Littérature critique

“Etat d’exception” de G Agamben (Seuil)

Partagez —> /

Agamben , part de ce fait que manque une théorie de l’état d’exception
dans le droit, bien que, la création volontaire d’un état d’exception , ou
état
d’urgence, soit devenue une pratique courante et durable des Etats dans la
période que nous vivons, même dans les Etats qui se nomment démocratiques.

Cette pratique permanente des Etats a d’abord été relevée par Benjamin, dans
le
sillage de qui Agamben place son travail.

Or l’aggravation de cette pratique du recours à l’état d’exception se
situe dans le cadre d’une “guerre civile mondiale” càd. où ce mode de
gouvernement tend de + en + à se présenter comme le paradigme du gouvernement.

Agamben a remarqué que l’expression “guerre civile mondiale” apparaît en
même temps (1961) sous la plume d’Hannah Arendt et sous celle de Carl
Schmitt (in “la théorie du partisan”)

Or l’état d’exception comme pratique biopolitique, càd. où le vivant
inclut sa propre suspension, est explicité dans le “military order” du
président
des Etats-Unis, en date du 13 nov. 2001, à propos des terrroristes,
autorisant leur “infinite detention”.

Nous en sommes là, à une époque où guette l’anomie, où l’anomie
s’installe plutôt . Comment défendre la vie face à cette anomie, et face aux
formes
qu’a pris la politique aujourd’hui ? Question que pose Agamben.

A partir de ce point, càd. l’extension de l’état l’exception jusqu’à l’anomie , Giorgio Agamben produit une généalogie de la question de
l’exception, donnant lieu à des politiques effectives, où se trouve
justifiée , dans les discours qui entourent et soutiennent sa mise en
oeuvre, une transgression. Ce qui donne lieu à plusieurs références, pour en
faire l’analyse, de la situation
de divers pays à l’époque précédant la II° guerre mondiale et l’extension du
fascisme à travers l’Europe, mais aussi, à l’étude de cette question, et de
cette pratique, qui remontent bien plus haut dans l’histoire (depus les
Romains, en passant par la Révolution française).

Comment a-t-elle été produite et justifiée ? Qu’en est-il de son extension
aujourd’hui ? Tels sont les fils que poursuit l’ouvrage d’Agamben, afin de
tenter de clarifier les rapports
de la politique (qui se définit comme la décision, du point de vue du
gouvernement, et comme l’action,
du point de vue des gouvernés) au droit : la politique est-elle
extérieure, ou intérieure au droit ?
quelles sont les limites du droit, càd. les limites à sa prétention
totalisante, d’où peuvent-elles provenir, et quelle est la nature de la
pratique politique, des gouvernements et des gouvernés, et comment traiter
la question de
la résistance, pour ces derniers (la résistance, soit l’autre face de la
décision,
càd. qui pose le même problème au droit, en tant qu’elle s’arroge qq chose
comme un droit d’exception et relève de l’exception, et qui, ne peut être
intégrée par le droit, car le droit ne peut accorder un droit de résistance)?

La question politique , en effet, suppose la reconnaissance d’un domaine
de l’action humaine en tant qu’elle échappe au droit, l’action qui est par
définition extra-juridique. Quelle peut être alors sa signification
juridique ?

Traditionnellement, existe l’opposition suivante au sujet de l’exception et
du droit :

D’une part, contre l’idée d’une justification de l’exception se trouve
exprimée l’idée
qu’il est impossible d’atteindre l’objectif du droit sans le droit.

D’autre part, contre le règne omni-présent du droit, se trouve exprimée
l’idée que
l’exception est qq chose d’inévitable, car sa nécessité s’impose. (idée
moderne)

Voilà les termes de la question. Mais dans tous les cas, Agamben va opposer
la politique comme action humaine, qui ne peut être incluse dans le droit.

Il faut bien noter aussi que c’est dans ces termes que se pose la question
de la révolution, ou de l’insurrection, soit la justification d’une
violation du droit existant,
de même que l’état d’exception peut-on remarquer en outre, qui se trouve au
même titre subvertir l’ordre juridique existant, et de même que
l’instauration d’un ordre constitutionnel nouveau, également.
D’où la question du pouvoir constituant, que Schmitt définit comme relevant
de l’exception, par le fait de la dissociation manifeste entre Etat et
droit qui se trouve là en acte. Dissociation du droit et de la force
politique, ce que dit bien Schmitt.

Cependant , pour justifier l’exception, le travail de Schmitt, consiste à
inscrire celle-ci dans l’ordre juridique, tout en sachant fort bien que
l’état d’exception échappe au droit. Ce à quoi Agamben s’attache à
répondre pour le contester, càd. , pour m’exprimer clairement, Agamben
s’attache à contester cette
tentative de Schmitt qui revient en somme à rendre, non seulement
nécessaire, mais conforme au droit , l’état d’exception et tend à donner à
la notion d’exception une forme juridique . = tel est l’objet du livre
d’Agamben.

Pour ce faire, Agamben va montrer très subtilement, dans la rencontre et la
divergence entre Benjamin et Schmitt, que les propos de chacun sont
inverses. Si l’on connaît la théorie de la violence de Benjamin (in “pour
une critique de la violence”) qui établit la notion d’une violence “pure”,
soit la violence révolutionnaire, ou la violence divine, qui vient briser le
cercle de la violence caractéristique du droit, càd. aussi bien la violence
instauratrice, nécessaire à la fondation, que la violence conservatrice du
droit, cette violence pure se situant au-delà du droit et faisant exister
un au-delà du droit qui est l’action politique, on n’avait jusque là jamais
prêté attention à ceci que la Thélogie politique de Carl Schmitt constitue
une réponse à Benjamin, pour nier la possibilité d’une violence pure au-delà
du droit. Habituellement, l’histoire se lit en sens inverse, on suppose
que Schmitt aurait eu une influence sur Benjamin, (à cause de la fameuse
lettre de Benjamin à Schmitt) bien que “l’Origine du drame baroque allemand”
développe une toute autre théorie de la souveraineté, impuissante.

Or Agamben soutient que Schmitt écrit dans la Théologie politique, une
réponse à Benjamin, soit sa théorie de la souveraineté afin de contester la
possibilité de cette violence pure qu’est la violence politique, et pour
faire entrer l’état d’exception dans le droit, sachant que l’état
d’exception occupe chez lui la place de la “violence pure” benjaminienne, à
laquelle il vient se substituer. Précisément parce que le souverain, maître
de la décision dans l’état d’exception, ne se trouverait pas extérieur à
l’ordre juridique qu’il abolit, selon Schmitt. Du moins il est à la fois
inclus et en dehors, puisque, selon Schmitt, la norme juridique est ce au
nom de quoi le souverain décide de l’état d’exception.

Rien de cela chez Benjamin qui pense que l’état d’exception s’étant
aujourd’hui généralisé jusqu’à devenir la règle, ce n’est pas un ordre
souverain qui en est issu mais l’anomie. Agamben, reprenant ce diagnostic
à Benjamin, affirme que l’anomie, contrairement à ce que soutenait Schmitt,
ne peut avoir aucune relation avec le droit, et, comme Benjamin, qu’elle est
l’espace où se joue aujourd’hui la politique, soit l’action du point de vue
de la vie, dans sa non-relation au droit. La politique, dit-il, a subi une
éclipse durable parce qu’elle a été contaminée par le droit. Ce qui est
politique, en revanche, est l’action qui tranche le lien entre violence et
droit, ouvrant à un droit “pur” au sens où Benjamin parlait de violence
“pure”. Conclusion benjaminienne qui est celle d’Agamben.

Il y encore à découvrir, dans cet ouvrage érudit, une étude du justitium
chez les romains, paradigme de l’état d’exception réalisant la suspension du
droit, ainsi qu’ une généalogie de la notion d’auctoritas, dont Agamben
montre qu’elle s’oppose à celle de potestas.

En tout cas, Agamben dit de Schmitt qu’il représente la tentative la plus
rigoureuse de construire une théorie de l’état d’exception. Voilà pourquoi
ça vaut la peine de le lire, càd. que nous avons qq chose à en apprendre,
comme je disais précédemment, dans la mesure où il faut lui répondre et non
pas l’ignorer, le traiter comme un théoricien, qu’il est.