Lorsqu’enfin nous l’éteignons, après avoir pris cette décision plusieurs fois sans trouver la volonté de la concrétiser, le téléviseur entre de façon désenchantée dans le monde des objets et nous pouvons le percevoir comme un appareil de plus. Il suffit d’appuyer sur le bouton de télécommande pour que, de nouveau, il se transforme et nous offre le monde en quelques centimètres carrés. Le petit écran, dirait Baudrillard, se transforme en fragment qui contient l’univers, en un objet fractal par excellence : il s’éloigne alors des autres objets domestiques et entre dans la famille de la puce, de la disquette et du microfilm.
L’écran nous montre et participe de trois grands processus qui se combinent, sous des formes différentes et avec leurs temporalités propres, pour donner un nouveau ton aux années 90 en Amérique latine.
1. La construction complexe, non exempte de risques et de régressions autoritaires, des formes institutionnelles démocratiques.
2. La crise des modèles socio-économiques en vigueur depuis les années 30 et surtout depuis la deuxième guerre mondiale. Cette crise conditionne la construction du régime institutionnel en créant des tensions qui non seulement déclenchent des affrontements sociaux, mais provoquent aussi la transformation des acteurs-clé du cycle historique antérieur: syndicats, mouvements populaires, forces armées, groupements d’entrepreneurs et partis politiques. Souvent se produisent des situations inflationnistes prolongées et des conjonctures hyper-inflationnistes qui ont de profonds effets de désorganisation et de fragmentation sur le tissu social et culturel des pays. on assiste également à des changements brusques et traumatisants des paramètres des champs d’action de l’expérience sociale des individus. En outre, les politiques néo-libérales adoptées par les gouvernements produisent un « retrait », c’est-à-dire la disparition de l’État comme référent par rapport auquel s’étaient constituées les identités sociales des acteurs collectifs dans l’après-guerre. Maintenant tout se passe entre acheteurs et vendeurs individuels sur le marché.
La crise du modèle de développement peut se prolonger sans être résolue par l’instauration d’un autre modèle. Dans cette situation s’ouvrent des zones géographiques et des espaces temporels dans lesquels se manifestent l’anomie, la fragmentation, le déclin de la solidarité, la peur, etc. On assiste alors, comme le dit Sergio Zermeño, à la diffusion urbaine du , » populaire-pauvra » en l’absence d’un « sujet populaire » politique.
3. L’autre face de la fragmentation sociale est la planétarisation du regard sur le monde issue de la télévision par satellite, avec son effet de dé-territorialisation de l’expérience sociale et des référents identitaires des publics. A partir de là, l’intervention des médias, en particulier de la télévision, dans la construction de la scène politique et des nouveaux langages de la politique, est incessante. La stratégie militaire, telle que l’analyse Paul Virilio, déploie depuis la première guerre mondiale, à travers les photos, le cinéma documentaire, la vidéo et les images satellites, une logistique de la perception : le principal combat se livre dans le champ du regard. La politique aussi évolue sur une scène audiovisuelle qui modifie ses formes d’action et stimule la formation de dispositifs de communication complexes. La crise de représentation d’un grand nombre de partis politiques latino-arnériciains, dans le contexte de la faillite financière des États et de la dureté des restrictions économiques, a facilité l’expansion de la télévision à la fois comme scène principale et comme acteur politique.
La construction de formes institutionnelles démocratiques, la crise du modèle économico-social et les nouveaux espaces et formes de sociabilité créés par la télévision et par l’expansion des médias en général, constituent trois processus combinés mais relativement autonomes. On peut démontrer cette autonomie par le fait que chaque processus possède son temps qui résiste à toute planification ou volonté politique. Dans les transitions institutionnelles entre régimes autoritaires et régimes démocratiques, cette autonomie se présente de façon dramatique aux partis politiques quand la crise économique et l’inflation changent les conditions de l’action politique vis-à-vis de l’imaginaire et affecte le degré d’enthousiasme des citoyens.
Dans cet article nous formulons quelques thèses sur l’interprétation de cette « interface » des phénomènes, dans l’optique de la formation des nouveaux dispositifs politico-communicationnels, qui restent pour l’instant peu connus bien qu’ils se prêtent aux jugements de valeur les plus variés, surtout du point de vue des formes d’action politique antérieures. Nous avons choisi de présenter une série d’hypothèses sur ce thème, de façon fragmentée, à travers des regards partiels qui montrent aussi, de façon involontaire, notre position de spectateur face au torrent d’images qui se succèdent, se superposent et s’annulent mutuellement pendant toute la journée télévisuelle[[Le lecteur qui s’intéresse à une version plus ample de l’histoire des divers cas nationaux et aux problèmes théoriques posés par la vidéopolitique peuvent consulter notre livre Dévorame otra vez. Que hizo la televisión con la gente. Que hace la gente con la televisión, éd. Planeta, 1992..
I.
Le cycle de la démocratisation politique qu’ont connu plusieurs pays latino-américains pendant la décennie 80, a été précédé et accompagné par des transformations significatives dans les circuits, langages et genres de la communication sociale. Quand l’ouverture politique et la libéralisation ont commencé à former de nouvelles scènes politiques, la télévision de ces pays avait déjà conquis des publics de masse avec lesquels elle partageait de nouvelles clés pour déchiffrer les images, les indices, les gestes et les paroles, le goût du mélange des genres esthétiques, l’habitude du fragment et des temps courts. Il fallait observer la scène électorale désormais dans le contexte de la prédominance culturelle de l’espace audiovisuel, qui engendre chez les individus de nouvelles formes de perception et de reconnaissance des discours politiques. La politique partisane fait sa réapparition au milieu d’une nouvelle civilisation de l’image et du regard.
La présence marquée de la télévision dans les manières de faire de la politique dans plusieurs de nos pays renvoie avant tout à la contemporanéité et aux multiples points de contact entre des processus provenant de sphères différentes : les alternatives de représentation des citoyens à travers les partis et l’expansion et l’innovation permanente de l’industrie de la communication.
Nous assistons à un processus d’implantation de la politique dans des espaces et champs culturels dans lesquels dominent des langages qui vont au-delà des distinctions traditionnelles entre gauche et droite : c’est une détermination culturelle qui conditionne les formes de la politique et qui, bien entendu, fait également l’objet des plus diverses manoeuvres stratégiques.
II.
Il faut établir une distinction initiale entre les pays dont le système de partis contrôle la sélection des candidats et ceux où, grâce à une importante intervention de la télévision et des « entreprises politico-électorales », les candidatures sont engendrées en dehors des appareils partisans ou sont, du moins, fortement conditionnées par ces entreprises. Ainsi nous constatons que, dans des pays connue le Chili, l’Uruguay, ou – l’exemple le plus probant – le Mexique, la télévision est davantage associée et subordonnée aux décisions et aux stratégiques politiques. Dans ces pays, la compétition entre partis et lents rivalités internes sont des facteurs qui poussent à utiliser la « spectacularisation » de la télévision en faveur de telle ou telle tendance ou équipe dirigeante. Le grand poids spécifique des directions historiques des partis s’est manifesté durant les élections présidentielles qui ont marqué la fin des régimes militaires. Mais peut-être verrons-nous dans les élections postérieures comment la télévision influence l’appréciation de chaque homme politique dans l’opinion publique, et le reflet de ce phénomène dans le classement des partis.
III.
Si nous analysons les relations entre les partis, les entreprises télévisuelles et le langage audiovisuel dans chaque pays, nous constatons qu’il y a des configurations différentes au sein d’un processus généralisé de médiatisation croissante de la politique. Au Pérou on constate la marginalité de la candidature de Fujimori par rapport aux partis et au marketing télévisuel. Cependant son image a manifesté certaines résonances et complicités avec le langage audiovisuel, au-delà même des intentions des émetteurs qui contrôlaient le flux des images. En exagêmnt un peu, on peut dire peut-être que c’était le triomphe du langage audiovisuel sur les stratégies de la télévision êlectorale. Au Brésil, la candidature de Collor ne provenait pas non plus du système de partis établi, mais dans ce cas la télévision fut non seulement la scène principale de l’affrontement, mais elle ajoué un rôle important comme acteur principal du processus politique, particulièrement le réseau « Globo ». En Argentine, la télévision a connu une trajectoire dont le point de départ fut la mise en scène des lieux et des genres traditionnels de la politique. Durant la post-transition démocratique, cela a débouché sur un rapport à la politique s’appuyant, en grande partie, sur des genres proprement télévisuels, ce qui a rendu possible le passage dans le champ de la politique, d’artistes, de sportifs et autres personnalités. Néanmoins, le véritable support de ce processus est le dispositif politique « trans-parti » engendré par l’actuel gouvernement, dans un contexte de discrédit des partis. En Uruguay, les partis demeurent des axes incontestés de la vie politique, mais on a assisté néanmoins à des processus significatifs de médiatisation de la politique, dont l’expression maximale a été probablement la campagne du Frente Amplio (coalition de gauche) à Montevideo, car celle-ci a introduit dans le débat un langage franchement publicitaire. Au Mexique, enfin nous avons affaire à un parti-État doté d’une grande solidité historique et qui fait du problème de la succession présidentielle une affaire largement « interne », puisque le spectacle électoral central est celui de ses propres cérémonies. La télévision a une trés grande importance dans la culture mexicaine et influe sur la constitution de l’ordre du jour politique, mais du point de vue du langage, la télévision est avant tout un support du discours et du rituel du Parti Révolutionnaire Institutionnel.
IV.
La vidéo-politique fait partie des transformations en cours dans la trame sociale et dans les cultures politiques dans le monde actuel. La complexité sociale croissante cccasionnée tant par le développement post-industriel que par la fragmentation sociale qui résulte des crises – en tenant compte de toutes les différences qui séparent ces deux réalités – produit des hétérogénéités et des segmentations que les partis politiques de masse classiques sont incapables d’affronter.
Loin de résulter de l’opulence post-industrielle, la faiblesse des partis politiques dans plusieurs pays latino-américains obéit à des raisons historiques que nous ne traiterons pas ici, mais leur actuelle vulnérabilité par rapport aux médias est accentuée par une situation particulière: l’inflation et l’hyperinflation. Par exemple, au Brésil, au Pérou et en Argentine des situations hyperinflationnistes se sont produites qui ont eu un effet d’érosion sur les partis. En réalité, l’hyperinflation remet en question les rapports sociaux eux-mêmes et rapproche la société d’un état généralisé de désorganisation qui rend impossible l’intervention de la politique dans un sens conventionnel : dollarisation, fuite des devises, explosions sociales, pillages de supermarchés, affaiblissement des règles formelles pour la résolution des conflits, comportements orientés sur le court terme, luttes de pauvres contre pauvres, etc.
En outre, dans les périodes prolongées d’inflation, les médias affirment leur caractère de véritables médiateurs sociaux : ils « collent » très bien à la vitesse de la crise, à la séquence désordonnée des événements, à la demande d’informations ponctuelles formulées par les gens dans le courant d’une journée. Face à ces réflexe, si rapides, la lenteur (pour ne pas dire la léthargie) des appareils politiques, offre un net contraste. L’inflation engendre, des conditions singulières de réception des médias : il semblerait que la dispersion accentuée des comportements s’articule et s’ordonne seulement sur la couverture territoriale des médias. Ce sont des circonstances dans lesquelles se développe la demande d’information rapide, la culture et la stratégie de l’action à court terme et le constant dépassement mutuel entre les acteurs sociaux dans la fixation des prix.
Les processus de différenciation sociale, que ce soit par abondance de l’offre culturelle on par fragmentation du tissu social engendrée par la crise, rendent très difficile la représentation partisane classique (ou en tout cas celle dont il est question dans les manuels de démocratie). Celle-ci ne peut plus être désormais le centre de gravité de l’articulation quotidienne des grands regroupements de personnes sur les centres de décision de l’État. Les médias tendent dès lors à combler la brèche entre les individus et les partis. Ainsi, leur rôle dans la société est en constante expansion, en raison de leur innovation technologique permanente et parce qu’ils assument des fonctions qui étaient autrefois celles des partis ou des corporations syndicales, patronales ou militaires. Paradoxalement, ce processus, autant par son succès systémique (l’autonomie de décision) dans les pays les plus développés, que par son échec (crise de la représentation) en Amérique latine, tend à séparer progressivement les partis de leur propre base sociale, les réduisant à des sujets du spectacle.
V.
Ces facteurs globaux – communicationnels ou non – manifestent de profondes implications dans le changement du profil politico-culturel de nos pays : on tend à passer de l’idéal de la démocratie de la participation à la réalité de la démocratie déleguée. On vote pour que les élus gouvernent, montrent leur capacité de décision au milieu de la crise, et ne se perdent pas en vains discours. Ceci est très fonctionnel pour un déplacement dans les genres d’acticn politique, vers ceux qui construisent le contact culturel et l’image de fiabilité des candidats. D’où la primauté du « look » et le mélange entre la politique et d’autres sphères (artistiques, sportives) qui ne sont pas classiquement politiques.
VI.
L’affaiblissement des partis politiques et le développement autonome simultané de l’industrie de la communication font que dans nos sociétés, l’espace de la représentation institutionnelle tend à se séparer de celui de la représentation symbolique de la politique. Certains des processus nationaux que nous avons signales représentent des cas extrêmes de cette scission. A l’époque de l’hégémonie de l’imprimé, le parti classique visait à mettre sous son contrôle la représentation symbolique de la politique, par l’intermédiaire du périodique politique, du livre et de l’article de revue. C’était une politique lettrée, l’apanage d’une élite. De nos jours, la technologie audiovisuelle met la politique en scène et lui imprime une logique propre de la scène politique. Des dispositifs politicocommunicationnels complexes tendent à se former. Les militants et les dirigeants des partis doivent désormais négocier avec les entreprises et les opérateurs médiatiques, sans jamais arriver à soumettre à leur contrôle les formes de mise en scène visuelle de la politique.
VII.
Puisque les médias peuvent donc avoir des fonctions de substitution par rapport aux partis politiques, ils sont souvent des récepteurs privilégiés des demandes des mouvements sociaux et civiques (mouvements de quartier, mouvements écologiques, féministes, culturels, etc.). L’« existence » que la télévision peut donner à ces mouvements dans l’opinion publique, les situe autrement dans ses relations conflictuelles et/ou négociées avec les organismes de l’État ou des partis. Plus encore, les médias peuvent survivre au cycle de montée et de déclin de ces mouvements, comme circuit et mémoire de ses idées et discours d’origine.
Par exemple, les médias – la télévision en particulier – ont joué un rôle fondamental dans le conflit autour du meurtre de la jeune María Soledad Morales dans la province de Catamarca en Argentine, ce qui a débouché sur la chute d’une des féodalités les plus anciennes et apparemment les plus solides du pays. Un ensemble de revendications sociales, pour des droits nouveaux ou anciens, un pour la justice, trouvent une sorte de « deuxième visibilité » dans les médias, particulièrement dans les émissions d’information ou de débat politique. Dans ces cas les médias peuvent amplifier, en le redéfinissant, l’espace public. Et c’est pourquoi les personnes engagées dans des conflits, avant de chercher le soutien d’un parti, ont tendance aujourd’hui à prendre un avocat et à aller vers les médias.
En termes plus généraux, dans l’élaboration des nouvelles formes d’hégémonie politique dans nos sociétés, il serait très simpliste de penser que la télévision est inexorablement privatisante. Dans cette optique on ne peut pas concevoir les mobilisations et touisformations actuelles en Europe de l’Est, où pendant des décennies la télévision était jalousement contrôlée par l’État. Par ailleurs, dans certains de nos pays le néo-libéralisme qui s’est installé au niveau des gouvernements ou qui influe sur ceux-ci se situe dans la perspective de la transformation de la société (privatisations, réforme de l’État, etc.). Il ne s’agit pas d’un conservatisme par définition démobilisant et traditionnel, et il n’aborde pas la télévision uniquement comme un instrument servant à retenir les gens dans leurs maisons.
VIII.
En dépit de la centralité de la télévision, les autres médias occupent aussi leur fonction dans la « carte » informative et culturelle que les individus feuillettent quotidiennement. Un cas important est celui de la presse écrite dans un pays comme l’Argentine : sa fonction ressemble de plus en plus à celle d’une presse républicaine en ce qui concerne le contrôle des pouvoirs (perfornuance des fonctionnaires, cas de corruption, etc.). La presse argentine conserve donc sa capacité à fixer l’ordre du jour quotidien des questions et s’associe étroitement au pouvoir judiciaire, où se traitent des affaires qui auparavant se réglaient publiquement et sans arbitre, moyennant une grève générale, un coup d’État, etc. Aujourd’hui les parties en conflit ont tendance à prendre un avocat, à appeler les médias et ensuite aller à la justice. Voilà qui soulève un autre thème central, celui du nouveau rôle que pourrait jouer le pouvoir judiciaire dans nos pays en changement, et ses affinités et résonances positives avec le journalisme d’enquête.
IX.
L’hégémonie politique se constitue donc comme un chœur à plusieurs voix : a.) la présidence (dans sa forme discursive et théatrale traditionnelle ou celle du spectacle télévisé) ; b.) les techniques de l’ajustement et de reconversion économique ; c.) certains communicateurs en tant que nouveaux intellectuels organiques de la politique. Ainsi, les cultures politiques sont composées de paquets de genres discursifs et esthétiques très changeants et non centrés dans le discours politique classique. Se mettent donc en place des configurations nouvelles, où, par exemple, un roman policier peut avoir plus de résonce avec la politique qu’une discussion en comité. Ce n’est pas la moindre des choses : cela nous rapprochera de thèmes tels l’énigme sociale, la mort, la parole et le silence, la loi et la vérité, le corps et la ville – tous superposés aux événements politiques de nos pays.
On a l’habitude de voir les cultures politiques sous l’angle des différentes idéologies ou conceptions qui les colorent, mais leur profil se définit aussi par l’ensemble de genres qu’elles englobent à un moment donné. Quel est le genre qui légitime l’autorité et la décision : l’accès dialogique à la vérité métaphysique, le mélodrame, le savoir technique, la conversation amicale, les principes moraux on les gestes de pragmatisme ? Quels sont les langages appropriés : les textes écrits, la musique ou l’image ? En réalité les cultures politiques ont toujours été des combinaisons de genres et de langages, et ce que la société considère comme politique à un moment donné est le produit de la lutte politique elle-même. Mais à l’école on ne nous a transmis que le genre historiquement triomphant et on ne l’a pas mélangé avec ceux qui s’y opposent.
Il faut donc se demander si la politique possède un genre propre, lequel serait, pour les uns, par exemple, le discours, ou elle fait seulement semblant, et si, dans ce cas, elle se sert selon les circonstances d’autres genres pré-existants qui viennent du modèle littéraire ou technique, ou du spectacle visuel. La combinaison des genres est liée au type de modèle de légitimité avec lequel s’exercent l’autorité et la décision itique à une époque historique donnée.
X.
A partir des nouvelles coordonnées de l’expérience sociale, des dispositifs politico-communicationnels et des cultures politiques, en tant que combinaison de genres hétérogènes, abordons maintenant la question des « idées politiques ». Nous nous référons aux fondements doctrinaux à partir desquels se réalise actuellement le changement d’identité des partis historiques tels que le PRI au Mexique ou le Parti Justicialiste en Argentine. Mais il s’agit aussi du nouveau sens commun des individus devant le pouvoir politique, devant ce qu’on attend de la politique, etc. A des époques de grande turbulence, de changement des modèles de fonctionnement social et des identités politiques, on voit clairement que le positionnement des individus par rapport à la politique, la formulation des valeurs de l’action individuelle et collective, laborent en même temps que les genres et les langages : il ne s’agit pas seulement d’un changement d’idées sur le terrain doctrinal.
XI.
En analysant les langages de la vidéo-politique, il faut distinguer entre deux aspects du maniement des images dans la litière politique. D’une part, ce maniement suppose l’apprentissage du langage du médis. de la même façon que l’on apprend les règles de la conversation quotidienne, d’un exercice scolaire ou des panneaux de signalisation que l’on lit avant de traverser une avenue. Il s’agit d’entrer dans les règles d’un langage, qui comprennent dans ce cas une importante composante gestuelle. D’autre part, cela suppose la mise en œuvre par les hommes ou femmes politiques de diverses stratégies de positionnement et de construction délibérée de leur image devant l’opinion publique. Entre ces deux aspects il y a une zone floue où l’on ignore où se termine le respect de certaines règles du langage et où commence la production d’un artifice qui vise à gagner des voix.
L’image iconique peut représenter son objet avant tout par une ressemblance avec celui-ci ; toute image visuelle – des pictographies à la télévision en passant par la graphique informatique – a toujours remporté un important élément de reproduction de quelque chose d’extérieur à elle-même. Mais le langage a sa logique interne dans la production du sens et c’est une réalité distincte de ce par rapport à quoi il se présente comme analogue. Tout langage est en lui-même une simulation, il ne prétend pas exprimer ou représenter la réalité.. Pour cela, quel que soit le choix de style ou de genre, le peintre, le photographe, les créateurs de cinéma et de télévision, et les graphistes informatiques simulent. Comme le soutient Bettetini, le concept de simulation acquiert, dès lors, beaucoup de sens différents et pour le thème que nous traitons, il est essentiel d’établir seulement que : simuler signifie imiter, représenter, reproduire, mais aussi feindre, tromper, mentir.
La question n’est pas purement linguistique : elle est alimentée par une autre question d’une autre nature qui se trouve à la base de l’action du politique: la séduction. Dans la politique et hors d’elle, comme le dit Baudrillard, la séduction n’est jamais de l’ordre de la nature, mais de l’artifice ; jamais de l’ordre de l’énergie, mais du signe et du rituel. Pour toutes les orthodoxies elle continue de relever du mauvais sort et de l’artifice, elle serait une magie noire visant à détourner de toutes les vérités, une conjuration des signes, une exaltation des signes dans leur usage maléfique.
Si nous voulons critiquer les opérations spécifiques de construction publicitaire ou de marketing politique, nous devons les différencier d’une autre simulation politique que suppose tout langage. Derriêre cette simulation il y en a une autre, d’un autre type, plutôt qu’une vérité originelle, une transparence que la politique aurait possédée à un moment donné de l’histoire. Si nous libérons notre jugement sur la télévision d’une série d’aprioris provenant des préjugés lettrés ou des présupposés métaphysiques sur la vérité en politique, peut-être pourrons nous mieux formuler la critique nécessaire d’une certaine télévision effectivement manipulatrice et dépolitisante, : marier avec art et avec des idées le langage qui se constitue en précondition culturelle de toute lutte politique au présent : celui de l’audiovisuel.
XII.
La tendance de la télévision à coloniser la politique est une affaire complexe et ambiguë, à la fois sur le plan de ses origines, des tensions qui la traversent et des contrepoids qu’elle a suscités face à elle-même.
Les effets communicationnels de la vidéopolitique ne sont pas exactement corrélatifs du potentiel technologique du média qu’elle utilise, ni aux différences des ratings ni au temps d’antenne : ils dépendent fondamentalement de sa capacité d’interpellation, de la représentativité sociale des voix qu’elle met en jeu. La télévision, avec toute son importance, n’est qu’un ingrédient constitutif de la politique et de l’expérience vécue des gens.
Au demeurant, le problème le plus important ne se situe peut-être pas au niveau de la spectacularisation ou de la personnalisation de la politique par les médias, mais à un niveau qui ne passe pas par le petit écran : les nouveaux circuits d’emmagasinage et de flux d’information qui interviennent comme une composante fondamentale dans la prise de décision des pouvoirs qui, de façon non communicationelle, produisent de fait des situations d’inégalité dans la vie des gens.
traduit de l’espagnol par J. Cohen