Le videolab met en oeuvre un dispositif de production d’énonciation collective fonctionnant régulièrement à la CIP-IDF (Coordination des Intermittents et Précaires d’Ile de France) depuis janvier 2004. Se développant à partir de déambulations, c’est tout à la fois, indistinctement, un dispositif vidéo d’auto-enquête, de production d’images, de partage d’expériences, de fabrication de publics. Ouvert à tous ce dispositif s’enrichit continuellement des questionnements de chacun sur la forme-coordination, les pratiques qu’on y conduit, les conditions d’existence et d’emploi qui sont les nôtres
Le videolab est un dispositif multimédia d’énonciation collective ouvert à tous qui se tient régulièrement à la CIPIdF (Coordination des Intermittents et Précaires d’Ile de France) quai de Charente. Pour l’instant, au long de déambulations nous avons tenté d’ interroger nos trajectoires et nos expériences de vie à travers la question de l’intermittence. Nous avons aussi essayé d’expliciter nos relations à la forme « coordination ». Nous nous sommes encore demandé comment se compose pour chacun la question du revenu et celle du travail (salaire), celle du temps (dans et hors emploi), celle de l’emploi (forme et contenu) avec notre part d’incommensurable et de désir. Le dispositif du videolab présuppose l’indistinction entre « acteur » et « spectateur », entre producteur-réalisateur d’images et sujets filmés, entre experts et sujets d’enquête. C’est un dispositif de production de publics qui dénoue les séparations, les hiérarchies, les rôles : qui est constituant d’un Nous par la médiation de la video. Par la suite le videolab se propose d’intervenir sur les points de lutte qui viendraient à s’ouvrir sur les territoires. À chaque fois les images produites par le dispositif à la CIPIDF, dans la rue, les usines, les ANPE seront projetées dans le nouveau lieu d’intervention, déclenchant une nouvelle expérience d’énonciation collective, de constitution d’un sensible, de fabrication d’un partage.
VIDEOLAB un (extraits)
DéAmbulation 1
Je ne suis pas intermittent depuis très longtemps. Avant je me débrouillais autrement tout en conduisant des projets qui me tenaient à cœur, en m’efforçant de réunir des productions sauvages qui étaient des productions de mécénat et surtout grâce à l’investissement de gens qui étaient autour de moi et qui m’ont permis de faire des films, par exemple.
Quand je suis entré dans le statut intermittent du spectacle ça a considérablement amélioré ma vie quotidienne et celle de ma famille.
La forme film ça ne me semblait pas correspondre à l’espace coordination. Parce que la forme film ça appartient au fond à une logique d’auteur. Ce qui explique en grande partie tous les problèmes qu’il y a eu autour des films qui ont été produits en utilisant des images qui étaient produites collectivement. Par contre fabriquer un dispositif qui appartienne à tout le monde, dans lequel tout le monde puisse entrer pour parler d’un certain nombre de thématiques, pour ensuite projeter le produit de ce dispositif devant l’assemblée générale, ça me semblait plus correspondre à un espace comme celui de la coord…
Un film est-ce que ça suffit comme objet politique…
J’ai activement espéré ce mouvement. Essayé de le provoquer, de faire qu’il advienne. Il est advenu d’un seul coup. Et ça a été comme ça, une explosion de personnes, de possibilités.
DéAmbulation 3
J’ai été assez présente au cours de ces 6 mois pas forcément d’une façon active en travaillant POUR la coordination mais en étant là, en participant aux actions, en partageant un certain nombre de réflexions. Beaucoup dans les couloirs, entre deux portes, avec des liens avec des personnes qui ne sont pas forcément les liens publics. C’est difficile… Voilà.
Ca va mieux quand ça travaille pas que quand ça travaille sur des trucs inintéressants.
Ce qui m’importait aussi dans ce régime c’était le temps. Le temps aussi pour rien, quoi. On est pas obligé de.
DéAmbulation 4
De temps en temps je travaille comme comédienne, de temps en temps je travaille comme habilleuse, de temps en temps je fais des animations, des vacations. Je sais jamais trop quelle est ma place sur terre bien évidemment.
Les rentrées d’argent ça fait partie des soucis majeurs.
Autrement on fait des choses…. quand on a des petits rôles au cinéma ça peut varier d’une production à l’autre et d’un film à l’autre. Si c’est des gens qui ont les moyens on est quand même un petit peu payé mais quand même c’est pas mirobolant. C’est guère plus que le SMIC. Et puis on va faire douze heures et on est pratiquement pas payé quoi.
Souvent on se trouve confronté à des gens qui font le même métier que nous mais on sait pas s’ils sont beaucoup plus payés que nous ou s’ils le sont pas. C’est toujours un peu le flou artistique par rapport au salaire quoi.
Et des fois on refuse carrément des contrats parce qu’on sait qu’on sera payé trois ou quatre mois plus tard. Et puis en attendant comment on fait… comment on fait ?
Alors on se pose toujours des questions à savoir, heu… qu’est-ce qu’on vaut vraiment quoi.
Mais quand on regarde bien notre propre interrogation, mon interrogation à moi va rejoindre celle des autres. C’est pour ça que c’est pas évident de ne parler qu’au « je », parce que quand même nous sommes des collectifs.
DéAmbulation 5
J’avais vraiment envie de travailler sur la notion de collectif et depuis quelques mois on en est plutôt submergé, c’est magnifique. Mais en même temps voilà, comment retrouver le « je » dans ce fameux « nous ».
DéAmbulation 6
Moi je sais que ce protocole en tant que personne vivant avec un handicap me fout encore plus loin du travail du spectacle que ce qu’il y avait avant. C’est pour ça que je suis là.
DéAmbulation 8
Bon, faut que je commence par dire que j’ai jamais été intermittent. J’ai jamais pu avaler un seul cachet. Enfin si, quelques uns, mais ce n’était pas ma tasse de thé. Parce que ça me semblait trop compliqué au départ ces histoires de calculer, avoir ses heures, des tas de cachets, tout ça, pfff… J’ai pas voulu entrer là-dedans en tant que comédien. Et puis ensuite en tant que metteur en scène j’ai réussi à vivre sans les cachets et puis faire des spectacles sans. Voilà ça fonctionnait comme ça. Donc je ne suis pas un intermittent, je suis un extermittent.
DéAmbulation 9
Et alors j’ai fait deux stages, un pour confirmer l’autre parce que bon…. Ca fait deux ans et demi que je suis cascadeur professionnel reconnu par l’école qui forme les cascadeurs pour le cinéma, et alors je me suis rendu compte, j’ai appelé les copains qui sont cascadeurs… « Écoute est-ce que tu peux pas me faire rentrer dans ton business ? ». Alors ils m’ont répondu « ouais j’vais en parler » et puis alors je suis encore en train d’attendre, j’attends qu’on m’appelle en tant que cascadeur
DéAmbulation 12
Bon, heu… moi ch’uis Marcel, ch’uis retraité d’l’automobile, ch’uis syndiqué. Pourquoi que ch’uis là, bah c’est pour les aider, vous les intermittents.
Comme ch’uis manuel on a fait un bar là. Mais c’est… heu… le combat est dur. Y faut rassembler les gens. Parce que c’est dur… les discussions… on peut pas dire… Mais sans quoi j’ai toujours le moral.
La télé j’en ai plus, j’l’ai cassée. Y’a rien qui me plaisait… alors bon, ben, allez hop…
VIDEOLAB deux (extraits)
DéAmbulation 2
De la difficulté que je peux avoir depuis 7 mois que je suis à la coord d’aller voir un film, un spectacle, j’ai tout de suite envie de monter sur la scène, ou plutôt qu’on s’arrête de jouer, qu’on se mette à discuter de ce qu’on est en train de faire, de ce qu’on aurait pu faire, de ce qu’on fait pas, d’autres choses, de ce qui se passe en ce moment, puis se remettre à jouer puis de s’arrêter à nouveau, puis etc…
DéAmbulation 4
Je me dis que le travail d’un film politique c’est en fait la possibilité d’avoir plusieurs écritures. De mettre en place un processus qui fasse que ce soit de la pensée qui circule et pas justement des gens qui pensent pour nous…
DéAmbulation 5
Avec les ciné-tracts y’avait un objet qui n’était pas complet, pas fini. Et moi ça m’a fait penser à quand j’ai vu à la télé au ciné-club, quand j’étais môme, une aventure de Billy the kid de Luc Moulet avec JP Léaud, et qui est donc un western qui se passe dans les Basses Alpes. Et bon évidemment y a pas un flingue, JP Léaud est dans des trous d’eau, etc… Et moi ce truc ça m’a super plu. Ch’ais pas je devais avoir 13 ans et ce qui m’a plu c’est que j’y comprenais rien, et que pourtant c’était super clair… c’était vraiment à moi de faire le truc, le lien, quoi.
DéAmbulation 6
Y’a un rapport qui me vient à l’esprit: comment on pourrait avoir un corps qui serait complètement allergique à la télévision… mais quand dans l’AG les gens disent qu’il n’y a aucun rapport entre l’esthétique et le politique, d’un côté on fait de la politique c’est-à-dire on décide d’actions, de l’autre on fait des films, en fait ils se rendent pas compte qu’en fait c’est impossible de faire l’un sans l’autre. Je pense que si la télévision elle est comme ça, si ça fonctionne comme ça, d’un autre côté ça renvoie sans doute à ce que font les gens comme travail dans la société…. Cette télé elle ressemble au travail qu’il y a dans l’entreprise, et on ne peut pas comprendre la télévision, ce qu’on voit, sans se dire que ce n’est pas simplement le reflet… Le travail dans l’entreprise, dans la culture ou ailleurs est complètement homogène avec la télé-réalité, les JT, les publicités… et on peut pas, donc, séparer l’un de l’autre. Comme dans la coord on ne peut pas séparer la manière de penser comment on va filmer, de la pratique de la coord. Une pratique complètement démocratique intégrant chacun, et qu’ en vidéo on devrait pouvoir réussir la même chose, c’est à dire fabriquer un dispositif où tout le monde puisse entrer…. où on puisse interactivement parler de ces questions et construire des rhizomes et essayer collectivement d’inventer.
DéAmbulation 7
Je parlais avec une fille qui jouait à l’Odéon et elle m’expliquait en fait que c’était très maladroit de parler de RMA à ces gens-là, pour les mobiliser il fallait pas parler du RMI et du RMA, ça allait leur faire peur… Donc en fait je l’ai fait, j’ai écrit des mails où je parlais pas du RMI et du RMA, donc en fait j’ai toujours pas compris pourquoi c’était démobilisateur, pourquoi c’était démobilisateur de parler de grève.
DéAmbulation 9
Mon problème en ce moment, c’est de gagner mes salaires avec les salauds. C’est avec eux que je fais mes tunes et mes heures. Alors pour contrebalancer, pour continuer à me supporter ch’fais d’autres choses. Des films avec des potes, je fais rien, je me permets d’errer entre art dans les squats et politique dans la rue.
DéAmbulation 10
Y’a plus tellement ni d’objet politique, ni d’objet esthétique, en fait y’a plus que des objets de consommation… l’opposition elle serait pas politique/esthétique, elle serait action ou création ouverte/objet manufacturé.
DéAmbulation 11
Ca serait la question de… pas de la consommation mais de l’expérience…. Quel type d’expérience en fait… par rapport à ce qu’on fabrique, à comment c’est reçu et qu’est-ce qui se partage, quel est le lieu de partage… de quoi fait-on l’expérience, en fait… Et ce qui est volé, enfin, ce qui devient consommation, c’est quand il y a plus expérience, quand il y a quelque chose qui n’agit plus, même si dans un tout autre contexte je suis sûr qu’il y a des objets, qu’il y a des films qui peuvent être présentés, et être agissants, parce que quelque chose a préparé à la venue de… ou à l’accueil possible… Qu’est-ce qu’un accueil, quelles sont les conditions d’accueil, d’hospitalité qu’on crée pour des films, des pièces…
Je crois que si cette lutte arrive à ce moment-là c’est aussi parce que quelque chose s’est clos, on peut fabriquer tout un tas de trucs sans que ça transforme nos capacités réelles à transformer le monde… pour moi c’est ça un objet politique, d’où l’importances de lieux dans lesquels on fabrique, les gens avec qui on fabrique et comment on fabrique… Parce que le comment on fait il est tout à fait consubstantiel de comment ça sera partageable ou non, et les « comment » ils sont de plus en plus resserrés….
… la décision de se mettre en grève.
DéAmbulation 15
Moi ce que je trouve de très politique c’est de revendiquer le refus du travail, le refus du travail tel qu’on veut nous assigner à travailler aujourd’hui, je revendique ces espaces où on est aujourd’hui, qui sont pas préprogrammés, préconçus, qui sont pas cadrés, qui sont pas encore totalement assignés, qui nous laissent la possibilité d’inventer autre chose… c’est des temps d’expérimentation… j’ai jamais travaillé à plein temps dans ma vie, et je dirais très tôt que j’ai su que je voudrais jamais, jamais, jamais donner tout mon temps pour quelque raison que ce soit au travail à plein temps, parce que je ne me reconnais absolument pas dans cette organisation de l’économie, et je ne me reconnais pas dans cette forme de vie.
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Les quelques prénoms ici et là ont été modifiés.