C’est du point de vue de la force productive des « singularités » et de l’affirmation de la multiplicité des vertus et des talents, que le jeune penseur se révolte contre une raison qui discute, justifie et n’invente point. En posant la misère comme une des données premières de l’expérience philosophique du monde, V. fait de la connaissance par sentiment la force qui arrache la pensée moderne au temps de la méditation sur la mort, pour réinscrire la parole philosophique dans la dynamique puissante de la « génération perpétuelle » de l’être-temps du « désir sans objet ». Et cet effort, riche de toute l’expérience coopérative du monde, est politique. C’est celui d’une âme « capable de se multiplier » qui, stratégiquement, décide de l’avenir. Dans ce devenir-plusieurs du prince « populaire et accessible », c’est alors l’idée d’une refonte radicale de la conception même de l’État, corrélative de la refonte philosophique du rapport de la raison et des passions, qui est clairement posée. On ne comprend pas Vauvenargues si on ne le lit pas du point de vue de la sympathie qu’il appelle et de la révolte qui le porte. Parlons de lui « affirmativement »[[G. I,103/DLE,145. L’édition critique n’étant pas encore disponible, nos citations sont faites d’après l’éd. Gilbert en 2 vol., Paris, Furne et Cie, 1857 (G. I ou G. II, suivi de la p.). On indiquera aussi la référence dans l’éd. partielle de J. Dagen, Des Lois de l’Esprit, Desjonquières, 1997 (DLE p.). et, si possible, avec cette « chaleur » compatible avec la « justesse », comme il souhaitait que la vraie philosophie se fasse, indépendamment des écoles et de la mode. Singulièrement.
La singularité c’est une manière d’être affecté de la puissance, corrélative de sa grandeur qui est celle d’une âme. L’âme, c’est le nom d’une pratique, quand penser, vivre et sentir se disent d’une seule et même affirmation singulière : « la philosophie que je suis, écrit Vauvenargues à Mirabeau[[Victor Riquetti, marquis de Mirabeau, futur auteur de L’Ami des Hommes (1758) et père (en 1749) du grand tribun., ne souffre rien que d’elle même ; elle consiste proprement dans l’amour de l’indépendance.… » (G.II,115/DLE,261). Dans ces conditions, la philosophie, identique à la singularité qu’elle expose et à l’amour de l’autonomie qu’elle affirme, est action, production d’être et de vies, « génération perpétuelle »[[Cf. Vauvenargues. Fragments sur Montaigne, éd. J. Dagen, Champion 1994, n° 9 [10 p. 98 (cité FsM)., inséparables du lien commun qui est le bien commun comme plaisir constitutif et unique bien réel. D’une part, « nous ne jouissons que des hommes, le reste n’est rien »[[Introduction à la Connaissance de l’Esprit Humain (cité ICEH), G. I, 3 /DLE, 40. ; d’autre part, « qu’est-ce que cette production continuelle sinon le [seul soutien [et l’unique réparation de notre être, et le remède de la mort? » (FsM n°9 [12 p.99)…
La pratique vauvenarguienne de la philosophie s’inscrit donc dans l’effort universel de la génération de la vie commune, comme jouissance et travail vivant des singularités, contre les forces de dépendances, d’exclusions et de mort, qui sont aussi celles des « faux philosophes » (G.I,67/DLE,100) ou des « théologiens » de toutes espèces (G.I,209/DLE,242)…
La pensée authentique de Vauvenargues est très peu connue. Elle ne joue aucun rôle dans l’histoire de la philosophie et un rôle très mineur dans l’histoire de la littérature. Vauvenargues, il est vrai, est mort à 31 ans en n’ayant publié, en 1746, qu’un seul ouvrage, l’Introduction à la Connaissance de l’Esprit Humain suivie de Réflexions et Maximes (une nouvelle édition paraîtra en 1747 après sa mort), ouvrage qui s’est facilement confondu avec l’air du temps et qui, en cette fin de la première moitié du XVIIIe siècle, est quasiment passé inaperçu. Cependant, c’est moins la discrétion et la brièveté de sa vie et la non moins discrétion et (relative) brièveté de son œuvre (la plus grande partie de celle-ci est posthume et seulement découverte au XIXe siècle), que la nature même de ce que Vauvenargues écrit (entre 1737 et 1747 année de sa mort, en cette période charnière entre le Classicisme et les Lumières et à un moment historique – celui de l’expansion commerciale de l’économie-monde européenne[[Cf. I. Wallerstein, Le Mercantilisme et la Consolidation de l’Economie-Monde Européenne 1600-1750, t. II éd. de la Découverte, 1984. – qu’il perçoit lui-même comme moment de crise), qui explique, peut-être aussi, qu’il ne pouvait pas être entendu. En posant, dès le début de son œuvre (mais sans la publier) sa métaphysique de la nécessité dans une filiation masquée avec le spinozisme, Vauvenargues écrit : « Tout a sa raison ; tout arrive comme il doit être ; il n’y a donc rien contre le sentiment ou la nature. Je m’entends ; mais je ne me soucie guère qu’on m’entende » (G.I, 428).
Vauvenargues a cependant alerté son lecteur sur une œuvre à « lire doucement » (G.II,288), qui ne se comprendra pas facilement, et dans laquelle il s’agit souvent d’aller au-delà du sens des mots pour décrypter l’intention cachée de l’auteur : « Un bon esprit ne s’arrête pas au sens des paroles, lorsqu’il voit celui de l’auteur » (G.I,424). Nous voilà prévenus.
Qu’enseigne Vauvenargues en effet ? Une idée puissante et simple parcourt l’ensemble de l’œuvre. Vauvenargues diagnostique son temps comme massivement dominé, dans toutes les expressions de l’universel par l’être pour la mort. Vauvenargues assiste en effet au début de la fin, pleine de secousses, de la transcendance de la valeur morale (à laquelle contribue sa critique) mais aussi à la disparition des vertus anciennes, l’énergie, le courage, le désir de gloire, historiquement refoulées par le règne hégémonique de l’indifférenciation sceptique et la mode du « bel esprit » (G.I,422,100/DLE,142). Vauvenargues s’élève contre ce nouveau nihilisme (qui prolonge, à ses yeux le nihilisme du dogmatisme moral), comme il dénonce aussi la froide arrogance d’une raison économique écrasante qui s’affirme toute puissante en survalorisant (illusoirement) le pouvoir de la sagesse de l’État. Telle est la « fortune » mortifère qu’analyse Vauvenargues et à laquelle il oppose la singularité de la vertu: « quand je parle de vertu, précise-t-il, je ne parle point de ces qualités imaginaires qui n’appartiennent pas à la nature humaine ; je parle de cette force et de cette grandeur de l’âme qui, comparées aux sentiments des esprits faibles, méritent les noms que je leur donne ; je parle d’une grandeur de rapport, et non d’autre chose, car il n’y a rien de grand parmi les hommes que par comparaison » (G.I,162/DLE,187). C’est la confrontation de cette fortune et de la vertu vauvenarguienne que nous examinons ici. A partir de l’expérience de la misère.
«La loi qui établit une corrélation fatale entre l’accumulation du capital et l’accumulation de la misère» (Marx)
« Il n’y a guère d’esprits, écrit Vauvenargues, qui soient capables d’embrasser à la fois toutes les faces de chaque sujet, et c’est là, à ce qu’il me semble, la source ordinaire des erreurs des hommes. Pendant que la plus grande partie d’une nation languit dans la pauvreté, l’opprobre et le travail, l’autre, qui abonde en honneurs, en commodités, en plaisirs, ne se lasse pas d’admirer le pouvoir de la politique, qui fait fleurir les arts et le commerce, et rend les États redoutables » (G.I,418). On n’admirerait donc pas l’économie de la politique et son pouvoir si l’on n’en était pas directement bénéficiaire et si notre esprit était capable de concilier toutes les faces des choses, évitant ainsi l’erreur de la partiellité (et peut-être aussi de la partialité).
Il en est de même pour l’économie de l’univers… et par conséquent (Vauvenargues se fait libre penseur) du pouvoir de Dieu. Des philosophes (mais ce ne sont que de « faibles philosophes ») ne se lassent pas en effet non plus d’admirer « la beauté, la grandeur et la magnificence de son ordre »! Vauvenargues répond : « Savez-vous que si vous compreniez bien l’univers, et qu’il ne s’y rencontrât rien qui passât les limites de votre pouvoir, vous cesseriez aussitôt de l’admirer ! [… c’est votre faiblesse infinie qui vous le représente dans votre poussière, animé d’un esprit si vaste, si puissant et si prodigieux »[[Sur l’économie de l’univers, G. I, 219/DLE, 242..
Pas plus l’univers que l’État ne seraient donc animés d’un esprit aussi prodigieux que l’imaginent les philosophes et les jusnaturalistes ? Pour échapper à cette illusion, il faut connaître la nécessité naturelle d’un ordre dont Vauvenargues suggère, aussi bien pour l’univers que pour l’État, qu’il n’est, en dernière analyse, que le produit du hasard et de la force. L’ordre des choses ne s’identifie pas nécessairement à une rationalité téléologique. « Tout ce qui a l’être a un ordre, c’est-à-dire une certaine manière d’exister qui lui est aussi essentielle que son être même : pétrissez au hasard un morceau d’argile ; en quelque état que vous le laissiez, cette argile aura des rapports, une forme et des proportions, c’est-à-dire un ordre, et cet ordre subsistera tant qu’un agent supérieur s’abstiendra de le déranger. Il ne faut donc pas s’étonner que l’univers ait ses lois et une certaine économie » (Id.ibid. G.I,218/DLE,242). Que l’ordre politique et social ne s’identifie pas nécessairement non plus à une rationalité juste et raisonnable, c’est ce que montre la naissance de la propriété et du droit : « qui a fait les partages de la terre, si ce n’est la force ? Toute l’occupation de la justice est à maintenir les lois de la violence » (G.I,438). Les institutions de l’État, les lois, les règles du « bien commun » et de « l’intérêt général », ne font ainsi que « fixer les droits » de chaque « condition » – telle qu’elle est issue de la violence et des rapports de force -, dans une « impuissance absolue d’empêcher l’inégalité » (ICEH,G.I,51/DLE,83) !
Par son refus, dans l’explication de la genèse de l’État, de se référer à la loi naturelle et au contrat, Vauvenargues se met au ban de tous les théoriciens politiques de son temps qui, aussi bien conservateurs que libéraux, s’accordent sur la perspective jusnaturaliste pour rejeter l’identification inadmissible du droit et de la force. De l’ordre de l’univers à celui de l’État c’est donc d’abord dans le vide du droit, du sens et de la valeur que s’affirme la violence du hasard et de la force aux principes de leur constitution continuée (G.I,393). Car c’est, à présent, la violence de l’économie-monde qui préside à l’édification de la puissance souveraine de l’Etat dans une inhumaine indifférence face à la nouvelle pauvreté qu’elle engendre.
Dans son Discours sur le caractère des différents siècles, Vauvenargues établit un parallèle entre les sacrifices humains chez les peuples anciens, faits « par ignorance », et le sacrifice de sang-froid d’une partie de la population sur l’autel moderne de la liberté mondiale du commerce.
« Immoler, disent-ils, des hommes à la Divinité ! verser le sang humain pour honorer les funérailles des grands ! etc. Je ne prétends point justifier de telles horreurs ; mais je dis : Que nous sont ces hommes que je vois couchés dans nos places et sur les degrés de nos temples, ces spectres vivants que la faim, la douleur et la maladie précipitent vers le tombeau ? Des hommes, plongés dans les superfluités et les délices, voient tranquillement périr d’autres hommes que la misère emporte à la fleur de l’âge. Cela paraît-il moins féroce ? et lequel mérite le mieux le nom de barbarie, d’un sacrifice impie fait par ignorance, ou d’une inhumanité commise de sang-froid, et avec une entière connaissance ? » (G.I,157-158/DLE,184-185). La divinité moderne qui impose à la majorité des hommes une vie de travail, de pauvreté et d’opprobre, c’est l’État, Léviathan que certains adulent et qui se donne lui-même comme Raison et comme Sagesse. Vauvenargues interroge la valeur de cette raison et de ses lois : « faut-il s’applaudir de la politique si son plus grand effort est de faire quelques heureux au prix du repos[[Repos est synonyme de misère, de servitude et de mort. C’est l’équivalent, chez Montesquieu, de ces États, dans lesquels tout le monde est « tranquille » et pour lesquels « on peut être assuré que la liberté n’y est pas », Considérations sur les causes de la grandeur des Romains et de leur décadence (1re éd. 1734), éd. G-F p. 82. de tant d’hommes ? Et quelle est la sagesse si vantée de ces lois qui laissent tant de maux inévitables et procurent si peu de biens ? » (G.I,437). En effet, « si l’on découvrait le secret de proscrire à jamais la guerre, de multiplier le genre humain et d’assurer à tous les hommes de quoi subsister, combien nos meilleures lois paraîtraient-elles ignorantes et barbares ! » (Id. ibid.).
Loin d’exprimer les lumières de la raison, les lois ne peuvent que manifester – et d’autant plus clairement quand sont tombés les voiles pudiques de la religion et de la morale – les conditions barbares de la fondation de l’État, de sa persévérance et, dans l’absolutisme, de l’épanouissement de sa redoutable puissance.
Vauvenargues est sans conteste, avec le curé Meslier, un des rares penseurs de son temps à poser la misère, dans laquelle « vivent la plupart des hommes », comme une des données premières et fondamentales de l’expérience philosophique du monde (G.I,79/DLE,111). A ceux qui tiennent la pauvreté pour une punition inhérente à tous les parasites de la société dont l’oisiveté, la paresse et la mauvaise conduite sont à considérer comme de véritables « crimes d’État »[[Jean-François Melon, Essai politique sur le commerce, 1734 réed 1736, ch. VIII., Vauvenargues répond sans distinguer l’état de pauvreté du travail lui-même, mais aussi de l’opprobre qui les accompagne et tout en renversant le renversement imaginaire opéré par les idéologues. Premièrement, c’est non pas parce qu’ils sont oisifs et paresseux que les pauvres sont pauvres, car la loi du sort est à l’évidence la même pour ceux qui languissent toute leur vie dans le travail. Ce n’est pas non plus parce qu’ils se sont mal conduits que les pauvres sont pauvres et férocement méprisés des heureux. C’est parce que la misère (même avec le travail…) est en elle-même toujours-déjà tenue, par les favorisés, pour un crime méprisable et digne d’opprobre. Car « l’opprobre est une loi de la pauvreté »; parce que « la pauvreté fait plus d’opprobres que le vice » (G.I,434).
L’accumulation de la pauvreté, comme les désordres des malheureux sont, pour Vauvenargues, structurellement liés à l’accumulation d’une richesse qui nourrit la puissance de l’Etat : « la plupart de ces maux irrémédiables, écrit-il, ont leur source dans la grandeur de l’État, et dans la prospérité même de ceux qui les produisent » (G.II,68/DLE,156). Et, en cette première moitié du XVIIIe siècle, le gouvernement travaille à la grandeur de l’État suivant une logique économique dont sa puissance dépend, mais qui déborde pourtant largement ses prérogatives et sur laquelle sa volonté ne peut guère intervenir sans, souligne Vauvenargues, emporter « d’un coup » son équilibre. Vauvenargues, fait en son temps, le constat d’une situation économique, sociale et politique bloquée et dont la « balance » est extrêmement sensible.
La raison de l’économie politique enseigne donc qu’on ne peut quasiment rien toucher à l’ordre établi… Mais une autre vérité, aussi effective de la nécessité de l’ordre des choses, s’impose dans sa démesure : « On ne peut empêcher les hommes d’innover, parce qu’on ne peut les empêcher d’aimer la gloire et le changement ni leur ravir l’espérance d’améliorer leur condition » (FsM n°9 [16 p.103). Le changement est dans l’ordre. Et l’activité transformatrice commune est l’ordre de la nature qui subvertit tous les ordres et toutes les mesures… Clodius ou le Séditieux n’hésite pas à tirer logiquement de l’ontologie dynamique vauvenarguienne sa leçon subversive. Il enseigne, « qu’il faut que tout change, que rien n’est stable, que le mouvement est une fatalité invincible ; que les opinions, et les mœurs qui dépendent des opinions, les hommes en place, et les lois qui dépendent des hommes en place, les bornes des États et leur puissance, l’intérêt des États voisins, tout varie nécessairement : Or, ajoute-t-il, il est impossible qu’un État où tout varie, et qui voit tout varier autour de lui, ne change pas à son tour de gouvernement » (G.I,345).
Le temps de la mutation
De quel point de vue alors – indépendant de la mesure d’une raison justificatrice qui soumet la volonté à l’ordre des choses et à l’intérêt de l’État (car cette raison est déjà l’instrument d’un pouvoir que certains adulent) – percevoir/concevoir le monde en vérité ? Si le texte Sur le luxe conclut sur l’impuissance de la raison et de la volonté politique à réellement maîtriser, dans ses conséquences dévastatrices, la nouvelle dynamique économique, ce même texte tire aussi une réflexion plus universelle sur le mouvement de l’histoire et de son devenir : « ce qui découvre, écrit Vauvenargues, le malheureux germe dont toutes les choses humaines sont sensiblement infectées et prépare dans la grandeur même des empires, leur inévitable ruine » (G.II,68/DLE,156). Or ici le germe, historiquement déterminé (ou la cause interne de la ruine à venir), Vauvenargues l’a clairement dégagé de son analyse : c’est l’inégalité, effet de l’impossibilité à maintenir, dans un État devenu très puissant, l’équité « des conditions et des fortunes », telle qu’elle s’était consensuellement imposée, dans la crainte des supplices et sous le manteau du droit, de la justice, de la religion et de la morale. Mais la cause interne n’est elle-même qu’un effet d’une cause historique extérieure – qui joue ici le rôle de cet « agent supérieur » venu « déranger » l’ordre ancien des choses (ses rapports, sa forme, ses proportions comme le disait, dans le domaine de la métaphysique, le texte Sur l’économie de l’univers) ; et cette cause, c’est la dynamique du luxe.
Vauvenargues lit lumineusement son propre temps comme celui d’une « disproportion des fortunes » qui met en question l’État monarchique en tant que celui-ci se caractérise par une « équité », une proportion, un ordre, une loi propre, un rapport spécifique qui, dans le profond bouleversement historique, tend à être brisé. Les « guerres civiles » ne sont pas loin[[Les guerres civiles qui, selon Montesquieu sont engendrées avec nécessité par la grandeur même de l’État, op. cit. p. 82..
Qui peut alors arracher la raison à la méditation sur la mort, afin de réinscrire la parole singulière de la philosophie dans la dynamique puissante de la génération de la vie ? Vauvenargues répond par le « sentiment ». Le sentiment d’abord qui rend la misère et ses justifications inacceptables, comme est inacceptable le nouveau type d’homme-de-l’intérêt qui vient. Face à cet avènement, il y a chez Vauvenargues cette « honte d’être un homme » dont Deleuze a écrit qu’elle était « un des motifs les plus puissants de la philosophie, ce qui en fait forcément une philosophie politique »[[G. Deleuze interviewé par T. Negri, Futur antérieur n° 1 / 1990, p. 103..
Le feu et la justesse. Connaître / inventer / produire
Pour bien comprendre l’importance de ce que Vauvenargues appelle « connaître par sentiment », il faut revenir à l’idée du « véritable philosophe ». Vauvenargues écrit dans sa Réflexion 335 : « On ne s’élève point aux grandes vérités sans enthousiasme : le sang-froid discute et n’invente point ; il faut peut-être autant de feu que de justesse pour faire un véritable philosophe » (G.I,423-424). Remarquons d’abord que l’expression « véritable philosophe » ne se trouve que trois fois seulement sous la plume de Vauvenargues. On la rencontre aussi, en effet, à la fin du texte intitulé Sur l’économie de l’univers ; « véritables philosophes » est alors mis en opposition radicale à la fois avec les « faibles philosophes » et avec les « théologiens »[[Cf.J. Vercruysse op. cit. p. 74.. Le véritable philosophe sait que poser un ordre n’est ni poser une téléologie, ni un incompréhensible mystère… mais un champ de connaissances possibles à (indéfiniment) produire. L’enthousiasme que le véritable philosophe éprouve donc, dans et par la connaissance qui élève son esprit aux « grandes vérités », n’est donc le fait d’une dévotion ou d’une ferveur qu’au sens justement où, pour lui, la vérité comme objet d’amour, appelle une si haute exigence, une si grande justesse, de si puissantes passions, une telle liberté si incompatible avec la faiblesse, qu’elle ne saurait se contenter d’être réduite aux fables de l’enfance ou de la révélation ! L’enthousiasme du philosophe, c’est son conatus même, l’effort puissant que l’âme « elle-même se donne » dans son amour et sa volonté de vérité (ICEH,G.I,14/DLE,50). Lorsque la force s’allie à la justesse, l’esprit peut saisir le vrai par sentiment, qui est la connaissance des forces actives à partir desquelles le réel lui-même, dans et par sa propre puissance ou sa propre fécondité, offre les voies inventives de sa transformation libératrice. « Les grandes pensées viennent du cœur » (G.I,386), comme elles débordent nécessairement les mesures dans lesquelles la raison, pliée à l’usage, enserrait elle-même l’esprit et le réel.
Quand notre cœur – du fait de sa puissance affective (l’aptitude d’affecter et d’être affecté de l’âme) – a pu régler le rang de nos intérêts en faisant de l’esprit, ou de l’âme elle-même, l’intérêt principal de nos passions (ICEH,G.I,41-42/DLE,75-76), nous sommes capables d’un sentiment qui connaît adéquatement et c’est alors notre raison qui, naturellement et pratiquement, conduit l’intérêt de nos passions (G.I,419). Connaître par sentiment, c’est donc connaître selon une raison qui est celle de la passion elle-même en tant qu’elle « envisage [son objet » d’une certaine « manière » qui est celle d’un intérêt purement intellectuel (ICEH,G.I,41/DLE,75). C’est cet intérêt intellectuel de l’amour, inséparable d’une conduite pratique, immanente et puissante de la raison, qui fait la connaissance par sentiment comme amour intellectuel. La connaissance par sentiment est donc bien une connaissance éminemment rationnelle, mais c’est la connaissance d’une raison naturelle, intrinsèque à l’amour, lorsque la passion s’affirme dans son intérêt intellectuel. Cette raison n’a plus alors rien de transcendantal ni de contraire, par nature, à notre nature et/ou à notre passion. Loin de nous imposer une norme, un modèle ou une mesure, c’est de manière purement immanente qu’elle agit en libérant la puissance d’invention et d’imagination d’une âme, en tant que singulière, et une hardiesse sans laquelle rien de grand ni de nouveau ne pourrait advenir.
La connaissance par sentiment ne peut donc être qu’une connaissance, du point de vue de la singularité et capable, par son étendue, sa fécondité, sa pénétration et son acuité, d’une justesse qui a pour objet la connaissance des choses singulières. A une lettre de Mirabeau, pleine de sérieux, de conseils, et de reproches sur sa vie sans but, « au jour la journée », mais qui ne tarit pas d’éloges sur sa profondeur philosophique, Vauvenargues répond que de « philosophe » il n’accepte que le « titre » sans en prendre les « charges », et tout en affirmant ses « inclinations ». S’il est philosophe, il l’est, dit-il, dans et par ses propres « singularités » (G.II,115/DLE,261), « par un instinct particulier et comme indépendant de la raison » (G.I,487). L’affirmation vauvenarguienne de ses singularités philosophiques – à la fois individuantes (dans leur dynamique d’autonomie) et individualisantes (dans l’affirmation de leur différence) – se fait donc d’abord contre l’universalité d’une raison mortifère. Vauvenargues s’inscrit clairement dans le camp de ceux – de Montaigne à Spinoza – pour qui l’on ne peut être sage que de sa propre sagesse, quand une telle sagesse du singulier est méditation de la vie, non de la mort. C’est ce qu’expriment clairement deux de ses maximes : « On ne peut juger de la vie par une plus fausse règle que la mort »; « La pensée de la mort nous trompe ; car elle nous fait oublier de vivre » (G.I,287-288).
« Préparez votre avenir… » ; « Programmez votre vie suivant la raison… », écrit Mirabeau. Vauvenargues répond : « les singularités », la philosophie que « je » suis, c’est un autre programme, un autre plan, une autre stratégie… Qui ne le conduira pas à se faire une réputation dans la République des Lettres (comme le lui conseille Mirabeau) mais à fréquenter les « allées détournées » de la modernité dans la compagnie séditieuse des exclus.
Dans ses promenades au Jardin du Luxembourg[[Sur les misères cachées, G. I p. 97-98 et DLE p. 140., ce que Vauvenargues rencontre, ce sont les conséquences pratiques et politiques d’un régime théorique imaginaire du rapport de la raison et des passions, régime qui s’est constitué, dans le réel, comme machine sociale concrète de pouvoir. Dans l’allée principale « une foule d’hommes et de femmes sans passions » – ou du moins qui ont su réduire, du fait de leur statut social, le régime de leurs passions à des intérêts rationnels – ; « dans les allées détournées, des misérables » : la pauvreté des vieillards devenue une honte, le désir de gloire de la jeunesse une erreur, le besoin qui jette des femmes dans l’opprobre, l’ambition de ceux « qui concertent peut-être des témérités inutiles pour sortir de l’obscurité ». A la différence de la « frivolité » (l’absence d’être) de l’allée principale, les allées détournées sont parcourues par la multitude des singularités dont la densité d’être s’affirme de l’intensité même de leur misère : « Il me semble alors que je vois autour de moi toutes les passions qui se promènent, et mon âme s’afflige et se trouble à la vue de ces infortunés, mais, en même temps, se plaît dans leur compagnie séditieuse ». Compagnie séditieuse avec tous les besoins (insatisfaits), avec tous les désirs (rentrés), d’une société qui se présente frauduleusement, « sans passions », rationnelle, moderne, c’est-à-dire en réalité, soumise à la tyrannie de l’État, de sa raison, de sa justice et de ses lois.
Vauvenargues dit vouloir entrer en communication avec ces « esprits inquiets » et potentiellement séditieux qui endurent en solitaires la rigueur de leur condition, et que « tourmente inexorablement [… le désir de changer leur fortune »… « Je voudrais quelquefois aborder ces solitaires, pour leur donner mes consolations ; mais ils craignent d’être arrachés à leurs pensées, et ils se détournent de moi : le plaisir et la société n’ont plus de charmes pour ceux que l’illusion de la gloire asservit » (Id.ibid.). Dans le Jardin du Luxembourg, la simple consolation est, elle-même, un échec. Quant à travailler au bonheur…
Nous n’avons pas encore parlé de la troisième occurrence du « véritable philosophe ». Elle se trouve, dans une formulation légèrement modifiée, dans la Réflexion 406, et nous permet d’établir, à partir de la question de la connaissance de la nature humaine, une connexion décisive entre le philosophe et le politique : « Les vrais politiques, écrit Vauvenargues, connaissent mieux les hommes que ceux qui font métier de la philosophie; je veux dire qu’ils sont plus vrais philosophes » (G.I,437).
« N’appréhendez pas que le peuple vous manque » (Clodius ou le Séditieux)
C’est d’abord la génération même de la vie, les besoins et les désirs les plus fondamentaux (de nourriture et de jouissance, dans la coopération de la gloire)[[La gloire est nécessairement liée à la dynamique de la coopération et à sa fécondité. « Cette forte et noble passion, cette source ancienne et féconde des vertus humaines, qui a fait sortir le monde de la barbarie et porté les arts à leur perfection », G. I p. 128 et DLE p. 167., que l’État parasitaire sacrifie. Et c’est bien, plus particulièrement, le sacrifice « à la fleur de l’âge » de la génération nouvelle, qui d’abord, affecte Vauvenargues et le révolte. Sacrifice des forces fécondes de la jeunesse, des mérites, des talents, des ambitions, qui sont « l’âme du monde » comme elles sont aussi l’âme du corps collectif, sa vie dans sa puissance affirmative d’agir et de produire, ici réprimée et perdue. Car la mort occupe le centre visible et monolithique de la société (les hommes « sans passions ») tandis que la vie multiple, intense et cachée, foisonne, réfugiée dans les ramifications du monde, en-attente d’un événement qui la ferait ex-ister-ensemble. Par un véritable déplacement ontologique et historique, la misère est devenue le lieu intense de l’être vivant multiple, écrasé, dispersé, éclaté, mais aussi puissamment traversé par le désir de changer de fortune et le puissant désir d’innover. Et Vauvenargues de nous conduire (du sein même de l’ontologie de la misère, de sa vie dense et multiple), d’une inquiétude-mésaise des esprits opprimés à l’inquiétude ontologique du présent vivant, qui est le temps lui-même comme « force inquiète ».
Dans un portrait de Louis XI, qu’il trace à travers Comines[[Dialogue entre Philippe II et Comines, G. II p. 27-29., Vauvenargues expose la dynamique du corps politique. Louis XI, c’est « l’âme de l’État » et son conatus même :un effortstratégiquedeconstitution, dans et par les procédures de la « familiarité » et de la « conciliation ». Sans la familiarité avec le multiple (et/ou la puissance des singularités), l’action politique est vide, impuissante et aveugle. Sans une aptitude à concilier – dans le com-patir et le com-prendre – qui relie en puissance et non en impuissance, il n’y a pas non plus de vie commune. Mais l’âme du corps politique (comme praxis communis) n’est puissance de conciliation que dans et par son aptitude à « se multiplier pour suffire à tout » (Id.ibid.p.29), suivant la dynamique du « devenir plusieurs » du Prince de Machiavel[[L. Althusser, « Solitude de Machiavel », Futur Antérieur n° 1/1990, p. 31.. C’est sa manière souveraine d’aimer.
La leçon du stratège[[Montaigne place Philippe de Comines auprès de César, Polybe et Machiavel, en tant que maître de la stratégie militaire (Essais, livre II, ch. 34, éd. G-F p. 397). est bien une leçon politique – ou d’ontologie politique de la stratégie – que Vauvenargues, pour sa part et en son temps, transpose dans des figures mythiques à travers lesquelles peut se lire, non plus la crainte politique des désirs des peuples mais au contraire l’accueil de toute leur puissance constituante et de toutes leurs espérances. Vauvenargues qui livre à Mirabeau des anecdotes de sa vie comme de véritables maximes de la pensée (« je pleurais de joie lorsque je lisais ces Vies [de Plutarque […, j’allais dans la place de Rome pour haranguer avec les Gracques… », G.II,193/DLE,289), revêt les habits révolutionnaires de Clodius quand l’époque appelle à l’insurrection. Clodius, c’est aussi Louis XI. Mais quand la puissance ontologique du corps collectif est violemment expulsée de la société des « heureux », dispersée et isolée dans ses marges, Louis XI se fait subversif. Et le conatus politique de se reconstituer dans la sédition.
Louis XI / Clodius sont, dans l’œuvre de Vauvenargues, les noms symptômes d’une crise du conatus du corps collectif et les signes éloquents de sa possible réorganisation. Louis XI / Clodius répondent activement à la tension de l’attente. Par son éloquence, qui est le style même de l’affirmation, la grande âme provoque à une pratique commune ceux qui étaient dispersés. Elle condense l’action collective en ce point[[Sur ce « point de l’être » où se concentre tout le processus par lequel la multitude agit, cf. T. Negri, Kairos, Alma Venus, multitude, Calmann-Levy, 2001, p. 172. où elle est conciliation productive et puissante qui arrache au temps de la destruction et transforme la mésaise des « esprits inquiets » et isolés, en « force inquiète » commune, qui est pure activité, mouvement réel du réel, « désir sans objet » (ICEH,G.I,46/DLE,79). Sans objet, c’est-à-dire sans manque. L’inquiétude est alors la puissance ontologique du mouvement collectif qui positivement construit le monde de l’humanité des hommes. Contre le temps de l’ « être périssant et mourant » de la seconde nature pascalienne[[Pascal, Œuvres Complètes, Les Pensées, 372-483, éd. Lafuma, Seuil, 1963., il s’agit indéfiniment de combler le vide, de donner sens sur fond de hasard, d’opposer le temps de la génération féconde de la vie à l’être-temps de la destruction et de la mort. Car « Agir n’est autre chose que produire ; chaque action est un nouvel être qui commence, et qui n’était pas. Plus nous agissons, plus nous produisons, plus nous vivons, car le sort des choses humaines est de ne pouvoir se maintenir que par une génération continuelle » (G.I,457). Chez Vauvenargues, la connaissance par sentiment surgit là où le temps comme inquiétude s’affirme comme « activité infatigable qui répare les écoulements perpétuels » (G.I,94/DLE,137). Et ce passage se fait par la familiarité et la conciliation, qui sont les deux concepts fondamentaux de la praxis politique vauvenarguienne. Parce que, par la puissance d’agir et de penser de son âme, il « incorpore à soi toutes les choses de la terre », qu’il s’unit à tout, que « tout [le touche », parce que, par là, s’exprime en son âme la notion commune de toutes les choses, Louis XI est le parfait stratège, ou plutôt il est le point ontologique par lequel le corps collectif peut décider adéquatement de l’avenir, en vérité et selon le moment opportun. Ce point de condensation extrême du réel est l’instant continué d’expression de la philosophie vraie et/ou de la sagesse immanente du corps collectif. La connaissance par sentiment suppose, en effet, toutes les qualités de l’esprit (fécondité, justesse, étendue, pénétration) qui sont mises instantanément en œuvre dans une réflexion indissociable de la manière puissante d’être affecté de l’âme qui, en un clin d’œil (le temps du présent instable de la présence), embrasse tout le réel et le décide, dans et par le mouvement de « génération perpétuelle » par lequel le présent vivant se déborde. La vie « de tous les êtres de l’univers comme du nôtre » (FsM n°9 [13 p.100) est dans et par cette stratégie de la génération qui est « principe de la vie et la vie même » (Id.ibid.[9 p.97). C’est dire combien, dans le mouvement réel de l’âme (comme inquiétude et comme temps), la « réflexion » est inséparable de la « mémoire » et de « l’imagination » créatrice. La grande âme « ne perd rien de vue ; le passé, le présent et l’avenir sont immobiles devant ses yeux » (G.II,29). Un avenir qui se construit dans la tension du présent de la génération, par le travail vivant et associé de la diversité des vertus et des talents. C’est « de ce concours et de cette diversité [que se forme la vraie richesse des sociétés » (G.I,283). Dans et par la praxis communis des singularités, ce qu’enseignaient déjà Machiavel et Spinoza. Quand, à l’inverse, la richesse accumulée à un pôle de la société, rend redoutable, au plus grand nombre, la puissance de l’État, et que le travail de chacun est au contraire signe de misère et de mort, quand l’histoire est celle du déplacement de la puissance multiple du corps vivant dans les marges d’un corps politique qui nomme « liberté publique » la « servitude de chaque particulier »[[Clodius ou le Séditieux, G. I p. 343., l’éloquence et l’amour se font subversion.
Du grand homme aux « grands citoyens dans tous les
genres
Vauvenargues (via Clodius) peut unir alors, dans un même rejet, la raison hégémonique moderne (de l’économie politique de l’État absolutiste) et l’empire de la raison stoïcienne (dans la Rome de Caton et Cicéron). Car leur projet est, par delà les temps, le même : soumettre l’univers sous une seule et même loi identifiée au destin de la Sagesse (et/ou de l’humanité-monde) que cette règle postule dans l’universalité de son droit. La nature, dit Clodius, a mis « tant de diversité dans les esprits, dans les goûts et dans les talents [… vouloir les renfermer tous dans la même voie et les ranger à la même règle, ce n’est ni savoir gouverner, ni se proportionner aux besoins et aux intérêts de la république » (G.I,344).
Face à la loi universelle de la force, qui donne la force universelle à la règle de la Raison, la voie puissante et noble de la politique, que Vauvenargues souhaite ouvrir, exige une refonte radicale de la conception de l’État, corrélative de la refonte philosophique du rapport de la raison et des passions. Dans ce combat, Louis XI est une machine de guerre tournée contre la Raison d’État et la métaphysique transcendantaliste de l’unité-domination du divers qu’elle suppose. Quand l’absolutisme se fait lui, au contraire, « populaire et accessible » à toutes les puissances des singularités, la fécondité multiple du prince collectif (qui, par familiarité et conciliation, multiplie indéfiniment l’aptitude à affecter et à être affecté de son âme), tend, de fait, à constituer un plan d’immanence pour une productivité toujours plus absolue du corps commun. La génération perpétuelle de ce plan, c’est l’extension indéfinie de la grande âme elle-même, dans sa multiplicité, qui est la « vraie richesse » et la fécondité puissante des sociétés. Et Louis XI, vrai politique et véritable philosophe, aura pour nom démocratie.
Vauvenargues pouvait alors rêver d’un « État nouveau ». Un État dans lequel le peuple des singularités ne pourra jamais manquer à la grande âme car, dans la diversité de ses passions, de ses plaisirs, de ses vertus ou de ses talents, il en est la réalité même, la puissance et la « vraie richesse ». Un État, dit Clodius, « propre à faire de grands citoyens dans tous les genres, favorable à tous les plaisirs, secourable à toutes les vertus, et surtout indulgent à toutes les passions » (G.I,346). Louis XI / Clodius, par la démesure même de leur âme et la hardiesse de leur entreprise, expriment l’inquiétude comme temps de la génération d’une vie commune qui refuse, au nom d’une vérité effective plus noble – celle d’une connaissance par sentiment, riche de toute l’expérience coopérative du monde – de se soumettre à la froide raison de la réalité de la fortune et de l’histoire.