ACTUEL MARX, n° 17, Théorie de la régulation, théorie des conventions, PUF, Paris, 1995, 224p. Un riche dossier avec la participation de Robert Boyer, Alain Lipietz, Paul Boccara, Renato di Ruzza, Bruno Théret, Jacques Sapir, Suzanne de Brunhoff, Michel Vakaloulis, Olivier Favereau et Jacques Bidet.
AMIN Samir (avec une collaboration de Joseph VANSY), L’ethnie à l’assaut des nations. Yougoslavie, Éthiopie, L’Harmattan, Paris, 1994, 155p. L’approfondissement du mouvement de l’accumulation à l’échelle mondiale met un terme à la coïncidence, en vigueur depuis plus d’un siècle, entre l’espace de la régulation économique des sociétés et l’espace politique de l’État-nation. Or, l’effondrement de l’ordre ancien entraîne des réactions involutives désastreuses : « La renaissance d’interprétations brumeuses de la nation, l’ethnicisme, la réhabilitation non critique de la “spécificité” et les repliements communautaires de toutes natures définissent ces involutions barbares, racistes en dernier ressort ». Dans un contexte de crise structurelle du système où les forces centrifuges dominent la scène, les exemples de la Yougoslavie et de l’Éthiopie illustrent les effets tragiques de la « faillite rapide du projet utopique du capitalisme mondialisé ».
ANDERSON Perry, English questions, Verso, London, 1992, 370p. Ce volume regroupe une série de remarquables études sur la société et la culture britanniques, publiées pour la plupart dans la New Left Review entre 1964 et 1990. La partie conclusive du livre (« The light of Europe », 1991) analyse la conjoncture politique après la chute de Margaret Thatcher à l’automne 1990 en insistant sur les perspectives du Labour Party dans le contexte plus large des changements qui ont refaçonné la social-démocratie européenne au cours des dernières années.
BIDET Jacques (avec la collaboration d’Annie BIDET-MORDREL), John Rawls et la théorie de la justice, PUF, coll. « Actuel Marx Confrontation », Paris, 1995, 143p., 98FF. A quoi bon écrire un livre sur un philosophe qui élabore un ensemble de principes normatifs « de la société juste » sans référence substantielle à une théorie de la production et de la reproduction des injustices dans le monde réel ? Sans proposer une alternative à la conceptualité rawlsienne, Jacques Bidet considère qu’il serait désastreux qu’il arrive à Rawls – référence majeure de la philosophie politique contemporaine articulant pour la première fois le schème contractualiste et l’utopie sociale -, « la même mésaventure qu’à Weber, dont la réception en France fut telle qu’il y demeura pendant un demi siècle l’otage de la pensée conservatrice. On peut, avec Rawls et grâce à lui, penser au-delà de lui et contre lui. Rawls, comme tout vrai philosophe, introduit dans la culture théorique des concepts nouveaux. Mais il ne peut en être considéré comme le propriétaire, ni même comme l’interprète ultime. Car ces concepts ont d’autres implications que celles qu’il leur prête, et sont appropriés à d’autres perspectives que celles qu’il envisage » (p. 9). L’auteur propose un exposé ordonné de Théorie de la justice (1971), doublé d’une analyse critique qui interpelle la construction de Rawls à partir « d’autres exigences que les siennes », notamment à partir d’une réinterprétation générale tant des théories socio-historiques que des théories contractualistes. Cette réinterprétation n’apparaît ici que de façon seulement indirecte et implicite. Déjà amorcée dans Théorie de la modernité (PUF, 1990), elle est l’objet d’une Théorie générale en préparation.
BITOT Claude, Le communisme n’a pas encore commencé, Spartacus, Paris, 1995, 284p., 130FF (Diffusion : Dif Pop’, 21 ter, rue Voltaire, 75011 Paris). Le communisme n’est pas derrière nous : telle est la conviction principale qui anime cet ouvrage paru dans les cahiers édités par les amis de Spartacus (Série B 151, Avril-Mai 1995). Avec l’effondrement de l’Union-Soviétique – qui « n’était communiste que dans la propagande stalinienne » – une page a été tournée. Désormais, une hypothèque a été levée, celle qui usurpait et prostituait le nom d’un mouvement et d’une idéologie d’émancipation sociale et de libération politique des travailleurs. L’auteur résume la théorie du socialisme moderne née dans les années 1840 sous l’impulsion de Marx et d’Engels et retrace le surgissement historique du « faux communisme » dont la sanction finale est la montée et le triomphe du stalinisme. Concernant ce dernier phénomène, Claude Bitot soutient qu’il ne serait pas le produit d’un système bureaucratique inhérent à la forme parti mais qu’il faudrait, avant tout, « le mettre sur le compte de l’arriération russe ». Le stalinisme serait plus précisément dû à « un effondrement de l’utopisme révolutionnaire au sein du parti bolchevik ». Le diagnostic que l’auteur porte sur la crise actuelle du capitalisme est teinté de catastrophisme : le système est entré dans sa fin de cycle historique, et sa marche triomphale correspond au début d’une crise finale du capital. La perpective du communisme revenant à l’ordre du jour, elle finira sans aucun doute par s’imposer. Alors, demain la révolution !
BITOUN Pierre, Voyage au pays de la démocratie moribonde, Albin Michel, Paris, 1995, 203p., 89FF. L’auteur a déjà recensé et dénoncé dans La facture (Albin Michel, 1993, 253p.) le train de vie de l’État et des élus : manie du secret que cultivent à tous les niveaux de nombreux fonctionnaires ou élus, goût pour le somptuaire et croissance des signes extérieurs du pouvoir, gaspillage et gigantisme, clientélisme et corruption, professionnalisation du personnel politique et présidentialisme du régime. Dans le présent essai, à la fois pamphlet et ouvrage d’information, Pierre Bitoun fait appel à l’« imagination créatrice » pour qu’elle prenne le pas sur le cynisme et le dégoût ambiants. Rêve douillet d’un sociologue de sensibilité écologique ?
BOUFFARTIGUE Paul, De l’école au monde du travail. La socialisation professionnelle des jeunes ingénieurs et techniciens, L’Harmattan, coll. « Bibliothèque de l’éducation », Paris, 1994, 286p., 140FF. Préfacé par Yves Clot, cet ouvrage se nourrit d’une enquête portant sur les trois premières années de vie active de jeunes diplômés (ingénieurs, BTS et DUT). Pour analyser cette catégorie pratique, définie tout à la fois « par son jeune âge, sa faible ancienneté sur le marché du travail, et par un niveau de certification scolaire supérieur au baccalauréat », Paul Bouffartigue a fait le choix d’un dispositif d’observation longitudinal du passage de l’école au monde du travail. Partant d’une approche biographique, voie d’accès irremplaçable à l’intelligence des dynamiques de socialisation, il fournit des matériaux fort utiles, à la fois sur le plan théorique et sur le plan empirique, pour comprendre les transformations des modes de passage à la vie adulte en liaison avec les ambivalences identitaires des professions intermédiaires et supérieures salariées.
DADRIAN N. Vahakn, Autopsie du génocide arménien, Éditions Complexe, coll. « Historiques », Bruxelles, 1995, 267p. Traduit de l’anglais par Marc et Mikaël Nichanian, cet ouvrage de synthèse retrace l’histoire du premier génocide du siècle. Il y a quatre-vingts ans, le 24 avril 1915, commençait à Constantinople un génocide dont Hitler disait, en 1939 : « Qui, après tout, parle aujourd’hui de l’annihilation des Arméniens ? ». Ce qui revient à dire que le désintérêt de l’humanité à l’égard du destin d’un peuple massacré pave le chemin pour un nouveau crime, triste leçon historique dont l’actualité n’est pas à démontrer. Le génocide arménien fut un « nettoyage ethnique » avant la lettre, mené au nom du nationalisme territorial par le gouvernement turc qui avait décidé de mettre en couvre la « solution finale » au problème posé par la présence des Arméniens dans l’Empire ottoman. Le génocide arménien ne correspond pas seulement aux événements qui se sont déroulés entre le printemps 1915 et l’automne 1916. Comme l’expliquent Anahide Ter-Minassian et Claude Mutafian dans un entretien publié dans Le Monde du 26 avril 1994, c’est un processus qui débute à l’époque du sultan-calife Abdulhamid Il avec les tueries de 1894-1896 (entre 200 000 et 300 000 morts), qui se poursuit sous les Jeunes-Turcs avec le massacre d’Adana en 1909 (30 000 morts) pour culminer avec la déportation et l’extermination de 1915 à 1922, le dernier acte ayant eu lieu lors de l’incendie de Smyrne et du massacre d’Arméniens et d’habitants Grecs au moment de l’entrée des kémalistes dans la ville, en 1922. L’auteur de cette étude a consulté et utilisé de façon extensive et circonstanciée des documents secrets du Foreign Office britannique (les dossiers du Haut-Commissariat britannique (1918-1922) à Constantinople), ainsi que les archives du Patriarcat arménien de Jérusalem, où sont répertoriées les données relatives aux séances des Cours martiales turques qui ont jugé, en 1919-1920, les auteurs de ces crimes contre l’humanité. A l’heure où la Turquie – pays dont le gouvernement, cas unique dans le concert international, pratique systématiquement un négationnisme d’État – frappe à la porte de l’Europe choyée par les puissances occidentales tout en poursuivant tranquillement la persécution du peuple kurde, à l’heure où encore l’islamologue anglo-américain Bernard Lewis se permet de qualifier le génocide arménien de « version arménienne de cette histoire » (Le Monde du 16 novembre 1993), rejoignant ainsi les positions de la propagande turque et provoquant une émotion extrêmement forte dans les communautés arméniennes, ce livre est un outil politique de lutte contre le révisionnisme de la dernière heure, celui des historiens, qui n’attaque pas les faits, qui sont « irrévisables », mais leur sens. Il montre aussi la nécessité de garder intacte, indestructible, la mémoire du massacre du peuple arménien. Signalons également la récente réédition d’un ouvrage fondamental de René Grousset (Histoire de l’Arménie, Payot) ainsi que le numéro spécial du magazine L’Histoire sur les Arméniens (avril 1995).
DIENST Richard, Still life in real time. Theory after television, Duke University Press, Durham, 1994, xiii + 207p. L’objet du livre est l’impact des flux télévisuels sur la production des images théoriques. L’auteur, jeune chercheur américain qui a fait ses études en littérature et en philosophie sous la direction de Fredric Jameson, suggère que le système géotélévisuel non seulement facilite la consommation des marchandises mais produit aussi une valeur substantielle sous forme de temps culturel socialisé. Selon sa première hypothèse, la télévision constitue une machinerie globale qui fonctionne selon le schème explicatif marxien, servant de point de transfert entre différentes quantités de temps social, temps considéré d’emblée comme valeur. La vocation économique fondamentale de cette machine est la transformation du temps des images en temps d’écoute, opération toujours imparfaite, mais qui néanmoins stimule considérablement la production et la circulation sociales. La deuxième hypothèse est que la télévision, ayant apparue à un moment particulier du développement du capitalisme à l’échelle mondiale, tend à incorporer la vie quotidienne et la culture entendue comme temps « libre » dans la structure matérielle du capital à travers la médiation de l’image. La transmutation des images matérielles en unités de valeur assume une double fonction qui en réalité relève des attributs « machiniques » de la télévision. D’une part, selon le préfixe « télé » (qui signifie en grec « loin »), la première direction engage l’espace : en envoyant des images, la machinerie télévisuelle façonne leurs formes et leur valeur dans le contexte d’une valorisation potentielle. Elle capture la distance et définit son territoire social en prenant appui sur un ensemble d’objets matériels. Or, la matérialité spatiale de l’expansion n’est justifiée que dans la mesure où les flux de valeurs le permettent. D’autre part, l’image télévisuelle affecte les capacités transformatrices du capitalisme par le biais d’une nouvelle production du temps. En effet, la télévision en délimitant et monopolisant le temps de l’imagination, facilite la reconversion de l’existence sociale des individus en temporalité éclatée de choix marchandisés. L’idéologie devient ainsi une affaire plutôt de goût que de coercition. Avec l’objectif de faire apparaître la télévision comme objet d’étude culturelle, la deuxième partie de ce stimulant livre aborde une série de thèmes philosophiques en discutant les thèses de Heidegger, Derrida et Deleuze.
DONATI Marcel, Cœur d’acier. Souvenirs d’un sidérurgiste de Lorraine, Payot, coll. « Récits de vie », Paris, 1994, 363p., 135FF. Un formidable témoignage sur la condition ouvrière. L’auteur, fils d’immigrés italiens, lamineur pendant plus de trente ans à la société de la Providence de Réhou, en Lorraine, délégué du personnel CGT, « mis en disponibilité » à l’âge de cinquante ans, retrace avec clarté et sens des réalités les plus fondamentales, celles qui sont vécues par les gens du peuple à l’abri des caméras et en l’absence de journalistes-témoins, le destin d’une vie jalonnée de révoltes et de fierté, d’enthousiasme et d’amertume, de détresse et de grandeur. D’une vie qui est un appel indestructible à la responsabilité des dominés devant l’avenir, avenir qui n’est guère le « leur », parce que leur avenir a cessé d’être « de ce monde », tant il est vrai que la rationalité dominante du système s’avère aujourd’hui « immonde ». Un récit émouvant, fort, vital, qui illustre authentiquement cette vérité élémentaire : « De révolution industrielle en révolution technologique, on casse, on expulse, on déracine. Longtemps après, les technocrates planchent sur le volet social. L’important est de positionner la nouvelle machine, le nouveau robot. Le reste est secondaire. Les hommes suivent ou subissent. » (p. 341).
FILLIEULE Olivier (sous la direction de), Sociologie de la protestation. Les formes de l’action collective dans la France contemporaine, L’Harmattan, coll. « Dossiers sciences humaines et sociales », Paris, 1993, 288p. Des jeunes politologues proposent une série d’études de cas qui portent sur les dynamiques de mobilisation et les mouvements sociaux récents : analyse du mouvement des agents des Finances en 1989, automnes infirmiers (1988-1992), l’organisation des sans-emploi et l’exemple du syndicat des chômeurs (1983-1989), le mouvement des déboutés du droit d’asile (1990-1992), la mobilisation pacifiste durant la guerre du Golfe, mouvement pacifiste de 1991 et usage stratégique des médias. Préface de Pierre Favre : « Notre discours sociologique usuel tend à minimiser les inégalités. Chacun y est un “acteur social”. Le plus défavorisé a une “stratégie”, fût-elle celle du retrait. Le chercheur ne peut complètement éviter de faire de celui qu’il met en scène son double : un acteur rationnel, doté d’un capital minimum de connaissances, d’énergie, de ressources. Sommes-nous alors assez attentifs aux distances sociales, parfois béantes ? Voit-on assez qu’il est des catégories sociales qui n’ont jamais besoin de “descendre dans la rue” tant leur proximité au pouvoir est grande, et d’autres qui ne se feront jamais entendre si elles ne se manifestent pas violemment ? L’un des intérêts majeurs du livre qu’on va lire est de permettre de telles confrontations. Certains des groupes étudiés ici sont si démunis de ressources que l’action collective leur est presque interdite (les chômeurs, les déboutés du droit d’asile), tandis que pour d’autres (les agents des impôts en grève […), c’est paradoxalement l’excès des ressources, au moins apparentes, qui fait problème : comment faire accepter ses revendications comme légitimes alors qu’on est perçu par l’opinion comme privilégié ? » (p. 23).
GENTILE Giovanni, La philosophie de Marx, Éditions T.E.R., Mauvezin, 1995, xxi + 156p., 109FF. Précédée d’une étude d’André Tosel (« Le Marx actualiste de Gentile et son destin »), cette édition bilingue de La filosofia di Marx (1899), traduite de l’italien par Gérard Granel et André Tosel, est une pièce maîtresse du débat fondateur de la philosophie italienne contemporaine. Composée de deux essais critiques traitant « de la philosophie si contestée de Marx » (Une critique du matérialisme historique et La philosophie de la praxis), l’œuvre de Gentile oblige à poser la question du sens philosophique de Marx.
L’HOMME ET LA SOCIÉTÉ, n° 114, État démocratique ou État confessionnel ? Autour du conflit Israël-Palestine, L’Harmattan, Paris, 1994/4, 160p. Un riche dossier autour des cultures politiques du Moyen-Orient à un moment où le regain du nationalisme et du fondamentalisme religieux, le désordre socio-politique régional étroitement lié à la mondialisation de l’économie capitaliste, et l’intensification du rapport nation-religion semblent confirmer l’idée selon laquelle « l’âge des Lumières s’efface au profit de la politique des illuminés » (Larry Portis et Christiane Passevant). Gilbert Achcar fait le point sur les accords de paix signés sur la pelouse de la Maison Blanche le 13 septembre 1993 sous le double éclairage de la stratégie sioniste définie par le plan Allon (1967) et de la mission de répression de la lutte antisioniste dévolue à l’OLP. Issa Wachill analyse le Pacte national libanais en tant que système politique basé sur la reconnaissance des communautés confessionnelles et des identifications ethniques, système qui « s’avère en fait être un statu quo sans cesse remis en cause ». L’article de Mohammed El Ayadi porte sur l’image de l’Occident dans le discours islamiste alors que Abdellatif Hermessi aborde la question du mouvement islamiste en Tunisie. A lire également les articles de Michel Warchawski (« État, nation et nationalisme. Actualité du sionisme »), Norman G. Finkelstein (« Réflexions sur la responsabilité de l’État et du citoyen dans le conflit arabo-israélien), Simona Sharoni (« Sexe, occupation militaire et violence contre les femmes en Israël ou le foyer comme terrain de bataille »), et de Georges Drettas (« État et confession en Grèce et en Bulgarie ou la laïcité introuvable »).
HUSSERL Edmund, Notes sur Heidegger, Les Éditions de minuit, Paris, 1993, 153p. 180FF. Ce volume contient les notes marginales de Husserl à Être et Temps et à Kant et le problème de la métaphysique, le texte d’une conférence qui fut prononcée par Husserl en juin 1931 (« Phénoménologie et anthropologie »), ainsi que les deux premières versions de son article « Phénoménologie » de l’Encyclopedia Britannica, annotées et partiellement rédigées par Heidegger.
KOURCHID Olivier et TREMPÉ Rolande (sous la dir. de), Cent ans de conventions collectives. Arras, 1891/1991, Édition Revue du Nord, Université Charles de Gaulle-Lille III, Hors série, coll. « Histoire », n° 8, 1994, 409p., 175FF. L’ouvrage est issu d’un colloque international qui s’est tenu à Arras en novembre 1991. Les Conventions d’Arras n’ont rien d’une convention collective qui réglerait les conditions de travail, les modalités de salaire et de discipline dans l’atelier. Comme l’explique Rolande Trempé, elles ne sont que le procès-verbal des débats qui se sont déroulés en 1891 à Arras, après un mouvement de grève. Sous l’égide du Préfet, les discussions entre les représentants des Syndicats du Nord et du Pas-de-Calais et une partie des délégués des compagnies houillères de ces deux départements ont abouti à ce que « la base des salaires de tous les ouvriers du fond serait définie en fonction des salaires payés pendant la période des douze mois qui ont précédé la grève de 1889 ». Si les mineurs n’ont pas obtenu une amélioration tangible de leur situation, c’est en revanche la première fois que les patrons miniers ont reconnu la compétence et l’autorité des syndicats en mettant leurs signatures à côté de celles des représentants des ouvriers. Outre la question des origines des Conventions d’Arras, on trouvera dans ce volume – qui réunit les contributions d’une bonne vingtaine de spécialistes – des articles sur les conventions collectives et l’histoire des houillères en France, Belgique, Allemagne, Grande-Bretagne, Pologne, République sud-africaine, Inde, aux États-Unis ainsi que dans les pays post-soviétiques. Publication sérieuse et soignée qui fournit des matériaux pour aborder un sujet qui est fondamental dans (histoire du développement industriel.
NEW LEFT REVIEW, n° 210, The reflux of social theory, Mars-Avril 1995, 160p., £4.50 (Abonnements: 120-126 Lavender Avenue, Mitcham, Surrey CR4 3HP, G. B.). Joel Rogers, How divided progressives might unite. W. G. Runciman, The “triumph” of capitalism as a topic in the theory of social selection. James Buchan, Mississippi dreaming : on the fame of John Law. Christopher Norris, Truth, science, and the growth of knowledge. Cecile Jackson, Radical Environmental myths : a gender perspective. Reviews. Dans la même livraison Jeffrey C. Alexander retrace les grands courants sociologiques qui ont marqué la période après la deuxième guerre mondiale. L’auteur de cet article englobant (« Modern, Anti, Post and Neo ») propose une généalogie des sédimentations de la pensée sociale, généalogie qui prend ses racines dans le contexte historique de la période envisagée. Selon la thèse principale, la théorie de la modernisation, épuisée définitivement vers le milieu des années soixante, a fonctionné non seulement comme explication rationnelle du monde social mais également comme métalangage susceptible de fournir sens et motivations aux individus. Après les phases anti-moderne et post-moderne, une nouvelle phase de théorie sociale est aujourd’hui possible, susceptible de reprendre le projet universalisant des théories précédentes de la modernisation tout en évitant leurs prétentions totalisantes.
OFFERLÉ Michel, Sociologie des groupes d’intérêt, Montchrestien, coll. « Clefs-politique », Paris, 1994, 157p., 60FF. L’auteur s’interroge sur l’émergence historique et la construction de la représentation des intérêts, sur le travail proprement politique (délimitation, légitimation et représentation) qui constitue un groupe d’intérêt, sur les répertoires d’action collective, les ressources mobilisées et les visées stratégiques des groupes d’intérêt, sur l’institutionnalisation des intérêts et la participation des groupes aux transactions politiques qui constituent la trame quotidienne de l’État.
RADICAL PHILOSOPHY, n° 71, Mai-Juin 1995, 52p., £2.95 (Central Books, RP Subscriptions, 99 Wallis Road, London E9 5LN). On lira dans le présent numéro de ce journal de philosophie socialiste et féministe un entretien avec Cornel West, philosophe noir parmi les plus importants de la nouvelle génération d’intellectuels aux États-Unis et professeur d’études afro-américaines à l’Université de Harvard, auteur notamment de The American Evasion of philosophy (1989) et Race Matters (1993), sur le radicalisme américain. Rosa Hartmut analyse le thème récurrent du relativisme dans la philosophie politique de Charles Taylor alors que Gregory Elliott esquisse un portrait intellectuel critique de Perry Anderson. Le lecteur anglophone trouvera également une bonne dizaine de bibliocritiques parmi lesquelles le compte rendu du récent livre de Michael Hardt sur Gilles Deleuze (An Apprenticeship in Philosophy, London, UCL Press, 1993, xxi + 139p., £10.95 pb.).
SAUNIER Pierre, L’ouvriérisme universitaire. Du sublime à l’Ouvrier-masse, L’Harmattan, coll. « Le monde de la vie quotidienne », Paris, 1993, 176p. Analyser les tribulations des représentations que les savants se font des classes populaires, montrer les incohérences et les contradictions à l’œuvre dans la construction académique des figures ouvrières emblématiques proposées par les « Fordistes » (terme par lequel l’auteur désigne les « radicaux de la constellation régulationniste »), critiquer la propension de ceux-ci à raisonner sur des idéaltypes contrastés et improbables (« ouvrier pré-fordiste » et « ouvrier fordiste ») tout en laissant dans l’ombre la période de l’histoire qui va des années 1900 aux années 1960, telle est l’ambition qui anime l’auteur de ce livre. Critique stimulante, quoique l’on regrettera l’absence de toute référence au courant opéraïste italien dont l’influence sur les « Fordistes » n’est pas à démontrer.
TERRAY Emmanuel, Une passion allemande. Luther, Kant, Schiller, Höderlin, Kleist, Éditions du Seuil, coll. « La librairie du XXe siècle », Paris, 1994, 445p., 170 FF. Un guide pour parcourir cinq histoires, cinq auteurs qui, assurément, sans former un courant ou une école, incarnent dans leurs écrits et leurs vies une forme spécifique du rapport entre l’homme et l’Absolu.