Vers un nouveau "New deal"?

Contre le fétichisme de la cotisation sociale

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L’affirmation qu’un revenu “doit” entrer dans le cadre d’une cotisation sociale et non d’un versement de l’Etat qui enfermerait le bénéficiaire dans le statut de précaire est du fétichisme pur et simple.

Car dans l’état actuel du fonctionnement (et c’est tant mieux) le régime de la protection sociale est de REPARTITION et non de capitalisation. Qu’est-ce que cela veut dire si on lit Friot intelligemment et pas à la lettre ? Cela signifie que les prestations sociales (retraite, maladie) ne sont pas financées par du salaire différé (un gain du salarié mis de côté et restitué à l’individu à sa retraite ou lors de l’occurrence ou réalisation d’un risque comme la maladie, ou la cessation d’activité). Cela ce fut le cas des mutuelles, des sociétés d’entraides que les bourses du travail organisèrent au départ pour aider les vieux travailleurs, les veuves, les orphelins, mais surtout pour financer les caisses de grève.

Mais la véritable révolution de l’Etat Providence fut d’introduire un principe de socialisation GLOBALE des financements et de l’inconditionnalité de la prestation sociale.

Concrètement cela se traduisit par une obligation sociale imposée tant à l’employeur qu’au salarié de cotiser (c’est donc un mécanisme étatique qui déjà dépend de l’Etat) mais surtout par la répartition ; en clair, l’argent que je mets de côté sur mon salaire ou sur mes gains n’est pas mis de côté (comme de l’épargne ou du salaire différé des assurances ou mutuelle), il sert à payer directement la retraite d’un autre salarié qui arrive à sa retraite, à un salarié malade aujourd’hui. En échange de cet écot que je verse à la solidarité nationale et au financement social du salariat , je gagne le droit (garanti par l’Etat) qu’un autre salarié paiera sur son salaire ma retraite, ou ma maladie (plus exactement que beaucoup d’autres salariés le feront; ce n’est pas un échange d’une personne à une autre, un contrat commercial entre deux partenaire, mais une appartenance du salarié à la multitude des autres salariés).

Dans la cotisation sociale par répartition il y a un droit collectif et pas simplement la rétrocession à l’individu de son épargne. Pourquoi ? Parce que si chaque salarié entendait récupérer l’intégralité de son épargne (son salaire différé) autrement dit la somme cumulée et actualisée de ses cotisations sociales dans un calcul sordide (du genre de celui de Margaret Thatcher qui a réclamé dans l’Union Européenne : “I want my money back” et sur lequel repose encore le principe actuel et scandaleux du chèque de ristourne britannique par lequel la cinquième puissance économique mondiale (ou 6ème quelle importance ?) récupère les 2/3 de ses versements à l’Union Européenne, en bref n’accepte de redistribuer à d’autres membres de l’Union qu’1/3 des sommes qu’elle verse au pot communautaire) le système ne pourrait pas faire face à la couverture automatique du risque de maladie, au montant des retraites. Statistiquement il y a un taux de maladie, une durée moyenne des retraites qui permet de calculer quelle contribution doivent payer tous les membres d’une population donnée, mais bien entendu il y aura des gens malades tout le temps et des gens jamais malade, des gens qui bénéficieront de 25 à 35 ans de retraites et d’autres qui mourront quelques mois après leur retraite.

Autrement dit la récupération d’un salaire différé ne favorise pas le principe de répartition du risque sur le grand nombre de la population. L’idée de répartir de surcroît entre les génération évite l’ambiguité. Si je cotise, je suis garanti dans mon droit de bénéficier d’une couverture maladie et d’une retraite et pas simplement par le “pactole” que j’ai accumulé et dont j’ai confié la gestion à un organisme financier (assurance, mutuelle, fonds de pension) qui peut conserver et faire fructifier (souvent en pressant comme un citron les travailleurs des entreprises auxquelles les fonds de pension actionnaires demandent de réaliser du 15 % de profit par an avec son cortège de licenciements, de délocalisations), mais qui peut aussi se casser la figure (Enron et d’autres) et faire banqueroute donc me faire perdre tout droit.

On voit donc que le principe de collectivisation du risque, de socialisation du salariat génère des droits sociaux collectifs, inaliénables comme dans un contrat privé d’assurance.

On est donc en plein dans l’Etat qui est le garant des paiements des retraites (et le prêteur en dernier ressort si le système venait à se trouver en état de cessation de paiement).

Il est donc clair qu’avec le principe de la cotisation nous sommes en plein dans la répartition et la redistribution du revenu dans un sens plus égalitaire garanti par la collectivité.

Apparaît aussi du même coup l’inanité de l’opposition de cette modalité de répartition d’activité du revenu sur la vie et dans toutes les couches du salariat (cela se retrouve sous la forme également de la modulation de la cotisation en fonction du montant du salaire) avec l’impôt qui sert à financer d’autres formes de protection sociale.

ET EGALEMENT QUE LE REVENU UNIVERSEL OU GARANTI NE FAIT QU’ETENDRE CE PRINCIPE À CEUX QUI NE SONT PAS ACTUELLEMENT EMPLOYES, QU’ILS SOIENT AU CHOMAGE, QU’ILS SOIENT DANS UNE TELLE INTERMITTENCE DU TRAVAIL QUE LES SYSTEMES ACTUELS LES ELIMINENT DU GROUPE DES AYANT-DROIT, QU’ILS TRAVAILLENT SOUS UNE FORME NON RECONNUE.

Dernière réflexion, la métaphysique fétichiste de la “cotisation sociale” opposée artificiellement et hargneusement au revenu universel est particulièrement dangereuse : elle s’avère un complice objectif parfait du néolibéralisme et de l’Etat minimal qu’elle prétend défendre par au moins deux voies.

a) La première est qu’elle défend un paritarisme qui permet à l’état de se défausser de ses responsabilités objectives dans le maintien d’un niveau d’allocation de chômage décent et accrédite l’idée que le chômage est une affaire de financement entre salariés et employeurs privés. Comme le paritarisme est moribond et que l’Etat met déjà puissamment la main à la poche pour financer certaines caisses déficitaires (les non salariés, les intérimaires, les intermittents) cette position est un fort Chabrol stupide et réactionnaire. Il n’augmente pas la puissance d’agir des mouvements sociaux mais les reconduit à un cadre suranné et à une cage sans issue (cela fait trente ans que cela dure; exactement lorsque les mouvements syndicaux se sont engagés sur la voie sans issue de la défense de l’emploi des Lips au lieu de gagner sur la garantie des revenu ; pourtant le mouvements des sidérurgistes de LORRAINE de 1979, le mouvement des chômeurs de 1998 ont montré clairement que les victoires étaient de ce côté et pas du côté du maintien de l’emploi qui s’est avéré une victoire les rares fois où cela a été gagné sans durée; Rien n’est plus intéressant que d’examiner le cas des Moulinex en Basse Normandie. Les deux plans de sauvegarde de l’emploi n’ont abouti qu’à permettre à l’entreprise de recevoir énormément de fonds de l’Etat dont elle a fait un usage prévisible (pas d’investissement sur place de modernisation) jusqu’à ce que les salariés poussent les syndicats au troisième écroulement d’obtenir 5 années de garanties de salaires permettant aux employés de Moulinex d’attendre la retraite ou bien de se reconvertir SELON CE QU’ils trouveraient aux mêmes et avec l’aide des organismes de reclassement.

b) la seconde voie est encore plus impardonnable car elle ménage un véritable Cheval de Troie aux assurances. Les partisans fétichistes, les sectateurs fanatiques de la cotisation sociale et même du salariat généralisé (Friot n’en est plus là) ouvrent une voie royale aux néo-libéraux qui voudraient convertir le système de protection sociale en marché juteux pour les compagnies d’assurance (Axa and Cie). En accréditant l’idée que l’Etat, ce n’est pas bien, que les salariés cotisant sont autonomes alors que ceux qui reçoivent des subsides de l’impôt universel sont des assistés et dépendants, ils renforcent l’idée fausse et spontanée que la protection sociale est financée par de l’épargne salariale, par du salaire différée CE QUI EST EXACTEMENT CE QUE DEFENDENT LES FONDS DE PENSIONS ET LES FINANCIERS QUI VEULENT REMPLACER UN SYSTEME DE DROITS INCONDITIONNELS COLLECTIFS PAR DES CONTRATS COMMERCIAUX INDIVIDUALISES SELON LEQUEL CELUI QUI COTISE PLUS (PARCE QU’IL EST PLUS RICHE, PARCE QU’IL GAGNE DE PLUS HAUTS SALAIRES) A DROIT A PLUS.

Si en effet, la protection sociale est financée par du salaire différé, autre nom de l’épargne, et si elle est démographiquement menacée, la réaction logique ET LEGITIME des agents économiques et en particulier des salariés doit être de protéger la valeur de leur patrimoine et de l’augmenter dans le temps. Si le placement en bourse individuel ou confié à des organismes spécialisés, les fonds de pensions préservent mieux ce patrimoine pourquoi maintenir le système de répartition ? Vive la capitalisation !!! Et tant pis pour l’inégalité sociale qui se profile à l’horizon : les pauvres non cotisants ou pas intéressants pour les compagnies d’assurances seront largués à un Etat croupion qui leur évitera tout juste de devenir des clochards, ou les malheureux dindons des farces récurrentes des krachs financiers à la Enron.

Dernière sottise fétichiste des partisans de la cotisations contre le revenu universel : l’avantage du système de répartition c’est qu’en socialisant le mécanisme de financement de la protection sociale, il prend en compte la VARIABLE DÉTERMINANTE de l’équilibre réel et de la viabilité économique des organismes sociaux, qui n’est pas la démographie (donc les effectifs prévisibles des cotisants) MAIS LA PRODUCTIVITE GLOBALE DE L’ECONOMIE qui seule permet de voir qu’il n’y a pas d’obstacle de principe à ce que 30 % de la population active puissent fournir les ressources à 20 % de non encore actifs (les jeunes) et à 50 % de retraités (je prends exprès des ratios très dramatiques) SI LA PRODUCTIVITE DES ACTIFS AUGMENTE DE 5 % par an comme cela a été souvent le cas. Et la productivité des actifs ne veut pas dire que ces actifs devront trimer de plus en plus (heures et intensité du travail) mais plus vraisemblablement que la productivité GLOBALE de l’économie rendra leur heure de travail beaucoup plus productive qu’un état moins développé de la société.

C’est ce qui s’est passé pour les agriculteurs. Sinon on ne comprend pas comment moins de 5 % de la population active en France par exemple nourrit 60 millions d’habitants et exporte de larges surplus de production vers le reste de l’Union Européenne et vers le monde.

Ceux qui raisonnent sur la cotisation sociale oublient ainsi la productivité globale et du même coup ignorent la contribution aux progrès généraux de la société et de l’économie de ceux qui ne sont pas encore ou plus salariés. Et cela fait du monde. Or ces derniers travaillent aussi. Ils produisent beaucoup d’externalités positives qui mises bout à bout permettent précisément ces gains de productivité globale qu’on n’arrive à imputer ni au travail, ni au capital, ni à la technique.

En bref les sectateurs de la cotisation sociale quand ils la brandissent en anathème contre les partisans du revenu universel sont des fondamentalistes religieux ; ils trahissent l’esprit de Beveridge, font le lit des néo-libéraux à la Madelin et pour finir sont de très mauvais économistes. Et malheureusement ils sont légion à distiller leur poison jusque dans les Think-Tanks de la gauche.