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L’école de la régulation face à de nouveaux problémes

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L’école de la régulation ne fait-elle pas désormais partie d’un passé révolu ? Le modèle de relations sociales sur lequel est fondée son analyse n’est-il pas définitivement dépassé, y compris dans les nouvelles moutures proposées par un certain nombre d’auteurs de cette école, et n’est-il pas responsable de l’enterrement de l’approche régulationniste ? L’ATR ne constitue-t-elle pas une vision trop idéologique de l’économie, une vision trop liée à l’idéologie de la “gauche” et comme elle définitivement dépassée ? L’école de la régulation n’est-elle pas l’une des dernières versions économiques du socialisme – et, comme telle, un résidu archéologique ?

Et enfin, l’école de la régulation n’est-elle pas tellement imprégnée de socialisme et de corporatisme (à la française) qu’elle risque désormais de se trouver liquidée comme une de ces modes qui tout en laissant une marque profonde n’en disparaissent pas moins très vite sans regrets et sans larmes de la scène parisienne de petites et grandes doctrines nationales ?

Toutes ces interrogations resteraient inappropriées et ne pourraient guère être formulées que par des adversaires acharnés si elles ne contenaient un peu de vrai, ce dont témoignent les derniers développements de cette école et les différentes positions de ses auteurs. L’obstination à maintenir un point de vue dépassé sur les rapports de classe, ou encore l’obsession à maintenir envers et contre tout l’approche politique régulationniste même après avoir reconnu les mutations de l’organisation du travail (l’ancien compromis fordiste plaqué une fois de plus sur la nouvelle composition “japonaise” du travail industriel ! ), sont sur ce point exemplaires. L’extension et la consolidation du bagage méthodologique de l’école enrichissent l’ATR, mais ne modifient pas les articulations essentielles de son approche ; son rapport plus souple à la phénoménologie économique et productive ne réussit à produire qu’une vision confuse et ambiguë des nouvelles déterminations scientifiques de l’analyse. Pour en rester sur ce terrain, est encore plus révélatrice l’attention portée (et ceci concerne plusieurs auteurs de l’école de la régulation) aux productions théoriques récentes de la sociologie et de l’économie des “conventions” : là, la tendance corporatiste ( qui s’adaptait si bien à l’ancienne grille de lecture des rapports sociaux fordistes) feint de se renouveler quand elle reprend l’efficacité normative de l’accord consensuel des groupes (à l’intérieur de chacun et entre eux) en tant qu’utopie à poser à la base de l’analyse économique. Vraiment, “il faut que tout change pour que rien ne change ! “.
Et pourtant toutes ces attaques polémiques resteraient superficielles si un autre élément ne venait par ailleurs rendre la critique plus essentielle : c’est que le “socialisme” de l’école est véritablement radical et indépassable. Implanté dans la tradition de l’introuvable marxisme français, ce socialisme est à la fois culte de la solidarité du travail et apologie de la collaboration entre les classes laborieuses. C’est l’identification de la critique de l’économie politique au développement de la productivité industrielle et à la défense du producteur national. En conséquence, l’ouvrier de l’industrie est le sujet exclusif de la critique de l’économie politique, donc de la politique socialiste. Prenez les régulationnistes, secouez-les, renversez-les, faites-leur vider leurs poches (cette opération, ce n’est pas nous qui la faisons, mais eux qui l’exercent sur eux-mêmes depuis désormais plusieurs années) : cet exercice terminé, ils proclameront toujours et encore leur foi dans la centralité du travail industriel salarié. Et c’est là que leur idéologie se fait jour : ce sont des modernisateurs du travail. Mais cette conclusion ironique se doit aussi de reconnaître la portée critique du résultat effectif : s’élevant contre certaines traditions du mouvement ouvrier organisé, les régulationnistes ont pendant les années 70 centré l’analyse du mouvement ouvrier autour de la figure de l’ouvrier tayloriste et fordiste. Au modèle professionnel des .syndicats officiels et des partis plus ou moins socialistes, ils ont opposé efficacement, avec un sens aigu des transformations en acte, la figure sociale et l’action politique de l’ouvrier massifié.
En ceci, ce sont des enfants de 68. Dans la théorie modernisatrice de l’école de la régulation la nature du compromis social et politique – de tradition réformiste – s’est trouvée profondément modifiée par la richesse de la figure de l’ouvrier massifié qu’elle avait eu l’originalité de mettre en lumière. Mais ils se sont arrêtés là. La nouvelIe composition salariale, les dynamiques des nouveaux compromis, leur efficacité institutionnelIe, leurs effets sociaux se sont mués en un “écran opaque” face aux transformations ultérieures du travail, aux nouvelles expériences de classe, à la requalification progressive des rapports de force sociaux. Le travail, la “justice du travail”, le socialisme – c’est tout. Il semble que les régulationnistes n’aient jamais lu la “Critique du programme de Gotha” du défunt professeur Marx.. Et pourtant, dans la subsomption de la société dans le capital (68 ouvrait cette période), surgissaient un Hypercapitalisme et un Hyperprolétariat. séparés non plus dans le compromis mais par la chute de la loi de la valeur/ travail : les régulationnistes n’ont pas voulu problématiser cette situation. Tandis que le travail devenait “libre”, sous la seule forme où il peut le devenir dans un régime capitaliste, c’est-à-dire mobile, flexible, dans l’espace et dans le temps, tandis que le travail devenait de plus en plus intelIectuel. immatériel, de plus en plus social, les régulationnistes continuaient à chercher des sujets stables auxquels rattacher la contractualisation, le compromis. Mais les sujets stables n’étaient plus désormais que de risibles caricatures de la subjectivité de classe. Sous l’empire de l’illusion, les régulationnistes ont flirté avec le gouvernement Mauroy, avec la CFDT, avec la DGB, avec la social-démocratie suédoise, avec la FIOM italienne. avec Solidarnosc. et on pourrait allonger la liste…
Ce qui les intéressait, en somme, c’était le travail productif organisé et institutionnalisé: parce que seul le compromis crée le socialisme ! Parce que seul le travail productif industriel est digne d’attention ! Et puis sont arrivés les contrats “saturniens” de la General Motors, et enfin les Japonais. Sublimant un schéma caricatural (celui des syndicats, celui du compromis) les régulationnistes ont fini peu à peu par créer le modèle mystificateur le plus utile pour un patronat collectif qui commandait désormais bien d’autres dynamiques de “mise en forme” du travail social productif.
Il est évident qu’ici nous poussons la polémique jusqu’à l’exagération. Comme nous le verrons plus loin, l’esprit critique et l’intelligence analytique des régulationnistes vont bien au delà des limites historiques de leur constitution en tant qu’école de pensée. Leur méthodologie peut avoir des applications plus vastes et plus utiles. Et pourtant, l’attirance pour le travail productif industriel et pour le socialisme qui en constituerait l’idéologie libertaire (sic !), faiblit rarement. Cette situation étant éclaircie, les objections des critiques de l’école de la régulation que nous avons rappelées ci-dessus, sont pour une bonne part acceptables.

Mais expliquons-nous mieux, pour éviter qu’on ne confonde nos critiques vis-à-vis de la fidélité de l’école de la régulation à ses principes, ou encore de son attachement à une réalité sociale particulière, avec celles que les économistes et les politiciens ont toujours adressées à cette école. Notre critique se veut donc positive, au sens où nous lui demandons de prendre en compte les transformations de la réalité de classe, de la composition technique et politique du prolétariat, comme éléments fondateurs de la critique de l’économie politique. Nous soutenons donc que l’école de la régulation devait et pouvait opérer une mutation dans la mesure même où la réalité de classe qu’elle étudiait et dont elle se voulait l’interprète était en mutation. Ce n’est qu’en emboîtant le pas à cette transformation qu’elle pouvait prétendre fonctionner de manière originale et créative. De 1968 à aujourd’hui, il s’est désormais déterminé dans la sphère économico-politique une mutation qui fait date : on est passé de la subsomption formelle de la société dans le capital à la subsomption réelle. Les régulationnistes ont suivi les luttes de l’ouvrier massifié et les ont à juste titre considérées comme moteur de la transformation de l’organisation capitalistique du travail et de la société : mais seulement jusqu’à un certain point ! Restreignant leur point de vue à l’usine, à l’économie entendue au sens de discipline, ou pire, telle que les patrons ont intérêt à la présenter et les académiciens de l’économie à la sanctifier, ils se sont contentés d’affirmer le rôle de l’ouvrier massifié. De cette affirmation ont découlé des analyses de la production et de la société comme bien peu en ont produit. Mais tout ceci sans s’apercevoir que cette affirmation de la figure de l’ouvrier massifié précisément parce qu’elle touchait à l’apothéose, signait l’amorce de la fin de cette époque. A l’hégémonie de l’ouvrier, à sa capacité à imposer des compromis forts, une rigidité incompressible du cycle de production et de reproduction, ne pouvait que correspondre une nouvelle initiative capitaliste. Le rapport de force n’est jamais statique, il est toujours constituant, soit du côté ouvrier, soit du côté capitalistique : on ne pouvait donc se contenter de reprendre la situation qui avait vu s’opérer l’apothéose de l’ouvrier masse et la fixer. Précisément en fonction de cette victoire, la risposte capitaliste se devait d’être rapide et violente, radicale dans la mesure où elle ne pouvait qu’investir tout le champ de la production et de la reproduction.
Les économistes n’ont pas vu tout ceci, mais les patrons allaient de l’avant, impitoyablement. C’est ainsi qu’au moment même où le prolétariat avait réussi à arracher les compromis les plus avantageux, le capital s’employait à les vider de leur contenu, à déterminer des situations technologiques et de nouveaux contextes dans lesquels ces compromis étaient désormais inutiles, entraînant de nouvelles modalités pour la subordination de la classe ouvrière. L’histoire du capitalisme est toujours faite de réponses déterminées aux attaques ouvrières : contraints de déplacer leur niveau de domination, les capitalistes le reconstruisent technologiquement et politiquement de manière à fournir une réponse homogène aux revendications du prolétariat et, en même temps, à le battre sur ce nouveau terrain. Le capitalisme trouve son ressort dans les déplacements mêmes qui lui sont imposés et qu’il doit dominer. Dans cette perspective les transformations technologiques sont des armes fondamentales pour l’action du capital. Et elles le seront de plus en plus (après que le capital a surtout utilisé pendant des siècles l’arme de la terreur et de la répression) tant que les producteurs ne se seront pas réapproprié la technologie. Aujourd’hui l’antagonisme anticapitaliste de l’ouvrier massifié est un antagonisme caractérisé par le refus du travail dans la forme sous laquelle il a été imposé par le patron. Refus du travail salarié de la part de l’ouvrier massifié ou encore refus de l’abstraction du travail dans l’usine fordiste, du taylorisme sur la chaîne de montage et dans la cité-usine. Refus du travail manuel et en même temps découverte de la formidable force de coopération que la classe ouvrière est capable de construire. Après 68, à partir de la première crise pétrolière et du décrochage du dollar par rapport à l’or (ces choix stratégiques annoncent le XXIème siècle), le capital opère selon une ligne de restructuration technologique et sociale, mais aussi politique, dont seule la fin des années 80 nous donnera la mesure complète. Son projet, qui est gagnant à l’heure qu’il est, est de faire disparaître la partie contractante adverse de ce compromis social que les luttes lui avaient imposé, donc de faire disparaître l’ouvrier massifié. Pendant ces vingt dernières années le capital a agi de manière cohérente non seulement pour renverser à son profit le contenu des compromis, mais aussi pour éliminer la figure même du compromis, la forme-contrat. Le marché contre le contrat, l’individualisme contre tout sujet coIlectif et solidaire, le libéralisme contre le welfare-state. Les théories et les pratiques du contrôle monétaire de l’économie et de la société signifient l’élimination de la scène du sujet ouvrier de masse en tant qu’agent contractuel. Et donc l’élimination de la scène du socialisme, si par socialisme on entend ce que tous les gens de bon sens ont toujours entendu : un modèle de développement de l’économie et de la société dans lequel les exigences de développement du capital coIlectif (qu’il soit public ou privé) soient prises en compte au sein d’un compromis équilibré avec ses exigences de libération du prolétariat. Imposer le marché (libre ?) contre ce monopole de la force de travail que l’organisation de l’ouvrier masse avait imposé comme base de tout compromis possible. Aujourd’hui, c’est le capital lui-même qui s’emploie à dissiper cette illusion sur laqueIle, au moins pendant un siècle, avait reposé l’idéologie de la classe ouvrière. Il faut comprendre ce que cela signitle : 1. il n’y a plus de possibilité de compromis social; 2. toute dialectique institutionalo-réformiste entre classe ouvrière et capital est terminée; 3. le socialisme n’est plus possible.
Mais nous savons que la classe ouvrière a toujours vécu le socialisme de manière ambiguë : d’un côté eIle acceptait d’être incluse dans le mécanisme des compromis, des ajustements capitalistiques quand ils allaient dans un sens modernisateur et progressiste; mais d’un autre côté elle se refusait systématiquement à considérer le niveau des ajustements obtenus comme définitif. Ce qui dans le mouvement ouvrier vivait comme désir sans cesse renouvelé c’était la destruction de la règle capitaliste. Aujourd’hui, se retrouver au delà du socialisme fait renaître ce désir tout en laissant indemnes les capacités de compromis capitalistiques. Ce qui veut dire que se retrouver au delà du socialisme implique positivement quelques-unes des conditions fondamentales du communisme (si par communisme nous entendons une instance de libération de l’exploitation ne se trouvant plus désormais devant la nécessité de moderniser le rapport capitalistique et d’établir avec lui une relation dialectique). Quelles sont ces conditions ? Elles concernent fondamentalement l’automatisation des entreprises, l’informatisation de la société, la qualité productive de la société dans son ensemble. EIles consistent dans le fait que la richesse se base de plus en plus sur la capacité productive de la société, sur le travail intellectuel et plus généralement sur l’ensemble de la coopération sociale. L’ancienne division sociale du travail qui articulait et reproduisait l’exploitation, devient de moins en moins rationneIle : travail inteIlectuel et coopération productive sociale n’ont pas besoin d’être impliqués dans le contrôle capitalistique de la production et de la reproduction. Le travail se libère dans la mesure même où la figure ouvrière, en tant que représentante du capital variable, c’est-à-dire du capital tout court, disparaît.
Les conditions de la production sont portées par le general intellect, c’est-à-dire par l’ensemble des forces productives intellectueIles (ou encore immatérielles) qui se présentent de manière autonome tant dans la science, que dans l’organisation de la coopération sociale et dans la formation. L’organisation capitalistique de la société, la division du travail (du travail manuel et du travail inteIlectuel, du travail de production et de celui de reproduction, du travail de commandement et de celui d’exécution) non seulement s’éteignent progressivement, mais au cours de cette extinction elles font apparaître la croissance ontologique d’un sujet alternatif, capable d’assumer en toute autonomie la responsabilité de la production et de la reproduction sociales et, en même temps de rendre le contrôle capitalistique de la production inutile, coûteux et en définitive parasitaire. Comme cela s’est déjà produit dans les siècles passés pour d’autres classes sociales dans ce passage à une nouvelle époque, la classe patronale apparaît comme une classe inutile, socialement improductive. Le passage à la financiarisation du commandement qui caractérise le capitalisme industriel actuel, phénomène analogue à celui de l’isolement de l’aristocratie qui vit, sous l’Ancien Régime, les classes possédantes devenir des stupides fantoches de la production sociale. D’un autre côté le savoir, le savoir intellectuel appliqué et le savoir organisatif, sont devenus le paradigme de la nouvelle production. Certes, les tentations technocratiques et/ou les nouvelles déterminations capitalistiques liées aux territoires et aux spécialités, apparaissent sur la scène dans une tentative de reconstruire de nouvelles divisions sociales du travail. Il ne s’agit pas de refuser de voir ces dangereuses apparitions; il s’agit de comprendre que dans la subsomption de la société tout entière dans le capital, elles seront beaucoup plus faibles et beaucoup plus précaires que n’ont jamais été, dans les périodes passées, à l’intérieur du processus de modernisation les différents sujets sociaux qui, ayant émergé, prétendirent et obtinrent le commandement sur la nouvelle division sociale du travail. La raison de cette moins grande dangerosité et donc la probabilité moins grande que ces groupes s’imposent, c’est qu’aujourd’hui, si l’organisation du travail est sociale, entièrement sociale, elle ne passe plus par la contractualisation, le compromis, la dialectique, le syndicalisme, – elle est directement politique.

La division sociale du travail doit, de par sa nature intime, se confronter à la démocratie. C’est sur ce terrain-là que la critique de l’économie politique trouve sa limite en tant que discipline de spécialistes mais aussi sa valorisation comme politique du social, comme science démocratique du dépassement de la division du travail, du communisme comme transition.

Pourquoi, après avoir tellement insisté sur les limites des analyses de l’école de la régulation, est-il malgré tout nécessaire de l’étudier ? Pourquoi, en dépit du fait qu’elle complètement raté le changement d’époque dont nous avons parlé, reste-t-elle une des expériences les plus importantes de la critique de l’économie politique ?
Pour au moins deux raisons. La première est négative. Ce qui veut dire que l’école de la régulation représente toutes les erreurs qu’une généreuse capacité à maintenir l’idéal du socialisme a pu commettre entre les années 70 et les années 80. Nous l’avons illustré au cours de cet article. On peut seulement ajouter que l’intelligence et le travail acharné de ses représentants ont, dans les limites de ce cadre, interprété et poussé jusqu’au bout les toutes dernières tendances apparues au niveau international sur la problématique du socialisme et donc et surtout sur celle de la défense du welfare-state. Les régulationnistes français ont poussé à l’extrême les thèses des néo-corporatistes et des “communautaristes américains”, ils ont donné corps à celles des néo-keynésiens anglais et italiens, ils ont rationalisé les positions des institutionnalistes allemands. Ils ont donné une dignité au front de résistance ouvrière. L’économie politique et sa critique ne vont pas sans passion. La passion socialiste, ici, s’est révélée forte, utopique, elle a affirmé l’impossible et ne s’est pas dissociée par opportunisme de la majorité du mouvement ouvrier. Les alliances établies ponctuellement avec le pouvoir n’ont pas enlevé à l’école de la régulation l’illusion du combat socialiste contre le commandement capitalistique. La défaite ne peut lui ôter la lumière de la générosité.

La seconde raison, qui apparaît en même temps que la première et lui est intimement liée, comme positivité qui naît du négatif, c’est que la méthodologie de l’école de la régulation, justement parce qu’elle parcourt cet enfer du socialisme moribond, s’est entièrement libérée de la perception exclusive d’une réalité de classe dépassée.
A travers l’analyse d’une réalité moribonde, c’est-à-dire de la classe ouvrière fordiste, elle a eu la capacité d’élaborer une méthode, de recueillir des éléments épars, de repérer des terrains d’enquête (et de construire des méthodologies adéquates à l’objet) qui sont aujourd’hui disponibles pour la reconnaissance de nouveaux sujets et l’invention d’instruments d’analyse révolutionnaires.
La méthodologie de l’école de la régulation n’est donc pas réductible unilatéralement à la perception de la réalité d’une classe dépassée sur laquelle elle est née, mais parce que cette réalité a été précisément décrite avec une grande capacité à en saisir les connexions internes et à développer les effets de son action, sur tous les aspects du réel social, elle a pu élaborer une méthode qui peut être encore utile aujourd’hui, plus encore, essentielle à partir du moment où elle la relie à la réalité nouvelle. Tout ce qu’a fait Aglietta sur le terrain de la critique de la monnaie, Boyer à propos de la crise des modèles de développement, Petit sur le terrain des services, Lipietz sur celui de l’écologie, pour ne parler que d’eux, tous ceux qui ont un désir de la transformation doivent l’apprendre. La pensée économique, disait Keynes, est condamnée à la réalité présente mais en même temps, l’économiste peut donner des conseils utiles à ses élèves: et c’est précisément sur ce terrain genérationnel que l’ATR nous offre le meilleur. Une méthodologie, donc, qui vide le socialisme des finalités idéologiques et de la dialectique du compromis d’un sujet historique trop limité, et qui par conséquent s’ouvre à un nouvel espace sur lequel elle pourra s’appliquer à de nouveaux sujets et à de nouveaux désirs/intérêts, à de nouveaux rapports de force. Ce sont les régulationnistes qui, du point de vue de la théorie monétaire, de la théorie de l’organisation du travail, de la théorie de la reproduction et des services nous permettent aujourd’hui de nous poser les questions du salaire politique généralisé, de la fin de la catégorie “chômage”, de l’organisation d’un espace économique qui coïncide avec celui de la citoyenneté. Poursuivant notre route, de tout ceci, nous leur sommes redevables. Et nous sommes certains que dans l’avenir nous nous retrouverons ensemble: utilisant les méthodologies critiques différenciées qu’ils ont contribué à créer – mais en changeant de terrain. Autour de la problématique de la subsomption réelle de la société dans le capital, si nous considérons les choses du point de vue économique ; autour de la problématique du “communisme comme transition” si nous considérons les choses d’un autre point de vue : celui des nouveaux sujets productifs.

(Traduit de l’italien par Giselle Donnard)