles choses qui s’étendaient dans la périphérie. Exactement comme cela se produit au Brésil, où, pour ceux qui sont au centre ville ou au cœur d’un parti, les banlieues n’existent que lorsqu’on en parle. Mais les périphériques, les Noirs des favelas ne participent pas à la discussion qui les concerne. Ils ne se rendent pas dans le centre, et quand ils s’y rendent, c’est pour le détruire. Résultat : sur les ondes, émises depuis le centre, qui retransmettaient le Forum, il s’est beaucoup parlé du socialisme, de la voie nationale au développement, de la résistance “souveraine” des États Nations à la mondialisation. Les grandes idoles du passé ont été saluées avec zèle. On a trop entendu pérorer devant les caméras parlementaires, ministres et présidentiables français, belges et italiens, qui se présentaient pour se faire adouber par le mouvement social. Qu’une grande partie de la lucarne audiovisuelle ait été occupée par la cuisine institutionnelle et par une soupe refroidie d’idéologies du siècle passé, cela a été d’autant plus mal vécu que les multinationales françaises privées et publiques (Peugeot, Michelin, Carrefour, Orange, France Télecom, EDF), très présentes au Brésil et en Argentine, ne sont pas particulièrement des modèles de politiques sociales, environnementales et démocratiques dans l’hémisphère sud. Que le discours très émouvant de la mère de Carlo Giuliani à la séance d’ouverture du Forum des jeunes, ainsi que l’annonce par Agnoletto des résultats de l’enquête des magistrats sur Gênes, révélant que la police avait tiré 18 balles sur les manifestants, n’aient pas été traduits en anglais ni relayés à CNN par les agences de presse, tandis que les paroles insipides de bienvenue des autorités (qui représentent un territoire où la police tire et tue quotidiennement) l’étaient scrupuleusement, montre que la communication est le premier front de bataille. Le ministère de la propagande du prochain Forum devrait être délocalisé au Chiapas ! Celui de l’agitation, où le mouvement des mouvements évolue.
Autre frilosité : la question de la violence constitutive du fonctionnement actuel des États nationaux du Cône Sud, dont on a très peu parlé. Au Brésil par exemple, la criminalité fait 22 000 victimes par an parmi les hommes jeunes. Il y règne une guerre civile larvée. L’État de São Paulo a connu l’an dernier une révolte coordonnée de toutes ses prisons, avec plus de 50 000 personnes, entre prisonniers et familles de prisonniers, mobilisées. Le gouvernement fédéral et les grands médias affrontent ce problème sur le mode d’une croisade sécuritaire (pour laquelle on mobilise cyniquement jusqu’à l’assassinat de Celso Daniel), sans que les questions de l’inégalité sociale (la plus forte du monde) et raciale (la population la plus pauvre est évidemment noire de peau) soient jamais évoquées et, surtout, sans que les responsabilités historiques de l’État brésilien soient épinglées. Pas plus que la présence des anciens bourreaux du régime militaire dans des postes clés du gouvernement fédéral et de la police. Les modalités du développement national dans le Sud (au Brésil, au Mexique, en Afrique du Sud, mais aussi en Israël), bien avant la mondialisation néo-libérale, c’est aussi cela. Voilà les problèmes que n’ont réussi à résoudre ni les gauches bourgeoises, ni le socialisme ouvrier blanc et d’origine européenne. Invoquer à ce propos le “peuple uni jamais vaincu” ne sert pas à grand chose. Nous aimons tous scander ce slogan, mais si on ne lui ajoute pas quelque chose, comme ce que les Argentins chantent ensemble aujourd’hui : “Qu’ils s’en aillent, tous autant qu’ils sont !”, il risque d’être source de malentendus. Ajouter à la confusion mentale du néo-libéralisme, le corporatisme républicain nationaliste, avec un zeste d’anti-américanisme permettant de dédouaner les Européens, nein danke, non merci ! On a déjà donné et vu ce que cela a donné.
Voilà pourquoi , avec ceux que nous avons rencontrés en grand nombre dans les couloirs du Forum, nous ne voulons plus invoquer, comme prêt à penser, le “peuple”, les “nationalisations”, l'”État fort”, “l’unité de toutes les races”, la “défense inconditionnelle du secteur public”, les “droits de l’homme”. À ces vieilleries populaires et populistes, nous opposons le concept de multitude, même si nous ne sommes pas tous d’accord sur son rôle politique. Il part de la composition réelle (économique, idéologique, organisationnelle, culturelle, politique) que doit affronter toute perspective de transformation sociale. L’Empire est la forme de pouvoir qui correspond à cette transformation. Si la forme de l’État Nation est en crise, si le socialisme réalisé des pays de l’Est a connu un enterrement de première classe, ce n’est pas à cause du néolibéralisme. C’est d’abord sous les coups de la multitude, de mouvements moléculaires, que la gestion nationaliste se trouve de plus en plus impotente. L’Empire est l’ennemi des multitudes, mais ce n’est pas pour autant que les vieux États Nations sont nos amis. De ce point de vue, il reste encore beaucoup d’ambiguïté dans le centre du Forum Social Mondial : trop de rhétorique populiste et nationaliste, pas assez de musique globale et multiple dont les banlieues résonnent de partout. Il reste du débat d’idées sur la planche.
Dynamiques constituantes
Vive donc le débat d’idées, s’il n’escamote pas les difficultés. Une résistance créative et offensive est à ce prix. Les forces vives qui forment la substance d’Attac, du P.T., des milliers d’ONG qui ont accumulé un capital d’intelligence en dissidence, voire carrément en sécession, ne veulent de politique qu’à ce prix. Nous les avons croisées, non dans le centre mais partout ailleurs. Nous avons pu ressentir le formidable défi qu’elles posent à ceux qui font profession de réfléchir de façon méthodique, radicale et vivante. Pour bien d’autres encore, si s’organise un effort collectif de pensée, le grand voyage, “l’an prochain à Porto Alegre”, ne sera pas un pèlerinage où l’on commémorera les souvenirs momifiés de la révolution au passé.
Il y a dès cette année des avancées qui nous montrent que nos efforts ne sont pas inutiles, ni isolés. Chacun d’entre nous a pu en faire l’expérience dans un atelier, une commission, voire une session plénière. Par exemple, à l’initiative de l’ONG Oxfam ([http://www.oxfaminternational.org->http://www.oxfaminternational.org) et de Jean-Pierre Berlan[[La contribution de Jean-Pierre Berlan sera publiée dans un prochain numéro de Multitudes. (INRA France), la discussion sur la non-brevetabilité du vivant et des logiciels au cœur de la renégociation du TRIPS (volet sur la propriété intellectuelle que le Nord veut revoir dans les prochaines négociations de l’OMC) a réuni Richard Stallman (Free Software Foundation, USA), William Campos (agriculteur d’Amérique Centrale), Alexandre Buskarin (Université de Moscou), pour discuter d’un droit commun à l’accès au savoir et à la production de la vie hors du système des brevets propriétaires. Cette initiative est liée à la proposition d’un traité pour le partage du patrimoine Génétique Commun (mouture initiale rédigée par la Fondation de Jeremy Rifkin contre les OGM)[[Ce projet de traité a reçu l’appui de 250 organisations dans 50 pays. Correspondance à treaty@foet.org.. Bel exemple de pouvoir constituant à l’œuvre.
Nous avons confiance dans la capacité du mouvement des mouvements pour une autre raison. Pendant le 2ème Forum Social de Porto Alegre, s’est tenu un rassemblement des Jeunes qui a constitué une scène bien différente de celle qui se déroulait dans les locaux de l’Université Catholique. 15 000 jeunes étaient venus des quatre coins du Brésil, mais aussi d’autres pays d’Amérique Latine. On a très peu entendu les voix venant de ce Forum des jeunes, notamment les échos du projet Intergalaktika, ceux du Laboratoire de Résistance Globale. Malgré les deux morts liées à des vols, le caractère massif et en partie improvisé de ce campement des Jeunes a empêché qu’on le réduise à un Forum des “petits” ou des micro-partis.
Si notre objectif est de libérer le centre, de briser les miroirs (sans se blesser) afin que tous puissent en avoir un morceau pour réfléchir la lumière des autres, et pas seulement pour s’y regarder, peut-être faut-il faire davantage de place à ces deux questions dans le centre. Et penser davantage aux couloirs qu’aux salles de cérémonie.
Le mouvement des désobéissants
Il arrive parfois que la périphérie se rende en plein “centre”. Ce sont les meilleurs moments, ceux où l’espace se fait énergie. Et nos amis, invisibles pour le Forum, ont été un instant aperçus de tous. La contestation du Forum Parlementaire, animée par la très nombreuse délégation italienne (750 délégués enregistrés) a fait sa jonction avec les Argentins, paradoxalement moins nombreux (compte tenu sans doute de la proximité géographique), mais porteurs eux aussi d’une dynamique réellement constituante. Pris entre ces deux pôles constitutifs qui émergent, Gênes et Buenos Aires, le “centre” du Forum de Porto Alegre s’est révélé dans toute son ambiguïté : il s’est montré sous les avatars périphériques d’un socialisme développementiste beaucoup trop institutionnel et passéiste pour entamer la puissance de la globalisation, mais il a permis de nouer un mouvement des mouvements qui tire sa force de sa propre mondialisation.
Ce qui aura sans doute le plus marqué le Forum dans les esprits, c’est la compréhension qu’avec le drame argentin apparaît une radicalité autrement plus profonde. La dynamique en cours dans ce pays n’a pas été suffisamment jaugée dans les débats officiels, qui se sont contentés de dresser le constat d’échec des politiques du FMI. En fait, les événements d’Argentine ont d’ores et déjà disqualifié tout retour aux anciennes médiations corporatistes ou étatiques. La ritournelle que fredonne la multitude dans toutes les manifestations massives (Que se vayan todos = qu’ils dégagent tous !) ne saurait mieux s’approprier l’espace de représentation du pouvoir pour grandir. Dans les rues, sur les places argentines, la multitude ne se contente pas de montrer du doigt les politiques économiques du FMI et de la Banque Mondiale, elle vise tout autant l’étatisme et ses réseaux corporatistes en pleine faillite. C’est une pièce sur un scénario entièrement nouveau. Après la longue hégémonie de l’ordre corporatiste (le fascisme travailliste et syndical du péronisme), après celle de l’ordre étatique de la dictature militaire, après celle de l’ordre du marché et de sa technocratie, c’est le travail de la multitude qui apparaît comme le seul principe constituant. Loin de constituer un problème, la fragmentation de la classe ouvrière et de ses représentations syndicales représente la condition d’affirmation d’une multiplicité sociale d’autant plus capable d’actualiser la crise de l’État (y compris de ses forces armées) qu’elle peut transformer l’échec de la démocratie des techniques financières en un processus sans précédent de démocratie radicale. Des éléments de pouvoir locaux, en particulier l’émission par les régions de monnaies alternatives au peso et au dollar, trouvent dans les mobilisations de rue, dans les assemblées de quartier (assembleas de los vecinos) et dans les coordinations inter-quartiers (interbarriales) les espaces publics d’un travail commun. C’est ce nouvel espace commun qui se manifeste lorsque les coursiers offrent aux manifestations insurrectionnelles l’aide de leur connaissance du territoire urbain. Cette rationalité immanente, immédiate, est bien la seule capable de trancher dans le nœud gordien des équations de la dette et des taux d’intérêt. Naturellement, il n’y aucun déterminisme en tout ça. Un énième coup de force peut à tout instant réaffirmer le principe de l’ordre établi.
Un jour où l’autre, nous devrons mettre le cap sur le “centre”, nous devrons le traverser comme les manifestants argentins qui tapent sur les casseroles, ou qui forment des piquets quand ils marchent de leurs banlieues vers leur point de rassemblement. Le travail de la multitude, notre travail ou plutôt notre activité est d’opérer la jonction des périphéries pour qu’elles fassent exploser le “centre”, ne serait-ce que parce que nous ne pouvons accepter que toutes les bonnes volontés qui se sont employées à construire ce gigantesque espace chaotique et ridicule pour le mouvement des mouvements restent enfermées dedans. En Argentine, les habitants des quartiers aisés du centre de Buenos Aires ont appris des piqueteros comment bloquer les rues. Et les piqueteros ont compris l’importance de se penser au moins comme des voisins. Ils ont bloqué le réseau urbain, ils ont transformé sa physionomie d’espace marchand en vecteur d’auto-gouvernement. Le travail de la multitude, mieux son activité, consiste à réinvestir les espaces et les réseaux, à se les réapproprier, à les redéployer pour mieux réfléchir aux moyens concrets de subvertir l’injustice et la misère. Il vaut mieux d’ailleurs que le “centre” n’en sache rien. Il pourrait prendre peur. Nous ne lui dirons qu’au dernier moment.