L’État national, c’est-à-dire l’ensemble d’institutions et d’appareils fondé sur la souveraineté étatique opposable aux citoyens est en rapide mutation. Il ne veille plus au bon fonctionnement du marché national, il ne cherche plus comme il y a quelques décennies à intégrer le maximum de salariés à l’ordre existant par des politiques sociales en expansion. Par ailleurs, il renonce de plus en plus à mener des politiques de conjoncture en faveur de l’emploi et met en oeuvre beaucoup plus chichement des programmes pluriannuels de construction d’infrastructures. L’heure est, semble-t-il, au rétrécissement de l’État et à son retrait de toute une série d’activités industrielles ou de service (de l’électronique à l’automobile).
Il serait pourtant naïf d’en conclure qu’on marche vers moins d’État. En réalité, l’État tend à se faire, sinon le serviteur, du moins l’agent peu ou prou réticent de la mondialisation en se laissant aller à privilégier deux grands types d’orientation. Il organise d’abord la récession ou la régression de la protection sociale par des attaques partielles successives. En même temps, il met au point une véritable police sociale qui rationalise les aides aux laissés pour compte et cherche à éviter les explosions dans les banlieues déshéritées. C’est l’État pingre qui tente de donner le moins possible aux défavorisés tout en leur prenant beaucoup. Le deuxième grand type d’orientation obéit, lui, à une logique de la privatisation de tout ce qui échappe peu ou prou à la marchandisation capitaliste. On privatise le secteur industriel public, mais aussi des services publics comme les postes et télécommunications (comme en Grande-Bretagne et en Allemagne). On liquide également les participations d’État pour faire face à des déficits publics que l’on a suscités en multipliant les exemptions fiscales ou parafiscales pour les entreprises privées.
Par de telles pratiques l’État se soumet peu à peu aux processus et aux mouvements erratiques du capital transnational. Il ne règle plus les problèmes en fonction des équilibres nationaux à établir, mais en fonction des équilibres et déséquilibres internationaux. Ainsi, il devient progressivement un instrument de la mondialisation et de l’érosion des pratiques politiques nationales. On comprend donc bien la réaction de ceux qui veulent s’accrocher aux lambeaux de l’État-providence : malgré ses limites paternalistes et bureaucratiques, il a permis à des millions de salariés d’adopter de nouveaux comportements par rapport à la santé, la vie et la mort. Mais il faut dire très clairement que le retour en arrière (l’économie nationale autonome) est quasi impossible. Si l’on ne veut pas s’enfermer dans des réactions passéistes, il est donc nécessaire de traiter l’État (et ses appareils) comme un enjeu dans les batailles de la mondialisation, dans un premier temps pour empêcher qu’il ne serve – directement ou indirectement – à retransmettre les injonctions du capitalisme international, dans un deuxième temps pour retourner les moyens de l’État, ou plus précisément, les moyens de groupes d’États, contre les logiques sociales et économiques du capitalisme d’aujourd’hui. Autrement dit, lutter efficacement autour de l’État national exige de dépasser les optiques étroitement nationales et d’organiser des convergences transnationales pour inverser des politiques et en imposer d’autres. Il ne peut plus y avoir de politiques nationales positives qui ne soient des politiques à visées transnationales (par exemple luttes sur l’emploi ou la spéculation financière).