La fabrique du sensible

Fusionner l’art et la vie I

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L’intuition du “caractère ouvrier ” du travail intellectuel chez les constructivistes russes (premiére partie)“L’art est une récompense pour le dur travail dans le réel”. Hegel (1)

“L’art du Futur ne sera pas une gourmandise mais du travail transformé”. N. Taraboukine (2)

Ces deux aphorismes admirables de concision et de pertinence fixent les deux bouts de l’argumentation développée ici sur la signification que l’on peut attribuer au mouvement des avant-gardes constructivistes russes.
Ces deux phrases nous donnent les deux extrémités du cycle historique que parcourent les avant-gardes artistiques des années 20, depuis la phase destructrice, négative (Dada et Futurisme en représentant le point le plus élevé) de démolition de la culture classique représentée par Hegel, jusqu’au moment de la reconstruction sur de nouvelles bases. Elles nous donnent aussi l’axe de la mutation fondamentale qui opère à cette période charnière de l’histoire de la société capitaliste et qui concerne le concept central dans les deux énoncés : celui du travail.
Ce qui est en jeu, ce ne sont pas de simples appréciations sur la valeur de l’œuvre d’art dans des péripéties internes à l’histoire de l’art. L’enjeu va au delà du pinceau et du tube de peinture sur la globalité du développement et de la transformation de la société.
Entre Dada, bouffon d’une société en crise, proclamant son dégoût de tout, arrachant le masque de toutes les valeurs devenues idoles et les architectes constructivistes planifiant la ville du futur d’une humanité réconciliée, c’est toute la définition, le rôle de la culture qui se trouvent problématisés.
Quand il proclame en 1923, dans le n°2 de la revue de Maïakovsky, LEF(3) “un jour viendra où le peintre ne sera plus un anarchiste bohème du genre mou, mais un travailleur irradiant la clarté et la santé au sein du collectif”, le dadaïste G. Grosz, féroce caricaturiste de la République de Weimar, dépasse le constat du nihilisme occidental, pour adhérer aux nouvelles possibilités offertes par la Révolution Russe. Il faut voir le dadaïsme comme un symptôme exacerbé de la crise de la domination bourgeoise, de l’état de “ chaos ” dans les rapports sociaux manifeste avec la guerre, de l’explosion violente des antagonismes de classe, de l’éclatement ”dramatique ” de toute harmonie du système social. C’est un mouvement de révolte qui est la pointe extrême de la crise de la culture. La mort de l’art annoncée dans les provocations dadaïstes, dans le choc de la désacralisation de toutes les valeurs de la culture bourgeoise, peut désormais trouver une issue positive grâce à l’avènement de la Révolution Russe, d’une société où culture et civilisation, l’art et le peuple, la création et l’industrie peuvent se réconcilier, puisque la classe ouvrière a conquis le pouvoir politique. Ainsi, l’artiste peut se voir confier une nouvelle mission sociale. L’artiste peut devenir utile, productif. Après avoir proclamé “ l’art est mort ! ”, Grosz et Herzfeld peuvent lancer leur slogan : “ Vive le nouvel art machinique de Tatline ! ”
Les lamentations expressionnistes sur l’impuissance tragique ne sont plus de mise. “ Le cri ” de Munch traduisait le sentiment d’angoisse, d’absurde du monde, la réduction du sujet à cet atterrement. La dérision dadaïste va au delà pour rejeter l’art au nom de la vie L’isolement de l’artiste, ses images réservées aux cimetières des musées ou à une élite décadente ( dont G.Grosz a su saisir les traits dans “ Le visage de la classe dominante ”), le dévoilement du mensonge constitutif de l’art, vont faire place à un nouveau rôle social utile à la collectivité. A cet égard, Ossip Brik a détecté avec lucidité le cœur du problème : “Un cordonnier fait des bottes, un menuisier des tables. Mais que fait un peintre? Il ne fait rien, il “crée”. Voilà qui est vague et suspect.”(4) Il met exactement le doigt sur ce qui taraude ouvertement, ou dans les structures éthérées de la fausse conscience intellectuelle depuis quelques décennies nombre d’artistes européens : l’inutilité social de leur activité. Désormais, cette non-productivité apparaît comme une tare qu’il faut et qu’il est possible de surmonter.
“Rodtchenko a raison. Quiconque a des yeux peut voir qu’il n’y a pas pour l’art d’autre voie que dans la production.
…il y a un consommateur qui n’a besoin ni de tableaux ni d’ornements, qui ne craint ni le fer ni l’acier.
Ce consommateur c’est le prolétariat. Sa victoire a été celle du constructivisme”.(5)
Les artistes et intellectuels russes qui se sont engagés aux côtés des bolcheviks, avec comme A.Blok, l’exigence de “faire en sorte que tout soit nouveau; pour que notre vie mensongère, sale, ennuyeuse et hideuse devienne une vie équitable, propre, gaie et belle”(6), vont se poser encore plus clairement que les avant-gardes européennes (7) qui ont aussi jeté à bas l’art et le vieux monde, les tâches d’une transformation générale des rapports sociaux. Il ne s’agit pas seulement de se débarrasser de la culture du passé, mais de changer la vie et d’envisager les moyens d’y contribuer.
“Changer de veste extérieurement
c’est peu, camarades !
Il faut se faire de nouvelles tripes !” (8). Maïakovsky.
Avant de passer à la phase des projets et des réalisations, les Futuristes en jaquette jaune et cuillère en bois à la boutonnière ont signé l’arrêt de mort des coupables et exécuté la sentence.
Entre 1912, date de “la gifle au goût du public” et “l’Ordre à l’armée des arts” (1919), les manifestes, proclamations, mouvements de contestation, de remise en cause du régime culturel, des mœurs, du mode de vie appellent à faire table rase du passé.
Ces années pré-révolutionnaires voient la mutation des anciennes formes culturelles à la fois par des transformations internes et par le changement des rapports avec le public, non sans certaines liaisons avec l’esprit et les mouvements anarchistes. “ Que le renversement du vieux monde des arts soit gravé sur vos paumes ”, écrivait Kasimir Malévitch dans la revue Anarkhia. Cette période où “ Dieu est détrôné ”, ainsi que le tsar, et ce de manière irrémédiable depuis qu’il a fait tirer sur des manifestations pacifiques, pourrait être symbolisée par l’opéra “ Victoire sur le Soleil ” (1915) de Matiouchine, Kroutchénykh et Malévitch pour les décors, renversement du platonisme dirait Nietzsche. Résumé : les cieux sont pourris, le soleil est vaincu, une nouvelle ère va commencer.Et ce rejet des dieux, des objets de la représentation, des images à adorer, conduit les jeunes artistes sur la voie de la création ” sans objet ”. Désormais “ il est devenu clair que l’être pictural n’est pas seulement pour être un moyen pour des causes, mais il est devenu lui-même la cause de l’acte de l’homme pictural “(9) écrira Malévitch. Il faut se débarrasser de toutes les nécessités extérieures qui ont fait de l’œuvre un moyen, qu’elles soient religieuses, idéologiques, politiques.
Se libérant de la Représentation par un travail progressif sur la forme et le sens de l’image, Malévitch parvient au fameux “ Carré noir ” (1915), point de départ du Suprématisme, de la peinture “ non-objective ”. D’ailleurs, selon l’artiste, le terme de peinture ne convient plus pour les investigations spatiales propres au système suprématiste, un pur système de signes évoluant dans l’espace, les formes colorées, mais dont la destination est une véritable architecture du monde. Pour comprendre l’itinéraire de Malévitch sur ce point crucial des avant-gardes, il est indispensable de le confronter aux autres artistes russes et européens qui ont ouvert les mêmes perspectives où l’architecture, la construction du monde est explicitement définie comme but final de l’activité picturale : ainsi chez Lissitzky, Mondrian, Doesbourg, Kassak …
D’autres peintres qui formeront le courant constructiviste opèrent ce cheminement vers un projet de synthèse des arts, d’engagement sur la voie de la mise en place d’une activité unitaire, de dépassement des formes de la division du travail. Ainsi Tatline, après une phase cubiste, qui centre son activité définie comme “ culture des matériaux ”,sur la matière, l’espace et la construction. Comme l’a dit Chklovsky : ”Contentons-nous de constater que Tatline a dit adieu à la peinture, à ses tableaux d’ailleurs excellents, et qu’il est passé à l’étude de la contre-position des objets pris en eux-mêmes. ”( 10 ) Sa pratique quitte l’espace fictif du tableau pour glisser progressivement vers le monde des objets réels. Du tableau entièrement construit selon la facture sur un espace plan, au tableau-relief, puis au contre-relief, construction entre deux plans perpendiculaires, Tatline opère la synthèse peinture, sculpture et architecture qui le conduira au “ Monument à la Troisième Internationale ”.
La liquidation de l’héritage du passé s’exprime en poésie, littérature, comme dans les arts plastiques par la volonté de créer de nouvelles formes capables d’exprimer cette modernité intraduisible dans les anciens langages. La libération des anciennes contraintes implique pour Khlebnikov les futuristes, les formalistes, une déconstruction systématique du langage, de la parole, leur réduction à de purs matériaux de construction, pour aboutir comme chez les dadaïstes à une sorte de degré zéro de la communication.
“Les œuvres d’art ne sont plus des fenêtres ouvrant sur le monde, ce sont des objets”. V. Chklovsky. Le constat du Formalisme (11) rejoint le nihilisme exaspéré d’un Hausmann (12), Tzara (13) qui dénoncent la vacuité de toute idée, science, religion, philosophie, de tout sens de l’univers culturel, pour ne plus admettre vis à vis du chaos existant qu’une attitude de simplicité enfantine. Collages, montages, ready-made, “Merz”, poèmes bruitistes, c’est-à-dire l’assemblage, l’articulation de purs signes muets, privés de sens, dévalorisés, sont la reconnaissance du seul langage possible pour qui a admis l’hégémonie totale de l’univers sans qualités de l’économie monétaire. Mais ce qui chez Dada prend tout d’abord la forme d’une affirmation du Rien, se traduit chez les Futuristes en recherche du Nouveau.
Dans le langage de Taraboukine, cela se dit : “Seuls les artistes “de gauche” d’aujourd’hui ont “dévoilé le procédé” de leur création et, après avoir écarté toute la superstructure “littéraire”, l’ont proposé comme méthode d’organisation constructive des matériaux”. (14)
Le Constructivisme se comprend comme moment de la reconstruction sur les bases nouvelles de l’abandon par les peintres de la figuration et de la “ table rase ” dadaïste, travail sur la forme et sur le sens, pour fusion dans un art élémentaire, comme en témoigne le parcours de Van Doesburg.

La confrontation entre dadaïstes et futuristes est importante pour comprendre le terreau sur lequel va naître le mouvement Constructiviste, soviétique essentiellement, mais à vocation européenne.
Les parallèles, similitudes et complémentarités entre les avant-gardes les plus nihilistes et les mouvements les plus constructifs conduiront à une convergence de facto comme en témoigne le Congrès Dada de Weimar en septembre 1922 où s’élabore le manifeste de l’Internationale Constructiviste. Cette rencontre regroupant aussi les activistes hongrois de MA, les néo-plasticiens (Théo van Doesburg), Lissitzky, se conclut par un accord sur un constructivisme comme “ organisation scientifique et technique de la vie toute entière “ où paradoxalement l’avant-garde soviétique” a objectivement eu le rôle de démontrer que l’unique “valeur politique” possible pour l’avant-garde est d’annoncer l’avènement d’un univers de non-valeurs, un univers amoral, élémentaire : exactement l’univers technologique du développement, organisé par le grand capital, que Grosz dénonçait comme un univers terrifiant et “sans qualités”. L’idéologie de la production, ou plutôt, l’image de l’idéologie du travail hautement mécanisé devient à partir de maintenant le
manifeste authentique de l’internationale constructiviste”. M. Tafuri (15).
La convergence se fait très exactement entre le constat ironique et désabusé de la réification (16) et la volonté d’en faire un nouveau matériau pour l’élaboration des moyens d’un “ art ” constructif. Là où cette convergence se produit, c’est qu’il y a reconnaissance, acceptation et évaluation identique de la transformation en marchandise de l’ensemble des produits et des activités humaines, d’un univers où l’œuvre perd toute charge symbolique, sens, “ unicité ”, aura, pour devenir chose qui n’a plus de qualité. Tout se vaut, tout est équivalent, tout est sur le même plan de l’abstraction-valeur. Un urinoir baptisé “ Fontaine ”, un Rembrandt, une planche à repasser, une publicité, la Joconde ou une photo de la Joconde.M. Duchamp ne montre pas autre chose.

(1)G.W.F. Hegel : Morceaux choisis.tome 2.p.239. Idées, Gallimard .

(2) N. TARABOUKINE: le dernier tableau. Champ libre. 1972. p.53

(3) LEF, note à changer.

(4)Ossip Brik : “L’Artiste et la commune”. Cité inG. Conio. Tome1. p. 241
Publié dans la revue “Les Arts Plastiques” (IZO), n°1 de 1919, revue éditée par la section Arts Plastiques du Commissariat à l’Instruction Publique, dirigée par Lounatcharsky, quasiment obligé d’accueillir les artistes de gauche, ceux qui adhèrent avec enthousiasme à la Révolution puisqu’ils ont eux même jeté par dessus bord la tradition classique et proclamé violemment la nécessité d’un “change de forme” concomitant à une révolution sociale, seule base possible pour la révolution culturelle que les avant-gardes veulent mettre en chantier. Comme l’a reconnu justement Boukharine, seule une petite minorité d’intellectuels “intègres” a rallié le régime, et ceux-là étaient justement ceux qui se réclamaient du futurisme, ceux qui se sont insurgé pour combattre le goût, l’autorité, la guerre, l’ancien mode de vie, se sont constitués en Soviet des Artistes à Moscou et formeront l’Inkhouk.

(5) Ossip Brik : “ A la production !” LEF, n°1 1923.
cité in G. Conio, le Constructivisme russe, tome2, p. 44.

(6) Alexandre Blok : “ L’intelligentsia et la révolution”. Janv. 1918.
in Art et Poésie Russes. 1900-1930. Textes choisis. Centre G. Pompidou. 1979.
Poète symboliste, douloureusement conscient d’une culture en voie d’extinction mais plein d’espoir pour un monde nouveau où l’art et le peuple pourraient être réconciliés.
Juste avant de finir son grand poème “les Douze”, il écrit ce bilan implacable et virulent qui lui vaut l’hostilité de tout son milieu. C’est chez Victor Chklovsky que l’on peut trouver sa plus belle épitaphe : “Il avait renoncé à la civilisation qui avait précédé la révolution. Une nouvelle civilisation ne se forma pas à la place de l’autre.
Déjà les nouveaux officiers se promenaient la cravache à la main, comme leurs prédécesseurs. Ensuite tout alla comme auparavant. Le coup avait raté.
Blok mourut de désespoir”. in Voyage sentimental. Gallimard. 1963

(7) Les avant-gardes russes sont en dialogue permanent avec les activistes de l’art européen, ceux qui ont la même attitude de questionnement sur les fondements de l’art, sur la place de l’artiste, le rôle de la culture et l’élaboration de nouveaux moyens de communication.
Ce n’est pas l’art qui est en crise, c’est toute la société, en ce moment de naissance des “Temps Modernes”, moment de basculement d’un mode d’accumulation du capital vers un autre, de transition d’une société bourgeoise à la société du capital social.
Futuristes, dadaïstes, expressionistes (de “Der Sturm” à “Die Aktion”), activistes hongrois (autour de la revue MA), néo-plasiciens de la revue De Stijl (Mondrian, Doesburg) et dans une certaine mesure le Bauhaus, qui mélange préoccupations sociales et élaboration d’une esthétique technologique englobant tout l’environnement urbain, toutes convergent vers une problématique où l’engagement politique n’est pas le critère décisif. Même si la révolution en Russie, en Allemagne et en Hongrie, l’affirmation d’un pouvoir ouvrier comme force alternative, poseront souvent le problème de la place de l’artiste par rapport à la lutte politique : art révolutionnaire ou art de parti, fusion ou indépendance.

(8)Maïakosky : “ Il est trop tôt de se réjouir ” déc.1918. cité in : art et poésie russes…p.117.

(9) K. Malévitch : L’Ounovis, paru dans la revue L’Art, n°1, mars 1921, Vitebsk.
(10) V. Chklovsky : La facture et les contre-reliefs, in L. Jadova : Tatline. Philippe Sers édit. Paris.1996. p.363. (11) Sur le Formalisme russe, on peut lire en français “ Questions de poétique” de Roman Jakobson (Seuil, 1973), où l’on trouve entre autres le beau texte “la génération qui a gaspillé ses poètes”.

(12) Raoul Hausmann : Courrier Dada. éd. Le Terrain Vague. 1958

(13) “J’écris un manifeste et je ne veux rien…
je suis contre l’action; pour la continuelle contradiction, pour l’affirmation aussi, je ne suis ne pour ni contre et je n’explique pas car je hais le bon sens…
Comment veut-on ordonner le chaos qui constitue cette infinie informe variation : l’homme?…
Que chaque homme crie : il y a un grand travail destructif, négatif à accomplir. Balayer, nettoyer. La propreté de l’individu s’affirme après l’état de Folie, de Folie agressive, complète…
Je proclame l’opposition de toutes les facultés cosmiques à cette blénorragie d’un soleil putride sorti des usines de la pensée philosophique, la lutte acharnée, avec tous les moyens, du DEGOUT DADAISTE”.
extrait de “Tristan Tzara : Sept manifestes
DADA. Lampisteries. J. J. Pauvert. 1963

(14) N. Taraboukine : le dernier tableau. p. 50

(15) Manfredo Tafuri : “URSS/BERLIN 1922 : du populisme à “l’internationale constructiviste” in VH 101, n°7/8, 1972.
nous donne ici un exemple de l’énorme travail de recherche et d’analyse effectué par l’Institut d’Histoire de l’Architecture de Venise sur l’art et l’architecture des avant-gardes russes et soviétiques. Tout leur intérêt vient des hypothèses théoriques qui conduisent ces analyses : la recherche marxiste d’un genre nouveau effectuée par Mario Tronti, Classe Operaia, Quaderni Rossi et Contropiano à partir de 1968.
On peut regretter que n’ait pas été diffusée en France cette critique des idéologies .
On peut lire en français de Tafuri : “Projet et utopie, de l’Avant-garde à la Métropole. Dunod.1979.
A défaut d’avoir accès aux autres textes de F. Dalco, Asor Rosa, Cacciari, etc…
C’est pourtant à notre connaissance la seule analyse rompant avec les éternels problèmes de conscience pour envisager les conditions de production du travail intellectuel et son insertion concrète dans le développement capitaliste.

Encarts accompagnants le texte :

Théo van Doesburg :

“On ne peut pas renouveler l’Art. l’Art” est une invention de la Renaissance…Il a fallu une énorme concentration de moyens pour faire de bonnes oeuvres d’Art. Mais on ne put réaliser une telle concentration qu’en négligeant la vie (comme fait la religion) ou en oubliant la vie. Ceci est impossible aujourd’hui, car nous n’avons d’intérêt que pour la vie. Nous aussi devons mettre nos forces au service de la vie. C’est cela le vrai progrès. Le progrès est contraire à toute concentration exclusive … C’est la première raison pour laquelle l’Art est impossible… Par amour du progrès, nous devons tuer l’Art.”
La Mort de l’Art. 1926

Ossip Brik :

L’artiste reflète la vie.
Qui en a besoin? Pourquoi refléter la vie, si on a toute la vie à sa disposition ? Qui préférera la copie à l’original?
L’artiste reflète la vie à sa manière.
C’est encore pire. Cela veut dire qu’il la déforme.
L’artiste est le serviteur de la beauté. Ici l’analogie avec les moines est totale. Quelque part, dans les monastères, on est le serviteur de Dieu. Les moines n’ont pas de place dans la Commune.
Voilà qui épuise le registre des définitions bourgeoises du travail artistique.

L’artiste et la commune. 1919

G. Lukacs :

“La caractéristique la plus importante de l’ordre social capitaliste est que la vie économique a cessé d’être un moyen de la vie sociale; elle s’est placée au centre de la vie sociale. La conséquence première et la plus importante est que la vie de la société s’est transformée en grand rapport d’échange et que toute la société constitue un immense marché. Cet état de fait s’exprime dans les divers domaines de la vie en ceci qu’aussi bien un produit quelconque que les énergies d’un producteur ou d’un créateur ont revêtu la forme marchandise. Tout a cessé, pour soi, eu égard à sa valeur interne (artistique ou éthique), d’avoir de la valeur, pour ne plus avoir que la valeur d’une marchandise sur le marché.
….le capitalisme a attaqué la possibilité sociale de la culture dans ses racines.”

Alte und neue Kultur. 1920

MAIAKOVSKY :

Faites revivre dans votre mémoire le premier Festival du Futurisme russe, marqué par la retentissante “ Gifle au goût du public”. De cette furieuse bagarre, on a surtout retenu les trois coups suivis des trois cris de notre manifeste :
1 Balayer le froid glacial des “canons” de toute espèce qui gèlent l’inspiration.
2 Briser l’ancien langage, impuissant à rattraper le galop de la vie
3 Jeter les ex-grands par-dessus bord du paquebot de la vie actuelle.
Ainsi, vous voyez, pas un seul édifice, pas un coin confortable, la destruction, l’anarchisme.
Nous considérons la première partie de notre programme de destruction comme réalisée. Ne vous émerveillez donc pas si vous ne nous voyez plus agiter le grelot du bouffon, mais brandir le projet de l’architecte…
Une goutte de fiel. Déc. 1915 .

Manifeste de l’Union Internationale des Constructeurs Néo-plasticiens :

Union :
…le travail collectif est pratiquement nécessaire…

Internationale :

Constructeurs :
…le contraire de toute production artistique subjective, purement sentimentale
constructif : Réalisation des problèmes plastiques … conformément aux méthodes
modernes de travail.

Néo-plastique :
…ce qui par ses conséquences réforme essentiellement la vie réelle…
le but de cette internationale est :
1 de résoudre des problèmes d’ordre pratique
2 de montrer aux nouvelles générations l’utilité de nos efforts réels et l’inutilité de
certaines productions individualistes des époques dépassées…
Cette internationale n’est pas un résultat de quelque sentiment humanitaire : idéaliste ou
politique, mais celui du même principe amoral et élémentaire sur lequel la science et la
technique sont basées.

Weimar. Sept. 1922 Théo van Doesburg, Hans Richter,
El Lissitzky, Karel Maes, Max Burchartz.
De Stijl, II, p. 247

L’art a toujours été autonome par rapport à la vie, et sa couleur n’a jamais reflété celle du drapeau hissé sur la citadelle. Victor Chlovsky : la marche du cheval.