A l'entour de la régulation. Débats et controverses.

Régulation : “operaismo ” et subjectivités antagonistes

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1. Introduction

L’essor de l’école française de la régulation, dans la deuxième moitié des années 1970, constitue une sorte d’extension disciplinaire des courants de pensée qui ont participé au renouveau du marxisme et à la relance de la théorie de l’antagonisme, dans l’Europe du deuxième après-guerre.
Les premiers travaux des jeunes économistes de la régulation ont repris et appliqué à l’économie la critique du marxisme orthodoxe développée par le structuralisme althussérien[[Voir à ce propos l’interview d’A. Lipietz, et l’article de C. Vercellone dans ce même numéro.. Par la suite, la lecture de l”‘operaismo” italien[[Cf. Les Quaderni Rossi et les ouvrages de R. Panzieri, M. Tronti, A. Negri. Nous utiliserons dans cet article le terme d’ “opéraisme” et d'”approche opéraiste” en faisant référence à ce courant néo-marxiste italien des années 1960. Voir aussi Y. Moulier-Boutang dans Le juge et le philosophe, Montréal 1985.
a contribué à placer les problématiques de la crise au coeur de l’analyse des économistes de la “régulation”.
Alors que le structuralisme althussérien transformait le dépassement de l’anarchie capitaliste en normalité déterministe, les régulationnistes s’efforçaient de mettre à jour les mécanismes qui permettaient la stabilisation de la croissance pour mieux en expliquer les causes de crise. Dans cette perspective, l’intérêt pour l’opéraisme italien était clair. Par sa spécificité historique (il s’est en effet développé au début des années 1960) et par sa dimension socio-politique (c’est-à-dire l’engagement actif de ses théoriciens au coeur des vagues de lutte des nouveaux ouvriers taylorisés), l’approche opéraiste présentait justement l’intérêt de privilégier l’analyse des éléments de contradiction et de crise du fordisme.
De cette manière, les économistes de la régulation pouvaient compléter leur travail de modélisation du fordisme et en expliciter les déterminants de crise. C’est dans la définition régulationniste de la notion de “rapport salarial fordiste” qu’on retrouve l’apport de l’opéraisme. L’objectif affiché par les opéraistes était en effet d’appréhender le régime d’accumulation tayloriste (l’OST) et ses formes de stabilisation dynamique (la répartition fordiste des fruits de la croissance et les différentes formes de planification keynésienne) à partir des rapports de forces qui s’établissaient entre capital et forces de travail.
Il est en effet indéniable que la notion régulationniste de “rapport salarial fordiste” rejoint pour bien des aspects celle, opéraiste, “d’opposition ouvriers/capital”. En réalité, ce point de contact cache aussi le clivage fondamental entre l’opéraisme et la régulation.
La notion de “rapport salarial” et celle de rapport “ouvriers/capital” ne sont pas équivalentes. Plus précisément, la première ne contient pas la seconde et n’en représente qu’une variante, dont la caractérisation ne peut avoir lieu qu’a posteriori. La notion régulationniste de “rapport salarial” privilégie, par définition, les moments d’harmonie sur ceux de conflit ; alors que celle, opéraiste, “d’opposition ouvriers/capital” se fonde sur les déterminations spécifiques de l’antagonisme entre les subjectivités qui constituent ces deux pôles.
Pour les régulationnistes, la dynamique du fordisme a été le fruit de la médiation entre capital et classe ouvrière. Leurs épigones n’auront par la suite qu’à franchir un petit pas pour réduire cette médiation aux institutions de régulation du marché des facteurs de production.
Chez les opéraistes italiens, le fordisme est toujours analysé comme une dynamique alimentée par la conflictuaIité qui ne cesse de le traverser.
Ce clivage pourrait sembler marginal. Ne proviendrait-il pas, tout simplement, du décalage historique entre un courant théorique et politique ayant pris corps au coeur du processus de développement (l’operaismo italien de la fin des années 1950 et du début des années 1960), et une approche ex post, marquée par la crise du fordisme et la quête d’une nouvelle harmonie de la croissance postfordiste ?
Bien au contraire, ce clivage est fondamental et recèle bien des enseignements quant à l’évacuation progressive. par la régulation, de tout effort résiduel visant à placer le travail théorique et celui de la recherche dans la perspective de la critique de l’économie politique. Si l’école de la régulation, née au coeur de la crise des années 1970, n’a cessé d’analyser et de décrire la stabilité du régime d’accumulation fordiste, c’est que les régulationnistes n’ont pas abandonné leur statut d’économistes, et ont été marqués à jamais par une sorte d’incontournable vocation à fournir des recettes globales, dont le destinataire ne pouvait être, et ne peut être, que le pouvoir. Ils n’ont jamais quitté la perspective dans laquelle le système français des Grandes Écoles les avait formés. De cette manière, tout en réduisant la dynamique de la subjectivité ouvrière aux déterminations institutionnelles de régulation des relations industrielles, les régulationnistes ont progressivement finalisé leur travail vers la recherche systématique de solutions viables à la crise du fordisme[[Cf. l’article de M. Husson dans ce même numéro.. Si, pour les pionniers de la théorie de la régulation, il s’est agi d’un aboutissement progressif, leurs épigones feront de la “mythisation” des “trente glorieuses” leur point de départ .
Dans la première partie de cet article, nous essaierons de montrer que l’épuisement de l’école française de la régulation, en tant qu’instrument critique, est étroitement lié à son caractère normatif. Malgré sa richesse et son utilité heuristique, le modèle fordiste fabriqué par les régulationnistes a fini par perdre tout caractère dynamique.
Dans une deuxième partie notre approche tâchera d’amplifier la critique de l’école de la régulation, pour souligner que ses limites ne concernent pas tant, ni seulement, son caractère “a posteriori”, mais bien plutôt la double réduction que contient la notion de “rapport salarial fordiste” .
La troisième partie sera consacrée à l’échec des différentes tentatives de refonte de l’école de la régulation par les greffes néo-institutionnalistes[[Notamment avec les travaux des Américains Piore et Sahel., et par les théories de l’innovation technico-scientifique[[Cf. les approches en termes de paradigme techno-scientifique, et les formalisations économiques proposées par les chercheurs du SPRU de Sussex..
Enfin, nous terminerons par une revalorisation des enseignements de l’approche opéraiste italienne, comme passage nécessaire pour la définition des problématiques que pose aujourd’hui la reconstruction d’une analyse en termes de composition de classes et de subjectivités antagonistes.

2. La formalisation de l’approche régulationniste: le fordisme comme modèle normatif

L’ancrage néo-marxien de l’ouvrage fondateur de l’école (parisienne) de la régulation[[M. Aglietta. s’était noué autour d’une hypothèse théorique centrale, selon laquelle les rapports sociaux qui structurent le capitalisme (rapport salarial, rapport marchand) revêtaient des formes et des articulations socio-économiques et juridiques historiquement déterminées. C’est à partir de la relation étroite entre forme des rapports sociaux et dynamique économique que s’est façonné le concept de “mode de régulation”. Or, cette démarche a abouti à une définition normative de la catégorie de forme institutionnelle. Peu à peu, les formes institutionnelles propres à un mode de régulation ont fini par coïncider avec les lois, les règles et les conventions censées leur conférer une harmonieuse cohérence. En ciblant l’analyse sur les moments d’unité. la régulation a donc laissé le champ libre à la formalisation abstraite des formes institutionnelles qui en constituent le soubassement. L’analyse quitte alors le terrain concret de l’articulation spatio-temporelle des formes de coopération, pour se diriger vers la recherche des modèles normatifs. Ce n’est plus le jeu hautement dynamique des conflits qu’il faut déchiffrer. Au contraire, ce sont les formes que ces ajustements prennent à un moment donné, dans un pays donné, qui deviennent les paramètres normatifs de la recherche. L’approche en termes de régulation aboutit donc à une sorte de formalisation statique et trompeuse. Notamment, lorsqu’on essaie de la transformer, d’une lecture ex post des harmonies des séries statistiques, dans le contexte pourtant très conflictuel de la croissance, en une affirmation de l’existence, ex ante, de règles et d’institutions dont la cohérence ne peut être que le résultat d’un méta-projet social, même s’il est purement objectif[[Cf. C.A. Michalet : “l’objectif de la régulation est la réalisation d’un équilibre entre le taux de croissance le plus élevé possible de la Production et la progression parallèle de la demande solvable… Cet équilibre doit être garanti par avance …ex ante et non pas ex post…” Les Multinationales face à la crise, PUF, Paris 1985, p. 14.. D’instrument de compréhension des formes complexes, tant sociales qu’institutionnelles, qui avaient caractérisé les politiques de stabilisation économique, la notion de “mode de régulation” se trouve ainsi réduite à un ensemble de règles formelles capables de servir de médiateur à toutes sortes de conflictualités, et de protéger le régime d’accumulation de la moindre possibilité de crise endogène.
D’où l’attention portée aux interprétations de la crise qui privilégient le déterminant pétrolier, voire les chocs exogènes. Le mode de régulation devient alors le succédané d’un mode de gouvernement, c’est-à-dire d’une gestion de l’économie assurant une médiation stable des contradictions propres au régime d’accumulation. Mais cette opération est pourtant insuffisante à effacer le déterminisme méta-historique que la “régulation” finit par réaffirmer. Comme “mode de gestion”, celle-ci se structurerait en effet à partir d’un ensemble de compromis surdéterminés par le système politique, et censés garantir les compatibilités économiques. Le “fordisme” en est réduit à devenir un modèle de croissance équilibrée tout court. La modèlisation-type du cercle vertueux fordiste, au lieu de rester un outil d’interprétation des enchaînements macro-économiques, se voit par conséquent conférer une réalité intrinsèque. Or, la réduction et la formalisation de la méthode sont encore plus évidentes dès lors qu’il s’agit d’élargir le champ de l’analyse au delà du cadre géopolitique qui en a été le théâtre. C’est ce qui apparaît dans un ouvrage de mise en perspective des phases de la croissance fordiste en Europe[[R.Boyer (sous la direction de) La flexibilité du travail en Europe, Paris 1986., et dont l’objectif déclaré est de cerner les spécificités et les transformations des “régulations nationales” dans la crise. Dans cet ouvrage, l’analyse comparative des spécificités nationales consiste en une série d’opérations de mensuration de la conformité de celles-ci au modèle canonique[[C’est une déviation de la méthode qui a amené. entre autres, au débat stérile. à l’intérieur même de l’école de la régulation, sur les succédanés du fordisme : fordisme périphérique, contrarié, retardé… . La méthode se recroqueville sur sa formalisation. La régulation devient un ensemble de règles qui organisent et mesurent l’activité économique selon une direction qui ne peut être que celle qui a été tracée par la “regula” d’un méta-projet social.
De la même manière que le modèle français avait, ainsi, été élu au rang de modèle fordien canonique, les post-régulationnistes multiplient aujourd’hui les efforts pour le remplacer par un cas national qui permette la formalisation du “mode de régulation postfordiste”. Que ce soit le “toyotisme” ou le “volvoïsme”, selon les différentes déclinaisons de la problématique, peu à peu, le débat se réduit à de simples opérations de mensuration de la conformité des différents modèles nationaux, face au modèle canonique naissant. Le déplacement paradigmatique est alors à la fois le fruit du déterminisme technologique et de l’évolution des formes de la concurrence.
Si la régulation affirme le caractère “non méta-historique” des luttes de classes, elle finit tout de même par rattacher ces dernières aux différentes expressions spatiotemporelles du rapport salarial. C’est de cette manière que les économistes de la “régulation” ont prétendu, d’emblée, prescrire les instruments qui permettraient d’obtenir la gestion du rapport salarial, en ce que celui-ci exprime la soumission stable de la force de travail au capital. Leur catégorie clé reste donc celle de salariat. D’où la facilité avec laquelle les vulgarisateurs ont fait de la “régulation” un synonyme de non-conflictualité, d’harmonie et de développement glorieux du capitalisme. La “régulation” s’est progressivement réduite à une sorte de canon mythique de l’équilibre (même s’il est dynamique). Sa quête serait donc censée capter toutes les énergies de la recherche. La formalisation post festum des harmonies de la croissance, dans les termes que nous venons de décrire, est de plus en plus utilisée ex ante, pour prévoir le mode de régulation qui doit se greffer sur le régime d’accumulation de cette fin de siècle.
Au lieu de mieux reconnaître le terrain des dynamiques sociales et économiques contradictoires dans la crise, on surestime ainsi tous les éléments qui pourraient faire penser à de nouvelles cohérences. La méthode adoptée s’attache donc surtout à définir et à cerner les formes institutionnelles derrière lesquelles on croit entrevoir les termes d’un “nouveau compromis social”. De cette manière, le travail théorique est réduit à une simple permutation du schéma fordien.

3. Les apports néo-institutionnalistes et les approches en termes de paradigme technoscientifique : la tautologie de l’économisme rejoint celle d’un techno-système autoréférentiel

L’opération de permutation décrite ci-dessus s’est faite sans tirer toutes les conséquences du déplacement paradigmatique qui était postulé, lorsqu’on parle d’espace postfordiste. La recherche des harmonies ne tient en effet pas compte du caractère incommensurable et constitutif dont le nouveau paradigme devrait être marque. Le “mode de régulation” coïncide alors nécessairement avec l’essor d’une phase de stabilité marquée par des compromis plus ou moins explicites entre le capital et le travail. La seule nouveauté, par rapport aux travaux de recherche sur les “trente glorieuses”, tient à l’adjonction des approches en termes de paradigme ou de techno-système. Le recours au paradigme a permis d’élargir le cadre d’un débat qui resterait, autrement. spécifique à l’école française de la régulation. L’enjeu a alors été celui d’appréhender les concepts qui permettraient l’analyse des cohérences nouvelles propres à l’essor d’une régulation postfordiste, en intégrant les mutations technologiques. La notion de paradigme implique un élargissement de l’approche épistémologique qui lui est spécifique, et la prise en compte du débat développé à partir de l’ouvrage de Thomas Kuhn[[T. Kuhn, La structure des révolutions scientifiques, Paris 1970. par les travaux des néoschumpeteriens de Sussex[[. G. Schmeder, Les interprétations technologiques de la crise, dans Critique de l’économie politique, Paris 1988., ainsi que par les institutionnalistes américains, et notamment par Piore et Sabel. Lorsque l’on raisonne en termes de paradigme, on ne peut pas éviter de définir les marges de commensurabilité des modèles qui peuvent se succéder, ainsi que la généalogie des déplacements paradigmatiques. En effet, on a souvent affaire à la séquence type suivante : le changement de paradigme a lieu par déplacement, sa “légalité” s’affirme dans l’évolution des techniques, et la “régulation” prend corps grâce à la permutation des compromis sociaux propres à l’ancien paradigme. Le mode de régulation fordiste est ainsi présenté comme un “socio-institutionnal frame” intégré au sein d’un paradigme techno-économique qui repose sur le triplet : auto – maison – électricité.
La régulation post-fordiste apparaît par conséquent comme le compromis qui devra se greffer sur la nouvelle trilogie technique.. microélectronique – biotechnologies – nouveaux matériaux. Il est clair que, dans cette approche, la “régulation se réduit au processus d’harmonisation d’une réalité qui lui pré-existe. Elle est soumise à l’autoproduction du système teclmique[[Cf. G. Hottois, Le signe et la technique, Paris 1984.
, et au déterminisme de la technologie. La transformation des rapports de production se fait donc par une sorte de “déplacement évolutif”, où l’ambiguïté entre ces deux termes ne fait que refléter celle de leurs références épistémologiques, c’est-à-dire aussi l’ambiguïté de la critique qu’adresse T. Kuhn au positivisme des théories de la connaissance: une critique qui n’arrive pas à se détacher de son propre positivisme[[Cf. I. Prigogine et I. Stengers, La nouvelle alliance, Paris 1979, p. 281 à p. 384, J.L. Le Moigne, “Science de l’autonomie et autonomie de la science”, dans L’autoorganisation. Colloque de Cerisy, Paris 1983, notamment p.526 : “…Cette thèse reconstruite sur le modelé de la succession des paradigmes par T. Kuhn, trente ans plus tard, devait, revenant dans la pensée positiviste, suggérer enfin une sorte de théorie de la relativité des épistémologies…”. Par ailleurs, l’absence de rapports de causalité trouve son explication dans les références systémiques par lesquelles les économistes de Sussex ont remplacé la figure de l”‘animal” entrepreneur de J. Schumpeter[[Grâce aussi aux travaux d’histoire des techniques de B. Gille, Histoire des techniques, Paris 1978..
Il existerait donc un nouveau système de cohérences techniques (et productives), mais il n’arriverait pas, à lui seul, à fonder une cohérence globale, pour permettre de sortir de la crise, ou l’épanouissement d’un nouveau paradigme. Alors que les “régulationnistes” utilisaient la notion de paradigme pour renforcer le caractère “unitaire” de la notion de “mode de régulation”, les approches en termes de techno-système utilisent ici la notion de régulation afin de répondre aux questions sociales et institutionnelles que le système technique en place laisse ouvertes. Ce dernier, pour se stabiliser, aurait besoin “d’une” régulation. C’est parce que “il y a le besoin d’une nouvelle forme de régulation” qu’il faut “politiser le processus d’innovation[[J. Roobeck, ibid.”. Selon cette approche, la donnée fondamentale tient au déplacement du paradigme technologique. Les rapports sociaux sont donc soumis au déterminisme technologique. Les rapports économiques sont censés être déterminés à partir des conditions techniques de la production, voire de l’extraction de la plus-value.
Dans cette perspective, une contribution fondamentale est celle de Piore et Sabel, qui proposent une sorte de refonte de la théorie du paradigme avec les approches économiques et institutionnelles de la croissance. Ces deux auteurs font remonter la formation des mécanismes de stabilisation micro et macro-économique à la prééminence d’un modèle industriel sur un autre. Pour eux aussi, le mode de régulation est déterminé essentiellement par les conditions de la production, et par leurs impératifs.
Pour ce qui concerne le fordisme, le coeur de leur analyse repose sur la genèse de la “production en série”. La mise en perspective historique de l’essor de la production en série doit permettre de “comprendre comment une technologie particulière en est arrivée à dominer la production industrielle”. Pour Piore et Sabel, cette solution n’a été ni inévitable, ni universelle. Au contraire, il s’est agi d’une solution spécifique, dont l’universalité découlait des inerties paradigmatiques qu’elle a entraînées. Cette inertie résultait de l’interaction complexe entre le système technique et les impératifs économiques dont il est l’origine. “Une fois posées les voies ferrées, il n’était plus temps d’épiloguer sur la complexité de leur origine. Elles constituaient elles-mêmes une industrie qui utilisait une technologie à coûts très élevés, et ce n’est pas leur histoire, mais la ventilation des coûts qui déterminait la logique d’exploitation!”. A la base de la bifurcation paradigmatique, il y avait donc le déterminisme technologique des coûts fixes. La dimension incontournable du paradigme est ainsi relativisée, car “loin d’être déterminé par une forme unique, le déterminisme technologique, affirment-ils, peut prendre de nombreux aspects, et ce sont les hasards de l’histoire qui décident à certains moments cruciaux laquelle ou lesquelles de ces formes de déterminisme une société donnée est vouée à subir de façon durable[[Piore et Sabel. ibid.. p. 34. C’est d’un progrès sans qualités que Piore et Sabel parlent ; “on n’arrive jamais à trouver une raison suffisante pour que les choses aient tourné comme elles l’ont fait ; elles auraient bien pu tourner autrement ; les événements n’ont été que rarement l’émanation des hommes, la plupart du temps … ils leur sont simplement tombés dessus à un moment donné”, R. Musil, L’homme sans qualités, p. 205 de la traduction française.”. Or, Piore et Sabel n’acceptent un tel déterminisme qu’à condition de le compléter par une analogie avec l’approche de T. Kuhn, auquel ils empruntent son concept de “légalité” du paradigme. La légalité du paradigme est octroyée par le consensus de la communauté scientifique, celui-ci se faisant dans la mesure où la nouvelle idée révolutionnaire (qui vient de résoudre la crise de l’ancien paradigme) permet de “mettre de l’ordre là où régnait la confusion[[Piore et Sabel, ibid. p.66. 3. T. Kuhn, ibid. p. 68.”. Au plan économique son orthodoxie se forge autour des percées technologiques qu’il permet. C’est donc du dynanisme technologique de la production en série que sont nées les conditions de sa paradigmatisation.
Ainsi, le tournant a été véritablement franchi lorsque “la production en série (a exigé) des industriels qu’ils consentent de gros investissements en matériels hautement spécialisés, et des travailleurs qu’ils se contentent d’une formation plus étroite[[Piore et Sabel, ibid. p.46.”. Piore et Sabel nuancent les approches classiques, ou bien marxistes, d’une vision alternative de la notion de “dualisme”. Ils parlent de l’idée paradoxale selon laquelle, “de par sa logique même, la production en série allait de pair avec une autre forme de production qui était son contraire[[Ibid.”. Cette autre forme de production était son “contraire” car elle n’aboutissait pas au même rapport inéluctable entre les coûts fixes et les coûts variables : il s’agit de la production artisanale de petite dimension, dont les marges de flexibilité technico-économique étaient à même de suivre les fluctuations du marché sans pertes considérables. La production artisanale n’est en effet pas spécialisée, affirment-ils, mais souple.
En somme, Piore et Sabel admettent bien que le progrès n’a pas une direction prédéterminée, que les rapports de forces jouent un rôle décisif; mais cela ne les empêche pas d’affirmer une autre sorte de déterminisme. L’inertie est interne au paradigme, mais pour autant, elle n’en est pas moins inéluctable. L’affirmation du paradigme se fait donc par la propagation économique des inerties provoquées par la traduction comptable des choix d’investissement. Une fois encore, “le centre de gravité de la responsabilité n ‘est plus l’homme, mais dans les rapports des choses entre elles[[R. Musil, ibid. p.234.”. L’hétéronomie de la production technologique est utilisée simplement afin d’introduire la notion de dualisme. Le déterminisme de la technique n’est pas dépassé. Son caractère absolu est tout simplement internalisé dans la légalité économique du paradigme. “Ainsi la conjonction des facteurs qui prédominent, au point de bifurcation de l’histoire technologique de l’économie d’une nation, continue à modeler son devenir[[Piore et Sabel, ibid. p.68.”. Chez Piore et Sabel, l’orthodoxie du nouveau paradigme, devenu hégémonique, n’efface par conséquent pas les autres trajectoires technologiques. Le retour des techniques de production souples, et de petites dimensions, démontrerait la réversibilité de l’évolution du techno-système. Mais il ne s’agirait pourtant pas d’une véritable réversibilité du paradigme : les paradigmes ne sont que des noeuds de cristallisation de trajectoires techniques, dont l’évolution est considérée comme indépendante de leur caractère plus ou moins hégémonique. Ainsi, pour Piore et Sabel, la relance des productions flexibles ne serait que la “redécouverte de la survivance de la production artisanale”. Il ne s’agit donc pas d’une réversibilité des mutations, mais du déplacement latéral des noeuds de bifurcation, selon les déterminants économiques de la période. La grande firme industrielle ne devrait ainsi sa fortune qu’à sa capacité à être, à la fois, l’origine et la conséquence des mécanismes de stabilisation économique définis soit par les politiques économiques keynésiennes, soit par les conventions plus ou moins explicites.
Tout en la relativisant, Piore et Sabel réaffirment donc l’idée d’un système technique qui s’autoproduit. Leur déterminisme fait penser à un processus d’auto-production de la technique dont l’énergie découlerait de la dynamique endogène du système. Pour éviter que leur construction théorique et empirique ne s’écroule, ils font fonctionner un deuxième postulat, tout aussi arbitraire que les précédents: celui d’une séparation nette entre les différentes articulations productives et géographiques des diverses trajectoires technologiques. Le dualisme qu’ils postulent est un dualisme universel, dans l’espace comme dans le temps. Il concerne les techniques, les logiques et les formes de la coopération, les articulations spatiales du marché et de la production, ainsi que les racines historiques de ses trajectoires. Ainsi, l’histoire dont parlent les institutionnalistes est-elle dénuée de tout sujet, comme de toute détermination qualitative des origines et des résultats des métamorphoses techniques et économiques. De cette manière, les formes de production hétérogènes, par rapport au modèle de production en série, apparaissent comme le résultat combiné des stratégies des firmes. et du retour à des traditions familiales et artisanales. Les recherches menées par les institutionnalistes italiens sont citées en exemple, notamment les travaux de A. Bagnasco sur les manifestations géographiques du développement italien[[A. Bagnasco. Le tre Italie. Bologna 1977.. La synthèse de ces apports a lieu dans la tentative d’analyser la crise du fordisme, telle que la présente par exemple l’ouvrage dirigé par R.Boyer sur le flexibilité en Europe[[R. Boyer (sous la direction de). La flexibilité en Europe. Paris 1986.
. Une fois encore, l’abandon rapide du néo-marxisme a empêché les auteurs de cerner le rapport étroit qui s’établit entre la détermination objective, capitaliste, de la force de travail, et sa recomposition en termes de classe, c’est-à-dire en tant que sujet qui n’existe qu’en échappant aux règles et aux normes censées régir les rapports de production. Cela est inévitable, dans la mesure où ils n’ont pas tiré toutes les conséquences du caractère non harmonieux du partage du pouvoir dans les grandes entreprises. Bien sûr, l’histoire et les traditions jouent un rôle important, mais ce rôle doit être analysé à partir des phénomènes nouveaux, et dans ce cadre. Notamment, il faut tenir compte des difficultés que peut rencontrer le système de partage du pouvoir, sur les lieux de travail, pour asseoir son autorité. Ces difficultés découlent, entre autres, du caractère subjectif des mouvements qui le traversent. La recomposition subjective des ouvriers, massifiés par le paradigme de la production en série, a mis en crise le travail et le rapport qu’on entretient avec lui comme activité “en miettes”, séparée du reste de la société. Le recours à la famille ou aux transferts sociaux, les PME ou les ateliers robotisés, la concentration financière ou le rôle croissant des investissements d’aménagement du territoire. n’ont représenté ni des réponses homogènes, ni l’essor d’un autre paradigme (celui de la spécialisation souple), mais la forme prise par un clivage incontournable, qui empêche de bâtir un compromis réel dans le partage du pouvoir, sur les lieux de travail. Le déplacement “paradigmatique” qui avait lieu avec l’essor du “fordisme” n’a pas concerné simplement le passage de la production artisanale à celle en série, mais le rapport même au travail. Les conflits n’ont plus eu lieu autour des instruments de contrôle des forces productives, mais entre le travail et les comportements de refus du travail, entre l’emploi et l’absence d’emploi, entre la valorisation du capital et l’autovalorisation de la classe. Ensuite, dans la phase de maturité du fordisme, les luttes et les comportements conflictuels ont échappé progressivement à la logique revendicative. et donc à celle de la négociation.

Les objectifs ont alors eu tendance à coïncider avec les pratiques. L’obtention d’un accord sur la réduction de la durée du travail, peu à peu, est devenue aussi importante que la capacité directe à utiliser une part de plus en plus grande du temps passé “en usine” à affiner l’organisation de la subjectivité ouvrière, et à articuler le temps selon des logiques différentes ; par exemple à travers le double travail, ou à travers le temps libre tout court. Ce n’étaient plus (ou plus seulement) les accords négociés qui comptaient désormais, mais les rapports de forces qui permettaient d’éviter le contrôle fiscal des arrêts de maladie, de dissuader les cadres de chronométrer la chaîne, de multiplier les occasions conflictuelles dans le seul but d’élargir les espaces d’indépendance.. une indépendance physique et sociale, bien davantage encore que salariale.
C’est précisément à partir de la dynamique des conflits qui ont traversé la production comme la reproduction (à partir, donc, des caractéristiques sociales des comportements ouvriers), que l’on doit analyser l’essor des réseaux de PME, et le type de bataille qui a eu lieu pour imposer les règles de la valorisation capitaliste, dans les espaces (les territoires des réseaux de PME notamment) où prévalait l ‘auto valorisation ouvrière.
Les approches institutionnalistes, dans toutes les variantes “dualistes” et “paradigmatiques”, aboutissent ainsi à un double renversement. Afin de transformer le phénomène de la décentralisation productive en un nouveau paradigme, elles sont obligées de la faire dériver de l’histoire longue des traditions remontant à quelques siècles. Cela permet en effet d’évacuer l’enquête sur les déterminants propres à la crise du “fordisme”, et sur un nouveau mode de production, dont les caractéristiques ne seraient pas seulement prédéterminées par la trajectoire techno-institutionnelle, mais aussi par les conflits et les rapports de forces qui le traversent et le déterminent. Ce n’est pas le retour à des traditions qui peut expliquer la résurgence, aussi soudaine qu’improbable, du nouveau paradigme. La généalogie du nouveau paradigme réside dans la crise de l’ancien.

4. La double réduction régulationniste des conditions sociales du régime d’accumulation

A notre sens, l’approche régulationniste est à la fois la victime et le moteur d’une double réduction :
– une première réduction a en effet lieu au niveau de l’aplatissement de la notion de subjectivité ouvrière antagoniste sur la catégorie de salariat et de force de travail. Le diagramme social, et par définition antagoniste, de constitution et de transformation, au quotidien, des rapports de forces entre capital et classe, n’intéresse pas (ou plus) une approche économiste ; approche dont l’horizon social et historique est affreusement restreint à une vision purement formaliste des jeux institutionnels. Le jeu subtil qui s’établit entre normes implicites et normes explicites leur échappe donc, et la prise en compte des contradictions sociales se limite par conséquent à l’analyse des formes d’organisation syndicales, à savoir celle des normes institutionnelles, explicites, de négociation du salaire comme prix du travail.
– une deuxième réduction. peut-être la plus grave, est celle qui hypothèque lourdement, aujourd’hui, l’évolution et le renouvellement de l’école française de la régulation. Cette réduction a lieu au niveau du rapport hiérarchique. que les régulationnistes finissent par affirmer comme immuable, entre le régime d’accumulation (tayloriste) et le mode de régulation fordiste. La “régulation” s’enferme en effet dans l’enceinte de l’usine et n’en sort que par le biais de l’analyse des institutions selon une notion du politique qui érige l’Etat au rang d’unique acteur digne de l’attention de la recherche économique.
Dans cette perspective. le clivage entre “école française de la régulation” et “approche opéraiste italienne” apparaît dans toute son actualité. Les implications et les enjeux de cette double évacuation de la théorie de la subjectivité antagoniste se dessinent très clairement, grâce aux jeux de contraste que l’on peut faire apparaître par la comparaison systématique de ces deux approches. Comme nous l’avons déjà remarqué, la notion de “rapport salarial” et celle de rapport “ouvriers/capital” ne sont ni identiques, ni équivalentes.
La notion régulationniste de rapport salarial est en effet coextensive aux relations professionnelles dans l’entreprise.
Elle ne peut en aucun cas en dépasser les grilles. Lorsque le rapport salarial “sort” de l’usine tayloriste, c’est parce que l’usine s’est décentralisée sur le territoire. Il s’agit toujours d’un rapport social noué autour d’une réalité productive étroitement encadrée par les combinaisons des facteurs capital et travail. Les conditions de la production occupent alors inévitablement l’horizon totalisant de la recherche.
La notion opéraiste d’opposition constitutive ouvriers/capital peut offrir, au contraire, la possibilité d’échapper à l’enceinte de l’usine. Chez les opéraistes italiens, la croissance fordiste est à la fois entravée et propulsée par l’affrontement entre deux sujets, dont l’ontologie antagonique s’affirme comme soumission (de la force de travail au capital), et comme autonomie (de la classe ouvrière contre le capital). De cette manière, l’analyse de l’antagonisme ouvriers-capital peut se propulser du processus de production à celui de reproduction, de l’usine à la société.
Pour les régulationnistes, le compromis fordiste est le résultat d’une stabilisation économique qui se produit nécessairement au niveau de l’usine. Toute contradiction peut ainsi être résorbée dans la logique de la production et de son dispositif tout-puissant, celui-là même qui assure l’obtention des gains de productivité. En effet, dans la modélisation canonique du fordisme bâtie par la régulation, la véritable clé de voûte, en tant qu’instrument essentiel d’harmonisation du rapport salarial, est la clé de la productivité. C’est elle qui permet un partage optimal de la valeur ajoutée entre capital et travail, et donc le bouclage macro-économique de l’offre et de la demande. La planification keynésienne n’intervient que de manière complémentaire, pour faciliter l’optimisation de la demande effective vers les niveaux de plein emploi. Finalement, dans cette perspective, “consommation” et “production” deviennent les deux pôles, équivalents, d’un processus dialectique produisant une synthèse neutre, c’est-à-dire le rapport salarial. Ce faisant, les régulationnistes oublient qu’en réalité, le rapport salarial fordiste se fonde sur la soumission des comportements de consommation à la loi de la valeur, à l’accumulation. Que cette hiérarchisation ait permis de bannir, pour toute une période, les crises de surproduction n’enlève rien à son caractère fondamental: celui d’étendre à la société entière l’expropriation capitaliste de la richesse socialement produite. De fait, la cohérence fordiste repose sur l’universalisation sociale de l’ordre tayloriste qui règne au sein de l’usine.
A l’inverse, pour l’opéraisme, la médiation du rapport de classe n ‘est pas neutre, car la recomposition politique de la classe ouvrière ne s’opère pas dans le capital, mais en dehors. L’opéraisme insiste en effet sur la dichotomie évacuée par l’approche en termes de régulation : celle qui sépare la catégorie de force de travail (détermination objective du rapport de capital) de la notion marxienne et thompsonienne[[E.P. Thompson. dans The Making of English Working Class, oppose justement le “making”, l’antagonisme constitutif. au “rising” de la classe ouvrière de la tradition marxiste orthodoxe et socialiste, Thompson affirme clairement que la classe ouvrière ne lutte pas parce qu’elle existe, mais elle existe parce qu’elle lutte.
de classe ouvrière; la classe ouvrière ne lutte pas parce qu’elle existe, mais elle existe dès qu’elle lutte, elle est le fruit d’une métamorphose dont la force de travail n’est pas nécessairement la chrysalide. Subjectivité et autonomie deviennent alors les conditions essentielles d’une nouvelle théorie de la classe. Des bases nouvelles sont jetées, afin de penser les rapports sociaux de production et de répartition de la richesse sans passer par le rapport de capital. Ce dernier peut enfin être privé du caractère progressiste que l’idéologie positiviste du marxisme officiel n’avait pas cessé de lui attribuer, en tant qu’étape nécessaire de l’inévitable développement des forces productives. Finalement, l’opéraisme italien explique l’essor du taylorisme comme le résultat des luttes des classes. Il y a rapport ouvriers-capital là où la soumission de la force dé travail s’avère toujours instable. En d’autres termes, l’anticipation ouvrière sur le capital fait de la notion opéraiste de fordisme une conjuration continue de la crise. Pour les opéraistes italiens, les conflits et les contradictions sont internes, et non externes au mode de régulation. Tandis que chez les régulationnistes la clé de voûte de la modélisation est la médiation des oppositions qui la constituent, chez les opéraistes c’est cette opposition elle-même, surtout lorsqu’elle n’est pas médiatisable, qui est au coeur de la recherche, Ainsi, dès lors que les termes (notamment institutionnels) de celle-ci n’atteignent pas un certain degré de stabilité, la méthodologie régulationniste perd en incisivité, et finit par ériger au rang de modèle les performances de l’appareil industriel d’un pays. C’est précisément ainsi que la “régulation” laisse la porte grande ouverte à l’apologie d’épigones partis à la recherche de nouveaux modes de stabilisation macroéconomique. La double réduction des conditions sociales du régime d’accumulation aboutit alors à deux limites majeures :
– premièrement, la théorie de la régulation étant incapable de pousser la critique de l’économie politique à la lisière du débat et des recherches sur les formes nouvelles de la subjectivité de classe, elle ne peut pas dégager un paradigme de l’antagonisme qui, seul, permettrait de structurer le débat sur les espaces du pos-fordisme.
– deuxièmement, en enfermant son modèle dans la séparation rigide des moments de production de ceux de la circulation/reproduction, la méthodologie régulationniste est impuissante face à son utilisation comme rhétorique de la finalisation cynique de toute aspiration de transformation, sous la coupe d’une métaphysique de la contrainte extérieure. Depuis l’échec de la relance keynésienne de 1981/1982, bien des économistes éclectiques ont réduit la richesse de l’analyse régulationniste à une pragmatique de l’adaptation compétitive de l’appareil productif français. C’est la contrainte extérieure qui a été érigée au statut de “méta-institution de régulation”. Sous sa protection incontournable, fusent ainsi les justifications tautologiques d’un refus de desserrer les politiques économiques (voir, à cet égard, le cas d’un ancien régulationniste comme J. Mistral, qui vient à la rescousse des chantres de la religion de l’équilibre budgétaire), ou à réarticuler le partage de la valeur ajoutée (avec notamment l’intervention de M. Aglietta dans les colonnes du “Monde”, pour justifier le maintien de l’équilibre, compte tenu de l’absence de clé de productivité; absence invoquée comme l’incontournable signe des cieux indiquant que… la crise serait finalement dépassée). Dans ce contexte, le nouveau contractualisme souhaité par M. Aglietta relève tout simplement d’un bruit de fond, face à une dynamique compétitive dont l’indicateur fondamental, la balance des échanges commerciaux, implique nécessairement un déséquilibrage pour l’un des grands partenaires économiques d’un pays, et donc un bouclage macroéconomique seulement partiel et hautement instable. Que le Japon soit le plus performant à ce jeu n’empêche pas que, si les Américains et les Européens ne lui achètent pas ses voitures excédentaires, son économie puisse rencontrer de sérieuses difficultés.
La bataille engagée par une bonne partie des anciens régulationnistes, pour éviter qu’une nouvelle répartition de la valeur ajoutée sur les salaires n’affecte la formation des capitaux nécessaires au maintien de l’investissement, est donc une bataille d’arrière-garde. La chute des investissements, qui a tout de même fait suite aux luttes sociales qui avaient ouvert ce débat, démontre bien que les vraies questions sont ailleurs. L’enclenchement d’une nouvelle boucle vertueuse ne saurait se passer de la découverte de nouveaux sujets productifs pouvant, le cas échéant, générer des gains de productivité. Encore faudrait-il que ces sujets collectifs capables de relancer la dynamique de la productivité présentent des caractéristiques objectives, qui permettent la permutation de la dialectique “positive” du développement, par leur intégration dans les formes nouvelles de planification capitaliste. Or, rien n’est moins sûr. Au contraire, tous les indices dont nous disposons à ce jour tendent à montrer qu’une contradiction insoluble se noue autour de formes de coopération sociale, dont l’efficacité productive est coextensive à l’indépendance subjective. Le nouveau paradigme de l’accumulation, pour s’affirmer en tant que nouvelle légalité, doit par conséquent arriver à résoudre son énigme essentielle : comment reinjecter dans le cycle économique une subjectivité productive et innovante, tout en contrôlant sa dimension collective, sociale et indépendante ?
Les solutions apportées jusqu’à nos jours ne sont que partielles, et se fondent sur un effort extrême : il s’agit d’escamoter la perte de toute objectivité de l’accumulation, par le biais tout à la fois de l’extension sociale du régime d’usine, et de l’amplification démesurée des niveaux d’accumulation (concentration, financiarisation), dans une tentative désespérée d’attribuer au capital le statut d’une deuxième nature.
Il est donc bien vrai que l’opéraisme et la régulation présentent certaines limites structurelles communes. Mais ces deux approches divergent tout de même profondément, dès lors que l’on veut s’en servir pour cerner les déterminants socio-économiques de la crise.
En fait, la notion d’antagonisme ouvriers-capital peut dépasser les frontières propres au “rapport de production”. Celle de “rapport salarial” est au contraire coextensive à ce dernier, et donc, inutilisable dès lors que la dynamique économique et sociale échappe aux limites de l’usine tayloriste. Le concept de rapport antagoniste entre ouvriers et capital permet, lui, d’anticiper l’analyse du nouveau lien qui s’établit entre l’usine et la société, car il tient compte de l’évolution du régime qui unit les conditions de production et celles de reproduction. Inversement, la notion de “rapport salarial” ne peut être utilisée au niveau de la société que dans la mesure où le processus de subsomption réelle a déjà eu lieu. C’est pour cela que les formes de production alternatives à celles de la grande industrie peuvent apparaître à certains régulationnistes comme un “nouveau mode de production”, qui n’attendrait que d’être régulé. Ils ne voient pas, pourtant, le déplacement qualitatif (et incommensurable) qui peut se cacher derrière ces transformations de la contradiction entre valorisation du capital et autovalorisation des salariés.

5. L’indispensable retour à l’analyse de subjectivité antagoniste

Sortir des impasses de l’économisme signifie restituer, au coeur de la recherche, la problématique de la subjectivité antagoniste, et celle des contradictions où elle se constitue. C’est dans cette perspective que le retour aux enseignements de l’opéraisme peut être très utile. Les premiers opéraistes italiens affichaient clairement leur engagement politique. Leur objectif était d’interpréter le nouveau régime d’accumulation à partir dit point de vite de la nouvelle classe ouvrière. Il ne s’agissait donc pas d’arrimer l’analyse au simple constat de la capacité du capital à conjurer la crise par des formes appropriées de régulation. La définition des notions de “composition de classe” (chez les “opéraistes” ) et de “rapport salarial” (chez les régulationnistes) répondait à la nécessité théorique de rendre compte des modifications historiques du capitalisme, sans tomber dans une pure description phénoménologique. Mais, alors que l’école de la régulation analysait le rapport salarial pour cerner de quelle manière il assurait la logique des régularités fondant l’évolution des rapports existants[[Ce faisant, le structuralisme régulationniste finit par reconstituer un “point de vue supra-historique, une histoire qui serait l’unité de la diversité enfin réduite du temps”, J. Revel, “Foucault: l’apprentissage de la déprise», Magazine Littéraire, avril 1992.
, l’approche en termes de “composition de classe” renversait la dynamique de la croissance pour en faire un indicateur de la force de la nouvelle classe ouvrière. La boucle vertueuse de la massification synchrone de la production et de la consommation ne pouvait être axée que sur la récupération permanente, par le capital, de l’antagonisme ouvrier. La crise est toujours présente: elle n’est dominée que grâce à la consolidation du pouvoir du capital collectif, c’est-à-dire de l’État-Providence
Cet écart de la théorie de l’opéraisme italien par rapport aux autres courants du renouveau du marxisme (et du keynésianisme) était dû à un monisme causal, qui fondait l’a priori de l’affirmation de la primauté ouvrière sur le capital[[Y. Moulier-Boutang, introduction à A. Negri, The Polilies of Subversion, London 1989., Ce faisant, l’opéraisme n’échappait pas pour autant aux pièges d’une vision fonctionnelle de la lutte des classes. Il a ainsi fini par faire de l’autonomie ouvrière la condition essentielle du développement. L’opéraisme, tout comme l’école de la régulation, a donc été marqué par un certain degré de fonctionnalisme. .
En fait, l”‘opéraisme” avait bien souligné que les conditions de réabsorption de la classe ouvrière au sein du rapport de capital n’étaient pas assurées une fois pour toutes (par exemple par un décret, par une loi ou par la signature d’un accord syndical). Mais il n’a pas poussé jusqu’au bout ce déplacement. Le renouvellement en continu des conditions de contrôle du rapport salarial, afin de conjurer les mille pratiques de négation de ce même rapport par la subjectivité ouvrière, est en effet déterminé par une rupture de la dialectique qu’ils ne saisissaient pas, entre notion de classe ouvrière et catégorie de force de travail. En réalité, les efforts du capital collectif (État-Providence) pour contrôler socialement les mouvements de la classe ouvrière ne découlaient pas seulement de l’irréductibilité subjective du travail vivant, par opposition au travail mort (dans la production), mais de la crise des conditions mêmes d’objectivation qui assuraient, au niveau social, la reproduction de la dialectique ouvriers/capital. Ce qui rentrait progressivement en crise, c’était le processus d’objectivation de la force de travail qui, seul, permettait au capital social de rendre compatible la subjectivation de la classe avec son propre contenu. C’étaient les conditions sociales de contrôle du marché du travail qui s’enrayaient, par une véritable anticipation non-médiatisable; c’est-à-dire celle qui était déterminée par un processus de subjectivation ne s’exprimant plus seulement dans le rapport de production, mais immédiatement, au niveau des conditions de reproduction de la force de travail. Le cas italien est, en ce sens, exemplaire. Ce qui rendait, dans ce pays, les efforts d’intégration (de la classe) et de stabilisation (macro économique) inefficaces avant la lettre, ce qui a également rendu désuètes toutes les différentes tentatives de mise en place d’un compromis fordiste explicite[[Cf. G. Cocco et C. Vercellone. La constitution du rapport salarial fordiste en Italie, Cepremap, Paris 1991 (polycopie)., ce n’était pas tant l’arriération du système institutionnel, que la recomposition sociale des formes de subjectivation de la classe ouvrière, dès les années 60. La constitution de la classe, par la négation de son rapport au travail mort, s’est donc conjuguée avec l’incapacité capitaliste à séparer cette dynamique de celle de la reproduction sociale de la “marchandise” force de travail. Autrement dit, la subjectivation de la classe a eu lieu aussi dans la société, avant même la soumission aux rapports de production. Dès lors, le “chemin correct de l’analyse théorique” n’était plus celui indiqué par Tronti, “de l’usine à la société et à l’État[[M. Tronti, ibid. p. 69.”, mais celui qui va de la société à l’État et à l’usine.
De ce point de vue, le cas italien ne présente que la spécificité d’une anticipation du terrain de la crise du fordisme, en tant que crise sociale. Dès les années 1950, il n’était plus question de la transformation d’un rapport, entre ouvriers et capital, restreint à la dimension de l’usine tayloriste, mais d’une transformation élargie à la société. La nouvelle contradiction n’était pas due qu’au passage linéaire d’une composition de classe à une autre (de l’ouvrier professionnel à l’ouvrier-masse-taylorisé et ainsi de suite. ad infinitum), mais à un saut qualitatif et incommensurable. La contradiction ouvriers/capital passait essentiellement par les conditions sociales de reproduction de la force de travail. En effet, “pour comprendre comment fonctionne la grande usine, l’operaismo (avait cerné deux phénomènes) essentiels : le caractère essentiellement social du pouvoir du capital (et donc) de l’exploitation, (car) le pouvoir du capital s’exerce avant tout comme pouvoir de la société tout entière, de la planification des grands équilibres, de la science[[Y. Moulier-Boutang, ibid. p. 18 et 19. “. Mais alors, ce qui devenait central, c’était la mobilité sociale et territoriale de la main-d’oeuvre, notamment pour celle qui était habituée à utiliser l’émigration[[L’émigration peut être analysée comme un “exodus”. L’exemple récent de la force déstructurante de la fuite des Allemands de RDA est saisissant. M. Waltzer (Feltrinelli, Milano 1986) voit dans l’exode “la transformation radicale de l’existence”. Chez P. Hirschmann (dans Lealtà, defezione, protesta) “l’option sortie (abandon dès que possible d’une position désavantageuse) peut constituer une voie plus radicale et plus importante que celle de l’option-protestation”. La “défection” est une catégorie essentielle pour comprendre les termes de recomposition des forces de travail en classe ouvrière, en subjectivité antagoniste. comme moyen de se garantir un niveau de consommation stable. “Le problème essentiel du système industriel n’était pas l’ajustement d’une structure productive et d’une qualification individuelle de la main-d’oeuvre, mais la fluidité sociale des quotas de «primo-migrants» continuellement introduits[[T. Sawyer, dans Critique de l’Économie politique, n° 4, Paris 1979.”. C’est à partir de ces constats que l’affirmation opéraiste, selon laquelle il fallait partir des luttes ouvrières pour expliquer le développement du capital, pouvait se trouver complétée, au sens où les luttes sociales n’étaient plus seulement un moteur du développement, mais aussi une occasion de panne. C’est finalement à partir des mouvements de la force de travail que l’on pouvait donc expliquer les mouvements du capital.
Or, si le processus de reproduction sociale de la force de travail donne lieu à des logiques indépendantes de sa reproduction en tant que “marchandise”, c’est-à-dire si, en d’autres termes, nous avons affaire à des phénomènes de subjectivation de ces mêmes forces de travail déjà dans le marché du travail, alors la maîtrise du lien de production et de reproduction échappe aux déterminations du marché, et à la logique de valorisation du capital. C’est donc à partir de sa capacité à faire prévaloir ses formes de valorisation dans toute la société, que le capital peut parvenir à surmonter l’antagonisme, l’opposition avec le travail vivant, sous sa forme subjective de classe ouvrière. Une opposition qui a déjà lieu dans le marché du travail.
Les “opéraistes” avaient bien cerné la dialectique serrée qui formait le rapport de capital. Celui-ci ne pouvait se reproduire que par la reconduction des luttes ouvrières à l’intérieur de son propre développement. Mais la transformation des luttes en vecteur du développement du capital n’avait pu s’opérer qu’au prix d’un évolution constante de la composition organique obtenue par l’innovation technologique et par l’extension des normes de valorisation capitaliste à la société tout entière.
Les “opéraistes” n’avaient pas tiré toutes les implications du déplacement du rapport de l’usine avec la société. S’ils avaient saisi la portée objective (l’extériorisation du processus de production par la décentralisation productive) il n’en allait pas de même pour la notion de composition de classe, comme catégorie visant à rendre compte de la dimension d’agent actif. de sujet historique et politique de la classe ouvrière. C’est sans doute pourquoi la notion d’ouvrier massifié n’a pas subi chez eux de refonte alors qu’ils analysaient la restructuration de la production[[R. Alquati. Sulla FIAT e altri scritti. Milan 1975. On remarquera en passant que le processus de décentralisation s’est déclenché dès cette époque. les premières années 50 marquant le passage d’une phase de concentration spatiale à une phase de diffusion productive. P. Costa, Lo sviluppo italiano tra l’uno e il molteplice. Venice 1983.. Certes objectivement, le coeur et l’âme d’une métropole telle Turin vivaient et battaient en fonction de la grande usine qui en déterminait la composition sociale. Mais, sur le plan subjectif, les crises de tachycardie pouvaient donner lieu à un déphasage structurel des mécanismes structurant le territoire. “Les flux vitaux convergeaient comme des chaînes géantes vers les portes de l’établissement industriel[[M. Revelli, dans Quaderni dei CRIC. Turin 1988.. Ce dernier déterminait la direction et la tendance de ces flux, à partir de ses propres logiques productives”. Mais les luttes de l”‘ouvrier massifié” ne déterminaient pas seulement une rupture des rythmes. Elles aboutissaient à en renverser la direction, elles transformaient une contradiction propre à la composition organique du capital en contradiction sociale, entre la valorisation (du capital) et l’autovalorisation (de la classe), entre l’usine et la société..
Ce qui se traduisait par une socialisation multipliéedel’insubordinationouvrière. Tous ces canaux de mobilité étaient transformés en autant de vecteurs de reconnaissance collective des sujets sociaux antagonistes. “Le pouvoir social de l’ouvrier de la grande usine[[M. Revelli, Lavorare in Fiat, Ed. Garzanti, 1989.” s’est constitué dès le début des années 60. Ce pouvoir est devenu incontournable et a perdu ses vertus médiatrices lorsqu’il s’est confondu avec les mille et une façons pour la force de travail de rechercher les valeurs d’usage, de s’autovaloriser et de devenir de moins en moins une marchandise.

6. Capital social et production sociale: les années 80, la nouvelle accumulation originaire

Les politiques de stabilisation micro- et macroéconomique se sont basées sur la capacité que le capital collectif avait de continuer à “contrôler”, ainsi que sa propre formation, celle des forces de travail nécessaires à l’assurer. Il s’agit du processus de constitution du capital social, c’est-à-dire du processus même de socialisation de la production capitaliste : “lorsque la production capitaliste s’est généralisée à la société tout entière, la production sociale est devenue, tout entière, production du capitaI[[M. Tronti, Operai e capitale. Einaudi. 1966, trad. Française Bourgois, Paris, 1977, p.73.”. Alors. le capitaliste collectif fait face à la force de travail sociale. “C’est que le travail social global est devenu la classe des ouvriers organisés. Le plan du capital naît avant tout de la nécessité, pour lui, de faire fonctionner à l’intérieur du capital social, la classe ouvrière en tant que telle[[M. Tronti. ibid., p.72..”
Par le développement de la production de masse et de la société de consommation, le capital collectif s’était posé en tant que garant de la médiation (le plan keynésien) entre ces deux moments. Dès lors que la “norme de consommation” se constituait en dehors du rapport salarial et que la fluidité de la main-d’oeuvre dans le marché du travail suivait des logiques collectives et non plus individuelles, le problème est devenu pour le capital celui de parcourir “à rebours” les sentiers de l’autovalorisation sociale des acteurs des conflits[[A ce niveau. les technologies de traitement et de transmission électronique de l’information ont joué un rôle décisif. Le développement des systèmes intégrés de circulation et structuration de l’information a rendu possible la “télématisation sociale” de la production. Or, ces “systèmes télématiques” sont sociaux avant d’être techniques, ils assurent la soumission des formes les plus mûres d’autovalorisation (et de coopération productive) aux normes de la valorisation capitaliste. Cf. G. Deleuze: “Les machines sont sociales avant d’être techniques… il y a une technologie humaine avant qu’il y ait une technologie matérielle…”. Cf. G. Deleuze, Foucault. Paris 1986, p.47. de ces sujets qui, en tant que tels, s’avéraient réfractaires à leur réduction au statut de force de travail isolée.
Pendant toute une phase de son histoire, en devenant “État planificateur”, le capital social avait trouvé la manière de conjurer l’aspect déstabilisateur de cette anticipation ouvrière et l’avait transformé en dialectique (vertueuse pour lui, vicieuse pour le mouvement ouvrier). Dès lors que les comportements conflictuels se sont ancrés dans un processus de recomposition subjective immédiatement sociale, c’est le capital qui a dû sortir de l’usine, et se plier à la logique et aux lignes de fuite suivies par cette nouvelle subjectivité sociale.
Les années 1970 ont été le théâtre des comportements d’une multitude de sujets sociaux qui unifiaient non pas une éthique du travail mais un système de besoins voire un véritable modèle hédoniste. La constitution des formes collectives s’affranchissait de plus en plus du rapport avec le travail salarié en usine quand elle n’adoptait pas carrément le “refus du travail” des salariés. “Personne ne peut expliquer les comportements de la nouvelle force de travail, depuis la première moitié des années 1970, s’il renonce à utiliser toute référence à la (défection). Alors que le patronat injectait à doses lourdes l’incertitude de l’emploi, de plus en plus de jeunes, au lieu de s’en soucier, se soustrayaient tout bonnement à l’emploi et au travail. C’est-à-dire que le temps d’usine a été perçu comme un coût humain excessif, à réduire au rang de mésaventure temporaire[[P. Virno “Sur le modèle politique de l’exodus”, dans Il manifesto, Rome, décembre 1989. On peut encore lire: “L’inversion fut drastique. Renonciation à pousser pour pouvoir rentrer dans l’usine et à y rester; recherche de toute manière de l’éviter ou de s’en aller, s’en éloigner. La mobilité de condition imposée devint règle positive et aspiration principale.” On avait affaire à “une véritable émeute de migration consciente hors du travail d’usine”.”.
L’essor de la “troisième Italie” a été le résultat de ces comportements subjectifs et des formes de coopération sociale productive qu’ils ont constituées. Dans ce contexte, le débat gestionnaire sur le mécanismes de partage des gains de productivité est doublement dépassé :
– par la crise du mécanisme essentiel de partage des gains de productivité au sein du rapport salarial, entre les profits et les salaires, due à son incapacité structurelle à “réguler” des dynamiques qui ne sont plus convergentes.
– par le fait que la possibilité de dégager des gains de productivité étant immédiatement sociale, elle ne s’établit plus, ou seulement en partie, sur les lieux de production.

La problématique essentielle devient celle de la contradiction entre des formes de coopération productive qui se constituent (ex ante) dans la complexité des rapports sociaux (songeons au caractère stratégique des flux informationnels et du travail immatériel) et une accumulation capitalistique (ex post) qui n’est plus la condition permissive de la production de la richesse.