L’espace urbain est à la fois fait de continuités et de discontinuités, voire de “continuités discontinues” (Navez-Bouchanine, 1994) qui donnent lieu à des morphologies fragmentées. On s’intéressera ici plutôt aux “irrégularités” de la ville, c’est-à-dire à ces zones qui semblent inattendues, “en rupture” avec des espaces pensés ou prévus dans le cadre d’une urbanisation en croissance linéaire. On parlera alors de ces lieux d’accumulation de richesses, de signes et de compétences que d’autres qualifient ou pourraient qualifier de lieux de marginalisation économique et sociale pour mettre l’accent sur des dynamiques de recomposition urbaine là où certains ne voient ou ne veulent voir que de la décomposition. Dans le débat social actuel, il est urgent de voir et de dire que ces espaces interstitiels dans la ville qui tendent à échapper à l’instrumentalisation des territoires et au contrôle des politiques publiques produisent des ressources urbaines qui dessinent, renforcent des réseaux de circulation de capitaux, d’hommes, d’informations, d’idées, de modèles et de pratiques culturelles. On développera alors l’idée suivante : dans les espaces interstitiels des grandes villes qui rassemblent provisoirement des populations en situation précaire se développent des socialisations productrices de cultures de l’aléatoire qui peuvent être mobilisées dans des processus d’affiliation, de désaffiliation et de réaffiliation urbaine et économique.
1. Circulations et appropriations dans l’espace urbain
Nous partirons de la conception de la ville de Robert Ezra Park (1952) qui est fondée sur l’association d’un ordre territorial, économique et culturel réglée par la concurrence et la communication[[“Dans la ville, comme dans toute autre forme de société organisée sur une base territoriale et économique, nous pouvons nous attendre à trouver trois types d’association : 1) territoriale; 2) économique. 3) culturelle” (Park in Grafmeyer,Joseph, 1979).. La ville peut alors être définie comme une “combinaison de territoires” (Roncayolo, 1990) économiques, sociaux, politiques et culturels qui font l’objet de systèmes de légitimations et de hiérarchies de nature différente, liés à une diversité d’activités et une hétérogénéité de populations. On réfère ici la notion de territoire à des formes d’organisation sociale, économique et culturelle qui sont localisées à un moment donné dans l’espace urbain mais qui peuvent se déplacer à un autre moment dans un autre fragment d’espace.
On distingue alors différents types d’espaces, certains apparaissent plus “ségrégués” que d’autres. Si la question de la ségrégation est toujours à la fois un fait social de mise à distance et une séparation physique, elle se trouve à la jonction du social et du spatial, au point de contact entre plusieurs registres d’analyse et plusieurs niveaux de discours (Grafmeyer, 1994). Les processus complexes de désaffiliation de différentes populations urbaines doivent être pensés dans un cadre multidimensionnel pour appréhender des modes de socialisation de populations qui vivent et agissent loin d’espaces institués, où sont attribuées des identités sociales. On peut alors voir par exemple que des situations de précarité économique ne signifient pas nécessairement enclavement spatial et réciproquement que des séparations spatiales n’impliquent pas nécessairement des processus de stigmatisation.
La ville est faite de ces interrelations permanentes de différents fonctions qui se traduisent dans la morphologie elle-même. En nous inscrivant dans le prolongement des travaux d’anthropologie urbaine de ces dernières années, centrés sur la logique d’appropriation des opportunités offertes par la ville, on est conduit à parler d’accessibilité à des espaces, des lieux et des milieux urbains (Roulleau-Berger, 1994A).
On considère aussi que l’espace est une modalité de composition entre des activités et des groupes (Rémy, Voyé, 1992) et permet de rendre compte de la complexité de systèmes d’échanges. En effet, quand la ville multiplie les accessibilités à différents types d’espaces, elle permet aux individus et aux groupes de se saisir d’opportunités et d’occasions renouvelées au cours de leurs déplacements. Ces formes de circulation et d’appropriation de ressources sociales, économiques, symboliques dans la grande ville permettent de mesurer à la fois des effets de changement social et de désorganisation sociale. On s’inscrit ici dans une conception de la ville qui n’est pas pensée comme produite dans une logique de juxtaposition et redevable des hiérarchies territoriales et politiques, mais comme produite dans une logique de superposition où l’ordre des mobilités l’emporte sur l’ordre des sédentarités (Tarrius, 1993).
On peut alors comprendre comment les caractéristiques de contextes urbains peuvent participer à la production de formes de concentration spatiale associant des populations défavorisées à des territoires circonscrits mais aussi à des recompositions économiques, sociales et culturelles par un agencement dynamique entre différents “bouts de ville” qui varie selon les contextes.
Aujourd’hui des formes d’emploi précaires sont concentrées à certains endroits de l’espace urbain, dispersées à d’autres mais elles existent dans toute la ville. Si elles s’étalent sur un continuum qui va du travail salarié au travail au noir en passant par un ensemble de statuts intermédiaires, les formes d’emploi précaires s’inscrivent tantôt dans des espaces occupés, tantôt dans des espaces appropriés, tantôt dans des espaces parcourus. Les modes de regroupements et de déplacements dans la ville permettent alors de comprendre des dynamiques d’échanges urbaines.
Le déclin de l’emploi stable dans les grandes villes, où la sélection et la ségrégation sont de plus en plus élevées, a renforcé les jeux de compétition sociale, économique et spatiale. Pour les populations en situation précaire, la question de l’accès aux diverses “ressources” de la ville se pose alors avec acuité. S’il y a de la captivité, il y a aussi de la mobilité liée à des situations précaires. L’emploi précaire produit des combinaisons spatiales qui génèrent des mouvements repérables dans la ville, des circulations, des appropriations de lieux qui réagissent les uns sur les autres. On est conduit à mobiliser la notion de réseau et à regarder comment une forme de réseau signifie un certain rapport à l’espace et s’inscrit dans l’histoire d’un rapport entre la maind’oeuvre et la production. On aborde le marché du travail dans la ville en considérant l’emploi et le chômage à partir d’une hétérogénéité de “réseaux de mobilisation” (Centi, 1987),
Articuler ville et emploi permet alors de rendre compte d’un continuum entre des formes urbaines ségréguées et des formes urbaines intégrées en correspondance avec des formes de travail stables et des formes de travail précaires. De la même manière qu’on ne segmente pas le marché en deux “sphères”, celle de la stabilité et celle de la précarité (Castel, 1995), on ne segmente pas la ville entre des zones ségréguées et des zones d’intégration. Si, en même temps, chaque espace peut apparaître relativement autonome, on ne peut comprendre cette réalité qu’en relation avec un marché du travail fragmenté, balkanisé, sachant que certains espaces et certains segments du marché de l’emploi font l’objet de légitimations plus fortes que d’autres. Mais cette diversité d’espaces et de segments de marché de l’emploi est pensée ici en termes de dynamiques urbaines et économiques.
2. Le partage des compétences dans les espaces intermédiaires
Certaines populations en situation de précarité économique, notamment des jeunes, occupent des espaces interstitiels délaissés par d’autres (Roulleau-Berger, L., 1991[[Je rappelle que J.Rémy et L.Voyé ont particulièrement développé cette notion dans les années 70 (1972) et que j’ai tenté de poursuivre leur réflexion.) quand les politiques urbaines se fondent sur la nécessité de laisser exister des zones “appropriables”, libres.
Ces espaces à la fois physiques, sociaux et symboliques se forment entre les marchés du travail, il s’y construit des identités sociales à partir de socialisations transitionnelles, nous les avons qualifiés d’espaces intermédiaires. Les espaces intermédiaires montrent comment se construisent des ruptures et des adaptations individuelles et collectives autour de l’expérience de la précarité[[Sur la question des adaptations et des ruptures individuelles nous rejoignons sur ce point C.Nicole-Drancourt (1991, 1995).. Les espaces intermédiaires sont traversés par l’exploration mutuelle et conjointe de réponses provisoires aux situations de précarité. Il s’y développe des micro-organisations sociales, économiques et culturelles.
Les espaces intermédiaires articulent véritablement des activités et des populations diverses. Ils apparaissent comme des espaces de travail “autonomes” dans une relation de mise à distance du travail salarié et fondés sur des rapports d’association et de coopération (Offe, 1990; Lazzarato, Négri, 1993). L’articulation entre des formes spatiales et des modes de production urbaine permet de voir comment la gestion de situations de précarité s’appuie sur de la réciprocité d’échanges, sur des subjectivités partagées. Dans les espaces intermédiaires, la circulation des ressources entre plusieurs membres d’un réseau se caractérise par un état de dette positif : le désir de donner l’emporte souvent sur l’obligation (Godbout, 1994). Dans la mesure où l’échange non-marchand organise de manière dominante les relations entre individus, des identités sociales peuvent se redéfinir positivement. L’échange non-marchand peut alors évoluer vers de l’échange marchand.
C’est à partir de contextes économiques, de morphologies sociales et spatiales différentes que se forment des types distincts d’espaces intermédiaires qui naissent de la dissociation de politiques urbaines et de politiques d’emploi.
Par exemple, à Lyon, nous avons suivi la vie de micro-lieux de création et d’expérimentation culturelle qui ont été aménagés par des jeunes depuis 1980 jusqu’à 1993 dans les anciens ateliers des canuts du XIXème siècle au coeur de la ville sur les pentes de la Croix-Rousse avant que la pression foncière ne monte et que se mette en place une politique active de rénovation urbaine. Nous avons suivi aussi dans des banlieues ouvrières de l’agglomération lyonnaise la vie de petits groupes de jeunes organisés autour du rap, de la danse qui travaillaient dans des lieux un peu cachés avant d’investir des équipements socio-culturels où leur étaient prêtés des locaux.
Là où sont apparues et ont disparu des petites “niches” de sociabilités à Lyon pour céder la place à des logements neufs, on peut voir aujourd’hui à Marseille, dans un contexte de croissance du chômage, apparaître de l’espace “libre”, de la “friche”. En effet, la désindustrialisation provoque ici l’apparition de nombreuses friches industrielles sous la forme d’usines fermées et abandonnées, de grandes installations partiellement démolies. Si, à Lyon, la politique urbaine locale s’est toujours orientée autour d’une volonté de transformation d’espaces vides industriels en zones habitables, la politique de reconversion des friches à Marseille dessine un autre type de paysage urbain où des populations en situation précaire, notamment des jeunes, peuvent s’approprier des morceaux de ville pour un temps donné, le temps de réajuster des ressources à des expériences avec d’autres.
La question de la construction sociale des espaces intermédiaires est alors centrée sur la relation entre les identités collectives de groupes de jeunes en situation précaire et leurs identités individuelles. Les espaces intermédiaires apparaissent à nos yeux comme les formes interstitielles qui se développent dans des sociétés urbaines contemporaines. Les espaces intermédiaires occupent ‘de notre point de vue une fonction ni concurrente, ni complémentaire de l’économie officielle, mais plutôt adjacente. Des jeunes “entrent” dans l’activité, s’organisent autour de projets en mobilisant des expériences individuelles. Les pratiques sociales, économiques et culturelles opèrent ici des distanciations plus ou moins marquées vis-à-vis du travail salarié.
Dans les espaces intermédiaires, des socialisations transitionnelles produisent des cultures qui accumulent des écarts plus ou moins importants selon les cas avec des logiques institutionnelles : les cultures de l’aléatoire, fondées avant tout sur la gestion de l’urgence et de l’incertitude inhérente à l’expérience[[“L’expérience sociale est une notion qui désigne les conduites individuelles et collectives dominées par l’hétérogénéité de leurs principes constitutifs, et par l’activité des individus qui doivent construire le sens de leurs pratiques au sein même de cette hétérogénéité” (Dubet, 1994). de précarité; elles se forment à partir du droit à l’emploi, le “droit à l’hésitation”, (c’est-à-dire le droit à refuser un emploi “disqualifiant”), le droit de Cité et le droit à inventer. Les petits groupes de jeunes s’associent autour de projets pour agir ensemble, ils organisent et fabriquent des expériences là où est souvent attendue de la passivité.
A partir de l’échange d’expériences de jeunes en situation précaire se construisent des compétences collectives. Les compétences collectives visent notamment à prescrire comment dévelo..er de l’activité, voire du travail on salarié à partir de situations précaires et à produire des savoirs qui se produisent autour du projet d’un groupe. Ces savoirs imposent de se confronter tous les jours à un système social qui en insère certains et pas d’autres, et de s’organiser collectivement face à des situations toujours nouvelles et incertaines. Les compétences collectives apparaissent partagées par les membres de petits groupes de jeunes mais peuvent aussi mobiliser des jeunes et des militants de l’action sociale et culturelle, voire des artistes. Elles se définissent plus précisément dans la capacité à produire des cadres d’action, des règles, des rôles et des statuts propres pour définir des projets collectifs et des produits culturels “innovants”.
Enfin les compétences collectives se construisent dans la lutte contre l’apartheid social, les ségrégations et les racismes. Les espaces intermédiaires apparaissent dans la ville d’aujourd’hui comme des haut-lieux d’élaboration de compétences politiques revendicatives[[Nous rejoignons sur ce point Saskia Sassen (1994).. En créant des associations culturelles, artistiques, modes associations pour l’insertion sociale et professionnelle, des radios, des journaux parallèles antiracistes dans la ville, des jeunes produisent de l’échange social dans leur engagement politique. Des micro-mobilisations se développent dans les espaces intermédiaires autour d’un conflit social basé sur le refus de l’adaptation à l’échec, à la duperie face à des formes de discrimination sociale et raciale. Les jeunes rejettent le statut de “jobard” et revendiquent celui de “citoyen”, ils refusent “la consolation” pour exiger “la considération”, la reconnaissance de leurs compétences de la part d’acteurs politiques qui s’appuient sur des méthodes d’apaisement plus ou moins affichées comme telles, plus ou moins explicitées, plus ou moins justifiées (Roulleau-Berger, 1994B).
Mais si la vie dans les espaces intermédiaires se fonde sur de l’échange qui produit de l’engagement des individus vis-à-vis des activités des groupes, il s’y construit aussi du conflit qui produit du désengagement et de l’errance.
3. Expériences individuelles et qualifications urbaines
Les cultures de l’aléatoire productrices de compétences collectives renvoient aux expériences antérieures des jeunes qui s’entrecroisent et se transfèrent dans un mouvement réciproque du niveau individuel au niveau collectif. Les compétences collectives activent ensemble les différentes dimensions des savoirs individuels autour de projets dans lesquels les individus apparaissent fortement engagés et mobilisés. Elles peuvent aussi être activées par un travail de négociation entre des jeunes des espaces intermédiaires et des professionnels de l’action sociale et culturelle chargés de les aider à agencer les différentes composantes de leurs savoirs individuels.
Les compétences collectives supposent la mise à disposition du groupe des savoirs et compétences individuelles contenues dans les carrières des jeunes (Becker, 1985). Ces carrières se construisent à partir d’un répertoire de rôles très diversifiés, non ordonnés entre eux mais structurés en “social role”. Les jeunes des espaces intermédiaires consomment des rôles disponibles sur le marché de l’emploi et de l’insertion (contrats CES, CDD, petits boulots..) mais ils ont tous en commun cette aptitude à investir d’autres rôles, voire à en créer.
Les itinéraires des jeunes se développent ici dans l’emploi précaire selon des dynamiques qui agencent différents types de savoirs : les savoirs sociaux, les compétences communicatives, les savoirs cognitifs, les savoirs de l’expérience.
Les savoirs sociaux sont liés aux habitus comme “systèmes durables et transposables de schèmes de perception, d’appréciation et d’action qui résultent de l’institution du social dans les corps” (Bourdieu, 1992).
Les compétences communicatives (Gumperz, 1989), plus ou moins liées aux savoirs sociaux, renvoient aux capacités de coopération, de communication et de négociation au sein de groupes de jeunes, ou des groupes qui associent jeunes et militants de l’action sociale et culturelle.
Les savoirs cognitifs s’appuient sur une capacité d’engagement, de contribution, de conception et de réalisation de projets collectifs.
Enfin les savoirs de l’expérience apparaissent liés à une capacité d’improvisation et de dépassement de soi en situation de précarité. Ils se construisent dans l’enchaînement d’une diversité de situations et dans de la multiactivité qui participe de l’accumulation de petits boulots et de l’acquisition d’une vision large de sa situation, de ses capacités quand les jeunes ne “dévissent pas”.
Si on considère l’espace comme un déterminant global dans la socialisation des individus au même titre que les déterminants économiques, sociaux et culturels, il devient aussi nécessaire d’articuler ces différents types de savoirs aux usages sociaux de la ville producteurs de qualifications urbaines.
Les usages sociaux de la ville contiennent des qualifications urbaines, c’est-à-dire des capacités d’appropriation matérielles et symboliques de lieux, d’une part, et les savoir-circuler dans l’espace, d’autre part. Par le jeu des compétitions dans la grande ville, certains groupes, par leur capacité économique, s’installent dans telle aire urbaine, d’autres, ne pouvant vivre à certains endroits, occupent d’autres aires urbaines. Mais les dynamiques urbaines supposent de perpétuelles substitutions d’usages, comme par exemple les friches industrielles inoccupées qui font l’objet de réappropriations et de transformations par des populations qui ont des projets culturels. La fonction symbolique de ces espaces changent alors de sens quand les individus disposent encore de ressources qui leur permettent une créativité urbaine et économique.
La qualification urbaine renvoie aussi à la capacité des individus à s’appuyer sur des systèmes de points de repères pour se guider, autrement dit à profiter des qualités d’unicité et de spécialisation de la ville au lieu d’utiliser les continuités (Lynch, 1976). La qualification urbaine associe l’expérience du déplacement à des images, des représentations de lieux, d’espaces, de quartiers, de centres, de limites. Il y a des lieux détournés par certains, investis par d’autres, en fonction des images qui leur sont attribuées.
Les jeunes des espaces intermédiaires traversent différents territoires urbains en se tenant “à distance” des lieux institutionnels. Cependant, quand les socialisations transitionnelles évoluent vers des socialisations professionnelles, les jeunes hiérarchisent les lieux qu’ils investissent, développent davantage de contacts avec des institutions en faisant un usage transversal de la ville. Leur mode de vie “nomade” tend alors à évoluer vers de la sédentarité. Les qualifications urbaines construites et qui construisent à la fois les espaces intermédiaires relient donc entre eux des savoirs techniques, culturels, sociaux et économiques du fait que les individus circulent. On peut voir alors dans la ville les cultures de l’aléatoire produites dans les espaces intermédiaires évoluer vers des cultures professionnelles par exemple.
Quand les compétences collectives et les qualifications urbaines renforcent positivement les compétences individuelles, on observe un ajustement fort entre les identités objectives et les identités pour soi (Goffman, 1975), on parle alors de compétences créatives. Quand les compétences collectives et les qualifications urbaines affaiblissent les compétences individuelles, on observe un désajustement entre les identités objectives et les identités pour soi, on parle de compétences désintégratives (Roulleau-Berger, 1995).
Dans les espaces intermédiaires se développent des processus d’auto-organisation qui produisent des centralités et engendrent des structures sociales plus ou moins visibles; cette pluralité limitée de lieux “qui font centre” pour des groupes, des individus et des populations crée de la fractalité dans l’évolution urbaine (Frankhauser, 1994). On se trouve alors aux prises avec le paradoxe suivant : ces mêmes lieux qui font centre peuvent se situer dans des périphéries intégrées ou annexées, des périphéries exploitées, des périphéries délaissées ou abandonnées selon le contexte urbain et politique où l’on se trouve et selon le moment où on les regarde. Mais ces espaces qui contiennent à la fois des captivités et des mobilités, sont inscrits sur des réseaux qui peuvent relier des bouts de ville entre eux et des villes entre elles à partir d’échanges marchands et non-marchands, économiques et culturels et qui provoquent la circulation et la combinaison d’appartenances diverses.
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