Actuellement, en rentrant en maternelle à deux ans et après la scolarité
obligatoire, des enfants sortent du collège sans savoir lire et écrire.
Alors que dans les entreprises, le problème central est celui de la «
qualité totale », du « zéro défaut » le problème principal que l’école doit
solutionner ne semble pas être celui des connaissances à acquérir
obligatoirement par les élèves mais celui de la tenue vestimentaire des
élèves
Le gouvernement promet un «grand débat » sur la question du voile islamique
et toutes les forces politiques et sociales s’y engouffrent Pour les uns il
faut régler la question par une loi et pour d’autres par une charte.
En se focalisant sur la tenue vestimentaire des élèves et en liant ce
problème à celui de la laïcité, ce débat nous mène dans une impasse et nous
allons tranquillement dans le mur.
L’Etat doit-il réglementer la vie privée ? Où commence la sphère publique et
où se termine la sphère privée ? Qui élabore les nouvelles normes permettant
de vivre ensemble ? Voilà à mon sens le vrai débat.
Le gouvernement mène une politique réactionnaire en remettant en cause la
fiscalité, les retraites, la sécurité sociale, les 35 heures, le droit à la
formation continue pendant le temps de travail, les droits des chômeurs,
etc . et dans le même temps il intervient de plus en plus sur des problèmes
de société : la sécurité routière, le canabis, le tabac, l’alcool, etc. . en
culpabilisant le comportement de certains individus, en tentant de faire
partager l’idée qu’il suffit de faire changer les comportements individuels.
La morale est instrumentalisée au bénéfice du politique.
Il en est de même dans l’école, où il essaie de faire oublier derrière le
voile islamique le manque criant de moyens nécessaires pour une véritable
école publique, démocratique et laïque. Que les forces progressives se
laissent enfermer dans de débat démontre la crise du politique dans notre
société.
Avant le voile : la minijupe et les cheveux longs
Dans les années soixante et soixante-dix, l’école a écrit quelques pages d’
histoire dignes d’être rappelées pour son intolérance et la fracture avec la
société qu’elle mettait en relief.
C’est cette école laïque encore non-mixte qui refusait l’accès des lycées
aux filles en minijupe.
C’est cette même école laïque qui refusait l’accès des établissements aux
garçons aux cheveux longs.
Sans oublier, l’université qui interdisait le libre accès aux chambres dans
les résidences universitaires.
Dans le bassin sidérurgique lorrain, les centres d’apprentissages des usines
sidérurgiques interdisaient les cheveux longs et le lycée technique public
de Thionville obligeait au port d’un filet sur les cheveux longs au nom de
la sécurité. Le lycée public et le lycée privé pour « jeunes filles » ne
toléraient la minijupe que sous une blouse longue.
L’après 68, a balayé toutes ces tentatives de porter atteinte aux droits des
individus dans l’école. Dans les entreprises, il a fallu de nombreuses
luttes et procès pour pouvoir travailler avec les cheveux longs et contre
les tenues vestimentaires imposées.
Aujourd’hui dans les entreprises l’uniforme imposé par les entreprises
regagne le terrain perdu pendant trente ans. L’uniforme c’est la face
visible du nouveau paradigme productif qui demande plus que la force de
travail.
Certains rêvent de le rendre à nouveau obligatoire à l’école et tente aussi
d’expliquer les bienfaits que procurerait l’abandon de la mixité.
Le voile permet de faire oublier les vrais problèmes de l’école : sa
privatisation rampante, l’adhésion nécessaire à la pensée unique, l’
utilisation de plus en plus fréquente d’outils pédagogiques produits par les
entreprises pour utiliser les élèves comme cobayes .. Et la grève du
printemps 2003 est là pour montrer le manque criant de moyens qui met l’
école en crise
Débattre uniquement sur le voile, c’est faire comme si le racisme et la
pensée réactionnaire n’existaient pas dans le corps enseignant. Cette
démarche conduit à se laisser instrumentaliser par celles et ceux qui
refusent la liberté pour les multitudes et considère l’école comme un lieu
de « dressage » et non d’épanouissement.
Comment se battre aujourd’hui et demain pour la liberté vestimentaire au
travail, si l’on condamne celle-ci à l’école.
C’est au nom de la tenue vestimentaire que ce fait déjà le tri à l’entrée
des discothèques. Tenue correcte exigée, nouveau passeport qui organise l’
apartheid pour les jeunes. En 1982, j’ai découvert pendant un voyage que la
tenue correcte « avec chaussures et chemise » permettait d’exclure les
Indiens des commerces dans l’Ouest du Canada. La tenue correcte permettait
de cacher le comportement raciste derrière une règle vestimentaire.
Le débat sur le voile réunit aujourd’hui dans la confusion la plus totale
ceux qui veulent intégrer et ceux qui veulent exclure. Le réveil risque d’
être douloureux.
Après le voile : le string
Suite à une revue de presse télévisée citant un article sur les questions
posées par le port du string dans un lycée, je suis allé acheter ce journal
pour lire ce fait divers.
« Aujourd’hui » a consacré une page entière au problème posé, car « De plus
en plus, les jeunes filles, dans l’enceinte même des établissements
scolaires, optent pour le look nombril et string apparents ».
Depuis le début de l’année scolaire les adolescentes du lycée de Ribeauvillé
dans le Haut-Rhin font l’objet de rappels à l’ordre car le proviseur (une
femme) et des enseignants sont allergiques à cette tenue vestimentaire et
elle a fait adopter par le conseil d’administration, avant les dernières
vacances, une modification du règlement intérieur. Celui-ci exige une tenue
correcte respectant la décence et la sécurité. Le string fait ressortir les
arguments mis en avant contre la mode il y a plus de trente ans : les
cheveux longs pour les garçons, les minijupes et les shorts pour les filles.
Le ministère de l’éducation nationale, interrogé par le journal, répond ne
pas avoir d’éléments pour quantifier le phénomène et que la gestion de ces
questions relève du chef d’établissement.
Dans le même article, Ségolène Royale se félicite que certains
établissements interdisent le port du string dans le règlement intérieur en
liant la tenue vestimentaire avec les attouchements et agressions sexuelles
« Après, on s’étonne que les adolescentes soient victimes d’attouchements et
de violences sexuelles .. ».
A Ribeauvillé, suite à l’obligation faite à deux jeunes filles du lycée d’
enfiler un Tee-Shirt blanc avec le nom de l’établissement pour cacher ce que
l’on ne doit pas montrer , une centaine d’élèves ont manifesté en s’
habillant avec un maillot blanc.
Les « sans droits » de Ribeauvillé manifestent contre ceux et celles à qui l
‘Etat à délégué la gestion de cet espace dans le cadre du conseil d’
administration du lycée (enseignants, parents d’élèves, .).
Ce fait divers qui n’est pas unique , cette manifestation, met en lumière un
court-circuit entre l’individu et la collectivité, il démontre l’incapacité
pour la démocratie représentative de représenter la société civile dans son
ensemble.
Depuis 2000, les ventes de strings s’envolent et celles-ci sont à l’origine
de l’augmentation de 12% du marché des sous-vêtements . Le comportement des
femmes et de leurs filles a changé, elles consomment massivement des
strings. Les culottes et autres slips « décents » ne représentent plus que
40% des ventes, et pour s’en rendre compte il suffit de faire un tour dans
les rayons lingerie des hypermarchés ou de feuilleter les catalogues de
vente par correspondance. Même le corps enseignant n’échappe pas à cette
mode et ce sous-vêtement féminin y a toute sa place dans le catalogue
automne-Hiver 2003 de la CAMIF.
Derrière le voile et sur le string : le racisme latent et l’ordre moral
émergent
Vouloir faire primer la morale de quelques uns sur la liberté de tous,
tenter de faire marcher tout le monde d’un même pas en utilisant l’école
dans ce but risque d’amplifier la crise du système éducatif car celui-ci ne
peut pas vivre en autarcie par rapport à la société.
En 1968 nous revendiquions le droit de faire rentrer la vie dans l’école et
aujourd’hui il faudrait interdire à la vie d’en franchir la porte.
Au nom de belles déclarations sur l’égalité, l’intégration, la libération de
la femme et la laïcité, les militants et les militantes qui se sont battus
et se battent pour ces causes, s’ils n’y prennent garde, risquent de faire
le lit du nouvel ordre moral.
Le voile, le string, la tenue vestimentaire dans l’école, les entreprises et
la société, ne sont que des rideaux de fumée qui permettent à des
réactionnaires d’avancer cachés et de faire progresser leurs idées en
recherchant l’adhésion d’une majorité sur des points limités de leur
programme.
Et dans notre pays qui se réclame de la « Liberté », des « Droits de l’
omme » à chaque élection ils se comptent en votant de plus en plus nombreux
pour le Front National comme ils l’ont fait au premier tour de l’élection
présidentielle. La normalisation, la réglementation par l’Etat de la sphère
privée, relevant donc des choix individuels, ne peut produire qu’une société
de la répression, de l’exclusion, et un Etat totalitaire. Après la
suppression du service militaire obligatoire, certains voudraient faire
jouer à l’école, pour les hommes et les femmes, le rôle que celui-ci le
était censé remplir pour déterminer la bonne norme vestimentaire et plaident
pour l’obligation de l’uniforme scolaire.
Les normes pour vivre ensemble sur un territoire ne peuvent être le fait que
d’un « consensus » entre tous ceux et toutes celles qui y vivent. Vouloir
imposer la norme de certains à d’autres, même au nom d’une majorité, ce n’
est pas la liberté ou la démocratie, c’est la mise en oeuvre du contrôle
social.
Contre la répression des comportements vestimentaires « anormaux », la
criminalisation de l’action syndicale « anormale » et l’incarcération des
militants qui sortent « des sentiers battus » . les multitudes se lèvent, se
révoltent pour la liberté . et pendant ce temps, l’ordre moral les ignore,
avance et tente de les écraser.