François :
J’ai l’impression que la machine infernale est en train d’être lancée. Tout
se passe
très exactement comme prévu : on lance localement une grande “affaire de
foulards”
largement médiatisée, sur fond de “grand débat républicain” (avez vous la
liste des
membres de la commission Stasi, qui se donne explicitement pour but de faire
aussi
bien que la commission Marceau Long, celle qui avait voulu imposer une
déclaration
solennelle pour l’acquisition de la nationalité française des enfants
d’étrangers nés
en France, etc ?) avec pour objectif évident, dans la conjoncture actuelle,
de casser
définitivement tout le mouvement enseignant : c’est probablement LA question
à propos
de laquelle une salle des professeurs est suceptible de se transformer en
ring de
box.
Avec, en plus, un cocktail particulièrement détonnant : les jeunes filles en
question
sont filles d’un monsieur Levy, juif athée et, qui plus est avocat du Mrap.
Il va nous falloir beaucoup d’intelligence pour empêcher cela, et je ne suis
pas du
tout certain que l’on n’y parviendra.
Fabrice :
L’important n’est pas tant ce que disent les textes que ce que les croyants
disent qu’ils disent (O. Roy, dans l’Islam mondialisé) et leur façon de les
interpréter. Et c’est bien avec des êtres humains que l’on dialogue, pas des
“religions”. Il me semble que l’on dialogue très bien avec des
“chrétiens” ou des “juifs” sans savoir ce qu’ils pensent (et surtout s’ils
appliquent) les positions du pape sur les relations hors mariage pour les
premiers et sur la … lapidation pour les seconds (cf non exhaustivement :
Deut 22,20 sur la lapidation de la femme non vierge et Lévitique 20,10 sur
la lapidation de la femme et l’homme adultère)
Si l’on prend le cas D’A. Lawal, cela est exemplaire. Je n’ai pas besoin de
préciser que ce que j’écris plus bas n’est pas là pour “minimiser” ou
“exagérer” la
barbarie de ce que cette femme subit, mais uniquement exemple concret et
dramatique de “ce que les hommes disent que les textes disent”
Le texte coranique est clair : 24, 2 : “la femme adultère et l’homme
adultère, flagellez chacun d’eux de cent coups de fouet” !
Rien donc sur la
lapidation … si ce n’est un verset qui aurait été révélé et … qui n’est
pas recensé dans le Coran !
Dans le Hadith il y a bien par contre, d’après Omar, attestation qu’il y
aurait eu un verset sur la lapidation, mais de même … aucune citation de
ce “verset”.
On a donc bien là un exemple de ce que les hommes font dire aux textes ce
qu’ils veulent ! Et il ne viendrait à personne l’idée de décréter que
ceux qui appliquent la lapidation ne sont pas des exemples typiques de ce
qu’est (ou peut être) l’islam …
A contrario, ce n’est pas parce que l’immense majorité des musulmans en
France recoure tout simplement au “divorce” ou à la séparation s’il y a
“adultère” et difficulté à le surmonter et ne se “battent” pas pour
appliquer la lapidation (y pensent-ils seulement !) qu’ils ne sont pas,
aussi, des représentants typiques de l’islam !
Les littéralistes obtus existent partout … sont ils vraiment majoritaires
?
Pour élargir et surtout sortir du cadre religieux, voici une petite phrase
rapportée par Ternissien qui illustre de la même façon ce que je dis.
“Une jeune fille qui a raté son bac et qui redouble s’en prend à l’éducation
nationale : elle dénonce le manque de moyens, un prof de maths absent
pendant un trimestre, “ces enseignants qui n’habitent pas Aubervilliers”.”
Viendrait-il à l’idée de quiconque ici de juger de la “valeur” d’un
fonctionnaire, d’un prof en l’occurrence, de savoir s’il est bon ou mauvais
prof, en fonction de ce que disent les textes qui régissent son statut ?
Pourtant, le décret du 12/07/1901, celui du 26/11/1906 et la circulaire du
28/11/1921 (et qui sont toujours en vigueur !) imposent aux fonctionnaire de
l’enseignement de résider dans la localité ou ils sont affectés !
A-t-on besoin d’amender ce texte pour discuter avec un prof ne résidant pas
dans la localité ou il travaille de ses conceptions du métier, ou de tout
autre chose ?
C’est plus qu’une exagération et extrapolation, j’en conviens… et
pourtant, quel est l’important pour le “dialogue” ? Que dans les textes il y
ait écrit de ne pas saluer en premier l’infidèle ou qu’un “musulman” vous
salue et dialogue avec vous malgré ce texte ?
Antonia :
Il me semble qu’il manque une chose dans cette discussion SUR le foulard:
La dimension de la lutte. il y a quand même une différence essentielle entre
des personnnes (hommes ou femmes, hommes et femmes) luttant pour ne pas être
obligés de porter un foulard et un Etat interdisant l’école à des filles qui
le portent…..
Une chose est sûre: le foulard ou pas n’est pas ce qui distingue le sexisme
ou pas, la possibilité de savoir lire oui par exemple. Les hommes ou les
femmes sur cette liste et ailleurs qui supposent a priori l’oppression
féminine des arabes me font beaucoup rire: ils ne se manifestent guère dans
d’autres cas, genre ceux qui nous concernent. Notre monde n’est peut-être
pas si atttirant que cela magré tout.
le jour où les défenseurs de l’interdiction du potr du voile dans les lycées
se diront qu’il faut mettre en place un système d’apprentissage qui puisse
rendre compte de la langue arabe, de ceux qui la parlent, et qu’ils auront
la cuiriosité de l’apprendre, ils seront plus crédibles si je puis dire.
cela me semble un vrai combat l’introduction de l’arabe dans les écoles…..
l’exculsion des filles pour quelles que raisons que ce soit, ler renvoi au
grion de la famille et de l’école coranique NON; par ailleurs une laïcité
qui a si peur d’un morceau d’étoffe est en effet menacée par n’importe quoi,
et c’est de ça qu’il faut penser: il ne faut pas interdire ce que l’on ne
peut rendre impossible…. spinoza dixit.
je suis sûre que ceratins arguments prononcés en arabe sont plus
convaincants….. et il paraît que parler plusieurs langues c’est une
exigence de l’école laïque, ouverte sur le monde; ou alors s’agit-il de
d’éduquer les peuples inférieurs?
dans mon livre d’arabe classqiue dans les années 70 (fin) les garçons
allaient à l’cole fi madrasati et les filles rezebet (elles nettoyaient).
le prof nous a dit que sdans la mesure où ces phrases pouvaient être lues
par tous, elles étaient déjà démenties…..
je ne nettoie pas
il nettoie
je ne m’occupe pas des enfants en priorité en mi-temps
il s’occupe des enfants
je ne gagne pas moins que lui
il ne gagne pas plus que moi
je suis pilote d’avion
il est hôte de l’air
c’était dans votre livre de lecture?
je renvoie à une pièce de Valie export où elle a mis un carton devant ses
seins dans la rue et où on pouvait toucher mais au vu et au su de tous. Un
petit cinéma sein qui a afit ses effets
François :
Quand, dans un établissement scolaire, des jeunes filles se battent pour ne
pas être
mariées de force, ou pour rentrer d’un pays où elles ont été séquestrées par
leur
famille, on trouve des enseignants et autres personnels éducatifs qui font ce
qu’ils
peuvent pour les soutenir (parfois avec succès : j’en parle en connaissance de
cause).
Si, dans un établissement scolaire, des jeunes filles font savoir qu’elles se
battent
pour ne pas porter un foulard qu’on veut leur imposer, on trouve sans doute
des
enseignants et autres personnels éducatifs qui font ce qu’ils peuvent pour les
souvenirs (j’emploie un “si” parce que je n’ai pas, personnellement, cette
expérience, mais cela existe certainement).
Dans un cas comme dans l’autre, les personnes travaillant dans l’institution
sont au
côté de ces jeunes filles : ce n’est pas toujours facile, beaucoup renâclent
à le
faire, parce que cela prend du temps, parce qu’il y a parfois des risques non
négligeables, etc.
Gageons que ceux qui font cela apprennent en même temps à connaître des
choses qu’ils
ne soupçonnaient même pas, découvrent un peu de la complexité d’un monde que
leur
statut professionnel ne les prédispose pas particulièrement à saisir.
Gageons que la plupart d’entre eux (qui pouvaient, parfois, y être favorables
au
départ) auront appris de leur expérience que le dispositif d’exclusion
revient à
traiter en ennemies les soeurs, cousines ou amies de celles pour qui et avec
qui ils
ont justement lutté : le grand écart a ses limites
Gageons que les jeunes filles qui luttent pour ne pas porter un foulard
qu’elles
abhorrent seront les premières à trouver odieuses les mesures d’exclusion à
l’égard
de leurs camarades.
Alain :
J’ai du mal avec le “débat” autour de ce fichu tissu
oui ou non le foulard est-il un signe religieux ?
oui ou non l’école doit-elle se constituer et se construire sans religion ?
oui ou non la religion est-elle par définition un chemin spirituel de valeur
pour la vie des hommes ? (si la religion reste ce chemin, il faut le
démontrer : LA QUESTION SE POSE TOUT DE MEME !)
que faire d’une jeune raëlienne en classe ? que faire d’un jeune sataniste ?
le minimum pour l’enseignant n’est-il pas d’effacer ou de gommer les traces,
de retrouver la personne ? (“Pourrais-tu Jean ôter ce masque ? Pourrais-tu
Jeanne enlever ce voile”)
oui ou non ne peut-on vouloir et organiser une école de la vie contre
l’esprit religieux de la perte et du ressentiment ?
l’école n’a-t-elle pas mieux à faire, je veux dire politiquement, que de se
soucier de cela ? (évidemment)
alors dans les classes, quand cela se présente (la loi c’est un autre
problème évidemment), faisons tomber les voiles
et ne les mettons pas (aussi dans le sens de ne pas de défiler..)
il y a moyen tout de même (le rire n’est pas interdit je crois) de décoiffer
des élèves…
François :
Cher Alain, nous avons suffisamment de choses en commun pour pouvoir, quand même, espérer
nous comprendre. Pourtant, j’ai l’impression que l’on ne se comprend pas encore
vraiment.
Vous me répondez en parlant de religion, etc : vous avez quand même bien dû
remarquer
que je ne parlais pas de religion, je n’employais pas ce mot : à dessein – il
n’y a à
peu près rien de pire qu’un débat sur LA religion : rien de plus
“idéologique” au
pire sens du terme. Pourquoi cette obsession sur LA religion, le “sans
religion”,
“contre religion” ? Cela ne vous ressemble pas, c’est très éloigné de ce que
vous
écrivez par ailleurs.
Comme Antonia, je vous parlais de luttes, d'”au côté de qui est on”,
“contre
qui est on ” (“qui” en chair et en os, pas LA ou LES religions, ces
abstractions),
qui est ce “on” qui est contre, qui est pour, qui exclut ou qui n’exclut pas
: vous
me parlez d’autre chose. Vous parlez aussi de “l’école” : mais qu’est ce donc
que
l'”école”, qu’est ce que cet étrange sujet auquel vous vous référez ?
“oui ou non le foulard est-il un signe religieux ?”
Cela paraît relativement évident. Mais pourquoi cette question ?
“oui ou non la religion est-elle par définition un chemin spirituel de valeur
pour la vie des hommes ? (si la religion reste ce chemin, il faut le
démontrer : LA QUESTION SE POSE TOUT DE MEME”
Mais pourquoi parlez vous de “chemin spirituel de valeur” ? A qui attribuez
vous une
telle idée ? Elle n’a aucun rapport avec ce que je pouvais dire. Pour la
bonne raison
que je ne sais absolument pas ce que c’est qu’un “chemin spirituel de
valeur”. C’est
une expression qui ne vous ressemble pas : pourquoi l’employez vous ? Je
connais des
gens qui disent des choses qui me paraissent intéressantes, d’autres non, je
connais
des gens qui disent des âneries, d’autres non (et la limite n’est pas
forcément
nette: il nous arrive à tous de dire des âneries). Mais la démarcation n’est
certainement pas entre LA religion et la “pas religion”.
Vous savez, s’il ne fallait accepter dans l’école que les gens qui effectuent
un
“chemin spirituel de valeur” : il n’y aurait plus beaucoup de monde : élèves,
profs,
de qui peut on dire sans risque de se tromper qu’ils effectuent ce “chemin
spirituel
de valeur” ?
“que faire d’une jeune raëlienne en classe ? que faire d’un jeune sataniste ?
le minimum pour l’enseignant n’est-il pas d’effacer ou de gommer les traces,
de retrouver la personne ? (“Pourrais-tu Jean ôter ce masque ? Pourrais-tu
Jeanne enlever ce voile”)”
Je ne sais pas si c’est un minimum, je ne sais pas non plus très bien ce que
vous
entendez par “la personne”. Mais pour le reste : oui, bien sûr, quand on peut
le
faire, mais quand on ne peut pas, quand ça ne marche pas ? Mais il n’y a pas
que cela
qui ne marche pas. Quand vous avez des élèves qui font une fixation sur Star
Academy,
c’est navrant, c’est de la bouillie qu’ils ont dans le crâne, vous essayez de
faire
tomber la bouillie, mais si ça ne marche pas vous essayez de faire mieux la
prochaine
fois.
“oui ou non ne peut-on vouloir et organiser une école de la vie contre
l’esprit religieux de la perte et du ressentiment ?”
Non : vous ne pouvez pas “organiser” une école contre cela, ni CONTRE quoi
que ce
soit, d’ailleurs
“l’école n’a-t-elle pas mieux à faire, je veux dire politiquement, que de se
soucier de cela ? (évidemment)”
Mais là, cher Alain, vous êtes vraiment en plein idéalisme. C’est un terrain
qui est
là, je préfèrerais me soucier d’autre chose. Mais bon, il faut bien se
soucier de ce
qui est là. La référence spinoziste rappelée par Antonia est
particulièrement pertinente : il ne faut pas interdire ce que l’on ne peut pas
empêcher.
“il y a moyen tout de même (le rire n’est pas interdit je crois) de décoiffer
des élèves…”
Sur cela, je crois, nous pouvons nous entendre. Sur le rire. J’ai tendance à
penser
que c’est la bonne solution (quand elle est praticable). Par exemple : quand
une
“affaire de foulard” se déclenche, venir massivement en couvre chefs de toute
sorte,
élèves et enseignants, transformer cela en grand carnaval. Je n’avance pas
cela comme
une bonne blague Cela peut être extrêmement décapant, un peu comme la
surnotation aux
examens, et c’est probablement assez largement praticable
Jacky :
Il apparait assez nettement que cette question du voile est piégée: au nom
de grands principes(laïcité donc neutralité et inclusion de tous dans
l’école publique) on va exclure des jeunes filles qui seront alors livrées à
des influences uniquement religieuses . En 1986-87, j’ai enseigné dans un
établissement où il y avait 4 jeunes filles voilées. Bien sûr, il y a eu
débat entre profs mais la position a été de les laisser tranquille, on a pu
observer que vers la fin de l’année elle ne mettait plus le voile au collège
mais uniquement pour rentrer chez elles malgré le mouchardage des frères et
les risques de punitions à la maison.Je sens déjà que mon témoignage vous
déçois mais il faut savoir que sur ces questions, dans les établissements
scolaires, nous ne sommes pas démunis, une réglementation existe, un
dialogue peut s’installer et si on à affaire à une équipe de profs
intelligents on peut aborder toutes ces questions de la laïcité, de la
liberté de conscience et des droits de la personne sans claironner les
grands principes mais en cherchant à les appliquer au plus juste.
Vincent :
Enfin un éclairage sensé : on a effectivement tout ce qu’il
faut pour résoudre les quelques problèmes de foulard en ayant les idées
claires sur la laïcité (c’est ça le scandale: l’ignorance crasse des
enseignants sur le concept de laïcité. Ce qui en est dit dans les iufm
pour les nouveaux entrants dans le métier est tout simplement dérisoire
et on enferme le débat sur des faux-problèmes comme ce foulard…) et en
mettant à sa juste place, c’est-à-dire à un niveau proche de
l’insignifiance la question de quelques gamines voilées, qui le
retirent, leur voile, sans qu’on ait besoin de monter sur ses grands
chevaux ni d’arborer un masque de zorro et de mickey (je commençais un
peu à m’inquiéter pour François, mais je suis preneur d’une photo de lui
si il met ses intentions en pratique…). L’incapacité des profs à se
sortir de ces quelques cas individuels éclaire plutôt la projection de
leurs fantasmes sur l’islam.
Brian :
Le monde n’est pas transparent à lui-même, mais partout à moitié
voilé, par l’ignorance, l’inconscience, l’incapacité de faire en
réalité tout ce qu’on conçoit dans la pensée – choses qui sont
inhérentes à la condition historique, et qui se partagent à cause de
la dépendance intrinsèque des uns envers les autres. Jusqu’à nos
propres yeux auront toujours leur tache aveugle. Les individus qui se
croient souverains oublient leur naissance, leur mortalité et leur
lien indéfectible aux autres.
En France cet aveuglement fait croire à beaucoup qu’une école
publique idéale va créer un pays de philosophes éclairés du
dix-septième siècle, ou de la fin du dix-neuvième siècle, au choix et
selon. C’est méconnaître l’actualité, où les écoles réelles se
dégradent avec tous les quartiers laissés-pour-compte autour des
grandes villes, quartiers où on a parqué ceux dont on avait autrefois
envahi les pays d’origine, ceux dont on a plus tard fait venir les
parents ou les grands-parents pour faire le boulot de la prospérité,
payé au salaire dérisoire que voulaient bien consentir les riches. De
cette situation que la meilleure philosophie occidentale n’a su
prévenir – de cette variante française de la condition post et
néocoloniale du monde entier – la guerre civile émerge peu à peu.
Demain sera fait, inéluctablement jusqu’à un certain degré, par ceux
qui mettront des bombes voilées sous leurs chemises, contre leur peau
et bientôt contre la nôtre.
Il est certain que nous ne vivrons pas demain dans un pays où tous
pourront et voudront raisonner comme Descartes ou Nietzsche. Mais les
démographes nous disent qu’on vivra bel et bien – et quel que soit le
montant de nos retraites – dans une Europe où la majorité des
travailleurs actifs seront d’origine extra-européenne. Pour éviter de
vivre environné de rejetons et de répliques du duo Ben Laden/Bush on
aurait intérêt à se laisser un peu moins éblouir par la blancheur
éclatante de ce rêve d’une République de lettres exclusivement
latines. Il y a d’autres alphabets sous le soleil. Le voile que
mettent ces jeunes filles dont on parle aujourd’hui peut être
compris, non pas comme une abomination à abolir, mais comme une
demande d’être vu par la société française – qui du coup aurait à se
confronter à sa propre tache aveugle, son refus d’assumer un
universel qui n’est pas dicté d’après les pages d’un livre, mais créé
tous les jours par un monde en transformation.
Le voile, compris comme une demande d’être vu, n’exige pas une simple
reconnaissance, qui dirait : “Vous êtes ce que vous êtes, et nous, ce
que nous avons toujours été”. Voir les significations profondes du
voile islamique et de tous les autres voiles historiques exige de
parler et de faire avec les autres, en poursuivant cette aventure
fantastique de la réflexion collective sur un monde en devenir,
réflexion qui autrefois faisait passer la société du moyen âge à la
renaissance, de l’ancien régime à la révolution, du capitalisme
libéral à des formes de mutualisme et de socialisme. Maintenant il
faut passer d’une société unilingue et de tradition culturelle
chrétienne, à une civilisation mondiale dont personne n’est exclu,
mais où tous doivent apprendre à vivre ensemble: ce qui implique une
autre école que celle fondée au dix-neuvième siècle.
Aujourd’hui le don du savoir est à sens unique – un peu comme les
balles et les missiles. L’école dont nous avons besoin est celle qui
pourra aller au fond des différences qui existent entre les habitants
d’un même territoire, rendre ces différences visibles comme telles,
et les éléver au niveau où elles peuvent s’échanger en paroles.
Faisons donc payer cette école par la richesse produite par nos
mains, par nos machines et par nos idées à tous, au lieu de défendre
le concept de celle qui croûle actuellement de son manque de moyens,
intellectuels aussi bien que matériels, et qui risque d’exploser
littéralement demain – quand le refus de voir tous les habitants de
cette terre fera venir le contre-don de la violence dans le jardin de
nos illusions souveraines.
Il y a en France
une tendance marquée à vouloir bloquer l’expression de l’altérité
islamique dans les écoles et les lieux publics, et je crois que cette
tendance contribue aux problèmes sociaux, qui sont par ailleurs
énormes. Il me semble aussi que cette tendance – qui s’exprime
souvent avec le “Non, et non!” des grands principes républicains –
doit avoir quelque lien obscure avec l’histoire coloniale de ce pays.
La Troisième République étant par excellence celle de l’école
publique et de l’impérialisme.
Pour moi, les gens sont “masqués” ou “voilés” les uns envers les
autres par la force des choses: il y a des malentendus objectifs (les
inégalités, par exemple), qu’aucune idée, que ce soit la créolisation
ou l’horizon philosophique de l’individu souverain, ne peut
transformer. S’installer solidement dans le malentendu et l’exprimer
en vue de la parole, dans un lieu de la parole comme peut l’être
l’école, est (ou serait) un début de mouvement vers autre chose.
Début de parole à faire suivre par des actes. (Et probablement, les
deux jeunes femmes cherchent dans exactement ce sens à transformer
l’héritage communiste qui est aussi le leur.)
Mais cette “autre chose” à trouver est à mon avis encore inconnue. Je
crois que “nous” ne ferons pas les règles de l’avenir. On les
trouvera plutôt dans la tentative de vivre ensemble avec tous les
autres. Ou on les recevra dans la gueule. Elles ne seront forcément
pas conformes aux philosophies existantes, car ces philosophies font
partie du “don” que les riches et les puissants essaient d’imposer à
la planète entière, en tant qu’universaux – que ce soit les
universaux de la philosophie ou la marchandise, les deux se
rencontrent cette fois, dans la fâcheuse catégorie de la “domination”.
Sandra :
la tolérance à l’égard du foulard au nom du libéralisme (chacun fait ce
qu’il veut et est libre de croire à ce qu’il veut) ne doit pas cacher la
protestation et les luttes des femmes soumises au terrorisme d’une
soi-disant obligation religieuse (car en vérité l’origine du voile est la
protection des femmes, qui dans des situations de guerre, pourraient risquer
de se faire enlever par les étrangers = protection contre l’étranger et
contre les risques des temps de guerre) Ces femmes soumises au terrorisme
les obligeant à se voiler pour ne pas être traitées de putes ni traitées
comme des putes -càd en vérité agressées- dans les quartiers où certaines
brutes mâles de culture musulmane, expriment leur révolte contre
l’oppression qu’ils subissent en s’en prenant à + faible qu’eux,
physiquement, les femmes et font régner la terreur sur les femmes d’origine
arabe et supposées devoir être obligatoirement musulmanes, au nom de la
pudeur, bien sûr !
Liberté du voile, parlez-en aux filles arabes des quartiers pauvres et
isolés. C’est en effet une grande liberté à revendiquer que de pouvoir
porter le voile ! sans doute la plus urgente des libertés à faire
reconnaître dans les Lycées, où l’absence totale de culture historique et
politique des élèves fait peur ! Et vive le MRAP embarqué dans la défense
des particularités culturelles et ethniques, et vive le communautarisme !
promis à un bel avenir…
François :
Je me sens d’accord avec beaucoup de choses énoncées dans votre mail (pas avec votre
ton, qui est, en forçant un peu le trait, celui de la guerre civile : je ne me sens
pas en guerre, je ne veux pas me sentir en guerre, et surtout pas contre mes propres
élèves, même ceux que vous décrivez ici, parfois affreux, j’en conviens volontiers).
Mais je ne comprends pas bien pourquoi vous posez comme antithétiques des positions
qui ne le sont pas nécessairement, bien plus, qui sont souvent énoncées par les mêmes
personnes.
1. Qui, du moins sur cette liste, a jamais émis la moindre réticence à
l’égard de “la protestation et les luttes des femmes soumises au terrorisme d’une
soi-disant obligation religieuse” ? (je n’emploierai pas ce “soi-disant”, mais peu
importe). Bien plus : vous pouvez bien imaginer que, parmi les personnes inscrites
sur Multitudes Infos, un nombre non négligeable d’entre elles ont activement soutenu
les jeunes filles (et notamment leurs propres élèves lorsqu’il s’agit d’enseignants)
en lutte individuelle ou collective contre l’oppression (souvent familiale, mais pas
seulement) que vous évoquez. Très concrètement, dans l’établissement où j’enseigne :
au moins (je ne sais pas tout) un mariage forcé en bonne et due forme, plusieurs
velléités de mariage forcé ; une jeune fille séquestrée dans son pays natal pour
cause de fréquentation non adéquate : face à cela, parfois une mobilisation générale
de l’établissement, parfois un soutien plus discret – affaire de circonstance,
d’opportunité. Des résultats non négligeables. Même chose pour le mouvement “ni putes
ni soumises”, très intéressant par delà certaines tentatives de main-mise : grande
réunion dans l’établissement, avec des réactions d’élèves masculins assez conformes à
ce que vous évoquez. Bref, pas d’hésitation à ce sujet. Rien à voir avec ce
“libéralisme” que vous évoquez : pourquoi ce mot, qui sonne immédiatement comme “très
vilain” ? Rien à voir avec cette indiifférence blasée du “chacun fait ce qu’il veut
et est libre de croire à ce qu’il veut”. Des jeunes filles sont en lutte pour leur
émancipation, libération, peu importe le mot : nous faisons ce que nous pouvons pour
agir avec elles. Elles ne sont pas forcément en guerre pour autant avec ces garçons,
pères etc qui les oppriment : c’est plus compliqué, et je ne vois pas très bien
pourquoi il faudrait en rajouter en la matière.
2. En vous lisant, on pourrait avoir l’impression que vous répondez à des gens qui
auraient dit quelque chos comme “vive le foulard”, “oui au foulard dans l’école
laïque” (comme avait ignominieusement titré le quotidien “Libération” en publiant
l’appel “Non aux lois d’exception”). Nulle part vous n’avez vu cela sur cette liste :
donc, pourquoi cette réponse – à qui répondez vous ? Discuter avec quelqu’un, fût-ce
avec de vifs désaccords, c’est quand même tenir compte de ce qu’il dit : cela peut
même être relever les implicites de son discours, rejeter son mode d’énonciation :
tout cela oui, mille fois. Mais cela n’autorise pas à prêter à des gens des propos
que l’on désire qu’ils aient.
3. Autre chose est le cas de jeunes filles qui utilisent cette pièce de vêtement
intitulé “foulard” pour affirmer quelque chose. C’est ainsi : elles ne l’affirment
pas contre le foulard qu’on veut leur imposer (et encore une fois, celles qui sont
dans cette lutte émancipatrice ont tout notre soutien, non pas théorique mais, autant
que faire se peut, pratique), elles l’affirment à travers ce malheureux foulard.
C’est ainsi : elles le font.
Dans une logique binaire, leur attitude est contradictoire avec la précédente. Dans
la réalité, c’est un peu plus compliqué. Celles qui se révoltent contre le foulard
qu’on veut leur imposer ne sont pas nécessairement celles qui s’indignent contre
leurs camarades (qui peuvent être leurs soeurs) qui décident de le porter. Bien plus,
elles sont souvent les premières à s’indigner de l’attitude de l’institution qui veut
les exclure. Elles peuvent les affronter durement, les ignorer, ricaner, tout ce que
vous voudrez : mais elles ne les considèrent pas comme des ennemies (la réciproque
est elle vraie ? je n’en sais trop rien).
Quand l’institution, du haut de ce qui lui reste de force, veut, elle, les exclure,
elle les traite comme des ennemies, ce qui est absolument inadmissible. Avec pour
résultat cette réussite merveilleuse : des élèves d’un établissement scolaire qui
manifestent contre leurs propres enseignants. C’est-à-dire, en gros, la pire chose
qui puisse arriver.
Qu’affirment elles ? Eh bien, justement, c’est très compliqué et, surtout, c’est très
variable. Il n’y a même pas besoin de les écouter : il suffit de les regarder pour
voir que le sens est loin d’être homogène. Il suffit de se promener dans la rue,
d’aller dansle métro et de regarder. Parfois, oui, vous voyez de l’oppression,
parfois même terrifiante. D’autres fois, il s’agit manifestement de toute autre
chose, beaucoup plus subtil : il suffit de regarder sans être animé d’emblée par le
ressentiment.
Alors, bien sûr, si en plus de regarder on se met à écouter, on peut commencer à
découvrir des choses – y compris de la pensée là où on ne voulait voir que des
victimes écartelées entre deux types d’oppression : celle des familles, du milieu (ou
je ne sais trop quoi), et celle de l’Ecole (toujours préférable parce qu’on est du
bon côté). Y compris de la richesse là où l’on ne voulait voir que de la misère.
Jacky :
tout d’abord, merci François pour ta réponse au message de Sandra Salomon,
message qui fait preuve d’une telle mauvaise foi ( ne pas vouloir exclure
pour le port du voile = être libéral et ainsi participer à l’oppression des
femmes) qu’il est difficile d’avoir envie d’y répondre de façon argumentée.
Mais là encore, c’est sans doute un piège tendu auquel je n’ai pu me
soustraire hier soir qu’en ne répondant pas.Il faut dire que ce genre
“d’argument-accusation “j’en ai reçu quotidiennement dans un collège en
1988-89. Mais depuis les choses ont bougé, certains clichés ne tiennent plus
et nos accusateurs n’ont plus la part ausi belle. François aborde ces
évolutions de façon très fouillée par une observation de la réalité qui doit
guider notre réflexion. Pour ma part, dèjà en 1988-89, j’avais trouvé chez
mes détracteurs des accents très curieux, un mélange de haine et de
ressentiment pour ce qui représentait une ou des différences mais comme ils
se drapaient dans une certaine bonne conscience laïque et républicaine, il
était difficile de les déboulonner du pied d’estale qu’ils s’étaient
constitué. Leur point faible résidait dans le fait qu’ils parlaient de
situations qu’ils ne connaissaient pas, ils se fiaient donc à un sentiment
personnel alimenté par des représentations divulguées le plus souvent par
les médias.
Sandra :
je ne vois pas pourquoi vous parlez de guerre à propos de mon ton… ? = ton
de la guerre civile . Vous n’y allez pas de main morte.
1- ce que j’ai dit (rappel à l’histoire) est que le voile, avant de devenir
aujourd’hui un insigne religieux, a été introduit comme pratique, aux
origines de l’Islam, pour protéger les femmes des possibles enlèvements par
des sociétés/tribus en guerre : il s’agissait de cacher les femmes, de les
dissimuler, pour éviter qu’elles ne soient raptées par les ennemis, comme on
protège ses biens en temps de guerre. Rien à voir avec la pudeur, en clair.
Aux origines du moins. Il s’agissait néanmoins d’une protection des femmes
contre la possible violence des hommes. Cela, toujours. Et c’est ce qui est
resté, avec un changement de signification avec le passage à d’autres
époques.
Sur ce point je vous conseille la lecture de l’excellent petit livre de
Mansour Fahmy “aux origines de l’Islam” , éditions Allia qui rappelle qq
points d’histoire utiles.
2- Maintenant, aujourd’hui, qu’en est-il ?
référence aux femmes de culture arabo-islamique : il faudrait voir ce
qu’elles disent, ce qu’elles pensent. Leur demander leur avis, n’est-ce pas
? ne pas parler à leur place, et tenir compte des laïcs appartenant à cette
culture, provenant de ces origines.
Or, que disent-elles ? Vous en avez un échantillon avec le mouvement “ni
putes ni soumises” qui dénonce le fait d’une pression forçant les filles à
se dissimuler (il ne s’agit pas seulement du voile islamique) mais il s’agit
de les forcer à s’entourer de vêtements dissimulant le plus possible le
corps (vêtements larges et informes, pas de jupe sinon longue etc.) sous
peine d’être considérées par un certain nombre (non négligeable) de garçons,
comme des putes, et , à la limite méritant bien d’être agressées, violées,
càd. selon cette logique “punies” de s’exhiber avec des vêtements de type
occidentaux traduits comme “tenue de pute” donc punies, donc battues etc.
voire tuées dans les cas les plus extrêmes.
= pression sur les filles pour qu’elles ne fréquentent ni ne se marient avec
des non musulmans. Logique communautaire qui en passe par une défense faite
aux filles de sortir de cla communauté, contre la mixité culturelle à
l’évidence , qui en passe par les mariages mixtes (je rappelle que jusqu’à
présent la France détenait en Europe, loin devant tous les autres pays, le
record de mariages mixtes ; on peut penser que c’est un facteur
d’intégration -voir à ce sujet les travaux d’Hervé Le Bras sur la population
française). Eh bien aujourd’hui il existe un mouvement très fort pour
revenir en arrière et une très forte pression, qui pèse sur les filles (car
ce sont surtout elles qui vivent avec ou époiusent des français) pour
empe^cher les mélanges culturels et pour le retour à la communauté. Cela en
passe par une violence quotidienne faite aux filles et aux femmes, qui
atteint souvent des proportions insupportables.
Ce qu’en pensent les femmes issues de l’Islam mais adeptes de la laïcité et
(donc) d’une certaine idée de la République ? Vous avez certains bouquins
là-dessus. Elles disent très clairement que le voile et la pratique du
voilement des femmes consistent à faire de celles-ci des objets sexuels,
càd signifiant que la femme est par essence donnée en patûre à l’homme à
qui, si elle n’est pas voilée , tout est permis, d’une par-, et d’autre
part, c’est un insigne affiché réservant les filles à un certain type de
mariage, traditionnel, sur lequel la communauté a tout pouvoir.
= il ne s’agit pas là d’une affaire individuelle (chacun libre d’afficher
ses croyances) mais d’une logique communautaire, anti-républicaine, et
parfaitement archaïque, du point de vue des femmes qui ont choisi, parce
qu’elles en vivent les bienfaits, la laïcité + ou – républicaine, plutôt que
la logique communautaire (elles le vivent ; elles savent ce que cela veut
dire, celles qui ont fait ce choix et qui demandent à pouvoir le maintenir,
et qui demandent qu’on les défendent et les soutiennent dans ce choix, pour
qu’il reste possible)
les témoignages sont nombreux, de femmes et d’hommes de culture arabe &
musulmane qui s’insurgent contre cette tolérance à l’égard du voile, comme
si le geste était insignifiant ou peu chargé de sens : Malek Chebel, par
exemple, des algériennes, des marocaines, des iraniennes, qui ont fui leur
pays pour ne plus subir ce terrorisme pesant sur elles et sur leurs filles,
et qui le retrouvent ici et qui le dénoncent, qui écrivent des livres qu’il
faut lire. Egalement les laïcs français de culture musulmane qui protestent
, (y compris auprès de Chirac des agissements de Sarkozy) , càd qui
protestent contre la reconnaissance des communautaires fondamentalistes
institués par Sarkozy et supposés “représenter” tout le monde de culture
musulmane par son origine,… Ce Sarkozy qui prône la tolérance, s’adressant
à eux, non en tant que Ministre de la République, mais en tant que
catholique (sic)
Enfin qui ici etc… dites-vous ? n’avez-vous pas vu passer des messages sur
le thème : contre les ayatollahs de la laïcité , défendu par ce digne avocat
du MRAP père des deux filles voilées, et repris par certains.
J’ai parlé du MRAP défenseur du communautarisme au nom de la liberté
religieuse. Je maintiens.
et d’accord pour dire avec ceux qui l’ont déjà dit, que le foulard islamique
n’est pas “un petit bout de tissu” mais un insigne de toute une logique
communautaire que les forces fondamentalistes de l’