La marche du temps

L’Europe sans flamme

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La construction européenne a franchi une série d’étapes décisives avant même les échéances de 1993/94. La GrandeBretagne a fini par accepter le système monétaire européen et ses contraintes, et elle ne s’oppose plus à la création d’une monnaie commune. On peut constater, en outre, que chaque pays membre reçoit plus d’avantages de sa participation à la communauté qu’il n’en retire d’inconvénients. Le retour en arrière est aujourd’hui tout à fait impossible.
Pourtant la nouvelle réalité européenne qui est en train de se dessiner est loin d’être encourageante. Sur le plan politique le caractère non démocratique de la communauté est en train de s’affirmer. Le parlement européen n’a pas les moyens d’exercer un contrôle véritable sur les institutions en place (commission exécutive, conseil des ministres, conseil européen, cour de justice). Il n’a pas non plus de véritable pouvoir législatif, (dans ce domaine le rôle essentiel est joué par le conseil des ministres) et l’on peut simplement espérer qu’il aura dans un certain nombre de domaines bien délimités une sorte de pouvoir de co-décision.
Pour autant ce déficit démocratique ne signifie pas que les organes supra-nationaux sont forts. La commission de Bruxelles a du mal à imposer sa volonté, et par exemple, ne peut empêcher que certains pays prennent du retard dans l’adaptation de leur système juridique et de leurs normes techniques à la réglementation européenne mise au point pour l’horizon 93. Le conseil des ministres et le conseil européen (des chefs d’État et de gouvernement) lui disputent de toute façon le premier rôle et l’on ne voit pas comment les choses pourraient marcher sans un minimum d’entente entre les États dans la conjoncture actuelle. En même temps cette supra-nationalité encore faible met suffisamment en porte-à-faux les États nationaux pour que ceux-ci soient contraints à abandonner certains de leurs pouvoirs et prérogatives, et qu’ils ne puissent plus agir comme avant. La progression de l’intégration approfondit ainsi la crise de l’État Providence national sans lui substituer quelque chose d’approchant au niveau inter-communautaire. De façon tout à fait significative l’Europe sociale n’existe pas; si ce n’est à l’état de déclarations d’intention (par exemple la charte sociale chère à Jacques Delors). Et si les programmes technologiques communs (Eureka) ne sont pas négligeables, ils sont loin de répondre aux défis de la période, en particulier dans le domaine de l’électronique.
Sur le plan économique, les choses sont apparemment mieux parties, puisqu’il existe des politiques communes déjà anciennes (par exemple, la politique agricole commune), mais il n’est pas besoin d’être grand clerc pour s’apercevoir que la dynamique économique est dominée par les multinationales européennes et par la politique de la “Bundesbank”. En d’autres termes, l’accumulation du capital peut imposer sa loi sans grandes entraves et on ne peut s’attendre à ce qu’il en soit autrement à partir de janvier 1993, tout au contraire.
En fait, l’Europe des douze est une Europe sans véritable volonté. Elle l’a montré lors de l’affaire du Golfe. Elle est en train de le montrer dans le domaine de la défense en ne rompant pas franchement avec l’atlantisme pour s’engager sur la voie d’une politique de défense européenne et de dé-nucléarisation. Elle le montre également en refusant vraiment de s’ouvrir sur l Europe de l’Est et en s’avérant incapable de se poser vraiment le problème de ses rapports avec le sud. L’Europe des douze est surtout un syndicat de défense d’une Europe relativement prospère et frileuse très bien représentée par l’Europe des accords de Schengen contre les pressions du monde extérieur. Elle ne peut en ce sens jouer un rôle vraiment positif dans la société internationale d’aujourd’hui. Elle reste d construire en tant qu’Europe du renouveau social et politique : de la mise en question du statu quo. Telle qu’elle est, elle n’échappera pas à de fortes contradictions et à de fortes turbulences.